Il est triste de devoir rappeler que les résultats des élections, quels qu’ils soient, s’imposent même s’il appartient au vainqueur E. Macron de ne pas ignorer les ressorts et les conditions de son élection. D’autant que l’abstention s’applique aussi à tous les partis…ce qui devrait rendre ces derniers prudents. Mais ce que révèlent aussi ces résultats, ce sont deux handicaps majeurs de notre pays : non pas la dépense publique, mais son efficacité et la faiblesse de son système éducatif qui génère en partie une défiance généralisée. Pour l’ESR, 4 mesures pourraient rapidement changer la donne. Je suis certain que le Président de la République va enfin m’écouter !
La défaite de Marine Le Pen (et je m’en félicite) ne doit pas masquer le fait que nous entrons (malheureusement) dans une nouvelle période, qui dépasse largement cette élection présidentielle. Il ne s’agit plus de la lepenisation des esprits comme certains l’avaient cru avec un certain mépris et qui n’aurait concerné que les couches populaires et les moins éduquées.
Quiconque regarde un peu ailleurs, par exemple en ce moment aux États-Unis, peut s’en convaincre. Il s’agit désormais de l’extension de la trumpisation-poutinisation avec le règne de la post-vérité, une remise en cause permanente des résultats des élections, le catastrophisme et la remise en cause de la science autour des vaccins, une hystérisation des débats, et, corollaire, la montée de la haine. Et ce quels que soient les catégories sociales et le niveau d’éducation 1A ce propos, il est de bon ton dans certains cercles de se moquer des électeurs/rices de MLP dans les campagnes et certaines périphéries des villes, en raison de leur niveau de diplôme. Je remarque que les « casseurs » des locaux de l’EHESS à Condorcet, ou encore les militants pro-Poutine sont issus d’abord des milieux éduqués…. Il suffit d’observer les réseaux sociaux pour voir que l’ESR n’y échappe pas.
Confiance vs défiance
Parmi les démocraties comparables la France se caractérise, dans toutes les enquêtes internationales d’opinion, par ce grand écart entre un optimisme individuel et un pessimisme collectif, et une grande défiance vis-à-vis de des pouvoirs politique et médiatique. Cette défiance est partout, la confiance nulle part dans une atmosphère quasi dépressive. Les médias renvoient d‘ailleurs en permanence cette image d’un pays qui serait l’enfer, ce qui personnellement me rend perplexe…
Pourquoi ? Cela me conduit à m’interroger autour de deux questions 2Mais comme chercheurs et politologues se trompent régulièrement autant que moi…. La première, n’est-ce pas la faible efficacité d’un État français hypercentralisé, malgré des dépenses publiques considérables, qui érode la confiance ? La seconde, n’est-ce pas la crise éducative, liée aussi à ce centralisme (réformite aigüe, approches pédagogiques inadaptées), qui créé de la rancœur et de la défiance ?
Passer son temps à réclamer plus de moyens pour les services publics sans s’interroger sur leur organisation et leur efficacité est-il le bon choix ? Le secteur de l’ESR, clairement sous financé, n’échappe pas à ce constat. Quant à l’éducation, le fait même que dans ce pays, on ne retienne que le nom du ou de la ministre est le signe inquiétant d’un centralisme hors d’âge. Comment a-t-on pu, depuis des années et avant JM Blanquer, ne pas régler la question décisive de la formation des enseignants 3Je dois avouer que j’ai fini par décrocher au vu des méandres des réformes successives et des changements de noms. Ce n’est pas la raison mais le déficit de candidats en est le triste symbole ?
La crise éducative ne se résume pas en effet à un déficit de moyens et/ou d’heures de maths, mais bien à un problème de sens. Selon l’étude PISA, la France est l’un des pays où les élèves “ressentent le moins de soutien de la part de leurs enseignants pour progresser dans les apprentissages. Ainsi, moins d’un élève sur quatre en France (un sur trois, en moyenne dans les pays de l’OCDE) déclare que son professeur lui indique ses points forts.” Tout ceci n’a pu que générer depuis des années un manque de confiance en soi généralisé qui débouche naturellement sur une défiance croissante, surtout dans les milieux les plus défavorisés.
4 premières mesures d’urgence.
