No Comments

L’élection sans opposition (comme en 2008 et 2016) et sans beaucoup de débats du nouveau bureau de la CPU (Gilles Roussel, Christine Gangloff-Ziegler et Olivier Laboux) traduit-elle une situation apaisée ou bien l’existence de divergences insurmontables entre universités, divergences qui ne s’exprimeraient plus en son sein ? Au-delà des questions de personnes, c’est l’occasion de prendre du recul sur les clivages qui traversent cette institution (et cette fonction) à la fois respectée, crainte et dénigrée. Et de comprendre pourquoi le clivage réel n’est pas entre “petites” et “grosses” universités.

J’avais évoqué il y a quelques semaines le fait que les Grandes écoles étaient plus que jamais écartelées entre des intérêts contradictoires. La CPU n’échappe pas à cette logique, produit de l’émiettement du système français d’ESR. Mais à la différence de la CGE qui en ouvrant les vannes de l’appartenance à sa conférence traverse une crise d’identité, la CPU connaît des tensions internes depuis son origine.

L’évolution des clivages depuis 50 ans

Le malaise latent à propose de la nature des membres de la CPU (voir infra) en cache en réalité d’autres, beaucoup plus stratégiques.

Dès sa création, centralisateurs et autonomistes vont s’affronter au-delà des clivages politiques classiques de l’époque, puisque Georges Vedel (Paris II Assas) s’opposera par exemple à René Rémond (Nanterre) sur les diplômes nationaux, rejoignant les présidents d’université membres du Snesup, alors très nombreux.

Dans les années 70 à 90, les divergences internes à la CPU ont procédé très souvent d’une combinaison entre des préoccupations disciplinaires d’établissements (souvent découpés à la hache de l’après 68) et/ou l’appartenance politico-syndicale des présidents.

Avec les années 2000, tout ceci va se transformer, sans disparaître totalement. La LRU de 2007 va en particulier être approuvée de façon très consensuelle par les présidents d’université, quelle que soit leur sensibilité politique.

Mais un nouveau clivage va peu à peu émerger par la conjugaison de l’autonomie nouvelle et partielle avec les programmes du PIA, notamment les idex. Le choix des pouvoirs publics de constituer de grands pôles de recherche autour des forces des organismes, va modifier (complexifier selon certains) le paysage de l’ESR.

Idex, isite, labex, et tous les appels à projet redessinent une carte avec d’un côté des établissements obtenant des financements complémentaires et d’autres non : place désormais à des stratégies d’établissement et des choix parfois douloureux.

Petites et moyennes universités (représentées aujourd’hui par l’AUREF) et grandes universités de recherche représentées par la CURIF se sont donc structurées peu à peu pour peser dans un débat dans lequel la CPU cherche en permanence le point d’équilibre…qui ne satisfait personne. Résultat, le cabinet et les directions du MESRI doivent faire en réalité avec une multitude d’interlocuteurs.

Des divergences irréductibles ?

Les divergences en 2019 semblent avoir atteint un point de non-retour (par exemple sur la tutelle des UMR), la CURIF étant ostensiblement et volontairement absente du bureau de la CPU… Désormais, ce clivage interne à la CPU remplace celui, historique, de la traditionnelle réunion des présidents Snesup ?.

Aujourd’hui, les 35 “petites et moyennes” universités de l’AUREF ont le sentiment d’être mal traitées et craignent d’être “siphonnées” en termes d’étudiants et de budget par des mastodontes, avec la hantise de “collèges universitaires” face aux “vraies universités”.

Les 18 universités de la CURIF revendiquent quant à elles des spécificités recherche qui justifieraient un traitement différent et avancent leur rôle de porte-étendard de la France, craignant d’être freinées dans la compétition internationale.

Reste une partie des universités qui ne se reconnaît et/ou n’entre pour l’instant dans aucune de ces catégories. Si l’on ajoute les tensions liées aux politiques de site (comme entre l’université Grenoble Alpes et l’université Savoie-Mont-Blanc, ou en Bretagne-Loire), difficile d’avoir un débat serein.

On a donc un psychodrame permanent dans les couloirs du MESRI, psychodrame parfois public. Mais petites contre grandes, est-ce la bonne grille de lecture ? Là encore, il faut peut-être se méfier des schémas prêts à l’emploi.

