Entre les messages peu enthousiastes de F. Vidal et A. Petit lors de la convention des SATT, le silence des dirigeants du MESRI et des organismes sur les alliances de recherche, ou encore la volonté de clarifier la question des multitutelles (UMR, propriété intellectuelle), le millefeuille entre-t-il dans une nouvelle période ? Depuis 30 ans, les pouvoirs publics n’ont toujours pas tranché et ont passé leur temps à inventer des dispositifs pour contourner les universités. Cela est-il encore tenable ?
Le rapport Lewiner sur les aides à l’innovation préconisait de ne pas remettre un euro dans la machine en supprimant des structures et/ou des dispositifs afin de ne pas déstabiliser encore plus. Cette approche, celle d’une stratégie “douce”, se heurte pourtant aux tensions générées par un système de plus en plus incompréhensible. Pourquoi de plus en plus incompréhensible ? Parce que les acteurs avancent chacun leurs pions dans des logiques dont on peine à saisir la logique.
Les SATT dans le collimateur
Les SATT incarnent ces contradictions et les messages de soutien ressemblent en ce moment au “baiser de l’ours”. Lors de leur convention de novembre, Frédéric Vidal a tenu un discours pour le moins critique, derrière les félicitations de façade. Elle leur demande de resserrer les liens avec les acteurs locaux et de partager les stratégies et les priorités de ces acteurs. Ce qui signifie qu’elles se sont un peu autonomisées… Et elle préconise de mettre un terme aux “rivalités internes” entre SATT, organismes de recherche, universités et incubateurs.
Soulignons au passage que les SATT communiquent logiquement sur une marque qui n’est pas celle de l’université. Conséquence ? Les universités qui déjà rament fort pour émerger dans l’opinion publique et chez les décideurs économiques sont aussi perdantes en termes d’image ?…
Et pour être bien comprise elle pointe la structure des dépenses des Satt qui “doit aussi être étudiée avec attention” en regrettant des exemples de dérives de frais de structures “à déplorer avec pour conséquences premières une atrophie des fonds réellement consacrée à la maturation”. On a connu soutien plus enthousiaste !
C’est un secret de polichinelle : les 14 SATT continuent de faire jaser depuis qu’AEF a révélé en octobre 2016 les salaires des dirigeants. Validés à l’époque par l’État, ils varient de 10 200 à 11 500 euros bruts à Paris et de 8 300 à 8 900 euros en province, plus une part variable ainsi que certains avantages en nature. Signe du malaise, il y a eu une valse des dirigeants depuis quelques mois qui n’a d’équivalent…que chez les dirigeants de Business schools (ça peut consoler certains).
Même si le SGPI Guillaume Boudy souligne “des résultats indiscutables”, (518 M€ dépensés sur les 860 M€ prévus), il prévient que 200 M€ seront attribués aux Satt “les plus pertinentes”... Bref, des SATT pourraient disparaître.
Le PDG du CNRS Antoine Petit en a remis une couche en pointant une contradiction majeure, celle d’“imaginer que les activités de transfert sont rentables” car “il n’y a pas un pays au monde où cela arrive.” Et coup de pied de l’âne aux SATT et à la CPU (bonjour l’ambiance !) : “arrêtons de nous demander si les SATT ont été créées pour renforcer les relations entre universités et organismes car ce n’est pas leur rôle”. Une allusion directe à la convention signée entre les SATT et la CPU qui fait bondir plus d’un responsable de l’ESR…puisque les universités en sont actionnaires !
L’injonction de l’ESR français : se coordonner
Peut-être faudrait-il envoyer la sonde Insight non sur Mars mais dans l’ESR français ? Elle pourrait ainsi explorer les entrailles du millefeuille français de l’ESR, mesurer les flux de contradictions en provenance des 35 000 villages gaulois. Car le fil rouge depuis plus de 20 ans a été, pas seulement sur la valorisation et l’innovation, la création de structures comme le résume magistralement ce schéma de la Cour des comptes :
Une fois ces structures créées, le maître-mot est de coordonner : quel responsable, ou pas d’ailleurs, n’a connu ces réunions de coordination interminables ? Vision négative ? Ce n’est pas une recherche sociologique, historique, économique mais la dure réalité des témoignages recueillis depuis près de 20 ans.
