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A l’occasion des épreuves du monument national qu’est le bac, cependant en train d’être supplanté par Parcoursup, il est intéressant de se pencher sur un des ressorts des “distinctions françaises”. Notre système scolaire valorise la réussite précoce avant tout dans les couches sociales aisées : sauter une année de maternelle pour aller en CP, sauter une classe, avoir son bac avec un, voire deux ans d’avance, et surtout avec mention TB. Si précocité ne veut d’ailleurs pas dire élève surdoué, ce culte est avant tout celui d’une certaine performance scolaire et du refus de l’échec. Et il influence toute la chaîne éducative française jusqu’à l’absurde. Mais cette réussite précoce est-elle vraiment durable ? Que nous enseignent d’autres expériences de précocité dans la musique et dans le sport ? 

Si les études confirment toutes que celles et ceux qui prennent du retard dans le primaire auront un parcours scolaire moins linéaire, rien ne prouve que les précoces réussissent mieux après ou qu’avoir son bac à 19 ans est un handicap pour la vie. Pourtant, tout notre système éducatif survalorise le “à l’heure”, le bac étant le baromètre : si tu ne l’as pas à 18 ans (au pire), tu n’as pas réussi ta vie ? !

C’est le syndrome des “bêtes à concours” qui a diffusé dans tout le système, comme le montrent les résistances à toute évolution du bac vers plus de contrôle continu. Tout ceci permet également de mieux comprendre les difficultés à reconnaître la légitimité de la formation continue : on meurt avec un bac mention TB et en étant major de l’X. Comme si tout se figeait avant la vraie vie, ce qui explique sans doute en partie les fixations françaises autour des statuts.

Une détection biaisée des talents

Et les conséquences sont là : dès la 1ère année d’enseignement supérieur, il faut savoir exactement ce que l’on veut, et les élèves jugés “mauvais” ou “moyens” sont trop souvent perçus comme irrécupérables. Et d’ailleurs mêmes les très bons, recalés au concours de Médecine : heureusement les expérimentations en cours pourraient changer ceci.

Ces jugements occultent deux choses autour de la notion de “performance”, puisqu’il s’agit de parler de performance. D’abord, les “soft skills” ou encore les différentes formes d’intelligence, comme l’intelligence émotionnelle. Ensuite les temps de maturation intellectuelle et l’éclosion des talents s’expriment dans des contextes sociaux et historiques variés. Le sociologue Norbert Elias en a fait une magistrale démonstration dans son étude “Mozart sociologie d’un génie”.

On peut ajouter que le système français a la particularité de pousser l’essentiel des meilleurs élèves (au sens scolaire du terme) hors de ce qui dans le monde entier est considérée comme la voie d’élite, le doctorat. Parce qu’il valorise le doute face aux certitudes ?

Ce que Parcoursup met à nu

Au-delà des polémiques sur Parcoursup (attendons avant de tirer un bilan, dans un sens ou dans un autre), une chose peut éclairer la réflexion. Un des arguments des détracteurs de Parcoursup me semble pertinent … à la nuance près qu’il ne concerne pas en soi la procédure ! Et d’ailleurs ces mêmes universitaires sont en général absolument opposés à un cycle de licence très progressivement spécialisé. Détracteurs et partisans de Parcoursup se retrouvent en promouvant un système avec des choix trop précoces, à l’inverse de beaucoup de pays comparables. Pourquoi ?

Élèves précoces, choix précoces ? En tout cas, tout le système scolaire et supérieur est organisé sur cette logique de l’offre : celle des établissements, celle surtout des différents corps enseignants et de leurs disciplines.

Le problème n’est donc pas Parcoursup, qui n’est que le reflet de l’offre de formation fragmentée. Qu’un jeune ne sache pas ce qu’il veut à 18 ans et même plus tard, où est le problème ? Chacun connaît des étudiants qui ont fait leurs études pour complaire à leur milieu et/ou leur parents. Et d’autres qui se sont révélés tardivement, et brillamment.

Des temps de maturation variés

Le documentaire de Julie Gavras sur Arte intitulé “les bonnes conditions” est à cet égard passionnant. Pendant près de 15 ans, la réalisatrice a suivi 8 adolescents des quartiers chics, nés “avec une cuiller en argent dans la bouche.” Même dans ces milieux ultra favorisés, les interrogations des jeunes sont là, face aux conformismes parentaux, aux modèles dominants dans les “élites françaises” (les prépas et surtout pas l’université !) et à la réalité de leurs propres aspirations.

Ainsi de cet élève brillant, qui entre à l’X mais pour lequel la vraie vie c’est la recherche, l’échange intellectuel et qui s’épanouit … dans une université américaine. Ou cette autre qui découvre les difficultés de la vie professionnelle, qui ne se résume pas à ce que l’on a appris.

Les limites des réussites précoces ailleurs

Je pourrais multiplier les exemples de réussites exceptionnelles de personnalités qui ne sont pas signalées par leur précocité scolaire. Mais 2 secteurs, dans lesquels on peut aussi parler de très haut niveau, doivent être regardés, en ayant évidemment en tête les limites de toutes les analogies : la musique et le sport.

J’ai cité Norbert Elias et la musique, à propos de la précocité. La faute donc à Mozart et à la cohorte de “jeunes prodiges” médiatisés au 20è siècle. Ces derniers, souvent les plus connus, ont été les violonistes (Menuhin, Heifetz) et les pianistes. Mais on oublie l’hécatombe : si l’on étudie les concours célèbres, l’immense majorité des jeunes prodiges n’a jamais confirmé, voire a connu une dégringolade dramatique.

On retrouve ce même phénomène dans le sport, notamment collectif. En football ou en rugby par exemple (cela vaut pour la France, qui vient d’être sacrée championne du monde), très peu de membres des équipes nationales des moins de 20 ans confirment. Et souvent, les meilleurs ont eux connu quelques problèmes dans les équipes de jeunes (Platini, Zidane) : on leur trouvait des lacunes (physiques notamment) qui sont devenus des qualités !

Pourtant, il n’a jamais été prouvé que faire du vélo sans roulettes très tôt permettait de gagner le Tour de France…

Quel que soit le bilan de Parcoursup, il est désormais acquis que sera pris en compte dans les années qui viennent le cheminement des candidats. Il va falloir passer d’un système totalement normatif (bac, notes au bac) à un système souple, prenant en compte beaucoup d’autres paramètres, capable de détecter les champions de demain, appuyés sur une équipe de haut niveau, avec des qualités complémentaires. Et un bon entraîneur. Oui, le sport collectif peut apprendre des choses aux universitaires ?.

 

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