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Le rappport Gillet témoigne d’une volonté : celle de S. Retailleau de clarifier les rôles à tous les niveaux et de réhabiliter ce que l’on appelle désormais la recherche à risque. C’est pourquoi je l’analyserai en 2 temps. D’abord sur les changements envisagés entre universités et organismes, au bénéfice des chercheurs, puis sur un éventuel changement majeur du pilotage au niveau de l’Etat, au bénéfice du pays. Deux promesses ambitieuses… Dans cette première partie, je vous livre ma lecture sur 3 aspects : responsabilisation, simplification, et clarification des relations universités-organismes.

« Ce rapport remet sur le devant de la scène des points maintes fois répétés et souvent ignorés » 1Le rapport note que « la seule inspection générale en charge de la recherche (IGAENR puis IGESR) a produit 11 rapports sur l’organisation du système de recherche français et la gestion des unités de recherche depuis 2004. » : la mission Gillet et ses 14 propositions pour engager le processus de rénovation et de simplification de l’écosystème national” a le mérite de faire preuve de lucidité ! Elle fait aussi preuve d’humilité mais surtout d’habileté politique 😊, en renvoyant la balle dans le camp des acteurs de l’ESR, à propos de ses propositions : “Les rendre opérationnelles est de la responsabilité de l’État et de ses opérateurs, et dépendra de la confiance réciproque qu’ils se feront dans le futur. »

Comme d’habitude, peu liront réellement le rapport Gillet, en se limitant à quelques points polémiques. Au-delà de la “simplification” et des relations universités-organismes nationaux de recherche (ONR) et des agences de programme, il jette un pavé dans la mare avec des propositions d’une évolution significative des modalités de financements de la recherche et du pilotage de l’État (la seconde partie de mon analyse).

Un changement de méthode très politique

S. Retailleau, avant d’être ministre, avait toujours exprimé son scepticisme sur un “grand soir” de l’organisation de la recherche, connaissant parfaitement l’ambiance chez les chercheurs et l’attachement aux organismes de recherche, mais aussi l’ambiguïté et la diversité des universités sur ce sujet 😊…  Mais l’inéluctable et souhaitable montée en puissance de la recherche dans les universités est une réalité. Elle a donc opté pour une logique de clarification des rôles, universités et organismes, MESR et SGPI notamment, avec comme promesse des bénéfices concrets pour les communautés autour de la simplification.

Tout le monde aura compris que ce rapport décline la vision de S. Retailleau. Cette dernière actionne ainsi un changement de méthode très ‘bottom up’ : elle demande aux acteurs de l’ESR « de partager des propositions de simplification de la gestion de la recherche et d’identifier des sites volontaires pour expérimenter ces propositions de simplifications. » En gros, vous vous plaignez tout le temps, à vous de jouer ! Et dans le même temps, les ONR (faut-il rappeler que les DG sont nommés ?) sont invités « à travailler à une préfiguration des agences de programme avec l’ensemble des acteurs. » Vous prétendez comme organisme national avoir une vision panoramique ? Faites des propositions, y compris sur votre propre organisation interne …

Au fond, le message politique est simple : ça dure depuis des années, chacun se plaint des uns et des autres, agissez ensemble. Les universités déplorent le fait d’être maltraitées par le MESR et/ou exclues du pilotage par les ONR, les ONR la pusillanimité des universités incapables de se mettre d’accord etc. Et côté chercheurs et enseignants-chercheurs ce n’est pas forcément mieux : ah le service (la charge) d’enseignement !

Comme observateur un peu averti, depuis plus de 25 ans, j’ai été le réceptacle de toutes ses récriminations. Ce que j’en retiens, c’est que ce sujet de la simplification souffre avant tout d’un double manque : une volonté politique forte, durable et convergente à tous les étages, des compétences partagées à tous les niveaux.