Des Alliances de recherche cache-sexes des organismes
Prenons, en plus de la valorisation, l’exemple des Alliances de recherche. Bien sûr, elles jouent un rôle pour mettre d’accord les organismes de recherche sur la programmation de l’ANR ou encore sur la stratégie en matière d’infrastructures de recherche.
Mais l’annonce du plan IA à hauteur de 665M€ jusqu’en 2022 le confirme : les alliances de recherche, en l’occurrence Allistene, s’effacent au profit d’un opérateur national, l’Inria. Le MESRI entérine un état de fait : ce sont les organismes qui sont les acteurs majeurs.
D’ailleurs, lors de son audition préalable à sa nomination à la tête de l’Inserm, Gilles Bloch parlait de politique de site, pas d’Aviesan et des ITMO, cette invention merveilleuse pour faire travailler ensemble des chercheurs de tous les organismes… Et l’on n’a pas l’impression que le souci d’Antoine Petit pour le CNRS soit les Alliances, tant il est engagé dans ses relations, difficiles par les temps qui courent, avec les universités, en particulier les Idex.
Au lieu de trancher sur les périmètres des organismes on a donc créé, certes sans personnalité morale, une autre couche. Il suffit d’aller sur les sites web des Alliances pour comprendre, à de rares exceptions près, leur faible impact, pour ne pas dire rendement. Et encore, je ne suis pas le dirigeant d’une université chinoise ou américaine !
Évidemment, la place des universités dans les alliances est de facto marginale, sauf dans l’alliance des SHS Athena. Au-delà des personnes, c’est donc une fois de plus le pourquoi de la fragmentation du système qui est posé.
Un non-choix depuis 30 ans
J’ai déjà abordé le problème stratégique des relations universités-organismes de recherche. Lors du mouvement “Sauvons la recherche” de 2004 et des assises qui suivirent à Grenoble, s’exprimait déjà la défiance des Académies, des organismes, sans parler des journalistes scientifiques, bref de l’opinion publique de la recherche, vis-à-vis de l’université. La création de l’ANR (2005/2006) était paradoxalement une tentative, outre de faire passer la culture de l’appel à projet en France, de contourner les organismes de recherche, le CNRS en premier lieu.
L’échec de la tentative et l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 modifiaient la donne : ce dernier avait avant son élection tenu une convention consacrée à l’ESR actant la primauté des universités dans une économie de l’innovation. Ceci n’avait pas manqué de cliver la droite, historiquement attachée, à part ses juristes, au CNRS.
La loi LRU visait dans cette continuité à faire de l’université le pivot du système, à l’image des autres pays. Mais cette loi n’a justement pas été au bout de l’autonomie des universités, en raison des résistances diverses et en premier lieu celle des universitaires, y compris des présidents d’université inquiets d’un désengagement de l’État : René Rémond dans l’après 68 avait vu juste… De même, la transformation du CNRS et des organismes en agence de moyens a avorté, si tant est qu’il y a eu tentative.
Résultat, comme les pouvoirs publics n’ont jamais pu/voulu trancher en faveur de ce qui constitue la référence dans le monde entier, le duo “université-agences de moyens”, toutes les initiatives visent en fait à contourner les universités. La nature ayant horreur du vide, on a donc créé une myriade de structures échappant de fait au contrôle et à la stratégie propre de l’université.
Imagine-t-on (ne parlons pas de Harvard !) l’université d’Edimbourg, de Heidelberg, de Liège ou encore le Trinity College gérer ou cogérer les structures inventées chez nous ? Les imagine-t-on copiloter en permanence leurs formations (avec la Dgesip, le SGPI etc.), leur recherche avec la DGRI, le SGPI et les organismes ?
La ministre lors de ses voeux a fait état de son intention d’engager une “simplification” du dispositif de soutien à l’innovation (lire sur AEF): et depuis?
Relire le rapport de Suzanne Berger*où elle préconise entre autre de “créer une interface plus large et plus dynamique entre la recherche et la formation universitaire, et les entreprises” , à condition que cela se fasse “dans le cadre d’une gouvernance cohérente, en veillant à éviter la juxtaposition de structures redondantes”. Elle est clairement pour une interface direct université-entreprise et des SATT ou autres structures bras armé des universités. C’est comme cela qu’autour de Pierre Gohar (directeur des RI à l’UPSaclay) on (l’ensemble des responsables valorisation des établissements membres de cet UPSaclay) avait essayé de structurer nos relations avec les entreprises et les transferts de technologie.
