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Les dirigeants des universités se plaignent souvent de la façon dont sont traités leurs établissements par les médias. Ces derniers jours, j’ai pu mesurer l’exaspération, au plus haut niveau, que suscite la couverture médiatique du mouvement actuel de blocages d’établissements. Les médias jouent-ils leur rôle dans la couverture de ce mouvement étudiant ? Mais les universités ont-elles su occuper … le terrain médiatique ? Car bataille politique et bataille médiatique sont de plus en plus liées.

J’ai eu l’occasion de pointer du doigt les approximations que l’on trouve dans les médias, avec notamment une confusion site, faculté, université. Le summum a été atteint par cet article annonçant que Paris-IV était bloquée, sachant que cette université n’existe plus et s’appelle Sorbonne Université. Surtout, il s’agissait de 200 personnes sur le site de Clignancourt ! Et puis, il y a cette facilité, ou cette naïveté, qu’ont les médias à faire parler des personnes sans les identifier (“un responsable de lutte” membre du NPA par exemple et qui le revendique) ou encore des experts dont tout le monde devrait savoir qu’ils sont d’abord des militants politiques…

Certains responsables universitaires font ainsi porter une part de la responsabilités des événements actuels aux journalistes qui ne feraient pas leur travail. Pour bien connaître cette profession, il y a des critiques pertinentes : des journalistes qui ne s’intéressent à l’université que quand il y a des problèmes, des journalistes militants, des journalistes pas professionnels et qui, grande tradition française, privilégient le commentaire aux faits. Sur ce terrain, on trouve aussi de nombreux universitaires qui prennent des libertés avec les faits : ainsi cette chercheuse en sciences politiques affirmant que 2 000 étudiants participaient à une AG amphi N à Tolbiac, qui ne peut guère en contenir que 1 000/1 100 !

Mais le milieu étudiant ayant par le passé été hautement inflammable, les médias y sont attentifs : qui pourrait le leur reprocher ? Pourtant, pour l’instant, si l’on fait le compte des chiffres annoncés par les opposants à la loi ORE eux-mêmes, les AG massives ont été rares : le cumul n’a jamais, sauf erreur de ma part, été publié. Si l’on prend 1 500 000 étudiants, on parle au maximum de 10 000 étudiants, et pour les blocages, encore moins. Évidemment, le moindre incident peut toujours dégénérer.

Des médias qu’il faut comprendre

La vraie question est qu’au-delà d’un cercle assez restreint de journalistes spécialisés dans l’enseignement supérieur (qui doivent aussi composer avec les attentes de leur hiérarchie), il y a toute l’année un désert médiatique, en particulier sur les chaines d’infos. Comment croire que les directions de rédaction des grands médias, les rédacteurs en chef vont se mettre en quelques jours à comprendre l’organisation incroyable de l’ESR en France ? Et lorsque l’on sait ce que Parcoursup génère comme angoisse chez les parents, que même les présidents d’universités sont conscients du défi de la mise en place pour cette rentrée 2018, les besoins d’explications sont énormes, et varient selon le type de médias.

Car si l’on regarde plus attentivement, il existe des traitements plus nuancés que ne le pensent certains. Les médias ont d’ailleurs évolué au fil des jours et n’ont pas été épargnés. Ce qui s’est passé à la Dépêche du Midi envahie par des étudiants de Toulouse Jean-Jaurès pour obtenir un communiqué (“Dénoncer la parution répétitive d’articles à charge contre la mobilisation”) ou pour la journaliste du JDD sur le site de la Victoire de l’université de Bordeaux (on lui demandait son carnet de notes !) illustrent une tension croissante avec les médias. Les médias se sont d’ailleurs délectés du compte twitter du chien Guevara, qui tourne en ridicule les bloqueurs de Tolbiac.

La question : que font les universités pour expliquer ?

Certains responsables universitaires n’ont pas contribué par leur attitude à relativiser les choses. Soit par une communication maladroite, soit par l’absence de communication. A leur décharge, une immense responsabilité en cas de dérapage.
Si les présidents d’université ont un sentiment d’injustice, que l’on peut comprendre, ils ne peuvent cependant pas faire l’économie d’une réflexion sur leur occupation … du terrain médiatique. Comme l’utilisation strictement défensive des réseaux sociaux (“face au blocage, vos cours sont délocalisés à tel endroit”), ou l’absence de ce que j’appellerai “la saturation de l’espace médiatique”.

Face à des militants rodés, avec des médias peu au fait des subtilités de l’ESR, l’amateurisme ne pardonne pas. Les opposants à la loi ORE ont multiplié et varié les supports de leurs prises de position ainsi que leurs argumentaires : réseaux sociaux, tribunes, communiqués, sollicitation des médias etc. Face à ce rouleau compresseur, les universités ont déroulé une panoplie classique et surtout défensive, passant leur temps à se justifier. Et les universitaires qui sont montés au créneau pour défendre l’université n’ont pas été légion, laissant Gilles Roussel et la CPU en première ligne, sans doute au motif qu’il ne se passait rien dans leur établissement.

Mauvais calcul : ce qui se passe à Tolbiac et à l’université Toulouse Jean-Jaurès va entacher durablement l’image des universités dans leur ensemble. Sans prise de conscience collective de l’importance de la bataille de l’information, le risque est de ne voir à nouveau que les points faibles des universités, et pas leurs points forts.

