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Mon dernier billet a fait réagir, en public ou en privé, sur le fait que j’éreinte quelque peu le MESRI. Lecture rapide de mon billet ? Raccourci journalistique intempestif ? Revenons sur ce sujet quasi épidermique dans ce milieu en approfondissant le questionnement. Car si 2 facteurs sont décisifs dans le fonctionnement du système (le financement et son pilotage), les crises ont au moins un avantage, celui de passer avant tout au révélateur le pilotage et l’efficacité de la mise en œuvre.

Évidemment, mon propos, commenté par P. Aimé et J.R. Cytermann, ne visait pas à dire que rien ne se passait au MESRI. La Dgesip a « mouillé » la chemise dans cette crise, c’est indéniable, en fournissant des outils (ses fiches). Les établissements ont pu s’appuyer dessus au niveau réglementaire et pratique. Mais le fait même de le souligner en dit long : doit-on s’émerveiller lorsque qu’une administration centrale fait preuve d' »allant » ?

Il se trouve qu’ayant quelques antennes dans ce milieu, j’ai accès aussi au côté sombre de ce fonctionnement : la tentation permanente du contrôle tatillon (où vont les aides ? que faites-vous de la CVEC ? etc.) sur fond d’une absence de confiance, souvent exprimée oralement et toujours symboliquement présente, envers les universités. C’est aussi l’ignorance de leur rôle en matière de recherche, apanage (pour le MESRI et la ministre) des organismes.

Et lorsque l’on me narre l’incapacité régulière des services du MESRI à tenir des audio ou visio conférences dans des conditions techniques satisfaisantes, je fais comme tout le monde, je m’interroge : alors que les établissements sont au front, multiplient ces conférences avec leurs composantes, services, équipes etc., comment un ministère ne s’aperçoit-il pas des dégâts sur sa crédibilité ?

Enfin, l’absence de discernement des services du ministère (ce qui signifie un pilotage questionnable…) qui envoient des mails à des listes de diffusion pléthoriques sur des sujets pas vraiment prioritaires à ce moment est sidérant. Et faut-il évoquer ces arrêtés qui paraissent visiblement à contre-temps, simplement parce qu’ils étaient dans les tuyaux ?

Cela conforte l’idée d’un fonctionnement bureaucratique et centralisateur face à des universités agiles et réactives.

La question centrale de la mise en œuvre

Il est évident qu’une crise sanitaire de cette ampleur justifie une vision large, que tous les États, centralisés ou fédéraux ont eu. Personne n’imagine chacun gérant dans son coin cette crise. Mais le fonctionnement d’un État, quel qu’il soit c’est la qualité des décisions politiques, la bonne échelle de décision (nationale, régionale, locale, individuelle) et l’efficacité de leur mise en œuvre.

Ce dernier aspect est malheureusement souvent oublié dans notre pays : on ne va retenir que des débats sans fin, politiques évidemment, mais aussi parfois quasi théologiques sur la clarification des compétences, etc. « Peu importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape les souris » disait Deng xiao ping. J’ajouterais, à condition qu’il ne soit pas enfermé ! Car et c’est là l’enjeu véritable, à savoir la capacité de libérer des initiatives, rapidement.

L’adage souvent répété ces temps-ci par de nombreux commentateurs veut que « l’on ne gouverne bien que de loin, et que l’on n’administre bien que de près. » Notons que les communes et les universités qui administrent « de près » , gouvernent aussi !

Un cadre juridique foisonnant

La contrainte première, c’est cette « diarrhée » législative et réglementaire dénoncée par le Conseil d’Etat dans une étude de 2016. Ce rapport citait quelques exemples délirants 1La loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé comprenait 57 articles lors du dépôt du projet de loi et 227 articles à sa promulgation. Ou encore la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui comprenait 64 articles comme projet de loi et 215 à sa promulgation ! dans une comparaison cruelle avec l’Allemagne ou le Royaume-Uni.