* rapport S Berger (01/16 remis à T Mandon et E Macron alors ministres): https://drive.google.com/open?id=1bQUoAlysLjZxiJCB48Y-egCVLGY3OZO7
Vous pouvez lire aussi ce que j’écrivais à ce sujet en février dans le blog que je co-anime : https://questions-esri.blog4ever.com/280118-innovation-quelques-refexions
La loi LRU est effectivement restée inachevée car elle visait à mettre au centre du système ESR les universités, comme c’est le cas partout dans le monde (je répète, partout sans exception !). Et la loi Fioraso de 2013, bien que ne revenant pas sur la maigre autonomie accordée aux universités les a plongées dans un processus de concentration-fusion dévastateur en terme d’énergie et passablement inutile de surcroit.
En France, le problème est que toute création de structure crée en même temps chez ces structures une volonté d’autonomie et d’indépendance. S’ensuit la nécessité de coordonner, pour la plus grande joie de l’administration. L’enchevêtrement est complet au bout de quelques années. Les SATT en sont un magnifique exemple. Ce sont des filiales des universités, mais celles-ci, trop faibles en ont souvent perdu le contrôle. Et voir la Conférence des présidents d’universités (CPU) signer une convention avec les SATT, filiales des universités qu’ils président est en effet surréaliste, pour bne pas dire franchement comique !
Je serai plus indulgent avec les alliances, qui remplissent un certain rôle. Au départ, seule l’alliance concernant les sciences du vivant avait semblé nécessaire, car la présence de trois grands organismes (CNRS, INSERM et CEA) sur le même champ posait, et pose d’ailleurs toujours, réellement problème. La volonté de ne pas accorder la personnalité morale venait justement d’une grande méfiance à l’égard de toute nouvelle création de structure. Coordonner semblait suffisant. La véritable erreur a été ensuite de créer des alliances dans tous les secteurs, dans une manie bien française de symétrie et de complétude administratives.
L’incapacité chronique des universités à prendre réellement en main leur propre destin, et surtout à assumer toute les responsabilités de leur autonomie a été sous-estimée au moment de la loi LRU.
Un autre point également, davantage lié aux relations universités- organismes : tant qu’on n’acceptera pas de clarifier d’une façon ou d’une autre la distinction entre universités de recherche et universités de formation (là aussi cette distinction domine à peu près partout dans le monde), on ne pourra pas faire avancer la question des relations entre organismes et universités. Car bien entendu les organismes ne peuvent se transformer en agence de moyens au service de toutes les universités, y compris les plus modestes en termes d’activité de recherche. Le problème serait posé très différemment si l’on identifiait plus explicitement une douzaine d’universités de recherche. Elles seraient les interlocuteurs privilégiés et prioritaires des organismes, qui ont raison d’être effrayés d’une disparition-absorption dans un ensemble d’universités complétement hétérogènes du point de vue des activités de recherche. J’entends déjà les arguments défendant le fait que dans l’enseignement supérieur la formation doit s’appuyer sur la recherche. Mais qu’est que cela veut dire ? La plupart des étudiants recherchent des formations susceptibles de leur donner un accès correct au marché du travail, et le lien avec la recherche de haut niveau semble tout de même souvent assez ténu, comme en témoigne par exemple nombre de formations, universitaires ou dispensées en grandes écoles, qui procurent un excellent taux d’insertion de qualité à leurs diplômés sans pour autant que les professeurs qui y enseignent soient en tête des classements des publiants.
A rajouter cette déclaration de Didier Roux rapportée ce jour par AEF: Comment des hauts fonctionnaires ont pu lancer ces structures alors que dès le début des personnes spécialistes du domaine disaient clairement que le modèle n’était pas viable (voir notamment le rapport Belat-Tambourin)? Une dérive du PIA vs le MESRI?
“Les structures du PIA que ce soit les Satt, les IRT ou les ITE, sont des bombes à retardement pour le futur. Que va-t-on faire des salariés qui ont été embauchés quand on se rendra compte que ces outils ne fonctionnent pas et qu’on n’est pas capables de les entretenir financièrement ?”, s’interroge Didier Roux. L’ancien directeur de la R&D et de l’innovation de Saint-Gobain s’exprime lors des Assises de l’innovation, organisées par le Collectif Innovation, lundi 3 décembre 2018 (1). “Il serait temps de s’en préoccuper avant que ce mur n’arrive devant nous”, s’insurge-t-il.