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Le monde universitaire n’échappe malheureusement pas aux vérités alternatives et Parcoursup en est une des expressions les plus visibles. Le refus de s’appuyer sur les données réelles de Parcoursup en fait un bouc-émissaire idéal. Il est le nouveau compteur Linky à qui l’on attribue la responsabilité (entre autres) de la sélection sociale, de la sélection tout court d’ailleurs. Le nouveau rapport du Comité éthique et scientifique de Parcoursup mérite une lecture critique certes, mais d’abord une lecture… 

Le complotisme prospère désormais partout et inonde le monde de l’ESR, pas seulement à l’IHU de Marseille… Lorsque la section 22 du CNU dénonce le (nouveau) serment doctoral qui ferait peser des menaces graves “par son existence comme par sa formulation, non seulement sur les libertés académiques, mais aussi sur le diplôme de doctorat lui-même en introduisant le principe d’un contrôle moral de l’enseignement et de la recherche”, on n’en est pas loin. L’outrance est désormais, pour ces universitaires “capés”, le substitut naturel au débat : on peut être pour ou contre, mais de là à parler de contrôle moral… 1Ils accusent ainsi Pierre Ouzoulias, chercheur et sénateur communiste, de ce forfait dans des termes qui du temps des Khmers rouges l’auraient peut-être mené direct en camp. Moi aussi je peux faire dans l’outrance !. C’est un résumé saisissant des débats actuels sur l’ESR (et pas que…). Que l’on retrouve autour de Parcoursup.

Parcoursup : le nouveau champ des vérités alternatives

Il y avait le compteur Linky, coupable de tout (de la hausse des tarifs de l’électricité aux atteintes à la vie privée, en passant par l’existence de maladies chroniques, et j’en passe), il y a désormais Parcoursup : non pas d’ailleurs dans l’opinion publique, mais chez des chercheurs et chercheuses. J’évoque régulièrement les rapports du Comité éthique et scientifique de Parcoursup (CESP). Celui de 2023 portant sur 2022 vient de sortir. Mais comme pour Linky, vous pouvez publier des études sérieuses, argumentées, mettre de plus en plus de données en libre accès, rien n’y fait. On peut évidemment être contre cette procédure, en proposer une autre etc. On peut estimer que l’université ne doit pas sélectionner et accueillir tous les étudiants dans la discipline de leur choix. Mais s’agit-il de cela ?

L’IFé de l’ENS-Lyon vient ainsi de publier un dossier de veille “Parcoursup : réguler et rationaliser l’accès à l’enseignement supérieur”. Il est évidemment quasiment entièrement à charge, même s’il a au moins le mérite de citer comme source les rapports du CESP 2Pas celui de février 2023 sorti concomitamment avec celui de l’Ifé.. Comme pour Linky ou les vaccins, il ne faut retenir que des informations partielles, décontextualisées, voire fausses et ignorer toute donnée qui atténuerait ou contredirait ses affirmations. Ainsi, la progression des chiffres de boursiers dans la procédure est complètement minorée dans un petit encadré : il faut surtout ne pas mettre en avant ce qui pourrait être positif. Car à propos de Parcoursup il faut dénoncer le mal absolu, la ségrégation sociale et la sélection, selon les cas, mais surtout “l’œuvre du duo Macron-Vidal”, LE pécher originel.

Les lectrices et lecteurs de ce blog savent que je n’ai guère ménagé la présidence Macron mais seulement à partir de ce que j’estimais être des faits établis. Or, sur Parcoursup, il ne s’agit pas de vérifier une hypothèse, mais de valider une position politique au prix de contorsions multiples. Ces universitaires ont un engagement militant, dont ils/elles ne se cachent pas, ok : mais l’intégrité scientifique autorise-t-elle de faire l’impasse en permanence sur une lecture approfondie et critique des rapports du CESP ? Même quand ils contredisent leurs idées ? Doit-on rappeler qu’en septembre dernier, l’UNEF qui annonçait traditionnellement des milliers d’étudiants sur le carreau, a fait profil bas : rien, silence radio.

