L’exercice est toujours un peu convenu : quelles tendances dégager pour l’année universitaire qui commence ? J’ai essayé de capter quelques signaux faibles mais aussi des signaux forts à partir de centaines d’échanges, de rencontres et de visites, et bien sûr de lectures. Une sélection très subjective à partir notamment de mes chroniques, mais assumée ! Conclusion évidente : on se dit que si rien ne bouge rapidement en termes d’organisation et de financement le décrochage de la France va s’accélérer. Parce que les autres avancent !
On peut à juste titre avoir une vision blasée de la situation de l’ESRI en France. Selon sa propre opinion, on peut pointer la lenteur des changements ou au contraire les changements incessants, l’absence de priorité pour ce secteur et son décrochage ou les espoirs suscités par l’annonce d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
Essayons, au-delà de nos propres opinions (les miennes y compris) de prendre un peu de recul afin de mesurer des évolutions positives en cours, mais aussi les points d’interrogations.
Ce qui me frappe le plus depuis quelques mois, ce sont les infléchissements des discours tant chez les pouvoirs publics que chez les responsables d’établissements publics, sur des sujets qui hier étaient tout simplement inaudibles. Ces infléchissements se traduiront-ils par des changements positifs ? A chacun de se faire son idée, mais il serait en tout cas contre-productif de les ignorer. Car pour peser dans les débats à venir, il vaut mieux ne pas se tromper de contexte.
Par exemple, on peut avoir des motifs d’espoir en constatant, notamment à propos de la loi recherche, que l’on parle à nouveau du temps long, des rémunérations etc. Des évolutions se font jour sur ces 2 poumons que sont la formation et la recherche : quelles seront leur portée ?
La responsabilité des communautés académiques (oui on est obligés d’écrire ‘des’ et pas « la’…) est énorme : se diviseront-elles à nouveau face à des arbitres (dans la technostructure française) qui ont trop souvent dédain et mépris pour l’enseignement supérieur et la recherche ? Comme Jean Perrin à son époque, les leaders universitaires et scientifiques sauront-ils plaider cette cause auprès de pouvoirs politiques qu’il est nécessaire de convaincre ?
Et commençons par les étudiants sans lesquels il n’existerait pas d’enseignement supérieur et de recherche dans ce pays.
Des étudiants qui changent
Sélection-orientation. Désormais dans les familles, chez les jeunes mais aussi dans la communauté académique, l’idée fait son chemin que l’accès à l’université n’est pas automatique. Quelles seront les conséquences à long terme ? Difficile à dire, mais ce qui est certain est que les établissements ont de plus en plus une pression sur la pédagogie et l’individualisation du suivi. La notion d’exigence est-elle partie pour remplacer l’image d’échec en 1ère année qui colle « à la peau » des universités ? Côté secteur public hors université, il doit, à l’exemple des BTS, se transformer. Quant au secteur privé, en pleine croissance, il est confronté à 2 défis : concilier son modèle économique avec la qualité.
Parcoursup. C’est le calme après la tempête. Peu de chiffres sur le bilan de l’année I de Parcoursup mais une certitude : les équipes pédagogiques connaissent mieux leurs nouveaux étudiants. Et les changements n’en sont qu’au début avec la mise en place de la réforme du bac. Qui se souvient encore des tribunes enflammées dénonçant l’an dernier les ravages de Parcoursup ? On a cru avec les « bugs » concernant des BTS ou des IFSI que la flamme serait ranimée. Et bien non : les guérilleros du Quartier Latin ont disparu. Les signataires d’hier sont aujourd’hui d’un silence assourdissant, à quelques exceptions près qui honorent les convictions de leurs auteurs.
Effervescence étudiante. L’année qui vient de s’écouler a montré 2 choses. D’une part, les foyers « radicalisés » sont de plus en plus localisés, non pas à quelques établissements, mais à quelques enclaves en leur sein. Et les « anti-bloqueurs » réussissent désormais à être majoritaires en assemblée générale, comme à Rennes 2. Faut-il y voir le signe de temps nouveaux ?
