Une audition importante de S. Retailleau devant une commission de l’Assemblée : presqu’aucun parlementaire présent. Un événement co-organisé par une université, en l’occurrence Paris-I et un média national, Libération : aucun débat sur la recherche et l’enseignement supérieur. Pourtant, cela aurait pu les intéresser, puisque Parcoursup modifie en profondeur notre système : à la sélection « légitime » au niveau du bac se substitue celle des établissements. Côté recherche, les relations MESR-SGPI et universités-organismes sont en train d’évoluer sérieusement. Mais non : l’université n’est pas un sujet majeur, sauf en cas de crise sociale…
Parcoursup est en ce moment dans tous les esprits, des familles, des futurs étudiants, des enseignants et des médias. Il faut souligner une fois de plus combien le traitement médiatique est trop souvent parisien, pour ne pas dire 5ème et 6ème arrondissement. Il est l’illustration saisissante de l’entre-soi : mon fils ou ma fille, les enfants de mes amis, qui sont des génies n’ont pas eu ce qu’ils/elles voulaient. D’où un article, un reportage etc. S’y ajoute cette incompréhension relayée de bonne ou de mauvaise foi sur le fait qu’un algorithme (secret bien sûr) gère tout et décide…
Personne n’ira consulter les travaux du CESP qui a comparé les systèmes étrangers, à part peut-être Le Monde qui vient de décrire le système anglais UCAS. Certains découvrent ainsi, les yeux écarquillés ce que toute personne qui se veut informée sait : tous les pays comparables ont un système d’affectation, voire un système sélectif dans lequel les établissements définissent leurs critères.
Le bilan contrasté du ‘nouveau bac’
Essayons plutôt de réfléchir de façon civilisée et rationnelle, ce qui n’exclut pas les divergences, comme le font Pierre Mathiot directeur de Sciences Po Lille et surtout concepteur de la réforme du bac, et Sophie Vénétitay secrétaire générale du SNES-FSU, dans La Grande conversation à propos de la réforme du bac. J’en retiens 2 interrogations autour de la faiblesse de la politique d’orientation au lycée et sur les examens de spécialité qui arrivent très/trop tôt. S. Vénétitay pointe à juste titre un gros problème, l’absentéisme puisque l’enjeu c’est Parcoursup, pas les cours…
Mais il y a un constat de P. Mathiot à méditer : « Il est frappant de voir en effet que les élèves qui reproduisent le plus les séries d’avant, notamment la série S, donc en prenant les spécialités maths, physique, SVT, sont plutôt des élèves de milieux qui ont du capital culturel, voire du capital social ou économique. Et plus on a affaire à des élèves de milieux modestes, plus ils s’approprient, si l’on peut dire, l’esprit de la réforme avec des choix panachés qui n’étaient pas pensables autrefois. »
La réforme du bac, et les élèves, paient au fond l’échec d’une décision mi-chèvre mi-chou sur le contrôle continu, celui qui justement existe … dans l’enseignement supérieur.
Parcoursup : quelle alternative ?
Puisque tout le monde a désormais son bac, on passe de la sélection au lycée à celle plus ou moins affirmée des établissements d’enseignement supérieur. La sélection au niveau du bac était considérée comme légitime, celle des établissements commence à le devenir. Ce sont eux qui peuvent choisir, sans que ne soit remis en cause le droit d’accès. Ou plus exactement, les universités commencent à s’aligner sur les modalités d’accès des autres établissements publics… modalités dont personne ne demande la suppression.
Y a-t-il chez les détracteurs de Parcoursup, de droite ou de gauche, une proposition concrète alternative ? Admettons que l’on crée un nombre de places supplémentaires, comment répartir les demandes ? Que faire pour les filières qui se sont littéralement vidées ? Ou encore faut-il supprimer les quotas de boursiers puisqu’il ne faudrait pas les affecter ?
Parcoursup : l’étape suivante
Quelle sera la prochaine étape ? Nous sommes face à une tendance lourde, qui ne changera pas de sitôt, ce don témoigne la croissance du secteur privé, pour le meilleur et pour le pire. La société, les familles ont complètement intégré le message de Parcoursup, quels que soient les aléas de la procédure, les angoisses naturelles. La sélection est jugée normale mais doit être équitable. Désormais, l’accès à l’enseignement supérieur s’homogénéise : il n’y a plus les universités d’un côté et les autres établissements qui pourraient eux choisir leurs étudiants.
Cela soulève une question majeure : à partir du moment les universités ont et auront de plus en plus la main 1Il est vrai dans certaines filières plus que d’autres qui peinent à remplir., émerge un enjeu stratégique pour elles et la réussite des étudiants. Comment constituer de véritables services d’admission, seule solution pour « soulager » des enseignants qui doivent examiner les dossiers, en L1 et en master ? Mais aussi pour garantir l’équité et la transparence.
S. Retailleau trace sa route …
Il faut écouter et surtout regarder cette audition de S. Retailleau devant la commission d’évaluation des politiques publiques relative à la mission recherche et enseignement supérieur. Elle parle devant une salle vide : visiblement cela n’intéresse pas les parlementaires. Ce constat est terrible pour le 3ème budget de l’État, pour les chercheurs et pour les 3 millions d’étudiants. Quel mépris venant de celles et ceux, ‘woke » ou « anti woke », pro ou anti Parcoursup, pro ou anti LPR, pro ou anti ticket à 1€ etc.
