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Critiqués par leurs opposants qui voient en eux des suppôts du pouvoir et des bureaucrates, ou sur l’autre rive des promoteurs de la culture ‘woke’ et du voile, les président(e)s d’université le sont aussi par des cercles importants de l’appareil d’État qui leur reprochent leur côté velléitaire, parfois leur manque de professionnalisme, ou encore leur manque de fiabilité et de courage. Dans cette première partie, j’essaie de resituer le contexte dans lequel ils agissent. Dans une deuxième partie, je reviendrai sur une question essentielle : leur capacité à être audibles dans la société.

Privilège de l’âge, j’ai eu la chance de connaître plusieurs générations de présidents depuis les années 90, dans les eaux calmes et dans les tempêtes. J’en tire quelques réflexions que je livre à mes lecteurs, loin d’une « théorie de la gouvernance » idéale qui n’a aucun sens. Le nombre de représentants de telle ou telle catégorie dans les CA me semble en tout cas une mauvaise entrée dans ce débat car même dans les EPE ou les écoles avec des directions nommées la question d’une gouvernance efficace reste posée. Comme dans toutes les universités dans le monde !

Gérer un troupeau de chats, un “métier de chien” !

Entre l’accident dramatique d’un étudiant ou d’un personnel, un conflit social qui dégénère dans la violence, des mises en cause permanentes, les recrutements, des injonctions incessantes du MESR, il est sommé d’avoir un avis sur tout et est responsable du moindre dysfonctionnement dans une UFR ou un labo etc. Dans la grande tradition française de centralisme, tout tend à remonter à la présidence. C’est pourquoi aborder la gouvernance des universités et la fonction de président, cela impose un peu d’humilité ! Il faut faire préalablement 3 constats et remettre en cause des idées reçues.

  1. La légitimité des présidents. Alors que le secteur de l’ESR vient d’obtenir le bonnet d’âne de la participation aux élections dans la fonction publique 1Parmi tous les secteurs de la fonction publique avec 52 025 votants sur 270 877 inscrits, soit 19,2 %. Les problèmes techniques de réception des codes ne peuvent suffire à l’expliquer., le contraste est saisissant avec la participation aux élections de CA d’université. Quel que soit le collège (hors étudiant évidemment), elle frise plus souvent avec les 70% et descend rarement en-dessous de 50 %. Pour des « suppôts du pouvoir » ou des « promoteurs de la culture ‘woke’ », c’est pas mal !
  2. L’inefficacité supposée de la gouvernance. Il est en effet courant de déplorer ou moquer les soubresauts de ces gouvernances, l’impuissance et la longueur des CA. Ce n’est pas faux, mais il suffit de parcourir la presse régionale qui regorge d’échos des conseils municipaux (de taille importante) qui durent des heures, avec des guerres picrocholines, sans parler des scandales retentissants (faut-il rappeler Marseille ou Levallois-Perret ?). Quant au MESR, sa gestion RH de la LPR le met-il en situation de donner des leçons de pilotage ?
  3. La “mauvaise gestion des universités” qui illustrerait le faible niveau des présidents d’universités. Le feuilleton de la situation financière catastrophique de l’université de la Réunion (Cf. le courrier de la rectrice publié sur un blog) ne peut masquer le fait que globalement les universités ont considérablement progressé, d’autant plus dans un contexte financier tendu. Bien qu’elles manquent cruellement de compétences administratives et techniques en nombre et en qualité (comparativement à leurs concurrentes étrangères, aux ONR mais aussi aux mairies ou hôpitaux), la Cour des comptes souligne régulièrement la nette amélioration de la situation 2Une fois de plus, la “mémoire courte” fait oublier la situation d’avant 2007 avec des épisodes à répétition de faillite annoncée.. Enfin, faut-il rappeler la volée de bois vert reçue par l’X de la part de la Cour des Comptes sur sa gestion ?

C’est pourquoi, il est nécessaire de relativiser des problèmes bien réels. Une fois ceci précisé, examinons le contexte dans lequel agit un président et ce qui fait la particularité d’une université. Ce panorama n’est pas une étude statistique mais bien une observation empirique.