Des typologies obsolètes et un vrai clivage

Les typologies habituelles d’universités ont-elles encore un sens comme l’avait analysé un rapport (polémique) de l’IGAENR en 2016 ?

De fait, on voit se dessiner un paysage nouveau avec des universités petites ou moyennes qui se spécialisent sur des niches avec des points forts en recherche et/ou en formation. Un bon exemple est l’université de La Rochelle qui doit faire sa place entre Poitiers (dont elle fut une antenne) et Bordeaux. Elle a conçu un projet audacieux, risqué même, de transformation radicale autour du “littoral urbain durable intelligent”.

Ces spécialisations plus ou moins développées et/ou assumées peuvent être appuyées par des financements du PIA (l’Isite de Pau par exemple), ou pas (La Rochelle) mais aussi par les organismes, les régions ou encore l’Europe.

Côté universités de recherche (qui doivent également faire des choix), les profils sont aussi très différents : certaines ont par exemple des IUT, ce qui n’est quasiment pas le cas à Paris (en dehors de Paris Descartes et un peu Paris Diderot), toutes n’ont pas d’idex, voire sont engluées dans les difficultés du site comme Toulouse Paul Sabatier.

Une partie des établissements a cependant du mal à définir une stratégie et faire des choix, qui peuvent parfois être compliqués. Prenons l’exemple de la spécialisation : elle suppose pour réussir non seulement de réaffecter des moyens sur ces priorités mais surtout de faire accepter en interne le fait de n’être pas sur tous les terrains. Ces choix concernent autant les universités de recherche intensive que les “petites et moyennes” universités.

Le véritable clivage qui émerge (voir mon billet sur l’autonomie) est celui entre établissements (et présidents) toujours tournés vers l’arbitrage de l’État, incapables de formuler et mettre en œuvre une stratégie, et les autres : malgré les limites que j’ai soulignées, les rapports HCERES, si on sait les lire, en disent long.

Et si on les complète par ceux de l’IGAENR, on découvre souvent des établissements incapables de prendre des décisions nécessaires sur leur stratégie de recherche, leur carte des formations, sur les heures complémentaires etc…

Pour avoir visité et connaître quasiment tous les établissements français, je peux témoigner qu’il ne s’agit pas d’un “match” entre gros et petits ! On pourrait même imaginer (j’y reviendrai dans les semaines qui viennent) que de petites et moyennes universités entreprenantes, attendant du MESRI non pas une stratégie mais un soutien, fassent bouger le système.

Quels modes de financement ?

Cette différenciation porte en elle un choix majeur que ni les pouvoirs politiques, ni les présidents d’université n’ont pu ou osé assumer collectivement : celui des modes de financements, et derrière celui de modèles différents d’établissements aux missions qui ne sont plus tout à fait les mêmes.

Universités territoriales, de proximité, spécialisées, de recherche, quelle que soit la dénomination, chacun juge être dans son bon droit et campe sur ses positions. Si les besoins de financement ne sont pas équivalents selon la taille, les missions, il reste que le sous-financement des universités est partagé par tous.

Les questions sont nécessairement multiples et je me garderai bien d’y apporter une réponse ! Mais les poser est indispensable.

Il est évident que les universités dites de recherche intensive disposent de moyens sans commune mesure (apport des organismes, PIA, ANR, ERC par exemple) avec ceux des autres universités mais avec des coûts indirects énormes. Faut-il augmenter les préciputs (overheads) des appels à projet à une hauteur de 40 à 50%, au lieu de 20% pour l’ANR et 4% pour le PIA ?

Il est non moins évident que certaines universités font face à la fois à un afflux d’étudiants, peuvent avoir des formations innovantes, une spécialisation en recherche qui a un coût etc. D’autres universités perdent des étudiants mais gardent des moyens identiques. Et d’autres doivent assumer un rôle territorial majeur et répondre à une demande sociale forte. Faut-il une allocation des moyens en formation par “tête d’étudiant”, différenciée selon le profil et les résultats de l’établissement (boursiers, nature des études, taux de réussite etc.) ?

Ceci n’est pas exhaustif : mais peut-on financer la formation sur le même modèle que la recherche et réciproquement ? Et peut-on se passer d’évaluations de la performance qui débouchent sur des décisions ?