Dommage car cette audition témoigne d’annonces intéressantes de la part de la ministre. Elle précise que « les crédits ouverts et exécutés sur les programmes 150 (« Formations supérieures et recherche universitaire ») et 172 (« Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires ») ont respecté la trajectoire budgétaire de la LPR avec une nouvelle marche de 468 M€ exécutés l’an dernier ». Et elle souligne que l’argent de France 2030 accompagne les chercheurs/euses « de façon non négligeable et forte via les AAP », soit « 5 Md€ pour la recherche en 2022 ».
MESR-SGPI. Avant les arbitrages budgétaires sans doute difficiles, elle confirme que sa « priorité sera de poursuivre la mise en œuvre de la LPR et, si possible, d’en amplifier certaines mesures ». L’air de rien, elle plaide pour « une vision consolidée » des montants de France 2030 qui vont à des laboratoires. Le fait que la DGRI Claire Giry et Bruno Bonnell, SGPI, signent ensemble une lettre de cadrage 2Datée de février 2023, selon AEF info qui la révèle. adressée aux présidents d’organismes de recherche et définissent les contours de l’action « accélération de la recherche à risque », de France 2030 illustre-t-il ce que j’appelais de mes vœux en écrivant MESRI-SGPI il va falloir choisir ? A suivre…
Le rapport Gillet. Comme le révèle AEF, le pré-rapport Gillet propose notamment de « mettre en place les conditions et les évolutions nécessaires pour que les ONR puissent assurer le rôle d’agences de programmes, en plus de leurs missions actuelles d’opérateurs de recherche » mais aussi « organiser de manière cohérente l’interministérialité en assurant au MESR un rôle de chef d’orchestre de la politique scientifique nationale » ou encore (un marronnier !) « mettre en place les conditions d’une gestion simplifiée de l’ensemble des UMR du site et disposer des moyens pour le faire. »
S. Retailleau compte utiliser les PEPR comme des « outils exploratoires », préfigurateurs de ce que seront ces nouvelles « agences de programmation thématiques » qui seront mises en œuvre au niveau des organismes nationaux de recherche, dans le prolongement du rapport Gillet. Celui-ci sera sa « feuille de route pour l’année à venir. Je veux que l’on détermine avec précision d’ici la rentrée quelles seront les thématiques que nous allons développer pour les agences, ou encore sur quels sites nous allons expérimenter les nouvelles règles simplifiées de gestion des UMR », confirme-t-elle.
Pas de ‘grand soir’ mais des petites touches : les résultats seront-ils visibles rapidement ?
Quand les universitaires se tirent une (nouvelle) balle dans le pied
Cela n’aurait-il pas mérité un peu de considération des parlementaires ? Malheureusement, ces derniers ne sont pas les seuls à « snober » recherche et enseignement supérieur. Le 31 mai, Libération avec l’université Paris-I Panthéon Sorbonne a lancé un nouveau rendez-vous : ‘l’Université de Libé’. Au programme du jour : « comment renouer avec le progrès et réparer une société abîmée et fatiguée par une crise sociale ? Une journée donc pour dessiner des idées nouvelles et inventer une société plus responsable, plus solidaire, plus égalitaire et plus inclusive » était-il annoncé.
Je me réjouissais : l’Université et la recherche ne pouvaient qu’y être un thème majeur. L’université Paris-I Panthéon Sorbonne, qui tient visiblement à son image d’université de gauche, dans ses locaux, en présence d’universitaires, ne demande et/ou n’obtient aucun débat sur la recherche et son impact sur les transformations nécessaires de la société face au changement climatique 🤔! Rien non plus sur les 3 millions d’étudiants dans l’enseignement supérieur et les centaines de milliers de boursiers pour qui l’université, malgré ses défauts, joue le rôle d’ascenseur social.
Rien… en plein Parcoursup. Cela en dit long sur la déconnexion d’une grande partie de la gauche des préoccupations de la population. Comme pour les collèges où en réalité elle fait tout pour déroger aux secteurs, l’université ne l’intéresse pas (pas plus que la droite d’ailleurs…) sauf en cas de mouvement social. Faut-il s’étonner du vote RN ?
Plus généralement, quel symbole de l’impuissance des universitaires, incapables de peser ! Si la présidente de l’université Paris-I a eu droit à des miettes de quelques signes dans Libé, c’était juste pour un message convenu sur la liberté et l’indépendance selon lequel « les membres de la communauté scientifique doivent avoir une parole forte, qui porte. » Bah justement, cette parole n’a pas beaucoup porté cette journée ! Faut-il attendre avec impatience l’Université du Figaro, ou plutôt la Grande école du Figaro 😀?
C’est au fond ce syndrome de Stockholm des universitaires que j’avais décrit en 2018. On passe son temps à se plaindre de l’ignorance des réussites de l’université, du mépris de ses besoins, mais on valide implicitement la vision de ses détracteurs. Pendant ce temps, une note d’avril 2023 du Sies-MESR indique que le nombre d’inscrits en écoles de commerce devrait poursuivre sa hausse (+ 2,6 %) tandis que les établissements d’enseignement universitaire privés verraient leur effectif croître de 5,2 %. Tandis que le nombre d’inscrits à l’université va stagner, voire baisser. Une autre façon de régler le problème du sous-financement…
Références
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