Le symptôme le plus inquiétant pour la recherche et l’innovation en France demeure la lente mais régulière descente aux enfers du nombre de doctorants. Mais il est peut-être celui d’une maladie plus grave, qui est celle de l’organisation de la recherche, toujours autant basée sur la prééminence symbolique des organismes. Pendant que la compétition mondiale pour attirer les talents fait rage, organismes et universités vont devoir clarifier leurs relations, sous peine de décrochage brutal. Le tête-à-tête Universités-CNRS qui s’annonce marquera-t-il un changement du paysage ?
Le mandat d’Alain Fuchs à la tête du CNRS a largement contribué à pacifier les relations avec les universités. On n’entend plus guère des hiérarques du CNRS affirmer avec mépris comme je l’entendais il y a encore quelques années, que les universités étaient nulles et que personne n’y faisait de recherche.
Pourtant, les questions de fond sur l’organisation de la recherche demeurent, questions qui ont un impact très concret sur la vie des chercheurs. Et le PIA, l’émergence d’universités de recherche, les classements, tout concourt à une clarification de leurs relations dans un paysage déjà très compliqué.
De son côté, l’État français, quel que soit le gouvernement, et malgré des intentions affichées, n’a toujours pas clarifié les relations organismes-universités. Était-ce d’ailleurs si simple ? En tout cas, il les a compliquées à loisir, avec les instruments du PIA.
Comment concilier l’émergence d’universités autonomes, décidant leur politique scientifique, avec une myriade d’organismes de recherche, le PIA et les appels à projets de l’ANR ?
Les alliances de recherche devaient jouer ce rôle de coordination. Lorsque on interroge un responsable sur ce sujet, la réponse est toujours la même : elles ont permis aux acteurs de se parler. Cela fait quand même cher la conversation !
Surtout, les universités peinent à trouver leur place dans des dispositifs par nature nationaux.
On se souvient aussi du projet mort-né d’un rééquilibrage thématique entre organismes. Car si les identités scientifiques des universités restent faibles, elles sont fortes dans les organismes.
Les laboratoires au cœur du réacteur
Parce que les relations entre directions d’organismes et d’universités sont globalement bonnes, la gestion (scientifique et administrative) du terrain, c’est à dire le labo, devient un enjeu essentiel.
Pourtant, la proposition d’Antoine Petit de limiter le nombre du tutelles aux acteurs majeurs, c’est à dire la plupart du temps le CNRS et l’université fait déjà grincer des dents côté écoles mais aussi dans certains organismes, voire au CNRS.
Il est évident que de gros progrès politiques et relationnels ont été faits. Mais les sujets de crispation, voire de discorde sont nombreux : multi-tutelle vs écoles de taille limitée, organismes nationaux vs universités, conventions de site inopérantes parce que très formelles etc.
Des questions inévitables
Une question de bon sens se pose : imagine-t-on une organisation humaine, quelle qu’elle soit, en double voire multi-pilotage ? Et imagine-t-on les universités dans le monde fonctionner comme en France, avec une identité diluée ? Comment des universités de plus en plus structurées vont-elles cohabiter avec le CNRS ?
Et ce tête-à-tête préfigure-t-il ou va-t-il amplifier des changements plus profonds avec des écoles d’ingénieurs au sein des universités, comme CentraleSupélec, des organismes qui fusionnent (Inra et Irstea) ?
Comment mettre un terme au recouvrement des services universitaires avec ceux des organismes et synthétiser le meilleur des uns et des autres ?
Comment faire converger l’arlésienne des systèmes d’information, ce qu’Antoine Petit croit simple ?
Les personnels des organismes qui travaillent dans les universités, c’est à dire la majorité, ne devraient-ils pas en relever ?
Mais la question essentielle n’est-elle pas l’existence d’une agence de moyens, l’ANR, à côté d’organismes dont certains voudraient bien qu’ils jouent ce rôle ?
Le modèle de la NSF ou des NIH aux USA reste présent dans les débats, tout simplement parce que les résultats de la recherche américaine sont liées à ces agences de moyens et à des universités puissantes.
De fait, le centre de gravité s’est déplacé, y compris au niveau des signatures scientifiques, sur les universités. C’est donc un choix historique auquel est confronté le gouvernement : peut-on avoir des universités autonomes, jouant dans la cour des grands, si une partie de la politique de recherche leur échappe ?
La Dépense intérieure de recherche développement des administrations
Les derniers chiffres publiés par le MESRI sont implacables : « Dans le public, les travaux de recherche sont effectués majoritairement dans les organismes de recherche, pour un montant de 9,5 Md€ (52% de la DIRDA) et les établissements d’enseignement supérieur et de recherche pour un montant de 7,8 Md€ (43% de la DIRDA).(…) Le CNRS, multidisciplinaire, réalise à lui seul 17%de la DIRDA (3,1 Md€), soit 4 points de plus que les sept autres EPST ». L’Inra et l’Inserm sont à respectivement, 0,9 Md€ et 0,8 Md€. Les EPIC, avec une DIRD de 3,8 Md€, exécutent 21% de la DIRDA, avec le poids du CEA civil est prépondérant, avec 2,6 Md€. On trouve en deuxième position le CNES avec 0,5 Md€ de DIRD, suivi de l’Onera (0,2 Md€) et de l’Ifremer avec 0,2 Md€. Le secteur de l’enseignement supérieur réalise 40 % de la DIRDA.
Bref, 52% pour quelques organismes, 43% pour plus de 70 universités ou assimilées. Et si l’on ajoute le CEA…
Les universités seraient donc des nains face aux géants que sont les organismes. Le problème, c’est que la recherche se fait dans et avec les universités. D’où une situation inextricable que d’ailleurs la comptabilité publique n’arrive plus à retracer.
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