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Les éditorialistes à la mode se gaussent des difficultés supposées ou réelles des universités françaises. Pourtant, elles n’ont pas à rougir des chiffres de l’insertion professionnelle de leurs étudiants, ou de leurs performances dans les classements, vu leurs moyens. Justement parce qu’elles font beaucoup avec peu ! Un astrophysicien de Toulouse, Olivier Berné tente d’inverser le classement de Shanghai en modifiant le thermomètre. S’il vise à côté, il soulève cependant un problème de fond : l’incroyable déperdition d’énergie du système. Et son potentiel !

Le chroniqueur de l’Express Laurent Alexandre, dans une philippique à l’adresse du Premier ministre l’invitait à aller à Lausanne voir l’EPFL notamment, et dénonçait “nos facs sales, délabrées, démoralisées et désargentées, employant des professeurs sous-payés” :  pas une fatalité “mais un choix politique suicidaire à l’heure du ‘capitalisme de la connaissance’.”

Cet article a essaimé avec succès sur twitter, malgré de rares contradicteurs. Oui l’enseignement supérieur suisse n’a rien à voir avec le notre au niveau moyens. Mais faut-il pour autant, sport national, décrire l’université française comme une université du quart-monde ?

Car le transhumaniste Laurent Alexandre, qui dispense à longueur de colonnes des énormités scientifiques, voisine ainsi avec ceux qui portent cette vision misérabiliste des universités françaises : par définition, la “fac” française serait sale, délabrée, désargentée etc.

Pas un mot évidemment sur les talents qui s’y expriment, tant chez les étudiants que chez les personnels. Il est vrai qu’au-delà de ce personnage à la mode, cette vision reste la vision dominante, chez les “influenceurs”, pour qui le bâtiment de Tolbiac est la quintessence de l’Université française.

J’avais déjà écrit à propos de ce phénomène qui a malheureusement contaminé une partie des universitaires eux-mêmes. Timidement, certains universitaires essaient pourtant de relever le gant, ce qui provoque toujours des débats passionnés, révélateurs de la fracture béante qui perdure entre l’enseignement supérieur dans les lycées et dans les universités.

On pourrait donc, de façon un peu provocatrice, renverser la charge de la preuve : avec ses moyens faibles, un sous-encadrement manifeste en personnels administratifs et techniques combiné à une culture de gestion émergente, l’université française ne serait-elle pas potentiellement une des plus performantes du monde ?

Le classement de Toulouse efface Shanghai…

Alors qu’un consensus existe sur le constat du sous-financement des universités françaises, Olivier Berné, astrophysicien au CNRS à Toulouse s’est essayé à revoir le classement de Shanghai à partir des budgets. Et il s’attaque à ce que le classement de Shanghai mesure.

Cette démarche est intéressante à plus d’un titre, d’abord par la quantité de travail nécessaire pour compiler ces données, ensuite par ses résultats qui placent des établissements français en tête, l’ENS Ulm et l’université Paris Sud, devant Harvard and c°.

Il a le mérite de tenter une démarche de bon sens, un peu comme pour la Ligue des Champions de football, où les résultats sont corrélés statistiquement aux moyens. C’est d’ailleurs ce que rappelle Alain Fuchs régulièrement.

Au passage, comment est-il possible que personne au MESRI n’ai eu la (riche) idée de le faire, avec la concaténation des données ? C’est bien tout le problème du système français…?

…mais avec un gros bémol

La corrélation entre moyens et résultats est donc évidente, même si elle n’est pas automatique.

Il y a cependant un gros bémol, qui souligne bien le particularisme français : comparer les budgets des universités françaises avec leurs homologues étrangères revient la plupart du temps à compter des choux, des carottes et des lapins.

Si l’on prend une université américaine, tout ce qui concerne la vie étudiante est intégré au budget (housing etc.). Lors d’un séjour à l’UW Madison, j’avais pu, avec d’autres, mesurer le fossé budgétaire mais aussi organisationnel avec notre système. Son budget de 3 milliards de $ comprend tout, comme en témoigne d’ailleurs le nombre de personnels : plus de 22 000 pour 43 820 étudiants !

Des chiffres à faire rêver chez nous (et ce n’est pas Harvard mais une université publique). Il faudrait donc réintégrer dans le budget des universités françaises tout ce qui en est sorti : les Crous, les mille et une structures du PIA, et bien sûr les organismes de recherche.

2 chercheurs de l’université de Bourgogne dénonçaient par exemple récemment le fait que les Crous collectent la nouvelle contribution vie étudiante (CVEC) de 90€ prévue par la loi ORE.

Les coûts de transaction énormes du système

En effet, comment comparer des universités comme Sorbonne Université et Grenoble-Alpes  avec une université n’ayant qu’une UMR ? L’ajout des moyens des organismes (financements directs, personnels) est aujourd’hui encore d’une complexité incroyable, même si légalement, le budget annexe doit le tracer.

D’ailleurs même la Cour des comptes n’a pas réussi à effectuer cette simulation : elle dénonçait “une insuffisante consolidation de l’information financière en ce qui concerne les crédits extrabudgétaires du PIA attribués aux opérateurs de la MIRES.”

Le véritable problème à court terme semble donc plutôt être l’incroyable déperdition d’énergie que constitue le millefeuille. Pire, les coûts de transaction énormes n’apparaissent pas eux dans les budgets !

Si un gouvernement, quel qu’il soit, fait un jour le pari de l’université, comme dans tous les pays développés du monde, on peut imaginer que l’efficacité de la formation des étudiants et de la recherche fera un bond !

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