No Comments

La réussite étudiante progresse à l’université. Quelles sont les raisons de cette progression ? Quel rôle pour Parcoursup et la loi ORE, pourquoi mesurer différemment la réussite ? Et comment les ingrédients naturels de la réussite sont entravés par leur lot d’absurdités bureaucratiques comme sur l’emploi étudiant ou les réorientations. Enfin, pourquoi les boursiers peinent-ils à trouver leur place en Grandes écoles ? Des notes du MESRI, des rapports IGÉSR décryptés par mes soins. Beaucoup d’espoirs mais aussi des pesanteurs désespérantes.

J’avais été assez sévère en juin dernier sur les erreurs énormes des prévisions du MESRI en termes d’effectifs. Mais j’avais salué l’apport considérable des notes du SIES (Systèmes d’information et études statistiques) du MESRI : j’en ai sélectionné quelques-unes autour de la réussite étudiante, auxquelles j’ai ajouté des rapports de l’IGÉSR sur ce sujet. 1Remarquons que pour les rapports IGÉSR, la date de publication ne correspond pas en général à la date des travaux, ce qui est assez normal. Ce qui l’est moins, c’est le délai de publication, parfois anormal, pour des raisons politiques. Si seulement 18% des rapports sont rendus publics, ce qui peut se justifier lorsque des personnes sont mises en cause, ne l’est plus celui lorsque celui sur la « Mesure de la réussite étudiante au regard de la mise en œuvre de la loi ORE » met 7 mois à être publié ou celui sur les fusions d’universités 18 mois ! Certes, il y a aussi des raisons « pratiques » (cabinet, directions débordées etc.). Mais est-ce la vraie raison de cette avalanche à la rentrée ?.

C’est l’occasion de nous éloigner des classiques biais de perception et de débattre à partir de données globales : qui sait que le MESRI/SIES (Systèmes d’information et études statistiques) suit un panel de bacheliers 2014 ? Sauf à croire que le SIES est un instrument au service du pouvoir, sa production mérite que l’on s’y arrête. C’est en effet l’occasion d’une réflexion rationnelle, dans un milieu universitaire, qui, quoiqu’il en dise, cède souvent, devant son ignorance abyssale du fonctionnement du système 2Julien Gossa, farouche opposant de la LPR vient de lancer un site, la Conférence des praticiens de l’enseignement supérieur et de la recherche, parce que selon lui, les enseignants-chercheurs ne comprennent strictement rien à l’université. C’est un euphémisme 😀…, aux sirènes du complotisme, des fake news ou plus prosaïquement du « moi dans ma fac ».

Des données trop peu utilisées

Ces données me semblent bien peu utilisées par l’ensemble des acteurs, qu’ils soient dirigeants, enseignants-chercheurs et chercheurs, médias (hormis les spécialisés) ou contestataires permanents. Quant au « politique », il peine à en faire un instrument d’une gouvernance éclairée du système, même si les analyses sur Parcoursup marquent un indéniable progrès.

Concernant les rapports IGESR et les notes du SIES, je ne sais si ils sont vraiment lus ou simplement parcourus, et par qui : pourtant, ils permettent d’analyser plus froidement des évolutions, de conforter des hypothèses ou de remettre en cause des idées reçues 3Quant à DataESR c’est un progrès considérable, même si l’analyse et la mise en perspective des données restent des chantiers. C’est particulièrement vrai pour les données financières comparatives entre établissements..

En définitive, des chiffres et données essentiels sont peu connus des communautés, en dehors de ceux qui peuvent alimenter une polémique. Prenons l‘exemple du sondage Ipsos commandé par le MESRI sur Parcoursup ou la note sur la réussite (voir infra). J’ai eu beau gratter, je n’y ai pas vu de manipulation mais des enseignements intéressants : mais qui les a débriefés dans les établissements, chez les syndicats etc. ?