Que faire, comment faire ? E. Macron, dans son discours de dimanche soir, a parlé de « libérer les forces académiques » et évoqué de façon plus générale la nécessité de libérer et planifier. Il va se heurter à un milieu académique plutôt fracturé en 2 blocs, dont l’un très organisé autour de J-L Mélenchon, le Rassemblement national étant très faible dans l’ESR. Mais comme toujours, le véritable levier de changement, ce sont les étudiant(e)s qui sont à mille lieues des ‘casseurs’ de la Sorbonne et de Condorcet. Une grande partie s’est abstenue, c’est la seule certitude, et je ne suis pas certain que la crise climatique les préoccupe de façon homogène. Par contre, l’autre certitude, c’est qu’ils/elles sont polarisés sur leur insertion professionnelle. Il est d’ailleurs frappant de voir les votes « virtuels » au 1er tour dans certains IEP pour J-L Mélenchon ou à HEC pour E. Macron : ils montrent simplement que ces établissements ne réflètent en aucun cas la réalité étudiante.
Ma spécialité n’est pas l’exégèse de la « libération » et donc je vais livrer mes conseils au Président, et à son futur ou sa future ministre. Précision utile : je n’ambitionne pas d’être élu Premier ministre 🤭 ! Mais je pense que 4 mesures fortes permettraient de « décontracter » l’atmosphère. Il y en a bien d’autres mais commençons par celles-là.
1) Planifier la fin des inégalités de financement
Dans ce sens, la planification est un outil utile en donnant de la visibilité, de la clarté et de la transparence à une priorité assumée. Ces inégalités de financement sont évidentes :
- entre les universités et les autres composantes de l’ESR ;
- entre les étudiants de licence et ceux de CPGE (entre autres) ;
- entre les salaires des enseignants-chercheurs et chercheurs de ceux des autres catégories de fonctionnaires (ceux des professeurs de Chaire supérieure en CPGE par exemple).
Et bien sûr, en profiter si je puis dire, pour se mettre au niveau des rémunérations de leurs collègues étrangers. Quant à l’alignement en termes de pourcentage du PIB 4Avec 1,4 % du PIB consacré en 2016 à l’enseignement supérieur, la France est dans la moyenne des pays de l’OCDE. Elle devance des pays comme l’Espagne (1,2 %), l’Allemagne (1,2 %) ou l’Italie (0,9 %). La Norvège (1,9 %), le Royaume-Uni (1,7 %), les Pays- Bas (1,7 %), la Finlande (1,7 %) et la Suède (1,6 %) y consacrent en revanche une part plus importante de leur PIB. Par contre, la comparaison des dépenses annuelles par étudiant ne donne pas tout à fait la même hiérarchie des pays : l’Allemagne dépense plus par étudiant que la moyenne des pays de l’OCDE et de la France mais cela représente au total une plus faible part de son PIB. Quant à la recherche, avec 0,75 % de son PIB pour le public (1,03% en Allemagne) la France décroche avec 2,2 % de son PIB, contre 3,2% en Allemagne… Avec un lourd handicap français côté R&D des entreprises., il consiste là aussi à prendre en compte une inégalité manifeste et à revoir les modalités du CIR comme le préconisent de plus en plus d’économistes.
Tracer ces lignes directrices, les planifier, autour de la réduction des inégalités marquerait une véritable rupture.
2) Transformer les conditions d’études des étudiants des universités
Attention au concours des fausses bonnes idées ! La campagne a été une foire à la démagogie à, propos des aides aux étudiants. De ce point de vue, la proposition dans Le Monde de Philippe Aghion d’un « revenu universel de formation » pour « promouvoir l’autonomie des jeunes » n’est pas pertinente. L’argument est celui d’une « réallocation de cette dépense [publique] vers davantage d’investissement dans l’autonomie et la formation des jeunes » ce qui serait « fondamentalement progressiste », en étant « de nature à stimuler notre potentiel d’innovation et donc notre croissance à long terme. » Il cite l’exemple des étudiants normaliens ou polytechniciens, « presque toujours issus de milieux favorisés », et qui touchent déjà un salaire.
Ou comment une bonne intention (aider les étudiants) risque de se transformer en cauchemar : l’histoire démontre qu’à chaque fois, ces débats nécessaires sur la refonte de l’aide sociale ont servi à divertir l’attention de ceux (beaucoup plus cher !) sur leurs conditions d’études. Si les étudiants des universités ne voient pas ces dernières s’améliorer significativement, à quoi servirait-il de réévaluer fortement leurs aides sociales ?