Mais il faut être contre sous peine d’être un renégat partisan de la sélection … D’où parlent-ils ou elles (oui moi aussi je peux faire référence à Dieu, pardon Bourdieu) ? Comme les Miss France sont pour la paix et contre la guerre, ils sont pour la démocratisation et contre la sélection. Parcoursup tombe bien : on a un symbole pour expier sa faute originelle ! Car la plupart ont un cursus en CPGE et viennent évidemment de milieux favorisés. Remarquons, c’est curieux, que dans ces “articles scientifiques”, les auteurs ne proposent jamais de supprimer le sélection dans les cursus “honorum” qu’ils ont suivis…

Un exemple significatif de contradiction

Cédric Hugrée et Tristan Poullaouec, sont les auteurs de “L’université qui vient, un nouveau régime de sélection scolaire”. Ce livre remarqué de 180 pages comprend 195 notes de bas de page. Ils réussissent pourtant le tour de force de ne citer aucun des chiffres de base de Parcoursup (qu’ils dénoncent dès le début évidemment)… En revanche, tout ce qui est militant l’est ! Dommage parce que leur livre, très intéressant, démontre exactement le contraire de ce qu’ils affirment sur Parcoursup et la loi ORE ! Extraits.

L’échec en licence ? Il préexiste à Parcoursup : il concerne surtout les étudiants des classes populaires et s’explique par “les inégalités d’apprentissage de la culture écrite subies” tout au long de la scolarité. Pour eux, la remédiation à l’université ne peut combler les écarts creusés par la “tolérance à l’ignorance” (sic) qui monte dans l’Éducation nationale. Ils plaident notamment pour un “baccalauréat de culture commune”.

La différenciation au sein des classes populaires ? Plus précis, ils relèvent que “les diplômés de l’université d’origine populaire ne se confondent pas avec ceux titulaires d’un BTS” car les bacs généraux y sont majoritaires et les bacheliers à l’heure également. Là encore leur analyse nuancée revient sur ce qu’ils appellent l’appropriation inégale de la scolarisation prolongée au sein des classes populaires. Ils distinguent une fraction supérieure composée des couples où l’un des 2 voir les 2 parents disposent d’un emploi qualifié parmi les ouvriers et les employés pour ceux qui ont un diplôme supérieur au bac plus 2.

“C’est en observant dans le détail les configurations familiales que l’on peut le mieux observer la frontière entre une fraction supérieure des classes populaires, désormais largement concerné par la scolarisation prolongée de ces enfants, et les fractions inférieures des classes populaires, où les pères sont distants de l’emploi qualifié et les mères de l’activité professionnelle régulière.”

Selon eux tout ceci recoupe également des “clivages résidentiels internes aux classes populaires”. Ils observent également dans les classes populaires le poids dans les parcours des différences en matière de logement notamment si l’on est propriétaire ou non si l’on a une chambre individuelle ou non etc.

Tout au long de ce livre, ils démontrent en réalité que Parcoursup n’est qu’un thermomètre, imparfait certes, mais qui n’est pas la cause des inégalités du système. Et l’analyse des chiffres aurait montré aux auteurs (qui se targuent de partir des données !) que Parcoursup n’a, a minima (voir infra) aucunement aggravé la situation. Et que l’enjeu, comme ils le soulignent, c’est le rapport aux études longues.

Mais ces deux auteurs, comme des dizaines de leurs collègues, sont ainsi pris dans un étau idéologique couplé à une absence de courage, qui les fait glisser vers le complotisme. Il faut un bouc-émissaire : cela sera Parcoursup. Cette absence bien connue de courage d’une partie de la communauté universitaire, son endogamie, est illustrée par le débat sur la transparence au niveau des établissements. Il est bien plus aisé de mettre en cause la procédure et le MESR que ses propres collègues…

Partir du réel : région PACA, études de santé et droit

Evidemment, comme d’habitude, la plupart des journalistes et surtout universitaires et chercheurs ne liront pas vraiment le rapport du Comité éthique et scientifique de Parcoursup (CESP) 2023 portant sur 2022 et surtout ne chercheront pas à le comprendre. Trop d’efforts à faire sans doute par rapport à des slogans simplistes…

On peut critiquer ce rapport (en dehors du cafouillage du début, ils sont d’une qualité constante) mais il s’appuie sur des données disponibles non contestables. Si l’analyse peut être discutée, elle a l’avantage de ne rien occulter. Gilles Roussel, son nouveau président, ne cache pas “qu’il y a beaucoup de choses qui peuvent être améliorées”.

