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Il y a un peu plus de 20 ans, au printemps 1998, paraissait le rapport dit Attali qui allait être un choc dans l’ESR français. De ce rapport sont nées, directement ou indirectement, toutes les réformes menées depuis. En le relisant, il est intéressant de voir que les points de blocage du système français demeurent les mêmes. Retour sur ce que l’on peut en retenir à la lumière des débats en cours avec 2 échecs majeurs : la convergence universités-grandes écoles et l’évaluation.

« Les établissements d’enseignement supérieur devront former un système plus homogène, dans des ensembles géographiquement cohérents, mettant en commun leurs moyens et disposant d’une réelle autonomie. En contrepartie, ils devront faire l’objet d’une évaluation plus systématique, plus ouverte, plus créatrice de droits et de devoirs. » C’est cette philosophie qui a été le fil rouge des réformes menées depuis 1998, d’abord par Claude Allègre, puis par ses successeurs.

Le principal changement visible dû au rapport Attali, c’est le 3/5/8 désormais appelé LMD. L’idée de niveaux de sortie des diplômes convergents en est l’axe majeur : suppression du Deug pour passer au niveau licence, « nouvelle maîtrise » que Claude Allègre nommera plus tard « mastaire » (oui, oui !) à bac+5 et évidemment le doctorat à bac+8.

Dans cette conception (qui actait la suppression des DEA et DESS), 2 voies étaient proposées au fur et à mesure de la scolarité : l’une plus professionnelle (qui allait déboucher sur la licence pro mais buter sur le DUT en 2 ans) avec des masters professionnels, l’une axée recherche avec des masters dédiés.

L’idée de base était donc de faire converger, autour de crédits ECTS, les diplômes français obtenus dans un système éclaté : prépas en 2 ans, diplômes d’ingénieurs gérés par la CTI, diplômes propres d’écoles de commerce etc. Derrière ceci se profilait l’idée d’interdisciplinarité et d' »un modèle européen »,  qui allait se concrétiser avec la déclaration de la Sorbonne puis le processus de Bologne.

Formellement, cette convergence est partiellement une réalité, même si l’équivalence bachelor/licences est au cœur de polémiques bien actuelles ! L’interdisciplinarité reste quant à elle à bien des égards une utopie. Le consommateur étudiant (je sais je vais choquer) a cependant commencé à bâtir des projets de parcours, possibles avant mais plus difficilement : poursuite d’études des DUT, recrutements parallèles en écoles de commerce et écoles d’ingénieurs, marché des masters etc.

C’est donc une véritable onde de choc dont on peut encore voir les effets autour du LMD santé et les débats sur le numerus clausus.

Pour mémoire, à l’époque le LMD, désormais accepté par tout le monde, était dénoncé comme une catastrophe…qui n’a aucunement empêché l’accroissement du nombre d’étudiants. Et déjà, souvenirs personnels, les dirigeants d’université pestaient contre les grandes écoles et un rapport qui leur donnait la part trop belle, tandis que les dirigeants des ces dernières méprisaient l’idée même de se rapprocher des universités…

Ce qui est intéressant dans ce rapport, ce sont des constats qui restent souvent valables, mais d’autres complètement datés, comme sur la relation université-entreprise ou l’insertion professionnelle des diplômés d’université.

C’est aussi à la fois la permanence des idées depuis 20 ans, certaines étant mises en place, et aussi des idées complètement abandonnées : aux lecteurs de se faire…leur idée !

Le schéma des PUP, préfigurateur des pôles européens, PRES et Comue

Les auteurs du rapport pensaient en tout cas que cette convergence pédagogique du LMD bousculerait l’édifice institutionnel : « à terme, les diplômes et les cursus de tous les établissements d’enseignement supérieur devront devenir cohérents. Chaque étudiant pourra passer d’un établissement à l’autre et tous pourront être comparés. En outre, les établissements devront être rassemblés dans des ensembles géographiquement homogènes. »

Avec quels outils ? Le rapport formulait plusieurs propositions, dont à la relecture on n’est pas sûr d’avoir compris toutes les subtilités : pôles universitaires provinciaux (PUP), campus d’enseignement supérieur, départements d’excellence. Mais on en perçoit la philosophie : faire émerger des pôles d’excellence, mêlant universités et Grandes écoles.