Certes, la qualité rédactionnelle de ces notes et rapports est inégale, ce qui crée de l’opacité là où la transparence s’impose. Peut-être devrais-je, avec le peu d’influence qu’a ce blog, les noter 😃 ? Et puis demeure en suspens la difficulté de disposer parfois de données fiables, face à des établissements véritablement assaillis d’enquêtes, et donc souvent découragés d’y répondre rapidement et avec fiabilité. D’ailleurs ce constat vaut évidemment dans toute la chaîne, en interne !

Voici quelques éléments de ces notes et rapports de rentrée, avec mes remarques, évidemment subjectives ! 

Parcoursup 2020 et une étude Ipsos

Au-delà des chiffres de la procédure Parcoursup 2020, marquée par une hausse non prévue des effectifs vu les taux de réussite au bac, il faut souligner l’élargissement important de l’offre de formations sur la plateforme selon la note du SIES.

Plus intéressante à mon sens, l’idée de procéder à un sondage avec une étude Ipsos 4Le MESRI a publié une « Enquête d’opinion des néobacheliers sur Parcoursup » réalisée par Ipsos. Pour cette enquête, 1 001 néobacheliers « constituant un échantillon d’inscrits sur Parcoursup en 2020 et ayant été admis ou non dans une formation », en respectant la méthode des quotas, ont été interrogés par mail du 9 au 20 septembre. auprès des bacheliers 2020. Comment ont-ils vécu Parcoursup ? D’abord, il en ressort un satisfecit sur l’accompagnement, ce qui semble prouver que la procédure a désormais trouvé ses marques dans les lycées, loin des protestations et des refus des professeurs principaux.

Mieux, les différentes phases de la procédure ont été perçues comme faciles par la plupart des candidats, qu’il s’agisse de l’inscription et de la création du dossier (81 %) ou de la formulation et la confirmation des vœux (78 %), la plateforme étant très utilisée comme source d’information.

Mais s’ils trouvent la procédure claire, 77 % des lycéens interrogés la jugent stressante, même si les adjectifs « transparente » et « rapide » s’appliquent bien à cette procédure selon eux. Mais seuls 48 % estiment qu’elle est « juste » dans le sens où tous les candidats sont traités de la même manière. C’est tout l’enjeu d’une procédure dont la sélectivité, en particulier à l’université, demeure ambigüe.

La réussite en licence progresse

La note Parcours et réussite en licence, session 2019, celle sur Réussite et assiduité en première année de licence : impact de la loi ORE, nouveaux indicateurs confirment 3 choses :

  • Des taux de réussite à l’université qui s’améliorent mais toujours avec des bacs pros statistiquement voués à l’échec. Le taux de passage en L2 observé en 2018 (45,4 %) est supérieur à celui de 2017 (41 %). Cette hausse du taux de passage résulterait potentiellement de 2 effets : « d’une part, un changement de structure de la population étudiante de L1 en termes sociodémographiques ou d’origines scolaires, et d’autre part le fruit des aménagements et efforts pédagogiques mis en place dans les établissements d’accueil en 2018-2019 dans le cadre de la loi ORE ».
  • La nécessité avec l’individualisation des parcours de formation de 1er cycle, de trouver de nouveaux indicateurs. Plusieurs travaux se sont concentrés sur la mesure de la réussite à travers le rythme d’acquisition des crédits ECTS : un rapport de l’IGESR préconisait que la validation de ces crédits devienne « la donnée de référence » 5Datant de février 2020, il n’a été publié qu’en août 2020….
  • La définition plus fine de « profils de réussite » autour de la question de l’assiduité, et qui va au-delà des simples déterminismes sociaux : elle peut et doit susciter de réels débats quant aux interprétations possibles de ce qu’est la réussite.