De quoi les étudiants des universités (parce qu’il s’agit d’eux) ont-ils besoin ? De locaux adaptés et rénovés, d’enseignants avec des personnels de soutien en nombre suffisant, mais aussi qu’ils puissent réellement évaluer leurs enseignements. Et enfin des moyens suffisants pour des services d’admission dignes de ce nom et des services d’aide à l’insertion professionnelle efficaces.
Allez M. le Président, un effort : la diversité sociale est à l’université, pas à Sciences Po, à HEC, ou à l’X. Montrez que vous êtes capable de faire des plans pour cette diversité sociale et ethnique, là où c’est le plus nécessaire. A l’université.
3) Libérer le secteur du centralisme
Parmi les ressorts de la défiance qui règne partout, et évidemment dans l’ESR, outre ces inégalités, il y a une dimension essentielle qui est le développement de l’hydre bureaucratique, autour d’un centralisme quasi soviétique.
Il suffit simplement de rappeler cette note de service au BO du 17 février 2022 sur le « déroulement de la carrière des personnels titulaires des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques, pédagogiques, sociaux et de santé du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ». Lisez-là, ça vaut le coup.
Il faut ajouter encore l’avalanche d’enquêtes et de retours demandées par les différentes strates d’administration centrale, dont le clou est la nomination de référents. Référent pour le « centre » bien évidemment… Je vous laisse consulter en fin de ce billet, un petit résumé du degré d’absurdité auquel font face les établissements, et par voie de conséquence leurs personnels.
C’est là que l’on peut comprendre que l’autonomie des universités, loin d’être un fardeau pour les personnels, serait au contraire une libération. C’est bizarre, c’est d’ailleurs ce qu’il se passe dans tous les pays comparables (pas en Russie évidemment…). On a attribué cette phrase au général américain Omar Bradley : « Amateurs talk strategy. Professionals talk logistics.” Un effort M. le Président : la réforme de l’Etat, c’est du concret. Si quelqu’un peut lui transmettre 😀.
4) Mettre de l’ordre dans les appels à projet
C’est sans doute le vrai défi. Doit-on rappeler que l’assèchement budgétaire de l’ANR pendant des années a eu des conséquences catastrophiques pour les chercheurs, y compris en termes psychologiques ? Si la remise à niveau de l’ANR et la clarification de ses objectifs sont une très bonne nouvelle, la technostructure a été prise d’une folie bureaucratique, toute question devenant l’objet d’appels à projets, à l’image du dernier sur le « Soutien aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles » !
Aujourd’hui, de l’argent coule à flots mais dans des conditions telles que les communautés s’épuisent, que la traçabilité est de plus en plus difficile et que, comble de l’ironie, plus personne ne retient les moyens accordés, mais bien plutôt les contraintes de gestion. Plus généralement, alors même que les échos des campagnes de recrutement montrent un niveau rarement atteint (en dehors des habituels cas de copinage), il est temps de laisser du temps aux enseignants-chercheurs et chercheurs.
Alors M. le Président, mettez fin aux délires qui minent le moral des communautés académiques : faites-leur confiance.
Vous avez une question je crois : « on connaît ce milieu, on ne sait jamais où va l’argent ». Relisez les rapports de la Cour des comptes : c’est parce que l’on contourne sans cesse les universités en créant des dizaines de structures que plus personne ne s’y retrouve, y compris dans les PIA. Les universités sont perfectibles ? Et l’Etat central non ?
Petit inventaire bureaucratique que mes lectrices et lecteurs pourront compléter…
Il va de soi que telle ou telle demande de remontées d’informations et/ou de données prise isolément est tout à fait défendable : mais cette vision d’ensemble témoigne surtout d’une vision totalement centralisatrice. Merci à Laurent Carraro pour ce signalement, malheureusement non-exhaustif…
- Projet annuel de performance
- Rapport annuel de performance
- Dialogue stratégique de gestion (phase 1 et 2)
- Enquête financière ministérielle PAP/RAP
- Enquête ministérielle sur le contrôle interne
- Enquête de la direction des achats de l’état (DAE)
- Enquête du CFC (centre français d’exploitation de la copie)
- Enquête ministérielle sur les données de la recherche
- Bilan à mi-parcours HCERES
- L’enquête insertion professionnelle qui a fait l’objet d’une convention avec le SIES.
- Les remontées SISE – inscrits au 15 janvier et résultats en cours
- L’enquête PSTAGE (avec OSE) à la demande du Ministère
- Le P2CA (projet connaissance des coûts) et bientôt la compta analytique apprentissage à transmettre mi-juillet -> Ministère et France Compétences.