8 grandes « Provinces ». Le rapport utilisait un terme désormais inconcevable tellement il signe un mépris parisien pour les régions : « Dans une carte universitaire nouvelle, la France pourra être divisée en huit grandes “Provinces”, dans lesquelles émergeront (à la faveur d’un processus d’évaluation mené dans chaque département universitaire d’université et chaque établissement d’enseignement supérieur), quelques ensembles d’excellence que l’on nommera “Pôles Universitaires Provinciaux (PUP) ”. L’idée de construire des universités de recherche, des Idex est en germe.

Des campus d’enseignement supérieur. « Pour étendre très rapidement les échanges entre universités et grandes écoles, il conviendra de mêler leurs promotions, de rendre certains cours accessibles indifféremment aux étudiants des unes et des autres, d’organiser la mobilité des enseignants entre les deux formes d’enseignement supérieur et de mettre en commun des moyens scientifiques et techniques sur des campus regroupant des universités et des écoles géographiquement voisines. »

Des départements d’excellence. « Aucune université n’aura vocation à rassembler tous les départements universitaires d’excellence d’un PUP . Aucun département universitaire ne sera considéré comme définitivement d’excellence. Aucun ne sera irréversiblement exclu de cette liste. Il pourra y avoir des départements d’excellence dans des universités qui ne le seront pas. » Un débat décidément permanent !

Un PUP pourra réunir, par un jeu d’Intranet, des lieux d’enseignement géographiquement éloignés, y compris appartenant à des pays voisins. Écoles et universités appartenant à un même Pôle Universitaire Provincial seront regroupés en réseaux, avec des moyens mis en commun, et leurs cursus harmonisés, autour de « campus d’enseignement supérieur ». Une université européenne ?

Et « autour d’eux s’ordonnera l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur de la Province ». Ca vous rappelle quelque chose ?

Des expérimentations. Les établissements bénéficieront d’une période d’au moins cinq ans « au cours de laquelle ils mettront en place leurs projets pédagogiques et de recherche, et à l’issue de laquelle seulement seront effectuées les comparaisons entre départements universitaires qui guideront la fixation du périmètre des nouveaux Pôles Universitaires Provinciaux. »

Projets d’établissement, contrats quadriennaux et financements. L’’État prendra des engagements financiers « suffisamment conséquents pour permettre aux établissements de mener à bien un véritable projet de développement. »

Autonomie. Les universités et les grandes écoles auront « une plus grande marge de manœuvre en matière d’habilitation des cursus et de conception des contenus pédagogiques » et auront « la propriété des locaux et des terrains qu’elles occupent et le droit de les aliéner, sous le contrôle de leur tutelle ».

Innovation. Elles pourront « abriter des entreprises naissantes, dont elles pourront prendre, si elles le souhaitent, une part du capital. Elles mettront en place à cette fin des fonds de capital- risque qui aideront au développement d’activités économiques nouvelles. »

Tutelle unique. Parce qu’à terme « les modes de gestion des grandes écoles et des universités seront rapprochés », il faudra rattacher « l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur pour tutelle, même double, au ministère de l’éducation nationale (pas de MESRI à l’époque et pas de demande en ce sens dans le rapport NdR), en créant des équivalences systématiques de diplômes, et en multipliant les équipements communs. »

L’échec de la convergence institutionnelle

Autour de cette convergence, les auteurs du rapport espéraient en quelque sorte déconstruire le système institutionnel tripartite : universités, prépas/grandes écoles, organismes de recherche. Ces derniers sont d’ailleurs curieusement très peu présents dans le rapport, alors même que la recherche y est omniprésente (grands ensembles de taille mondiale etc.).

Des évolutions réelles. Certes, on a assisté à des recompositions, avec des fusions totales d’universités (Strasbourg, Aix-Marseille, Lille, Clermont, Sorbonne Université),  ou partielles (Bordeaux, Montpellier, Grenoble). Par contre, seule l’université de Lorraine symbolise la fusion université-écoles.