Le véritable risque d’une CPU divisée

Historiquement, la CPU a toujours tenté de partager une gâteau restreint ou de limiter la casse avec les pouvoirs publics sans jamais rompre le fil du dialogue. Et surtout ménager en interne la chèvre et le chou (comme cette tradition qui a duré des années de l’alternance Paris-province à sa tête). Elle est sommée régulièrement de couper le cordon avec le MESRI (formellement c’est fait depuis la LRU).

Quand j’écoute ou lis les présidents d’université, ils se plaignent à juste titre de la faible place de l’ESR dans la société française et chez les décideurs. Divisés, ils resteront écoutés par le MESRI. Mais divisés, ils sortiront encore plus des radars de la société française en apparaissant une fois de plus comme tournés vers des problèmes internes et abscons.

J’ai de nombreuses fois chroniqué l’incapacité des universitaires à peser dans la société française, avec une image très mauvaise, quels que soient les coups de menton. Peuvent-ils continuer à se faire manger la laine sur le dos par les chasseurs, le opérateurs culturels, l’Armée, la Police et j’en passe ?

Leurs désaccords leur interdiront-ils d’agir de façon convergente, non plus pour se plaindre, mais pour donner envie à la société de miser sur elles ? Ce n’est pas toujours la faute des autres…


Le double malaise de la représentativité de la CPU

Si tous les pays ont une association réunissant les présidents/recteurs d’université (UUK pour les britanniques, HRK pour les allemands ou encore AAU pour les américains), sans parler de l’EUA au niveau européen, la grande, très grande différence, c’est que dans tous ces pays, l’Université est la référence et le modèle dominant.

En France, la qualité de membre y est fixée officiellement par les pouvoirs publics, et la CPU réunit en son sein une partie du ‘millefeuille’ : universités, Comue, écoles, adhérents de la CGE (Dauphine, CentraleSupélec, Polytechnique entre autres), membres de la Cdefi. Enfin, dirigeants nommés et élus sont ainsi censés y coexister. En réalité, elle représente surtout les universités et des établissements qui se revendiquent de cette culture liée à la recherche.

Il faut préciser, source de nombreuses incompréhensions, que la CPU est la conférence des présidents, pas des universités, et que même élus (tous ne le sont pas à la CPU), comme leurs homologues nommés des organismes de recherche, ils dirigent des établissements dépendant essentiellement de fonds publics et restent sous la tutelle de l’État.

Soulignons par ailleurs la légitimité de ces présidents qui sont élus dans leur établissement avec une participation beaucoup plus importante que dans n’importe quelle structure de l’ESR (CTMESR, CTU, CNU, CoNRS etc.). J’ai toujours trouvé curieux que les défenseurs de la “démocratie universitaire” leur fasse un procès en illégitimité dès lors qu’une de leurs décisions ne va pas dans leur sens.

Critiqués, honnis voir haïs, souvent traités de bureaucrates, les présidents d’universités font pourtant un métier (oui c’est un métier !) incroyablement compliqué, sans doute plus que celui des maires, qui ont des citoyens à gérer, pas des troupeaux de chats.

Passons sur la nature des débats à la CPU, qui ont toujours été, selon les témoignages que j’ai recueillis depuis plus de 20 ans, inégalement intéressants et de niveau très variable ?. Ce sont les commissions de la CPU qui permettent depuis toujours d’affiner les réflexions et de préparer les votes.

Le modèle 1 établissement/1 voix s’y applique contrairement à la représentation allemande de la HRK dans laquelle existe un système mixte, avec une AG mais un Sénat où 1 établissement n’égale pas 1 voix, tout ceci au profit des universités. D’où un double malaise :

  • une partie des 74 universités (pas seulement celles dites “université de recherche intensive”) n’accepte pas de “valoir” autant que des écoles, des grands établissements (avec Science Po ou l’X par exemple) ou encore des regroupements (23 dont 18 Comue). Notons cependant que l’assiduité des membres de droit de la CPU, “non universités” est très faible…
  • au sein des universités, certaines “grosses” universités par la taille et le budget acceptent mal de “valoir” autant qu’une petite…

Laisser un commentaire