Y a-t-il quelque chose en commun entre celles et ceux qui occupent une fonction de responsabilité dans l’ESRI, et ceux qui dénoncent à longueur d’appels médiatiques les « bureaucrates », les « trahisons » etc. ? Pourtant, si cette question peut sembler paradoxale dans ce contexte, la réponse à y apporter peut éclairer les débats sur l’avenir de l’Université française. Tout se passe comme si, à l’image du syndrome de Stockholm, les universitaires français avaient intériorisé les arguments de leurs détracteurs qui ignorent ou méprisent l’Université. Invraisemblable ? Provocateur ? Pas tant que ça ! A force de parler du verre à moitié vide plutôt que du verre à moitié plein, les universitaires ne se tirent-ils pas une balle dans le pied ?
Le conflit au sein des établissements entre universitaires, et plus généralement entre les personnels a atteint des niveaux de violence jamais vus, exacerbés par les réseaux sociaux et leur cortège d’exécutions sommaires. Pourtant, les responsables universitaires et leurs opposants les plus virulents ont au moins un point commun : ils déplorent le regard le plus souvent négatif, parfois condescendant, des « élites » françaises sur l’université, élites qui préfèrent les prépas, les écoles et les organismes. Cette exception française expliquerait selon eux en grande partie les difficultés des universités, sous financées et chargées de tous les maux.
Le sentiment de dévalorisation est fort, l’identité universitaire est bousculée, fragmentée, tandis que celle de leurs établissements ne l’est pas moins, coincée entre toutes les structures créées depuis 2005… Cela n’empêche d’ailleurs nullement des universitaires d’enseigner dans les Grandes écoles, d’envoyer leurs enfants en prépa ou de courir après des prestations extérieures ?. Pourtant, le prestige d’être universitaire demeure, un peu comme ses médecins de famille incontournables mais tombés de leur piédestal.
L’intériorisation d’une infériorité symbolique
Ce constat mérite cependant d’être complété. A l’image des otages de Stockholm, les universitaires français n’ont-ils pas inconsciemment intériorisé les arguments de leurs détracteurs ? Ne se sont-ils pas enfermés dans uns stratégie défensive contre-productive ? L’université serait-elle vouée à incarner le « bas de gamme » tandis que les Grandes écoles seraient le « haut de gamme » ?
J’ai déjà souligné le fait que certains noircissent en permanence la situation : à les écouter les étudiants français des universités étudient dans des taudis, ne peuvent pas se loger, doivent tous travailler en dehors de leurs études et/ou s’entassent dans les TD et les cours etc. Et puis ils seraient d’un niveau discutable…
L’Université française est ainsi réduite aux difficultés de sa première année ou à ses problèmes financiers. Bien placé pour connaître ses défauts, je n’ai aucunement la tentation d’enjoliver la réalité. Mais ce qui me frappe à chaque fois, c’est la persistance de ce tableau apocalyptique, qui transpire dans les médias et dans les cercles de décideurs. La crise presque permanente de l’université Jean-Jaurès de Toulouse résumerait l’état de l’université française : mais qui se souvient que cette université a été rénovée complètement ?
Verre à moitié vide ou verre à moitié plein ?
Que les dirigeants d’établissements fassent du lobbying sur leurs financements, qu’ils réclament plus de moyens, rien de plus logique. Mais cela doit-il devenir la seule partie visible de leur stratégie de communication ? Les Grandes écoles passent aussi leur temps à faire du lobbying…mais en mettant en avant leurs réussites !
Cette stratégie conforte les élites françaises qui restent fixées sur une image datée, pas toujours fausse d’ailleurs : l’université, c’est une source de problèmes. Les changements énormes réalisés depuis des années ne sont toujours pas perçus par ceux qui « font l’opinion ».
Du côté du grand public, l’image est plus que contrastée, ce que les récents événements risquent d’aggraver. Les résultats de Parcoursup nous donneront une indication sur la perception de l’université.
Un exemple : l’innovation abandonnée à la technostructure
Pourtant, les atouts, le verre à moitié plein, sont là. Prenons un exemple : il est de plus en plus visible (ce que disait à mots couverts Cédric O, conseiller d’E. Macron devant l’ANRT) que la Frenchtech n’est pas sur l’innovation de rupture, portée par la recherche. Beaucoup s’attendent d’ailleurs à l’éclatement d’une bulle française.
L’innovation (et ses milliards) a été confisquée par la technostructure française qui a pris le dessus au détriment de la recherche. Le diagnostic décapant de Jacques Lewiner de PSL, dans Les Echos, devrait être pour les universités, avec les écoles, le déclencheur d’une véritable stratégie offensive de lobbying : ce sont les grands groupes français qui sont un frein à l’innovation, pas les chercheurs ! C’est l’administration qui est un facteur de blocage, y compris avec l’accumulation de strates dans l’ESR.
Or que voit-on ? N’importe qui pérore dans les médias et sur les télés à propos de l’innovation, alors même que les universitaires devraient être en première ligne ! Car les milliards sont aussi là.
L’absence de réelle stratégie de communication, conséquence d’une vision défensive
Je pourrais également multiplier les exemples qui montrent des universités totalement timorées sur leurs réussites et leur potentiel, à l’inverse de la petite école qui chasse le client.
Dans ce contexte, les universités ont deux choix possibles : continuer de privilégier de fait le verre à moitié vide, dans le cadre d’une stratégie défensive, en réclamant plus de moyens pour faire face aux évolutions démographiques. Elles les obtiendront sans doute, par crainte d »une explosion sociale. Mais elles resteront la variable d’ajustement du système.
Ou bien, développer une stratégie offensive en plaçant l’ESR comme le défi majeur de la France, à l’exemple de ce qu’à réussi la Corée du Sud : il ne s’agit plus alors de rattraper mais de dépasser. Que vient faire la communication dans ce contexte ? Rendre visible cette stratégie en la déclinant pour influencer, peser. Pourquoi les Polytechniciens seraient-ils les seuls à savoir le faire ??
J’ai toujours été partisan du « verre à moitié plein ». L’université est une chance. Et même l’université est une fête. Plutôt que « donnez-nous des moyens supplémentaires, et vous verrez ce qu’on saura faire », il vaut mieux entonner « regardez ce que nous faisons avec nos moyens », et c’est déjà bien mieux qu’on ne le dit, et quand « vous » (et « vous » ici, ce n’est pas que le gouvernement, c’est aussi les territoires, les entreprises et… pourquoi pas les étudiants, oups, politiquement incorrect) verrez toutes ces réussites, « vous » nous aiderez, par ce qui nous est nécessaire en moyens supplémentaires, à atteindre « le verre à trois-quart plein ».