Le suivi des réorientations plombé par la bureaucratie

Dans un rapport sur la réorientation dans l’enseignement supérieur, l’IGÉSR souligne qu’elle est « devenue un phénomène de masse qui concerne tous les types d’étudiants ». Mais un passage a retenu mon attention et en dit long sur l’état du système. Face à la nécessité de gérer des flux de plus en plus importants, « les données sont en revanche quasi-inexistantes en ce qui concerne les réorientations externes. »

En gros, on va plus ou moins savoir au sein d’un établissement, mais l’étudiant de L1 qui va en STS disparaît des radars. On croit rêver, tant la déconnexion entre les discours et la réalité est énorme. Car « la méconnaissance du devenir des étudiants, dès lors qu’ils quittent l’établissement (…) fragilise évidemment le pilotage des politiques de réussite ».

La raison « triviale » ? Parce que la traçabilité des parcours, pourtant techniquement possible via l’utilisation de l’identifiant national étudiant (INÉ), n’est pas mise en œuvre. Pour cela, il faut une convention sur le traitement automatisé des données : or, tenez-vous bien, « peu de ces conventions ont été signées près de deux ans après la parution de l’arrêté, et certains acteurs rencontrés font état de discussions parfois laborieuses avec le SIES. »

L’IGÉSR estime dans un style inimitable « qu’il serait souhaitable de renforcer la fonction statistique de proximité (au niveau établissement), à la fois en incitant les établissements à signer la convention de mise à disposition des données SISE et en améliorant la coordination entre les services concernés par la production des données en la matière (notamment pilotage, observatoire, scolarités). »

Les bourses et la précarité étudiante.

Confirmation que les boursiers sur critères sociaux en 2019-2020 sont avant tout en STS (50% de boursiers !) et à l’université (40%). Et contrairement aux affirmations de la CGE complaisamment relayées par des médias qui ne vérifient par leurs informations (Sans parler de la tribune surréaliste de D. Manceau de Neoma en octobre 2019), ils ne sont que 12% en école de commerce et 23 % dans les formations d’ingénieurs non universitaires (contre 34%). Ce n’est évidemment pas la seule inégalité : la part de boursiers est très élevée en outre-mer (de 52 à 65 %) et entre 45 et 50 %, à Limoges, Montpellier, Amiens ou en Corse. De quoi réfléchir sur le mantra de l’égalité entre tous les établissements y compris entre universités …

La précarité étudiante. On peut noter dans la Cartographie des bourses publiques de l’enseignement supérieur réalisée par l’IGESR, que pour bénéficier de l’échelon 7 par exemple, les plafonds de revenu annuel brut global « doivent être compris entre 250 et 4 500 € selon les points de charge (éloignement domicile – établissement + nombre d’enfants à charge dans le foyer). » Une bourse annuelle de moins de 5600 € est-elle compatible avec ce type de situation sociale ?

Et puis pour tailler en pièce les discours misérabilistes et cibler réellement les priorités, le rapport note qu’il y a « toujours une proportion non négligeable d’étudiants qui ont des budgets modestes mais qui ne se vivent pas en difficulté financière et inversement, des étudiants avec des budgets plutôt confortables qui vont se déclarer gênés financièrement. »

Quelle est alors la proportion d’étudiants précaires (évidemment avant le confinement) ? A partir d’une extrapolation des chiffres de l’Observatoire de la vie étudiante, on arrive à un taux de 5 % d’étudiants « soit un chiffre d’environ 135 000 étudiants sur 2 700 000 étudiants. »

Et au passage, le rapport insiste sur le fait que « la diversité et la souplesse des aides spécifiques, accordées au plus près du lieu d’études » sont mieux susceptibles de répondre « aux situations particulières, imprévues ou inattendues ». Cela renforce ma conviction que la gestion des bourses, ou tout du moins d’une partie d’entre elles, doit être confiée aux établissements.

L’emploi étudiant, autre victime expiatoire de la bureaucratie

Ce rapport de l’IGESR est accablant. Alors que depuis 2007 c’est devenu un leitmotiv des pouvoirs publics, le constat général reste « celui d’une faible évolution, au moins quantitative » : on n’en est qu’à 1,4 % de la population étudiante. Pourquoi ?

