Frédérique Vidal l’a redit lors du colloque annuel de la CPU à Vannes : il y aura bien des recteurs délégués ESRI. Pour quelles raisons ? Au-delà de la pente naturelle de l’État français à tout complexifier (et hop, encore une petite couche au millefeuille !), la raison profonde est à chercher dans le discours de la ministre : annonçant un acte II de l’autonomie, elle prend soin de préciser ses limites et affiche, de fait, une méfiance largement partagée dans la technostructure. Résultat, la France va encore dégringoler dans le classement de l’EUA et devenir la risée de l’Europe.
Le style du discours de la ministre faisant sens, la négation ne révèle-t-elle pas une forme d’aveu ? : « Alors n’attendez bien évidemment pas de moi que je remette en cause d’une quelconque façon l’autonomie des établissements, mais n’attendez pas non plus un panégyrique sans nuance qui figerait le présent et amputerait l’avenir. »
La méfiance semble s’installer, exacerbée par la position de la CPU sur les frais d’inscription des étudiants extra-communautaires.
Abordant la problématique de l’allocation des moyens (Cf. son courrier au président du HCERES), la ministre prône un nouveau dialogue contractuel « ‘qui dit les choses’ et surtout qui en tire des conséquences ». Et, curieusement, enchaîne immédiatement sur les recteurs délégués ESRI, ce qui signifie clairement que la priorité n’est pas la stratégie autonome de l’établissement mais celle de l’État central.
Certes, ils « accompagneront vos projets, vos développements » tandis que l’administration « doit poursuivre sa déconcentration, tirer les conséquences de l’autonomie, défendre avec vigueur les missions fondamentales des universités et des organismes. Elle doit aussi travailler quotidiennement avec les régions qui montrent un intérêt croissant et légitime pour les questions de formation et d’innovation. »
Ainsi, le MESRI délivre comme message que l’interlocuteur majeur des régions doit redevenir…l’État et non les universités !
Cette annonce tellement contradictoire fait grincer bien des dents. On peut se demander si on a mesuré la portée symbolique de cette décision. Yvon Berland, président d’AMU, au nom, si j’en crois ce que j’ai entendu, de la plupart de ses collègues, n’a une fois de plus pas mâché ces mots contre cette mesure.
De son côté, Gérard Blanchard, VP ESR de la région Nouvelle Aquitaine a souligné que globalement les régions n’avaient pas besoin de l’État pour travailler avec les universités. Ambiance ?!
La gêne était ainsi patente et révèle un malaise plus large. Avec en plus un contraste saisissant, en écoutant Valérie Pécresse devant ces mêmes présidents demander aux universités d’oser ! Il faut dire, comme chacun le sait, que le monde entier nous envie ce fonctionnement d’universités autonomes…sous la tutelle d’un recteur délégué !
Une erreur politique
Annoncer devant les présidents d’universités un acte II de l’autonomie et la création de recteurs délégués ESRI, on a en effet connu plus opportun et habile. Pire, cette annonce intervient dans un contexte tendu entre universités et MESRI sur la loi de programmation de recherche mais aussi entre universités et organismes.
Mais le plus curieux dans cette affaire, c’est le télescopage avec l’annonce de la refondation de la politique contractuelle, avec une évaluation débouchant sur des décisions. Sans parler de la clarification des relations, décisives, avec les organismes de recherche ou encore de l’ordonnance ! On peine donc à comprendre la logique à l’œuvre, sinon une volonté (illusoire !) de reprendre la main sur des universités jugées peu fiables !
Car il ne s’agit pas d’une mesure « technique » pour renforcer l’efficacité limitée des rectorats dans leurs missions actuelles, en particulier le contrôle de légalité. Auquel cas, la nomination de secrétaires généraux adjoints de rectorats dédiés à cette tâche suffirait, avec le renforcement de leurs services. Ou encore de rattacher les DRRT aux rectorats, ce qui aurait pu être une mesure de simplification.
Rappelons que le modèle de l’Île-de-France s’est développé avec le système Ravel, puis APB et Parcoursup, ainsi que l’accompagnement du CPER, mais que le vice-chancelier y a un rôle de coordination qui ne touche ni à la recherche, ni à l’innovation
Non, la création de vice-chanceliers implique une dimension politique du contrôle, même si bien sûr on utilise le mot accompagnement. Bref, on voudrait tuer le discours sur l’autonomie des universités que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
Une mesure velléitaire
Que va pouvoir faire ce vice-recteur dans cette galère, véritable coupe-gorge, dans lequel il va être attendu avec un fusil par tous les acteurs ? On peut faire le pari que cette mesure va ajouter une couche bureaucratique mais ne sera jamais opérationnelle : les universités vont dresser un cordon sanitaire, avec l’aide sans doute des collectivités, qui n’ont que faire de recteurs délégués.
Il n’aura échappé à personne en effet que les 2 parties sont des actrices majeures des territoires. Et le moins que l’on puisse dire est que les premières réactions dans les régions ne respirent pas l’enthousiasme ! Quant aux préfets, en charge du développement économique, on attend avec impatience leur réaction concrète lorsque ce recteur va s’occuper d’innovation, par exemple des pôles de compétitivité, des IRT etc.
Dans tous les secteurs, ce vice-chancelier va donc jouer les utilités et essayer d’exister : il pourra par exemple décerner des médailles, déchargeant ainsi le recteur. Ce qui sera plus facile par exemple que de coordonner les délégations régionales des organismes de recherche avec les universités, intervenir au niveau des SATT ou encore sur les implications des appels à projet ANR, PIA etc.