- Les enquêtes ponctuelles comme celle de l’Agence Française Anticorruption, l’enquête Handicap, l’enquête de la DRESS sur la formation des mandataires à la protection judiciaire, l’enquête sur les boursiers…
- Les demandes ponctuelles du rectorat, celle sur la réforme de santé, le suivi d’étudiants dans le cadre de Parcoursup,…
- Enquête liée à la CVEC (audit MESRI) et les diverses enquêtes de la Cour des comptes (dont financement recherche Covid).
Il faut évidemment ajouter les demandes du HCERES, de la CTI et bien sûr les référents sur tous les sujets…
Références
↑1 | A ce propos, il est de bon ton dans certains cercles de se moquer des électeurs/rices de MLP dans les campagnes et certaines périphéries des villes, en raison de leur niveau de diplôme. Je remarque que les « casseurs » des locaux de l’EHESS à Condorcet, ou encore les militants pro-Poutine sont issus d’abord des milieux éduqués… |
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↑2 | Mais comme chercheurs et politologues se trompent régulièrement autant que moi… |
↑3 | Je dois avouer que j’ai fini par décrocher au vu des méandres des réformes successives et des changements de noms. Ce n’est pas la raison mais le déficit de candidats en est le triste symbole |
↑4 | Avec 1,4 % du PIB consacré en 2016 à l’enseignement supérieur, la France est dans la moyenne des pays de l’OCDE. Elle devance des pays comme l’Espagne (1,2 %), l’Allemagne (1,2 %) ou l’Italie (0,9 %). La Norvège (1,9 %), le Royaume-Uni (1,7 %), les Pays- Bas (1,7 %), la Finlande (1,7 %) et la Suède (1,6 %) y consacrent en revanche une part plus importante de leur PIB. Par contre, la comparaison des dépenses annuelles par étudiant ne donne pas tout à fait la même hiérarchie des pays : l’Allemagne dépense plus par étudiant que la moyenne des pays de l’OCDE et de la France mais cela représente au total une plus faible part de son PIB. Quant à la recherche, avec 0,75 % de son PIB pour le public (1,03% en Allemagne) la France décroche avec 2,2 % de son PIB, contre 3,2% en Allemagne… Avec un lourd handicap français côté R&D des entreprises. |
Concernant le le véritable levier de changement, ce sont les étudiant(e)s il est tout à fait juste d’écrire que la crise climatique ne les préoccupe pas de façon homogène. S’il existe bien des initiatives étudiantes face au réchauffement climatique, elles émanent majoritairement des élèves en grandes écoles, et les actions participatives concrètes en ce domaine mobilisent malheureusement trop peu en universités.
Oui les étudiants semblent d’abord en demande d’enseignants pédagogues et bienveillants.
C’est très souvent le cas sur les campus de proximité (dans les villes universitaires d’équilibre) mais à la seule charge des collectivités locales et des universités elles-même, puisque l’État ne reconnait jamais cet effort des établissements dans cette forme de démocratisation de l’accès aux études supérieures.
Concernant la mesure de libéralisation du centralisme, je propose la création du SOS (Service Opérationnel de Simplification) placé en service commun DGESIP/DGRI, avec un chef de service ayant rang de sous-directeur. Ce service regroupera un collège de RAS (Référents Associés à la Simplification) qui aura pour objet de suivre et vérifier la simplification des procédures et sollicitations des administrations centrales ou rectorats.
Il travaillera évidemment en lien étroit avec le SG, la DGRH, la DAF, la DAJ, sans oublier le regard de Bercy avec le CBCM.
Chaque référent sera chargé de plusieurs établissements ou organismes et réalisera des enquêtes régulières afin de suivre l’action de simplification, de façon à compléter une série d’indicateurs qui pourra être mise en forme par le SIES. Les référents articuleront leurs actions avec les recteurs délégués à l’ESRI, notamment dans le cadre du DSG.
Sans oublier l’Igesr qui pourra auditer régulièrement le dispositif.
Et grâce à tout cela, on aura créé quelques emplois supplémentaires en administration centrale et fait travailler un peu plus les opérateurs pour compléter des questionnaires 😉
Ce n’est pas une bonne idée ?
Cher Laurent Carraro, désolé mais ne manque-t-il pas un conseil d’orientation et un conseil scientifique ?
Mince, j’ai oublié l’essentiel…