Ses 18 propositions méritent effectivement débat lorsqu’il propose de faire disparaître à terme et “de façon législative, le concept même de formation sélective”, de raccourcir encore plus la procédure, d’expérimenter avec des formations volontaires “une transparence plus quantitative des critères définis et utilisés par les commissions d’examen des vœux” lors du classement des candidats…

Mais ces données et ces propositions méritent-elles d’être carrément occultées par l’abondante littérature qui se prétend scientifique et qui inonde les médias ? C’est ce qui nous rapproche du complotisme. Car pour que le débat prospère, encore faut-il donc partir des données et du réel et pas du Vème arrondissement.

En 2021, 19 500 formations ont été proposées sur la plateforme, à 85 % sélectives (soit 62 % du total des places). Dans le détail, 36 % des formations en université sont sélectives, pour la moitié en IUT. “Si l’on considère maintenant les licences non sélectives, il est exact que certaines d’entre elles n’accueillent pas tous les candidats car elles sont ‘attractives’ alors que d’autres ne sélectionnent pas leurs candidats car elles sont ‘peu attractives'”, signale le comité.

Chacun sait que les CPGE peinent à remplir, surtout dans certains secteurs, que les STS ont d’énormes trous dans la raquette et que selon les universités et leurs filières on a les mêmes constats. Pendant ce temps, les effectifs dans l’enseignement supérieur continuent de croître.

Les licences non sélectives 3Sont notamment concernés Pass, LAS, Staps et psychologie. ayant classé leurs candidats sans accueillir tout le monde sont 1 200, soit 6 % de l’offre de formation (19 % des places). Le CESP donne également des arguments convaincants sur les 15% d’étudiants “évaporés” (apprentissage etc.)

En lisant le rapport, on mesure donc le décalage avec le réel de celles et ceux qui font du thermomètre la cause de toutes les maladies. Et passent ainsi à côté des véritables enjeux. Alors, on leur conseille de lire le ‘zoom’ du CESP sur la région PACA et ce qu’il nous dit des pesanteurs du système, de l’insuffisance de places en STS, des effets de territoire, de l’organisation du lycée à l’enseignement supérieur, de la communication des universités. Il fait de même à propos des études de santé (LAS-PASS) ou l’analyse de 95 licences de Droit.

De véritables problèmes sont pointés, d’autres ‘dégonflés’. A juste titre, le CESP rappelle que “les différences d’attractivité entre licences de droit existent et préexistaient avant la loi ORE qui n’a pas entraîné d’évolution majeure sur ce point. Tout au plus, Parcoursup a-t-il rendu cette situation plus visible mais il n’en est pas la cause. En revanche, grâce à la politique des quotas, le nombre de boursiers a augmenté dans ces licences.”

Bien sûr, la procédure, comme tout dispositif (le recrutement des enseignants-chercheurs c’est pas mal non plus !), soulève des questions. Il y a de l’angoisse, du stress, accentué dans notre pays par le culte du diplôme et l’ultra spécialisation dès la sortie du lycée. Mais c’est surtout ce mantra “tu seras médecin ou X ou Y mon fils” qui pèse encore. Le rapport du CESP montre bien comment les familles aisées (ce qui inclut les enfants d’enseignants), bâtissent des stratégies dans la continuité des choix du collège ou du lycée.

Il se penche également sur le problème complexe, mais d’ampleur, des étudiants en reprise d’études, du DAEU etc., des questions qui évidemment n’intéressent personne… Quant au manque de transparence, réel, le rapport renvoie avant tout aux communautés elles-mêmes : visiblement, il est plus facile pour certains de s’en prendre au ministère qu’à ses collègues !