Côté écoles, des fusions ont eu lieu dans les écoles d’ingénieurs (CentraleSupéléc par exemple) mais aussi dans les écoles de management, comme Kedge (Bordeaux-Marseille) ou ESCP Europe absorbant une autre école de la CCI, avec il faut le rappeler un échec retentissant, France Business school.

Bref, le paysage a changé, mais la convergence universités-grandes écoles n’a quasiment pas bougé.

L’échec de l’évaluation-décision

L’’évaluation devait être « la contrepartie naturelle de l’autonomie universitaire ». Car « l’évaluation des universités, par l’actuel comité national d’évaluation, même si elle constitue un grand progrès par rapport à la situation précédente, n’est ni assez rapide, ni assez transparente. Elle n’est en général suivie d’aucune décision budgétaire ni d’aucune réforme. Elle ne réussit pour l’instant qu’à aider les universités à préparer leur propre contrôle interne. »

Logiquement, le rapport Attali plaide pour qu’il y ait des « conséquences financières automatiques et immédiates sur le budget de l’établissement évalué. En cas extrême, un établissement d’enseignement supérieur pourra même se voir retirer sa qualification. » 

Le bilan est maigre. Certes,  8 ans après était créée l’Aeres, puis le Hceres.  Mais cette question du lien entre évaluation et décision n’a jamais été tranchée.

On se rappelle que la notation des laboratoires avait suscité un tollé. Et il y a eu ce débat interminable et abscons sur le fait que la Dgesip ne devait pas évaluer, que c’était à l’Aeres de le faire, mais que la Dgesip devait en tirer les conséquences, en allouant les moyens en fonction des performances. Un sujet immédiatement refermé.

Résultat ? Les rapports du Hceres restent très inégaux et parfois d’une grande faiblesse : comment pourrait-il en être autrement lorsque les préconisations éventuelles ne peuvent jamais être suivies d’effet concrets ?

Les Grandes écoles vues par le rapport Attali

7 critères devraient en principe, selon le rapport, « permettre de différencier une université d’une école » :

  • La nature des études : sélection des étudiants ; la différenciation des diplômes ; la professionnalisation des enseignements.
  • L’organisation des études : le coût des études ; le mode d’administration des établissements ; le cadre de vie des étudiants ; la recherche effectuée par les enseignants

Or, de fait, « les écoles se distinguent aujourd’hui des universités plus par l’organisation de leurs études que par la nature des diplômes qu’elles délivrent. »

Pointant la différence de financement, le rapport souligne que « même si la qualité d’un enseignement ne se réduit pas aux moyens dont il dispose, la différence est là si nette qu’elle ne peut être sans conséquence qualitative sur l’enseignement dispensé. »

Un constat sévère sur la diversité sociale. Il faut réduire « l’extraordinaire fossé qui s’est creusé récemment entre les groupes sociaux dont les enfants monopolisent le meilleur de l’enseignement supérieur et les autres, qui en seront de plus en plus irréversiblement exclus. »

Un recrutement de plus en plus étroit dans les écoles. « En poursuivant jusqu’à l’absurde, on pourrait même sans doute établir que la majorité des élèves des plus grandes écoles françaises ont commencé leur scolarité dans une ou deux centaines de classes maternelles ! » Et l’école Polytechnique qui avait en 1898 250 élèves, devrait en avoir, « si la proportion des polytechniciens dans la population étudiante était restée constante, 50 000 » ! La récente étude sur le concours de l’X semble montrer que rien n’a changé.

Leurs modes de recrutement seront donc « revus et diversifiés. Elles feront une place beaucoup plus importante à la recherche. Enfin, elles cesseront d’avoir le monopole d’accès aux grands corps de l’État. »

Une critique majeure des concours. « La sélection à l’entrée n’assure pas toujours l’adéquation des formations et des vocations : on entre dans l’école où l’on est reçu et pas toujours dans celle qui prépare au métier que l’on souhaite. »

Des concours à revoir. Ils doivent permettre « d’évaluer non seulement la capacité des candidats à répondre à une question, mais aussi à poser la bonne question face à une situation donnée, à démontrer une capacité à créer et pas seulement à apprendre. »

Des concours spécifiques à créer. L’impératif de justice sociale « impose d’assurer aux étudiants issus des formations technologiques (…) un accès beaucoup plus large aux grandes écoles d’ingénieurs et de commerce. Pour cela, des concours particuliers leur seront réservés.’