3 Responses to “Mouvement étudiant : la faute aux médias ?”

  1. Excellent ! La vie universitaire française est un désert absolu pour les médias, sauf en cas de mouvements sociaux, même si ceux-ci sont très minoritaires. La seule chose qui importe pour les médias est de savoir si les mouvements étudiants seront des détonateurs sociaux ou non.
    Mais la faute n’en incombe pas aux médias, en tout cas pas principalement.
    On ne peut pas leur demander de s’intéresser à un secteur absolument incompréhensible si on n’y a pas vécu de longues années de sa vie professionnelle. Les nombreuses erreurs factuelles (noms, lieux etc.) sont la conséquence la plus visible de cette organisation effectivement kafkaïenne et instable des universités. A moins d’une très longue expertise, il est impossible de démêler l’écheveau du système universitaire français.
    Et donc effectivement si les universités n’occupent pas le terrain médiatique (à la différence de grandes écoles qui parfois sur-médiatisent), celui-ci reste un désert pour elles.
    Pourquoi cette non-occupation ?
    D’abord le repli sur soi des conseils d’administration, institutionnellement peu ouverts à la société civile fait que celle-ci ne connait pas les universités dont elle est exclue. Et elle n’a pas envie de les connaître.
    Ensuite la confusion est constante entre l’administratif et l’académique au sein des universités : conseils d’administration, conseils académiques, conseils de composantes, de départements, de laboratoire se marchent sans cesse sur les pieds dans un brouhaha incroyable. Et souvent le président passe le plus clair de son temps à la recherche d’un équilibre interne toujours fragile. De ce fait le monde universitaire français ne peut à aucun niveau parler d’une seule voix. La représentation publique de l’université, son président, doit tenir compte de toutes les tendances, sous peine de se voir immédiatement et publiquement contredit. Et la CPU ne peut ni juridiquement ni politiquement être autre chose qu’une instance de réflexion stratégique et une instance de dialogue informel avec les autorités de tutelle.
    Les choses seraient très différentes si les universités étaient plus autonomes, moins dépendantes du ministère et de sa propre communication, et administrées par des conseils d’administration moins pléthoriques et plus ouverts. Il faudrait aussi que conseils d’administration et conseils académiques (sénats académiques) soient plus clairement séparés, pour savoir qui peut parler de quoi. Au lieu de cela, c’est souvent la foire d’empoigne, excluant toute politique de communication, et parfois une indifférence fatiguée des personnels, aboutissant au même résultat médiatique.

  2. Bernard Belloc déplore à juste titre « un président d’université qui doit tenir compte de toutes les tendances, sous peine de se voir immédiatement et publiquement contredit ».
    Permettez que je déplore aussi le manque d’intérêt, (ou de considération ?) de la part de la gouvernance des universités, de ce que pourrait être une véritable politique de communication de leur établissement ? Si la société civile s’intéresse peu aux universités, si les medias en parlent le plus souvent en mode « bashing », c’est aussi la conséquence directe d’un grand vide en matière de stratégie de communication au sein des universités françaises.
    Un président d’université, ne l’oublions pas, est un enseignant-chercheur, propulsé par le jeu démocratique à la tête d’une entreprise publique de milliers de personnes aux statuts différents. Une fois élu, il n’a de cesse d’appliquer son « programme », et de « servir » les fondamentaux de son établissement que sont la formation et la recherche dans un espace/temps très contraint. D’abord un espace interne très codé (conseils, comités, représentation syndicale, …) et un espace extérieur encore très directif (vous avez dit « autonomie » ?), dans lequel il reçoit les injonctions du MESR, du Rectorat, des collectivités territoriales, du HCERES, des organismes de recherche, des partenaires des Comues, etc. Le tout, dans un temps limité. C’est là précisément qu’une politique de communication, mûrement réfléchie, basée sur des valeurs et des réussites propres à son établissement, partagées avec ses collègues enseignants-chercheurs et les autres personnels, voire les étudiants, déployée sur du long terme, pourrait véritablement servir sa cause, celle de son université, et celle des universités en général.
    La plupart des présidents d’université considèrent peu la «communication» pour différentes raisons. Certains la négligent par manque de temps, d’autres s’en méfient (la méfiance naturelle du chercheur face à l’absence de contrôle de l’information), et d’autres enfin pensent qu’ils sont seuls « habilités » à communiquer au nom de leur université. Or, une bonne politique de communication orchestre les prises de parole, désignant ceux qui assument les différentes versions d’un unique « credo» de l’université. Elle anticipe aussi, notamment en cas de crise comme certaines universités en connaissent actuellement, hélas. Certes, la «com» ne résout pas tout (par exemple le manque de vision), il y aura toujours des voix contradictoires qui s’élèveront. Mais même cela elle peut le prévoir. Ce qui est sûr, c’est que l’absence de stratégie de communication aboutit non seulement à “l’amateurisme” que pointe fort justement Jean-Michel Catin mais constitue aussi un boulevard pour tous ceux qui s’auto-désignent représentants de l’institution et prennent la parole en son nom comme le constate Bernard Belloc.
    Mais les présidents d’universités ont des alliés, ceux dont la communication est le métier (si, si !). Encore faudrait-il qu’ils en soient eux-mêmes convaincus, mais ceci est une autre histoire, un autre article, un autre blog ?

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