Mon billet sur le classement de Shanghai a ouvert un débat sur les politiques menées depuis près de 20 ans. Le commentaire de Jean-Pierre Korolitski, témoin et acteur des PIA qui se sont succédé, est l’occasion de souligner des évolutions dans la réflexion des pouvoirs publics. L’idée ferait-elle son chemin que la question essentielle n’est pas d’avoir des champions mais des champions dans toutes les catégories ? Mais cela est-il possible sans une évaluation réelle sur la base d’indicateurs renouvelés ? Cela est-il possible avec un discours flou sur la priorité à l’université, sans laquelle la science française s’assèchera ?
Jean-Pierre Korolitski souligne à juste titre qu’« avec les nouveaux outils offerts par la récente ordonnance, les acteurs peuvent réellement s’organiser comme ils le souhaitent, notamment dans leurs modes de gouvernance. De nouvelles universités peuvent aujourd’hui voir le jour, créées par des universités, des écoles et des organismes…s’ils le veulent… »
Et il esquisse 3 scénarios possibles pour les écoles :
- de nouvelles universités intégrant un pôle fort d’ingénierie,
- des regroupement d’écoles (ingénieurs, commerce, autre écoles professionnelles…) sur site dans des ‘universités de technologie’ new look,
- des écoles qui restent « solitaires » pour préserver une identité professionnelle particulière…
Mais il relève que ces trois modes d’organisation supposent « un modèle économique spécifique articulant de façon différenciée aide de l’Etat et appui direct des milieux économiques directement concernés ».
Cette vision traduit une rupture en valorisant l’initiative des acteurs. Mais la mise en place de recteurs délégués n’est-elle pas le symptôme de la poursuite de l’exception française, servant de prétexte d’ailleurs à l’immobilisme ?
Diversité des excellences
Répondant aux arguments sur l’inefficacité d’un « modèle unique », il parle de reconnaître « la diversité des excellences » par « la reconnaissance de champions dans toutes les catégories. » Mais pourquoi cet argument de bon sens n’a-t-il jamais été pris en compte ?
La France académique/scientifique vit depuis des décennies dans des clivages et des réputations toujours structurés par 3 choses :
- une vision de l’excellence, à la fois bibliométrique et réputationnelle, qui exclut d’ailleurs en partie les SHS, surtout celle qui ne sont pas dans Paris intra-muros. J’ai toujours été frappé par le poids des réputations que résument d’ailleurs les évaluations du HCERES dans lesquelles ces termes reviennent très souvent (« ce laboratoire, cette équipe a une réputation internationale »). Logiquement, ces réputations ne sont pas interrogeables réellement.
- un désintérêt pour l’enseignement, qu’illustre la séparation historique enseignement-recherche ;
- une ignorance ou un désintérêt pour l’impact sociétal et économique de la recherche.
Résultat, on arrive à cette aberration qui voudrait que tout ce que fait le CNRS (ou Sorbonne Université) soit de haut niveau, et que tout ce que font des universités petites ou moyennes soit négligeable.
Or comme le souligne à juste titre Jean-Pierre Korolitski, « reconnaître la diversité des excellences, c’est se prémunir contre un modèle unique, c’est valoriser les différenciations réussies, c’est permettre d’éclairer les politiques d’allocation de moyens pour l’Etat, les Régions, les acteurs économiques, c’est mieux informer les jeunes et les familles et, in fine, mieux répondre à la diversité des besoins. »
L’existence de champions (si l’on fait le parallèle avec le sport), nécessite une compétition loyale avec des règles connues (et acceptées). Elle porte en germe la possibilité de défaire les réputations, comme une descente en 2ème division ou une non-qualification pour un championnat du monde. Mais elle permet aussi des victoires surprises et mieux encore l’émergence de nouveaux talents.
Je persiste à penser, avec Jean-Pierre Bourguignon, que la supériorité américaine tient non seulement aux moyens mais aussi à cette approche compétitive. Or, les communautés académiques françaises restent complètement divisées sur ces questions, face à des pouvoirs publics incapables de porter un discours fort avec des moyens ad hoc.