Des contraintes mais des marges de manœuvre

Une diversité de missions unique. Les président(e)s sont au centre de demandes multiples et contradictoires :  de leur électorat, des différentes communautés, des ONR, du MESR et des pouvoirs publics, des collectivités (encore plus en dehors de Paris). Et la loi ne cesse de leur fixer des nouveaux objectifs. Et bien sûr, il y a la taille des établissements, leur éventuel dispersion géographique etc. Ce n’est donc pas faire injure aux dirigeants d’ONR et d’écoles que de souligner que leur travail est comparativement beaucoup plus facile, d’autant que la gestion quotidienne se passe sous la responsabilité des universités, à l’exemple de la crise sanitaire.

Des ‘clientèles’ électorales installées. Les clivages politiques traditionnels se sont progressivement effacés, ou tout du moins atténués, autour d’une sorte de corpus partagé, ou non, sur le futur de l’enseignement supérieur et de la recherche : quelle autonomie, quels financements quelle relation avec l’État etc. On pourra à ce sujet utilement consulter la thèse d’Etienne Bordes sur la CPU, ancêtre de FU 3La Conférence des Présidents d’université (1971-2007). Une socio-histoire du gouvernement des universités..

Leurs programmes électoraux ont un côté ‘Miss France’ (le sous financement c’est mal, les personnels sont géniaux, les étudiants comptent plus que tout… 🤭), tandis que leurs listes sont le fruits de savants compromis, souvent obscurs et peu reluisants. C’est l’occasion de pointer une erreur d’analyse répandue : réduire ces ‘clientèles’ aux organisations syndicales alors que l’observation attentive des résultats et des fonctionnements montrent autant, sinon plus, l’importance des votes par corps (MdC-CR vs Professeurs-DR) et/ou par secteur disciplinaire, à l’image des PU-PH.

Avec en toile de fond des enjeux locaux : avec ces modalités électorales, avec les multiples conseils et contre-pouvoirs, les présidents sont des équilibristes permanents ! Dès lors, contrairement à une idée reçue de réformes imposées (sur ordre) par les chefs d’établissement, il leur faut en permanence concerter, faire des compromis. Au risque souvent d’être otage d’intérêts particuliers. C’est ce qui explique le manque de transparence des établissements, comme si ceci pouvait blesser une ‘clientèle’ 4Remarquons que le MESR agit de même sur les comparaisons !.

Un “pouvoir” à la fois centralisée et dilué

Alors, peuvent-ils et veulent-ils s’abstraire des logiques de ‘clientèles’ générées par ce système électoral en quelque sorte “censitaire” ? Quel que soit le système de gouvernance, quel que soit le curseur sur le nombre de représentants des personnels au CA, ils doivent de toutes les façons convaincre et entraîner, comme dans n’importe quelle organisation humaine.

Mais censés définir des orientations stratégiques avec le fameux “projet d’établissement”, ils se heurtent à un principe de réalité, qui n’est pas simplement financier : la mise en œuvre se joue au niveau des UFR, départements et laboratoires, sur lesquels ils ont peu de poids, voire où sont leurs opposants…

Comme l’ont souvent décrit et expliqué Ch. Musselin et ses collègues, on ne gouverne pas une université par décret. Or, on peut s’interroger sur le fait que la LRU a sans doute débouché sur une forme de duplication du fonctionnement centralisé du MESR par les universités elles-mêmes. On voit d’ailleurs ici ou là de nouveaux présidents mettre la rupture avec ce fonctionnement hyper centralisé en tête de leurs préoccupations.

Une variété de profils pour le meilleur et parfois pour le pire

Certains se satisfont d’un clientélisme assumé et fluctuent au gré du vent, le MESR devenant l’épouvantail idéal pour masquer leur impéritie. D’autres tentent de faire évoluer celles et ceux qui les ont soutenus. D’autres essaient d’imprimer leur marque, soit parce qu’ils ont été élus sur un programme clair, soit parce que confrontés à des réalités qu’ils n’avaient pas perçues, leurs convictions évoluent. De ce point de vue, je ne suis pas convaincu que le profil disciplinaire compte beaucoup, même si un PU-PH a un rapport plus lointain avec la L1…

Cette variété de profils, je l’ai rencontrée 😄 ! Souvent pour le meilleur, notamment dans de “petites” universités qui ne font pas la Une des médias spécialisés. Et elle n’est pas liée à une “couleur” politique. Parfois pour le pire comme récemment à Paris-1 Panthéon-Sorbonne, un président qui fut la risée de toutes et tous. Et il suffit de consulter quelques rapports récents HCERES, parfois évidemment entre les lignes, pour en trouver d’autres… Rassurez-vous, j’ai mon palmarès 😉 !