Étudiants et optimisme. La comparaison du devenir et des attentes des bacheliers 2014 sur la base d’un panel représentatif de 18 200 jeunes avec un taux de réponse de 83 % (quand même !) apporte des éléments rationnels dans un domaine où la perception est souvent faussée ! Les chiffres tordent le cou à certaines idées reçues et rendent optimistes, par exemple sur la qualité perçue des universités. A méditer au-delà des modes médiatiques ? En tout cas, la prise en compte du développement durable face aux nouvelles générations ne pourra rester cosmétique.
Effectifs étudiants. Il n’est pas annoncé de réel choc démographique, mais les prévisions ministérielles sont parfois démenties. Par contre, la croissance sinon lente mais du moins régulière est au rendez-vous. Surtout si les effets attendus de Parcoursup se réalisaient.
Des évolutions positives … à confirmer
Du top-down au bottom-up. L’ordonnance sur les établissements expérimentaux peut sans doute être critiquée. Son point faible pourrait être son point fort : détricoter ce qui a mobilisé toutes les énergies depuis des années autour des Comue en laissant les opérateurs proposer. On ne peut d’ailleurs pas reprocher au gouvernement actuel ce mille-feuille mais plutôt lui porter crédit d’une chose : remettre la balle dans le camp des établissements, à charge pour eux de formuler des projets.
La fin du « tout » bibliométrique ? La bibliométrie ne sera-t-elle plus considérée comme l’alpha et l’omega de la qualité ? Difficile à dire mais dans les recrutements et les promotions, peut-on encore ignorer, même pour les chercheurs, l’implication dans l’enseignement ou autour de l’innovation ? Quant aux établissements, même des classements comme celui du THE prennent en compte d »autres dimensions (place des femmes, développement durable).
Recrutements. Cette remise en cause du ‘tout bibliométrique’ peut-elle se traduire dans les recrutements par exemple ? Ce n’est pas une science exacte comme le montre l’étude sur les effets de genre au CNRS. Mais plus généralement, la tendance à la prise en compte dans les recrutements et les promotions de critères multiples débouche sur l’antagonisme historique entre cadre national et cadre local. Qui peut le mieux évaluer ? Le CNU, les établissements ? Polémique assurée !
Taille critique et diversité des excellences. Avec l’ordonnance, assistera-t-on à la fin du ‘big is beautiful’ ? Faut-il une taille énorme pour réussir ou bien la taille critique est-elle autre chose ? La spécialisation/différenciation opérée par différents établissements considérés comme « petits » fera-t-elle consensus ? Et deviendra-t-elle une évidence ou restera-t-elle une crainte ? Au moins le débat semble s’ouvrir, ce dont témoignent les appels à projet du PIA, par exemple le dernier sur les EUR, ou encore les positions de l’AUREF.
Temps long de la recherche. Le discours récurrent sur l’opposition recherche fondamentale-recherche appliquée (qui a curieusement rassemblé les tenants des 2 « camps » !) est désormais dépassé autour d’une prise de conscience : le temps long de la recherche est une condition essentielle, comme l’a rappelé Jean-Pierre Bourguignon. La conséquence ? C’est la réhabilitation de la nécessité de crédits récurrents suffisants sans remettre en cause l’autre nécessité des appels à projets compétitifs.
Innovation. Idem sur l’innovation où on semble prendre conscience à BPI et à Bercy (il n’est jamais trop tard) que l’innovation de rupture est intimement liée à la recherche, avec le tournant des fonds deeptech. L’absence de culture ‘recherche’ dans la technostructure française et chez les investisseurs est-elle un obstacle insurmontable ?
Rémunérations. Ce n’est désormais plus tabou et devrait même être une partie essentielle de la LPPR : on reconnaît que la situation matérielle des chercheurs n’est pas tenable pour l’attractivité de notre pays. Avec un risque qu’il faut rappeler : lorsque Valérie Pécresse a accéléré les débuts de carrière des maîtres de conférences, de façon non négligeable, ceci est passé complètement inaperçu. Car la marche est haute, vu le décrochage. Remettre à niveau le régime indemnitaire par rapport aux autres cadres A+ de la fonction publique a des implications sur la future réforme des retraites. Quant aux rémunérations hors fonction publique, il reste à les financer…Bref, l’indifférence, voire l’hostilité, chez les décideurs publics se transformera-t-elle en prise de conscience ?