L’étude soulignait que la conséquence était naturellement une avalanche de décrets, arrêtés, circulaires d’application car « la production de normes s’auto- alimente ». Et les producteurs de normes sont « de plus en plus nombreux et dispersés » tandis que les types de normes « se diversifient. » Et le Conseil d’État rappelait que cette  « production de normes et de complexité est également nourrie par les attentes sociales » et entretenue par ceux qui produisent la norme, « formés à répondre à la demande et raisonnant en ‘silo’ sans disposer d’une vision d’ensemble. »

Ce manque de vision d’ensemble, c’est aussi ce qui a conduit à la parution tardive de la circulaire sur les congés, alors même que des présidents d’université avaient, dans le cadre de leur propre dialogue social, pris des décisions. Volume insensé et instabilité de la norme, difficulté à la comprendre, inadaptation à la réalité qu’elle traite, tout ceci s’applique donc aussi à l’enseignement supérieur et la recherche.

Le millefeuille de l’ESR

Les 72 pages du « Vade Mecum FAQ administratives » du MESRI sur le COVID-19 en sont l’illustration. L’État c’est aussi beaucoup d’intervenants : la DGESIP, la DGRI, la DGRH commune avec l’éducation nationale, le ministère en charge de la fonction publique, d’autres ministères de tutelle, etc. Et puis les organismes nationaux de recherche.

Car outre les textes propres (LRU, Fioraso, ordonnances de 2018), il y a ceux sur l’organisation territoriale, sur le développement durable, sur l’immobilier etc… Ce Vade Mecum résume ainsi l’impossible quadrature du cercle à résoudre. Apportant des réponses documentées 2Il est évident que les fonctionnaires ont fait un travail de qualité, comme le souligne P. Aimé dans son commentaire, et ont été réactifs, ce qui ne change pas le problème de fond de ce genre de compilation. sur la plupart des sujets, cette compilation montre comment le décryptage de l’enchevêtrement de textes est devenu un sport national. Oubliées, les velléités de Thierry Mandon de simplifier !

C’est le cas du dialogue social dans les universités avec l’empilement de structures et de textes qui interrogent sur leur utilité, ou tout du moins sur une nécessaire clarification des rôles.  Prenons 2 exemples : en période de crise, qui suppose la plus grande agilité, faut-il que les décisions du CA d’un établissement repassent au moulinet d’autres instances ? Et faut-il des consignes propres, pas coordonnées et souvent contradictoires des organismes de recherche (outils pour les visios, fermeture ou reprise des  labos) ?

Un renforcement de la fonction de président(e) ?

Car n’oublions pas que la réalité de cet empilement de textes, c’est que ce sont les opérateurs de terrain, universités et écoles qui sont chargés de les mettre en musique. Oui, comme d’habitude, certains, sur ce sujet comme d’autres, demandent un cadrage national pour se défausser.

Mais un rapide tour de France montre que les présidents d’universités, dont le pouvoir est toujours décrié en « temps de paix » sont désormais considérés comme des recours fiables ?. La crise pourrait d’ailleurs avoir comme conséquence paradoxale un renforcement de la fonction présidentielle, dans un nouveau rapport avec les composantes et leurs doyens.

Ajoutons que les universités sont le seul opérateur de l’État présent partout sur le territoire. L’analogie avec le couple maire-préfet, nouvellement promu par les pouvoirs publics si j’en crois certains médias, a du sens mais à une grosse réserve près. Les universités, outre leur poids démographique, sociologique et économique, sont au cœur d’un réseau en étoile avec le Préfet bien sûr, mais aussi les maires, la région, le département, le CHU évidemment et l’ARS, le rectorat etc. Et si la recherche est « préemptée » nationalement par les organismes, elle s’exerce au sein des universités, ces dernières étant en première ligne avec les pouvoirs publics.

Faire confiance (enfin) aux universités

Or la question clé que je soulevais dans mon dernier billet était celle-ci : l’Etat fait-il confiance aux universités ? L' »observateur empirique » que je suis a l’impression que l’on assiste à une régression depuis 2017. Il y a pourtant ce constat irréfutable : sur le terrain, ce sont les universités (et écoles) qui ont géré la crise, qui ont fait preuve d’une réactivité et d’une inventivité exceptionnelles, quels que soient leurs défauts.

