L’État a voulu faire preuve depuis quelques années, de plus de transparence dans les nominations, tant dans les fonctions de directeur-rice d’administration centrale que dans celles de dirigeants d’établissements publics, en instituant des appels à candidature et des avis de commissions, voire l’audition des impétrant(e)s par le Parlement. Les changements passés, DGRI, Dgesip, CNRS, ANR, CEA, Cnous, ceux à venir, INRIA, Ifremer, Inserm témoignent-ils d’une nouvelle pratique ? Les polémiques autour du renouvellement, ou non, d’Yves Lévy à l’Inserm, ne masquent-elles pas l’essentiel ? La transparence formelle ne néglige-t-elle pas 2 éléments essentiels, le bilan et le projet des établissements ?
Depuis 2016, les directeurs-rices d’administration centrale sont censés être nommés, après un appel à candidatures, non pas sur avis, mais après avis d’un comité. Il est présidé par le secrétaire général du Gouvernement ou par un représentant désigné par lui et comprend au moins 4 personnes « dont une appartenant au ministère au sein duquel l’emploi est à pourvoir, une extérieure à ce ministère, une qualifiée dans les domaines de compétence de l’emploi à pourvoir et une justifiant de compétences en matière de ressources humaines. » Alain Beretz à la DGRI et Brigitte Plateau à la Dgesip ont ainsi suivi ce processus.
Concernant les établissements publics, aux commissions d’audition, dont les noms des membres sont eux rendus publics, s’ajoute la validation par le Parlement. Mais dans tous les cas ce sont bien les pouvoirs publics qui décident.
Ces « search committees » de la technostructure administrative, sont de plus en utilisés, reprenant des méthodes en vigueur dans les grandes entreprises. Les chasseurs de tête sont souvent mis à contribution pour un premier filtrage. Sciences Po, les Business schools (on l’a vu pour HEC, l’Essec), ont été des pionniers tandis que l’X, grande école publique, s’y met. Mais on peut sérieusement douter qu’une commission indépendante va jouer un rôle décisif pour choisir le président de l’X, vu le poids des anciens ?!
Un processus ambigu
Ayant suivi de près ces nominations depuis des années, je ne suis pas convaincu que le souhait, louable, de transparence a véritablement changé les choses. D’abord parce qu’il est quand même rare qu’un gouvernement, quel qu’il soit, n’ait pas quelques idées en tête sur les personnes les mieux à même de gérer sa politique ?.
Ensuite parce que pour la DGRI et la Dgesip, si le jeu était officiellement « ouvert », la réalité était tout autre. Et ceci n’est pas illégitime. La conséquence a d’ailleurs été la difficulté à trouver des candidat(e)s, et quand il y en avait à rendre public les noms ce celles et ceux qui étaient des faire-valoir.
C’était pour le directeur de la rédaction d’AEF que j’étais, un beau cas de conscience et d’éthique journalistique : peut-on au nom du droit à l’information porter préjudice à la réputation ou à la carrière de quelqu’un ? Comment ne pas être instrumentalisé ?
Car c’est l’ambiguïté du processus, comme pour le recrutement de dirigeants d’entreprises : les fuites sur les noms peuvent être très préjudiciables pour les candidats, ces derniers occupant souvent une fonction de direction ailleurs. De plus, apparaître comme le perdant n’est pas très valorisant.
Il faut cependant apporter un bémol à ce constat : car si le gouvernement a en général quelques préférences, un gouvernement, ce sont de multiples acteurs. Il y a les cas des doubles, voire multiples tutelles. Cela met en jeu une cascade de conseillers, sachant qu’Élysée, Matignon et les cabinets peuvent ne pas être sur la même longueur d’ondes sur un nom.
Et il y a parfois des grains de sable, comme la mésaventure de Guillaume Houzel à la direction du Cnous, recalé pour des raisons juridiques, suite à un recours d’une candidate. Enfin, les auditions peuvent avoir le mérite de lever des doutes ou encore réserver des surprises.
L’Inserm, cas d’école
Le cas de l’Inserm et du renouvellement ou non d’Yves Lévy éclaire cette analyse. Cela vaut à ce dernier, parce que mari d’Agnès Buzyn, une série d’articles de presse pas très favorables, autour de l’accusation du risque de conflit d’intérêt. Dans ce contexte, les différents acteurs savent, quand il le faut, utiliser les médias. Les nombreuses candidatures sont soit médiatisées, comme celle de Philippe Froguel, soit encouragées à partir de réseaux d’influence divers.
Ces réseaux, outre les 2 ministères de tutelle évidemment, ce sont des présidents d’université (dont beaucoup sont PU-PH), des directeurs de CHU, les doyens de médecine, de la CNAMTS et puis des « mandarins » (oui cela existe). Et de bien d’autres influenceurs dans ce secteur clé qu’est la santé. L’action de tous les acteurs concernés (ou ce que certains préfèrent appeler des lobbies) est donc une évidence.
L’arbitrage se fera aussi, en plein lancement des réformes sur les Ephad, les retraites, sur la façon dont Agnès Buzyn va réagir. Et chacun sait, depuis un an, qu’Emmanuel Macron suit les nominations de près…
Ne passe-t-on pas à côté de l’essentiel, le bilan et le projet ?
L’Inserm résume à lui seul les carences du processus de nomination : si les formes seront respectées, on a l’impression que le fond est négligé (je ne parle pas de la suspicion de conflit d’intérêt). Car l’Inserm n’est pas seul concerné : pour quel organisme de recherche a-t-on fait une évaluation, défini publiquement des orientations stratégiques ?
D’ailleurs, la prime de résultat du dirigeant (part variable entre 10 et 20%) fait-elle réellement l’objet d’une évaluation sérieuse ? Quelques indiscrétions dans le passé m’ont convaincu qu’il s’agissait d’une fiction, tout simplement parce que souvent l’État lui-même change de stratégie, de priorités etc. Dans quel pays comparable dans le monde, recrute t-on des dirigeants qui gèrent des milliers de personnels, des milliards d’€ parfois, sur une audition qui dure au maximum une heure (et je suis optimiste !) ?
Plusieurs cas de figure dans les nominations
- la fin de mandat, prévisible, comme pour Alain Fuchs au CNRS
- le renouvellement de mandat, comme Yves Lévy à l’Inserm ou Daniel Verwaerde au CEA
- le remplacement pas forcément prévu, en tout cas dans un premier temps : nomination de Thierry Coulhon comme conseiller d’Emmanuel Macron, puis candidature d’Alain Fuchs à la présidence de PSL avant le terme de son mandat et donc libération de son poste au CNRS, mais candidature d’Antoine Petit et donc possible puis certaine libération du poste de l’INRIA, avec le départ précipité d’Anne Peyroche du CNRS…avec la nomination par intérim d’Antoine Petit (ouf !). Ou encore le Cnous avec le départ anticipé d’Emmanuel Giannesini.
- la démission forcée comme à l’ANR pour Michel Matloz.
En fait, la longueur de la procédure (annonce du poste, candidatures, examen et audition) a un avantage : elle permet à toutes ces forces d’entrer en jeu, éventuellement de négocier…pour le coup d’après. Elle permet surtout à l’État d’y voir plus clair si besoin est. Mais pour l’instant, je n’ai jamais vu (sauf si ma mémoire me fait défaut) de nomination surprise, sur la base par exemple d’une audition exceptionnelle.
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