Des admissions sur dossiers et sur entretiens. Elle devront permettre de recruter dans les écoles des étudiants étrangers, « en s’appuyant sur un système d’équivalences et éventuellement sur des jurys multinationaux, avec un objectif de réciprocité avec les grands établissements étrangers. »

Enfin, une dissociation du classement de sortie et du recrutement des grands corps techniques de l’État est préconisée…

Intégration des prépas « au monde universitaire ». Leur maintien au sein des lycées « n’aura plus de sens quand les universités auront obtenu les moyens budgétaires d’assurer l’enseignement en petits groupes de haut niveau recommandés plus haut. » Elle seront alors, « et alors seulement », « intégrées avec leurs enseignants, au monde universitaire. Leurs cursus comporteront de plus quelques cours magistraux dispensés par des professeurs d’université. » Toujours rien à l’horizon, excepté le fait que de plus en plus de profs de prépas ont un doctorat.

Pour les meilleurs élèves dans les lycées situés dans des quartiers en difficulté, de nouvelles classes préparatoires aux grandes écoles devaient être ouvertes, « en attendant que ces classes se rapprochent des universités. »

Les écoles de commerce. Constatant (déjà !) qu’« à l’exception des plus prestigieuses, dites du groupe I, (HEC, Essec, Ecole Supérieure de Commerce de Paris, et quelques autres) les écoles de commerce souffrent aujourd’hui de leur multiplication » le rapport s’interrogeait ouvertement sur leur réelle sélectivité, le nombre des candidats suffisant « à peine à remplir les places effectivement ouvertes ».

Et pour atteindre « un véritable niveau d’excellence internationale », ces écoles devront « s’assurer les services de véritables enseignants-chercheurs. »

Les universités vues par le rapport Attali

Des universités loin des entreprises. « Trop d’universités, pour des raisons légales et culturelles, restent encore très éloignées des nouveaux besoins des entreprises de haute technologie, particulièrement créatrices d’emplois. On y enseigne presque nulle part les brevets, on y côtoie très rarement des entreprises de croissance, on n’y fréquente presque jamais des entrepreneurs. »

Une recherche universitaire pas à la hauteur. « Faute de cohérence dans les programmes, de renouveau des personnels, de moyens financiers et matériels suffisants et de liens assez étroits avec les innovations technologiques et industrielles des entreprises, la recherche universitaire souffre de lacunes. » Pourtant l’université a « su conserver, dans de très nombreuses disciplines, un niveau de recherche très élevé, parmi les premiers au monde, qui vient renforcer la qualité de son enseignement et le prestige international de certains de ses diplômes. »

Une différenciation forte. Comme les Grandes écoles, les universités sont « dans une relation avouée de concurrence, sanctionnée par une hiérarchie très nette des réputations et des diplômes, dont tiennent compte les entreprises dans leur processus de recrutement. »

Une gouvernance inefficace. Le gouvernement des universités est « trop souvent inefficace » car si le président de « dispose en principe du pouvoir exécutif et de l’autorité sur l’ensemble du personnel administratif » (…) « en pratique, son rôle effectif est très limité ». En cause, les composantes diverses, ce qui concourt « à une balkanisation du paysage universitaire, qui n’aide en rien à sa lisibilité. »

Un mode de désignation des Présidents à revoir. L’objectif est d’amener « aux postes de direction des hommes et des femmes capables de mobiliser la communauté universitaire, et, au-delà, la collectivité dans son ensemble, autour d’un projet à long terme. »