Oui des enseignant-chercheurs se sont peu investis auprès de leurs étudiants, d’autres trop et de façon individuelle. Oui, des personnels Biatss, mais aussi leurs chefs de service (en termes de management) n’ont pas su s’adapter au travail à distance, avec parfois des dérives réelles. Oui des étudiants ont perdu pied. Oui etc.

Mais qui aurait pu imaginer il y a quelques semaines que des étudiants soient appelés un à un pour faire le point sur leur situation ? Que des recrutements en visioconférence rebattent les vieux clivages ? Que de nouvelles méthodes de travail se mettent en place aussi rapidement ? Que la recherche interdisciplinaire s’incarne concrètement ? Que les universités prennent en charge, à cette échelle, et avec les Crous, les questions sociales ? Etc.

Il suffit de lire la presse régionale pour le mesurer. Il est temps pour les pouvoirs publics de cesser d’instruire en permanence un procès en faiblesse ou incompétence supposée des universités. La pression de l’opinion publique et l’engagement des personnels et des étudiants sont des réalités qui obligent bien plus plus qu’une circulaire ministérielle : les solutions ne viendront pas de la rue Descartes.

Les pouvoirs publics sont en droit d’avoir un regard sur les résultats et les actions menées ? Oui bien sûr. Mais au fait, où en est le MESRI sur le HCERES ? Dans un courrier daté du 25 février…2019, F. Vidal sommait son président d’alors de changer son fusil d’épaule, rapidement, pour des évaluations “plus ramassées” et utilisables facilement par le grand public…Depuis, M. Cosnard a terminé son mandat (31 octobre 2019) et plus rien si ce n’est les aléas de la nomination de son successeur 3Appel à candidatures « infructueux », 2ème appel et candidature collective. ! Alors que l’évaluation était censée être le pivot d’une nouvelle politique, c’est le vide. Et l’on critique les établissements ?

Références

Références
1 La loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé comprenait 57 articles lors du dépôt du projet de loi et 227 articles à sa promulgation. Ou encore la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui comprenait 64 articles comme projet de loi et 215 à sa promulgation !
2 Il est évident que les fonctionnaires ont fait un travail de qualité, comme le souligne P. Aimé dans son commentaire, et ont été réactifs, ce qui ne change pas le problème de fond de ce genre de compilation.
3 Appel à candidatures « infructueux », 2ème appel et candidature collective.

One Response to “COVID-19 : le bon niveau d’action dans l’ESR”

  1. Merci Jean-Michel pour cette ode aux universités, je pense qu’elles le méritent en effet.
    Que de transformations/adaptations en six semaines !

    Cette crise aura au moins eu le mérite de révéler certaines personnalités et pour reprendre l’expression du PR de révéler des « chefs de guerre » (des Présidents organisateurs/décideurs en cellule de crise, des VP formation adaptant les modalités d’enseignement et d’examens tout en maintenant un dialogue avec leurs pairs et les étudiants,, des VP numérique plus qu’imaginatifs, des VP vie de campus organisant la distribution alimentaire ou d’ordinateurs auprès des étudiants bloqués en résidence, etc.).
    Et je n’oublie pas leurs « fantassins » ces enseignants qui ont transformé leurs pratiques comme jamais auparavant.

    Cette crise a aussi mis en lumière ces personnels jusque là « invisibles » (PC sécurité, agents de nettoyage, animaliers, etc.) qui sont restés sur le terrain pendant notre confinement. Il faut leur rendre hommage.

    L’administration, souvent décriée dans le grand public, sous la houlette des DGS a fait preuve d’une grande adaptabilité : les payes ont été assurées, nos étudiants bloqués à l’étranger ont été rapatriés avec l’aide de nos services RI, nos agents comptables ont continué à payer les PME, nos conseillers de prévention ont façonné les PCA et PRA, etc.

    je suis pour ma part très fier d’être sur le « terrain » pendant cette période si particulière. J’espère que nous saurons en tirer collectivement les bénéfices à la sortie.

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