Par contre, on attend toujours des recteurs/rices que la jungle de l’offre de formation qui est directement sous leur tutelle (STS, CPGE) soit régulée et non pas gérée en fonction des demandes des professeurs, proviseurs, élus locaux…
En résumé, le seul avantage de cette mesure pourrait être, selon un président d’université pas vraiment favorable à ces recteurs délégués, de fournir une porte de sortie à des présidents en fin de mandat en 2020. Stratégique non ? ?
Ce que j’écrivais dès septembre 2018.
La recherche échappe toujours aux rectrices, les DRRT étant rattachés au Sgar, c’est à dire au Préfet. Le Préfet joue un rôle majeur sur les CPER en collaboration intelligente ou pas avec les régions. Pour les Idex/Isite, ce n’est pas faire injure aux rectrices de dire qu’elles pèsent très peu, sinon rien.
Mettons les pieds dans le plat : pour un président d’université, une bonne rectrice, c’est celle qui lui fiche la paix, ou plus exactement qui lui rend service quand c’est nécessaire. Or la vision actuelle du MESRI fait craindre à beaucoup de présidents d’université une forme de recentralisation.
Car pour l’instant, les rectorats sont en charge du contrôle de légalité, sachant que la Cour des comptes a souligné à maintes reprises les failles de leurs services, sous-dimensionnés à quelques exceptions près, et souvent peu qualifiés dans ces domaines.
Et à chaque fois qu’il y a un problème, c’est surtout l’IGAENR qui est en première ligne, ou la Dgfip (Bercy). Certes, avec le regroupement de rectorats, l’objectif est le regroupement des moyens et des compétences.
La proposition de la Conférence des DRRT d’un service dédié à l’ESRI au sein des rectorats “sous la responsabilité d’un chancelier ou vice-chancelier aux universités, à la recherche et à l’innovation, placé sous l’autorité du recteur” fait grincer des dents.
Elle s’ajoute à la tentative du MESRI de faire piloter le dialogue de gestion et donc l’allocation des moyens, par les recteurs, ce qui a suscité l’ire du président de la CPU.
Si pour Parcoursup, le rôle de coordination des rectorats est indéniable, les universités ont fixé leurs règles. Et dans le – 3/ + 3, les rectrices ont assez à faire avec la gestion de Parcoursup dans les lycées, sans parler des prépas et des BTS.
L’autonomie des universités est-elle compatible avec une tutelle rectorale ?
Le classement de l’EUA sur le degré d’autonomie des universités en Europe décerne un bonnet d’âne à la France. L’exception française du recteur censé contrôler les universités y est pour beaucoup, et symbolise la place de la tutelle. Le choix français, quels que soient les discours, n’est en tout cas pas celui de l’autonomie des universités, au sens des standards internationaux.
Respectable, ce choix n’est toujours pas assumé : on parle de recteurs qui seraient des facilitateurs. Mais il y a déjà, en théorie, les conseillers d’établissement. Alors que les relations personnelles entre rectrices et présidents d’université sont globalement bonnes, la contradiction est d’ordre politique : peut-il y avoir deux autorités sur le territoire, dont l’une n’en est pas vraiment une tout en l’étant ! Le génie français sans doute…
Car j’allais oublier l’action du HCERES qui évalue les universités, celle de l’ANR pour leurs appels à projets, les organismes de recherche et leur labellisation, enfin bien sûr les jurys des appels PIA. Ainsi que les chambres régionales des comptes. Et puis aussi les accréditations/labellisations de la Dgesip. Ainsi que le contrat quadriennal.
Les universités sont donc bien gardées ! Mais n’ont-elles pas plutôt besoin de clarification et de simplification ?
On peine toujours à saisir la cohérence d’une politique qui ressemble surtout à une valse-hésitation. C’est donc, au-delà de la fonction rectorale, un problème de l’organisation de l’État central lui-même qui est posé et de ses objectifs en matière d’ESR.
Une fois n’est pas coutume, je ne suis pas d’accord avec cette analyse.
Le projet est bien de rendre les sites universitaires plus autonomes mais pas uniquement les opérateurs. Il faut en finir avec la vision trop parisienne du monde où tout devrait être décidé et négocié à Paris. Est-ce normal que le recteur soit en charge du controle de légalité des décisions des CA des universités mais que la centrale se réserve la présence dans les ENS ?
L’échelon régional du ministère a vocation à être renforcé dans ses compétences (pourquoi la plupart des ministères auraient une vision décentralisée et pas le MESRI ?). Et je ne suis pas d’accord aussi avec la position qui serait celle des régions. Pour le vivre au quotidien, les équipes en charge de l’ESRi dans les collectivités (métropoles et région) mais aussi les élus sont très demandeuses d’un interlocuteur qui puisse aller au bout des projets, ie qui ait la main sur des financements, sur une expression réelle de la tutelle (et pas que le controle de légalité de certains étbs).
Que les « grandes » universités revendiquent toujours le lien directe avec le ministère (pour ne pas dire la ministre) ne me surprend pas mais est-ce le rôle d’une administration centrale ?
La réforme veut aussi corriger une anomalie qui confie la compétence ESRI sur deux représentants de l’Etat en région, le recteur pour l’ES et le Préfet pour RI. Il est logique de réunir cette compétence tout en maintenant un lien avec le Préfet pour que les politiques d’innovation en région ne soit vue que par le prisme Direccte/BPI et que l’on oublie pas le lien avec la recherche.
Et petite correction sur le Recteur vs STS et CPGE :
– la carte des STS doit passer par un accord avec les régions donc le recteur n’est pas le seul à la manoeuvre
– les ouvertures/fermetures de CPGE sont décidées en centrale et pas par le recteur
Encore un bon exemple de la hiérarchie des formations et de l’intérêt de l’Etat sur les formations professionnelles !