2 collèges. Parce que le Président d’une université devra « à la fois représenter l’ensemble de la communauté universitaire et faire en sorte que l’université réponde aux demandes que lui adresse la société dans son ensemble, en particulier, le monde scientifique, économique, associatif et syndical »,  il sera élu, « pour une durée de quatre ans renouvelable une fois, selon une pratique qui tend à se généraliser en Europe, par deux collèges : le premier correspondant au mode actuel de désignation, et le second réunissant des représentants des activités mentionnées ci-dessus, choisis par d’autres institutions. Chacun des deux collèges présentera quatre candidats et les deux collèges réunis choisiront le Président sur la liste ainsi constituée. »

2 Responses to “20 ans après, que reste-t-il du rapport Attali ?”

  1. Dommage qu’Attali n’ait pas préconisé la fin des classes supérieures des lycées et des diplômes bac+2 (BTS et DUT). Avec la politique actuelle de quotas pour les bacs pros, les STS entrent dans une agonie inéluctable

    Attali a dit en 1998, page 31 Cette réforme ne conduira pas à supprimer les diplômes aujourd’hui délivrés à Bac+2.
    En particulier, les DUT et les BTS, qui ont su attirer de nombreux étudiants, pour une large part issus des milieux les moins favorisés, et trouver (dans le secteur secondaire, au moins) une réelle légitimité aux yeux des employeurs, seront maintenus. Ils trouveront très logiquement leur place dans la nouvelle architecture des cursus d’enseignement supérieur à finalité professionnelle.

    A leur formation concentrée aujourd’hui sur deux ans s’ajoutera à une année supplémentaire, avec un diplôme nouveau, destinée à permettre aux étudiants d’acquérir une