Un PIA 4 ?
Car pour juger des qualités des uns et des autres, il faut des outils de mesure dont on sait qu’ils ne sont jamais neutres (Cf. la passionnante étude sur le genre au CNRS). Ce sont donc les indicateurs et méthodes de l »évaluation qui sont la clé. Ils le sont déjà en partie avec les résultats des appels à projet, comme celui des écoles universitaires de recherche (EUR). En réalité, l’évaluation est omniprésente sur les appels à projets et absente sur le reste, ce qui crée le sentiment d’un système à 2 vitesses non assumé.
Alors que la présidence du HCERES va être renouvelée, il est intéressant d’observer la façon dont notre pays conçoit l’évaluation. Non pas que la situation soit idyllique ailleurs, mais je dois dire que le système britannique est à bien des égards digne d’attention (s) : notation pour la recherche de 1 à 4 avec moyens liés, médailles pour l’enseignement (oui les britanniques s’intéressent à la recherche ET à l’enseignement). Il faut avouer que l’éclatement du système français, sa fragmentation, ne facilite pas la tâche.
Un nouveau PIA, le 4, peut-il constituer une réponse ? C’est en tout cas le vœu de nombreux acteurs. Pour Jean-Pierre Korolitski, « l’on peut rêver d’une politique publique qui, fondée sur un système efficace d’évaluation, libérerait pleinement les initiatives, valoriserait par les divers modes de reconnaissance et l’allocation des moyens les résultats obtenus et définirait des actions incitatives de type PIA pour permettre, dans le cadre d’une stratégie nationale intégrée recherche-formation-innovation, à notre système d’enseignement supérieur et de recherche de s’adapter aux besoins nationaux et aux enjeux internationaux. »
Mais j’avoue ne toujours pas comprendre le message politique brouillé, rendu inaudible par la crainte des réactions d’une partie de la communauté scientifique. Parier sur les universités ne peut se faire que dans le cadre d’une stratégie ambitieuse de conquête. Cet ambition existe-t-elle ? Depuis 2017, on ne peut pas dire que l’Université a été une priorité stratégique. La loi pluriannuelle de programmation de la recherche sera l’outil de mesure, pas seulement en termes de moyens.
A propos de la « diversité des excellences », j’aime bien une expression qu’employait souvent le Directeur Général Monteil : « égalité de dignité ». Il signifiait par là qu’il est légitime d’accorder la même dignité (la même reconnaissance) à une Grande École de notre Top 10, disons l’X, et à une quelconque formation de licence d’université de province, disons… non je n’en citerai pas. Et le fait même que je n’ose en citer ici signifie bien que moi-même je suis rempli de l’a priori que toutes les « dignités » de se valent pas, non pas que je ne connaisse pas de formations qui tiendraient ici la place de la dignité alternative, mais que je craigne que l’université citée trouve fort injuste de se voir mis au pilori biaisé de la comparaison avec une école prestigieuse. Pourtant, n’est-il pas aussi digne de mener à l’emploi un gamin qui a eu bien du mal à décrocher son bac, que de faire un ingénieur d’un brillant Q.I. 135 ? Y a-t-il une différence d’efficience ?
Nous confondons dignité, prestige (un élément « réputationnel ») et excellence.
Nous ne développerons pas quelques universités si excellentes en recherche qu’elles atteindront au prestige, sans avoir dit une fois pour toute qu’il est très pertinent (mais c’est un choix politique ô combien difficile), pour d’autres, d’abandonner la course aux Prix Nobel et d’affirmer que leur ambition est de former sur un territoire donné des jeunes à un emploi souvent local.
L’évaluation alors devrait répondre à une (quasi-unique) question : vous donnez-vous les moyens de votre ambition, quelle que soit cette ambition ?
Il pourrait-être intéressant de demander à chaque université : « Dites, c’est quoi votre ambition ? » Réponse en une phrase, sans « et ».