Malgré une « image positive » tant auprès des gouvernances d’établissement que des étudiants, car il permet de concilier les exigences de la formation et l’exercice d’une activité rémunérée, l’emploi étudiant bute sur des moyens relativement limités mais plus encore sur « les conditions d’emploi (constitution des dossiers, horaires, valorisation de l’expérience professionnelle dans les cursus) et de rémunération (délai de traitement) » qui demeurent « une source de complexité qui peut dissuader les établissements de recruter et les étudiants de se porter candidat à un emploi étudiant. »

Boursiers et réussite en classes prépas, c’est pas clair…

Enfin, je terminerai ce billet sur une perle, la note sur la démocratisation de l’accès aux Grandes écoles. Cette longue note aborde, au travers des CPGE, « L’accès aux grandes écoles scientifiques : une égalité des chances ? » (Ah ce titre 😀!) 12 pages (ouf, je suis allé au bout mais…) pour constater que « les boursiers de l’enseignement scolaire sont sous ­représentés en classe préparatoire scientifique du fait d’un niveau moyen un peu inférieur et d’une moindre propension à y pos­tuler. » Ils seraient « pénalisés dans leur capacité à réussir les concours par des facteurs qui ne relèvent ni de leur niveau initial à l’issue du baccalauréat » (tiens, l’inverse est développé dans la note !), « ni du lieu de leur préparation. »

Outre que cette note aurait pu faire 4 pages, elle omet curieusement d’interroger la nature des concours : ainsi la bibliographie oublie malencontreusement une contribution non-négligeable à l’analyse, celle de Pierre François et Nicolas Berkouk « les concours sont-ils neutres ? Concurrence et parrainage dans l’accès à l’école polytechnique ». Il faut dire que cette note du SIES … co-signée par sa directrice, a été réalisée dans le cadre d’un stage de recherche de l’école Polytechnique 🤔.

Et puis, pour rire un peu (mais il y en a d’autres), cette phrase m’a laissé pantois : « Un écart de réussite très significatif entre étudiants boursiers et non boursiers de l’en­seignement supérieur, indépendant du niveau initial de l’étudiant, apparaît donc comme l’un des facteurs importants de la proportion plus faible d’étudiants boursiers en école d’ingénieur ou en école normale. » En gros, les boursiers réussissent moins parce qu’ils réussissent moins… 12 pages pour ça 😂!

Références

Références
1 Remarquons que pour les rapports IGÉSR, la date de publication ne correspond pas en général à la date des travaux, ce qui est assez normal. Ce qui l’est moins, c’est le délai de publication, parfois anormal, pour des raisons politiques. Si seulement 18% des rapports sont rendus publics, ce qui peut se justifier lorsque des personnes sont mises en cause, ne l’est plus celui lorsque celui sur la « Mesure de la réussite étudiante au regard de la mise en œuvre de la loi ORE » met 7 mois à être publié ou celui sur les fusions d’universités 18 mois ! Certes, il y a aussi des raisons « pratiques » (cabinet, directions débordées etc.). Mais est-ce la vraie raison de cette avalanche à la rentrée ?
2 Julien Gossa, farouche opposant de la LPR vient de lancer un site, la Conférence des praticiens de l’enseignement supérieur et de la recherche, parce que selon lui, les enseignants-chercheurs ne comprennent strictement rien à l’université. C’est un euphémisme 😀…
3 Quant à DataESR c’est un progrès considérable, même si l’analyse et la mise en perspective des données restent des chantiers. C’est particulièrement vrai pour les données financières comparatives entre établissements.
4 Le MESRI a publié une « Enquête d’opinion des néobacheliers sur Parcoursup » réalisée par Ipsos. Pour cette enquête, 1 001 néobacheliers « constituant un échantillon d’inscrits sur Parcoursup en 2020 et ayant été admis ou non dans une formation », en respectant la méthode des quotas, ont été interrogés par mail du 9 au 20 septembre.
5 Datant de février 2020, il n’a été publié qu’en août 2020…

Laisser un commentaire