  2. Il est indéniable qu’à la relecture, le rapport Attali était porteur d’une vision de long terme de l’évolution de notre système d’enseignement supérieur. Cette vision nourrie de la connaissance de l’environnement international et de la mondialisation alors déjà à l’œuvre est un bon exemple d’un rapport lucide, mais rejeté, tout en étant néanmoins producteur d’effets réels, comme le souligne à juste titre l’article.
    Car les anciens combattants se rappellent qu’à peine publié, les manifs ont débuté dès le printemps 1998 contre le « rapport Attali ». L’idée (géniale) de Claude Allègre fut immédiatement de changer de pied et d’inventer le 800ème anniversaire de la Sorbonne en lançant avec trois autres ministres européens ce qui allait devenir le Processus de Bologne. Ce « détour européen » allait pouvoir mobiliser positivement les acteurs : établissements, universitaires, étudiants autour de la construction d’un espace européen organisé pour favoriser la mobilité des étudiants et l’attractivité globale de l’Europe, toutes idées alors mobilisatrices.
    Dès lors, deux mois après sa sortie, le rapport Attali ne fut plus « brandi » par quiconque, tout en constituant la base intellectuelle de l’action publique, mais avec quelque chose en plus : un processus permettant de l’inscrire dans la réalité des systèmes ESR en Europe.
    Cela n’a été possible que parce que le Processus Sorbonne-Bologne permettait, au nom d’objectifs européens communs (qui rejoignaient ceux du rapport), de régler dans chaque pays des difficultés spécifiques, qu’un enfermement dans le cadre national n’avaient jusque-là pas permis de régler. Notamment grâce à l’objectif d’une architecture commune des diplômes, reconnue d’emblée dans l’espace mondial : « bachelor », « master », « PHD » ; ce qui a été appelé « 3-5-8 » en France, puis plus tard « LMD » pour s’affranchir de la question des durées d’études.
    Ainsi par exemple en Allemagne ou en Italie, le Processus de Bologne a permis d’introduire des niveaux intermédiaires de sortie de type bachelor qui ne correspondaient pas aux traditions universitaires nationales, tout en étant rendus nécessaires par la massification de l’enseignement supérieur.
    En France, c’était plutôt le contraire, car le système avait produit une profusion et un enchevêtrement des étiquette diplômantes. Entre Bac + 3 et Bac + 5 par exemples : la maîtrise, les MST, MSG, MIAGE, les diplômes d’IUP (dont ingénieur-maître), les DEA, DESS, diplômes d’ingénieurs et des autres grandes écoles etc… Il fallait redonner à ce paysage touffus une nouvelle lisibilité rendue indispensable par l’internationalisation « en marche ».
    Comme le souligne l’article, l’onde de choc a bien eu lieu et les effets sur l’organisation des études ont été considérables. Mais pas seulement, c’est la conception même des choses qui a été transformée.
    Quelques mots d’abord sur la méthode. Je pense qu’une dynamique constructive a pu s’enclencher pour trois raisons : le système a été mis légèrement en déséquilibre (le bac + 3 par exemple n’était un niveau principal ni pour les universités (milieu du 2ème cycle de l’époque), ni pour les grandes écoles), un front « réformiste » a pu être constitué (comprenant aussi bien organisations de personnels que d’étudiants avec les conférences d’établissements), un produit attractif (« le master ») a pu être proposé aussi bien aux universités qu’aux grandes écoles. La suite a prouvé que ces trois caractéristiques ont permis de mettre en mouvement les différentes catégories acteurs en France, de créer une véritable appétence et finalement d’alimenter continûment de processus de transformation, par ce qu’on a pu appeler « le désir de LMD ». Heureux temps où la réforme était désirable…Cela a même conduit à donner le choix aux établissements d’appliquer ou non le nouveau système. Pour la première fois (et la seule, à ma connaissance), un nouveau système a été mis en place sans que l’ancien soit supprimé (les arrêtés Bayrou), sans prévoir la moindre incitation… Méthode très efficace : puisque ce n’est pas imposé…on veut le mettre en place le plus vite possible !
    Pour cela, le ministère a dû aussi adapter « ses concepts ».
    Un premier exemple : jusqu’au LMD, les textes réglementant les diplômes de premier et de deuxième cycle « à large diffusion » : DEUG, licences, maîtrises fixaient les « maquettes », c’est-à-dire les grandes lignes des contenus de formation. Avec le LMD, un pas important est franchi vers l’autonomie et la responsabilisation des établissements et les maquettes sont abandonnées.
    Un autre exemple essentiel : Claude Allègre voulant embrasser d’un même mouvement tout e système français d’enseignement supérieur sans le « bousculer » avait parlé de créer le niveau commun à bac+5 en « surlignant » les diplômes existants. Surligner…quid ??
    Il a été possible de concrétiser cette mesure en réactivant la notion de « grade universitaire » dont fort opportunément le Conseil d’Etat avait rappelé en 1982 qu’il désignait un niveau commun indépendamment des disciplines ou spécialités qui, elles, étaient portées par les diplômes qui conféraient le grade. Cela permettait de donner un contenu opérationnel au « surlignage ». Mais d’un autre côté, il fallait aussi considérer que la loi disait, depuis 1968, que « les diplômes nationaux sont ceux qui confèrent un grade ou un titre universitaire » (article actuel L 613-1 du code de l’éducation). Donc, un diplôme national donne un grade ou un titre, mais le contraire aussi est vrai (à cause du « sont ceux qui », lequel implique une équivalence logique). Il fallait donc que les diplômes donnant le grade de master par exemple puissent avoir un « caractère national ».