Des blocages inquiétants
Rythme. Bien sûr le système français a évolué et je suis le premier à dire que globalement ce n’était pas mieux avant. Mais le problème n’est pas là : les autres pays avancent bien plus vite. Que l’on songe que l’autonomie des universités, 12 ans après la LRU, fait de nous le bonnet d’âne de l’Europe. Et que notre position scientifique, non en quantité mais en qualité, régresse.
Autonomie et recteurs délégués à l’ESRI. On aurait pu s’attaquer à l’inflation des structures, au rôle et à la place des organismes de recherche avec des universités autonomes, ou encore à une nouvelle conception de l’évaluation. Non, l’esprit d’invention français est sans limite : nous serons donc toujours le dernier pays européen en matière d’autonomie mais le premier en termes de tutelle. Comme si la priorité était sans cesse d’attacher une corde au cou des universités. Celles (entre autres) de Louvain, Heidelberg, Bristol ou encore Aarhus peuvent sourire…
Inflation de machins et dispositifs. J’avais commencé un petit recensement des dispositifs annoncés par les pouvoirs publics en 2018-2019. J’y ai renoncé tant le foisonnement continue, dans tous les domaines, sans aucune simplification en vue (Cf. supra). Ne perdons pas de vue la raison profonde : la méfiance vis-à-vis des universités et l’absence d’évaluation conduisent à construire en permanence des dispositifs, pérennes ou pas, de contournement.
Baisse du vivier de doctorants. Une baisse que personne au MESRI n’avait vu venir (je peux en témoigner personnellement…) et qui soulève des tas de questions dont une : pourra-t-on éternellement poursuivre la déconnexion formation-recherche qu’incarne la séparation universités-organismes ? Les Écoles universitaires de recherche permettront-elles de changer la donne ? Comprendra-t-on rapidement que sans recherche et donc sans docteurs il n’y a pas d’innovation pérenne pour un pays comme le notre ? En tout cas, quel fossé avec les autres nations qui, quand elles parlent de recherche, ne jurent que par les universités ET leurs étudiants !
Des points d’interrogation
Financements. Les besoins de financement de l’ESR français sont énormes comme vient de le rappeler l’OCDE 1Si la dépense par étudiant a augmenté de 8 % en moyenne dans l’OCDE entre 2010 et 2016, elle a baissé de 5 % en France sur la même période, selon « Regards sur l’éducation ». Le lancement (raté) des frais d’inscription pour les étudiants étrangers extra-communautaires augure-t-il d’un retour du débat sur les frais d’inscription ? Et par là-même sur le financement de l’aide sociale ?
Effets de l’ordonnance sur les établissements expérimentaux. Va-t-on assister à une ‘Comue mania bis’, absorbant l’énergie de communautés (déjà prises par un renouvellement d’ampleur des CA d’établissement) et donc des présidents ? Et surtout, au-delà des aspects de gouvernance, ces expérimentations seront-elles l’occasion de dépasser les fossés culturels creusés entre communautés académiques ?
Évaluation. Le MESRI a annoncé un tournant brutal afin de de lier, au moins partiellement, évaluation et allocation des moyens. La énième politique contractuelle annoncée rejoindra-t-elle le cimetière des initiatives technocratiques ? Ou sera-t-elle suivie d’effets, à l’image du REF britannique ?
Formations. Licence, licence pro, technologique, bachelor, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on peine à s’y retrouver.
Crédit d’impôt-recherche (CIR). Les doutes sur les effets du CIR se multiplient, étayés par des études. Notamment sur l’embauche de docteurs.
Formation des élites. Réformer l’ENA certes, mais la reconnaissance réelle du doctorat mais aussi des masters universitaires, ce n’est pas gagné !
Références
↑1 | Si la dépense par étudiant a augmenté de 8 % en moyenne dans l’OCDE entre 2010 et 2016, elle a baissé de 5 % en France sur la même période, selon « Regards sur l’éducation ». |
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Vraiment merci pour cette synthèse bien utile. Je me pose depuis un moment la question de la portée de cette LPPR en préparation qui ne veut traiter que de recherche quand on voit bien que formation et recherche sont imbriquées? Que fera-t-on demain si , vu que le sujet de la LPPR est à mon grand regret très tourné budget et pas assez vision générale (n’arrosons pas le sable!), des budgets conséquents (rêvons!) arrivent dans les laboratoires des universités mais si de l’autre côté le budget de la formation n’évolue pas? Des transferts en perspectives? Bonjour la cohérence.