L’enjeu de la relation CNRS-universités de recherche

Chacun sait, en tout cas celles et ceux qui suivent l’ESR, que ces questions achoppent toujours sur les relations universités-CNRS. Pas seulement pour des raisons de personnes, de statut etc. 2La mission Gillet souligne que “le modèle le plus commun à l’étranger repose sur des activités de recherche réalisées dans les universités. Les acteurs nationaux, en particulier de la taille du CNRS, sont une exception.” On peut légitimement penser que le message du rapport concerne plus particulièrement les relations universités-CNRS... Y penser beaucoup, n’en parler jamais 🤭.

La diversité thématique du CNRS, son organisation tentaculaire (instituts, délégations régionales etc.) seraient sacrément secoués par les changements proposés ! On notera qu’AEF a publié les réactions (positives) des principaux organismes de recherche (Inserm, Inrae et Inria). Côté CNRS (et CEA), c’est silence radio… Or, rien ne se fera sans le CNRS au moment où, hasard, une violente polémique naît entre le PDG du CNRS et son conseil scientfique sur le sujet de la simplification…

Agences de programme : le diable est dans les détails…

On a quand même une idée ‘subliminale’ de la ligne de force du rapport. D’’un côté, il cajole les ONR sur leur rôle incontournable, qui serait renforcé par l’ajout d’une fonction d’agence de programme. Il pèse ses mots (pas agence de moyens, pas touche aux statuts etc.). De l’autre, il acte une stricte séparation des rôles pour les ONR responsables d’un programme national. Ce qui risque de changer beaucoup de choses 😊 !

Car mes lectrices et lecteurs le savent bien : il y a en permanence, de façon plus ou moins forte, des guerres de territoires, encouragées par la multiplication des structures.

Évidemment il y a une ‘carotte’ pour les ONR :Il faudra également veiller à ne pas sous-estimer la tâche que représentera cette mission pour les ONR et à évaluer le plus précisément possible les moyens supplémentaires qui seront nécessaires à la mise en place de ces évolutions dans les meilleures conditions.”

Mais il y aussi un bâton dont les mauvaises langues penseront qu’il concerne particulièrement le CNRS : l’ONR auquel serait confié la mission d’agence de programmes “doit garantir de façon stricte, dans son organisation, la complète séparation entre ses activités d’agence de programmes et celles d’opérateur de recherche. Agissant pour le compte de l’État, il aura en charge d’organiser l’animation et la veille scientifiques via une gouvernance ad hoc impliquant l’ensemble des institutions concernées.”

Mieux, ou pire 😉, le rapport insiste sur le fait que “le rôle d’agence de programmes est une responsabilité collective et ne doit pas servir à la promotion des forces de recherche de l’ONR en charge du programme.” Conséquence, les agences de programmes “devront donc adopter un fonctionnement transparent, en appliquant strictement les règles mises en œuvre dans les programmes européens ou par l’ANR permettant de s’assurer de processus étanches, et ce dans le but d’éviter tout conflit d’intérêt d’ordre institutionnel.”

Simplification et responsabilisation des opérateurs

Pourtant, si l’avalanche de réglementation, la multiplication des couches sont une réalité, rien n’empêche les acteurs sur un site d’y répondre collectivement et efficacement ! Ainsi, en quoi les différences ‘administratives” entre un organisme et une université ne pourraient pas être réglées ? La mission Gillet met le pied dans cette porte et tous les acteurs qui invoquent en permamence le parapluie parisien pourraient en être pour leurs frais.

Les universités seraient donc “en charge de mettre en place les bons espaces de dialogue avec les partenaires et les ONR du site pour construire une politique territoriale partagée : c’est sur le fruit de ce dialogue, des engagements partagés sur la durée, d’une planification commune des moyens RH et budgétaires et des résultats du site que les établissements (universités et ONR) seront jugés.” Et pour évacuer tout soupçon d’interventionnisme ministériel, “la méthode devra être libre et seuls les résultats seront appréciés et permettront de juger les aptitudes des acteurs à faire bouger les lignes et leur capacité collégiale d’initiative au bénéfice d’une recherche performante.” Pour peu qu’une évaluation sérieuse soit faite !