    Cela a amené à repenser le concept même de diplôme national. Le diplôme d’ingénieur par exemple devait donner le grade de master ; or dans l’opinion commune, il s’agissait d’un « diplôme d’établissement ». Cette apparente contradiction a permis de clarifier les choses en dissipant une confusion. Cette confusion était de confondre « diplôme d’établissement » et « diplôme n’existant que dans un seul établissement ». Ainsi un DEA était un diplôme national tout en pouvant n’exister que dans une université. En réalité un diplôme d’établissement est un diplôme dont l’Etat ne se mêle d’aucune manière. Ce n’était pas le cas du diplôme d’ingénieur qui faisait l’objet d’une habilitation (aujourd’hui d’une accréditation). Dès lors a pu être définie une nouvelle définition du diplôme national pouvant conférer un grade : c’est un diplôme dont la qualité a été reconnue par l’Etat de manière suffisante pour conférer un grade, ce qui assure la pleine cohérence avec cette autre chose que dit la loi : « l’Etat a le monopole de la collation des grades et titres universitaires ». CQFD
    Aujourd’hui on remarquera que tout le monde veut le grade universitaire pour la reconnaissance internationale… Cela montre bien l’actualité de tout cela. Dernier hommage visible au modèle universitaire, la demande de la Conférence des grandes écoles pour l’attribution du grade de licence aux « bachelors » qu’elle cherche à développer… ! On pourrait presque dire que la victoire est totale…au plan conceptuel…
    Car malheureusement reste toujours vrai ce qu’un directeur de grande école disait toujours à la fin du siècle dernier : « Vous savez les choses sont très simples ; nous, on veut être grande école quand on est en France et pouvoir se dire « université » quand on est à l’étranger ! ».
    Alors il est clair qu’on ne peut que déplorer la lenteur des évolutions…même souhaitées par tous les gouvernements qui se sont succédé et malgré les multiples initiatives qui ont été prises par les pouvoirs publics pour réduire, avec la construction de pôles d’enseignement supérieur et de recherche, avec de nouvelles constructions universitaires, la fragmentation entre les établissements d’enseignement supérieur. Tout partisan de l’autonomie que l’on soit, on n’en vient à souhaiter parfois que les financeurs – et au premier chef l’Etat – reprennent sur ce sujet-là fermement la main. Comme disait Jacques Lacan (il est vrai parlant de toute autre chose) : « il y a le temps pour comprendre, mais doit aussi venir le moment de conclure… ».
    Malgré ces déceptions, le LMD aura au moins permis, à la suite du rapport Attali, d’organiser le paysage des études supérieures dans un cadre général commun aux universités et aux grandes écoles.
    Il aura aussi, on l’a vu, renforcé l’autonomie pédagogique des établissements. Là aussi, la marche est longue… Il y a des pas en avant, parfois quelques reculades quand les ayatollahs du « cadrage national » se réveillent, puis on repart en avant… Normalement le quinquennat actuel devrait voir un renforcement net de l’autonomie universitaire. Les textes nouveaux sur la licence en donnent un premier aperçu. Mais il y une condition essentielle à ce renforcement pour qu’il trouve tout son sens. C’est un renforcement corrélatif des processus d’évaluation externe. Plus d’autonomie, c’est plus de responsabilité sur les stratégies déployées et plus de responsabilité sur les résultats obtenus…qui doivent donc être mesurés …
    De ce point de vue, comme l’article le note à juste titre, on en est toujours à peu près à une évaluation qui « ne réussit pour l’instant qu’à aider les universités à préparer leur propre contrôle interne ». Aujourd’hui on appelle cela « l’évaluation-accompagnement ». Alors disons-le, cela ne suffit plus et cela devient le problème central pour progresser sur le chemin d’une autonomie maîtrisée.
    Il nous faut un système d’évaluation par les pairs qui respecte pleinement les stratégies arrêtées par chaque établissement, mais un système qui dise clairement si cette stratégie a été efficace, si les objectifs fixés ont été atteints, quelles sont les forces réelles et comment elles sont valorisées, quelles sont aussi les faiblesses et comment on a cherché à y remédier… Un tel système doit être utile pour les étudiants et les familles, pour les partenaires académiques ou professionnels, mais aussi pour les pouvoirs publics et les financeurs… Les évaluations produites doivent être suffisamment nettes pour ne pas avoir besoin d’être décodées « entre les lignes » par des experts aguerris…
    On ne peut que souhaiter que le HCERES puisse le plus rapidement possible produire ce type d’évaluations et envisager de nouvelles pratiques après dix ans « d’accompagnement » des établissements. C’est souhaitable pour accélérer les évolutions et aider les établissements à » se dépasser ». C’est souhaitable aussi pour une meilleure reconnaissance dans l’espace national et international. C’est enfin souhaitable pour éviter qu’à défaut ne se créent des dispositifs parallèles qui donnent aux pouvoirs publics les outils nécessaires à une allocation des ressources qui devra nécessairement être de plus en plus fondées sur les résultats obtenus par les politiques décidées par les universités et les autres établissements d’enseignement supérieur.
    Oui, sur ce sujet aussi, le rapport Attali avait vu juste.

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