J’y ajouterai quelques observations personnelles :

  •  les universités devront passer de services administratifs de scolarité à de véritables service des admissions comme dans les systèmes universitaires les plus évolués, avec un suivi permanent. Mais pour cela il faut à la fois des moyens et un changement culturel.
  • une offre de formation clarifiée et simplifiée, plus généraliste et moins spécialisée en première année aiderait aux choix : mais les détracteurs de Parcoursup assumeraient-ils de voir leur discipline s’effacer en 1ère année ?
  • les réformes incessantes (Bachelor, BUT, PASS-LAS etc.) créent une anxiété légitime : les établissements à tous les niveaux sont les seuls à pouvoir maîtriser l’information en direction des jeunes et des familles.
  • un “nettoyage” indispensable de l’offre de formations privées s’impose, Parcoursup étant devenu un label.

La duplicité des critiques médiatiques

Pour conclure, il faut souligner une dénonciation de Parcoursup qui suinte le parisianisme médiatique et politique. Elle illustre surtout un biais social évident, au nom évidemment d’une cause noble, “contre la sélection” 😏.  Le rapport 2023 le pointe justement à propos des élèves des lycées dits “défavorisés” : “les plaintes de parents concernant Parcoursup, les articles de presse, et même une partie des articles de chercheurs, tout ce qui alimente le débat public repose sur des exemples et des analyses qui ne concernent ni ces bacheliers, ni ces lycées très défavorisés.”

Car le micro-trottoir n’est pas pratiqué que dans les journaux TV de 20h : il est au journalisme ce que Idriss Aberkane est à la recherche : une faillite déontologique. Et il est alimenté au choix par des universitaires soucieux de régler des comptes, des responsables de classe prépas en mal de défense de l’élitisme, et évidemment de chercheurs voulant prendre la lumière. Eh oui ! D’un côté, on a dans le Figaro les parents de Charles-Edouard ou Bérénice qui s’insurgent contre Parcoursup parce que ce génie de la famille a été refusé « arbitrairement », au choix à H4 ou à Sciences Po etc. Et de l’autre, on a dans Le Monde ou Libération les Orlane et Lou, dont les parents sont visiblement aussi bien lotis que ceux du Figaro qui décrivent leur mal-être, leur stress voire leur dépression face à un système qui les broierait ( on peut relire mon billet de 2018 sur le “panurgisme” médiatique). Je sais, c’est moche 😉 : mais aux concours de prénoms des CSP+, médias de droite et de gauche sont au diapason.

Il faut aussi lire le publi reportage du Monde à la gloire des prépas littéraires … : “Moins élitistes et plus ouvertes au niveau des débouchés, les classes préparatoires littéraire aux grandes écoles captivent, par leur approche pluridisciplinaire, une jeunesse qui privilégie la curiosité aux parcours linéaires.” Heureusement le “quotidien de référence” va bientôt dénoncer une fois de plus Parcoursup et les méchantes universités qui sélectionnent.

L’entre-soi a encore de beaux jours. Pendant ce temps, les Hakim, Boubacar, Fatou ou Zineb n’ont pas trop la parole… Elles et eux vivent pourtant d’autres difficultés, bien plus réelles !

Références

Références
1 Ils accusent ainsi Pierre Ouzoulias, chercheur et sénateur communiste, de ce forfait dans des termes qui du temps des Khmers rouges l’auraient peut-être mené direct en camp. Moi aussi je peux faire dans l’outrance !
2 Pas celui de février 2023 sorti concomitamment avec celui de l’Ifé.
3 Sont notamment concernés Pass, LAS, Staps et psychologie.

2 Responses to “Parcoursup, l’autre ‘Linky’ ?”

  1. Encore une excellente analyse … mais qui fait froid dans le dos !
    Comment des scientifiques peuvent-ils tenir des positions aussi ambiguës ? Refuser la sélection à l’entrée de l’université, mais la défendre pour les filières qui sont destinées à former l’élite (où ils enverront leurs enfants). Refuser d’analyser les données objectives d’une situation mais en tirer des conclusions a priori, correspondant à leur idéologie. Colporter des contre vérités flagrantes : non, aucun bachelier n’est refusé en licence mais il lui est proposé un parcours adapté à son profil. Etc…
    C’est sans doute à l’image de la société actuelle : on ne croit plus en la science, on préfère croire les influenceurs, les complotistes, les démagogues, les populistes.
    Il ne faut donc pas s’étonner qu’une partie des nouvelles générations ne fassent plus confiance à la science … quand des scientifiques n’en font plus !

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