Simplification et formation des équipes

Je n’évoquerai pas outre-mesure les détails de ce ‘marronnier’ (SI, UMR etc.). Je relève surtout que le rapport met l’accent sur ce qui est un déni dans une partie de la communauté scientifique : le manque de personnels de soutien et plus largement d’administration, le déficit de personnels bien formés, un turn-over important, la faiblesse des compétences managériales dans les équipes de direction etc.

Le rapport ose d’ailleurs 2 propositions autour de la formation au management et de la qualité de service dont on peut surtout s’étonner qu’elles n’aient pas été déjà mise en œuvre !

  • « Il pourrait par ailleurs être intéressant d’élaborer un cahier des charges permettant de définir ce qu’est une gestion de qualité au bénéfice des laboratoires : un exercice sous la forme d’une conférence regroupant les acteurs pourrait s’avérer utile sur cette question. »
  • Pour les équipes de direction, à tous les niveaux, « une formation spécifique disponible pour l’ensemble de l’ESR serait une évolution intéressante et bienvenue. L’école du management de la recherche proposée par le CNRS et discutée avec ses partenaires est un bon exemple de ce qui pourrait être mis en place. »

Quel défi politique pour S. Retailleau ?

Elle affiche 2 leviers :

  • les contrats d’objectifs, de moyens et de performance pour les universités dont les dirigeants sont élus.
  • la volonté politique pour les dirigeants des organismes de recherche qui sont nommés, à qui elle a demandé des propositions.

Est-ce que cela sera suffisant face à une question non réglée depuis des décennies ? C’est là où la mission Gillet esquisse des pistes intéressantes que j’évoquerai dans une deuxième partie sur les financements, les jeunes chercheurs, le SGPI et une interministérialité “repensée”

Références

Références
1 Le rapport note que « la seule inspection générale en charge de la recherche (IGAENR puis IGESR) a produit 11 rapports sur l’organisation du système de recherche français et la gestion des unités de recherche depuis 2004. »
2 La mission Gillet souligne que “le modèle le plus commun à l’étranger repose sur des activités de recherche réalisées dans les universités. Les acteurs nationaux, en particulier de la taille du CNRS, sont une exception.”

6 Responses to “Rapport Gillet (1) : responsabiliser les acteurs pour simplifier, mais comment ?”

  1. A propos de ““le modèle le plus commun à l’étranger repose sur des activités de recherche réalisées dans les universités. Les acteurs nationaux, en particulier de la taille du CNRS, sont une exception.”” De fait, la Max Planck Gesellshaft et la Helmholtz Gemeinschaft sont de cet ordre de taille et l’Académie des sciences chinoises est bien sûr de taille très supérieure. Cela renvoie certes à deux pays, mais deux dans le top 4

  2. Merci pour ces éléments de réflexion. Sur l’école du management de la recherche, en savez-vous plus car je n’en ai jamais entendu parler. La seule mention qu’on en trouve hormis dans ce rapport est dans le rapport sur l’attractivité de l’emploi dans un paragraphe sur la “professionnalisation de la gestion des ressources humaines” (p. 49).

  3. Merci Jean-Marc, une tentative de séparation des activités d’un opérateur entre ses activités de recherche et des activités plus collective a déjà été tentée lors de la mise ne place de l’ANR en 2005 avec les “unités support” du CNRS, du CEA, de l’IFP, etc., chargées de gérer des programmes pour le compte de l’ANR. Même si ça a, de mon point de vue, plutôt bien marché, le système est tout de même beaucoup plus sain et mieux accepté depuis que l’ANR gère en direct.
    Après, plein d’agences dans le monde sont à la fois opérateurs de recherche et agences de programmes, mais il faut assumer que ce sont alors elles qui choisissent ce qu’elles font elles-mêmes et ce qu’elles “sous-traitent” aux autres.

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