Un rapport ambigu et révélateur à la gestion

Toutes les universités performantes dans le monde ont su clarifier ce qui relève de l’académique et ce qui relève des fonctions soutien-support. En France, des présidents, par calcul ou par incompétence, ont volontairement affaibli leurs équipes administratives : il faut lire ce cas d’école narré par le rapport du HCERES sur Le Mans université. Ne faisons pas de langue de bois : la situation très contrastée de la place des DGS, pointée également par l’IGESR, témoigne d’une grande fragilité. L’armée mexicaine de vice-présidents peu ou mal formés, armés d’un tableur excel mais pas d’une stratégie, est révélatrice. Il suffit de consulter la fréquentation française des instances internationales et le nombre de VP aux relations internationales.

Les doublons avec les services administratifs renvoient naturellement aux ‘clientèles’ électorales et/ou à un mépris académique pour l’administration. Si j’aborde cette question c’est parce qu’elle concentre à mon sens cette légitimité ambivalente vis-à-vis de communautés qui veulent s’affranchir des règles communes mais aussi de dysfonctionnements inacceptables pour les usagers. Face à des maux connus et partagés dans tous les établissements (dérives des heures complémentaires et en même temps paiement hors délai), désorganisation de certains secteurs administratifs (lire certains rapports HCERES !), il y a un aveu d’impuissance comme s’il fallait ménager des baronnies… Il existe au sein des présidents d’universités un vrai clivage sur ces questions.

Président ça s’apprend !

Une formation insuffisante. Diriger une UFR, un labo, avoir été vice-président n’est pas une garantie. Elu(e)s vers 50/52 ans, ils sont à l’image du manque de mobilité du système : une formation sur le tas. Ce sujet ne semble pas connaître d’évolutions significatives, avec des présidents élus qui découvrent tout un monde qu’ils vont mettre au mieux un ou deux ans à maîtriser … voire jamais. Mais ils ne sont que le reflet de l’ignorance abyssale qui règne dans la communauté universitaire sur le fonctionnement su système.

Des salaires dérisoires. Quant au salaire, j’ose le dire, c’est une honte pour la responsabilité que cela représente. La HATVP a publié les rémunérations de S. Retailleau en tant que professeure d’université et présidente de l’université Paris-Sud, de la Comue puis de l’EPE université Paris-Saclay, soit environ 115 000 € brut annuels, dont 27 948 € de prime de fonction, pour une rémunération nette mensuelle de 7 513 €.

Les nombreux démagogues populistes feraient mieux de s’attarder sur l’inégalité que ces présidents vivent comme eux dans la fonction publique par rapport aux grands corps, sans parler des universités étrangères : dans les grands corps (Mines, Insee, AC) la rémunération brute moyenne oscille entre 105 820 € et 132 882 € selon le rapport Berger-Guillou. Cela signifie, qu’un ou une présidente, qui gère un service public de plusieurs centaines de millions d’euros, voire supérieur au milliard, et a la responsabilité de dizaines de milliers d’étudiants et de personnels, vaut moins qu’un ingénieur des grands corps de l’État.

Dans la deuxième partie, j’aborderai les enjeux de la fonction dans les années qui viennent.

Références

Références
1 Parmi tous les secteurs de la fonction publique avec 52 025 votants sur 270 877 inscrits, soit 19,2 %. Les problèmes techniques de réception des codes ne peuvent suffire à l’expliquer.
2 Une fois de plus, la “mémoire courte” fait oublier la situation d’avant 2007 avec des épisodes à répétition de faillite annoncée.
3 La Conférence des Présidents d’université (1971-2007). Une socio-histoire du gouvernement des universités.
4 Remarquons que le MESR agit de même sur les comparaisons !

2 Responses to “Président(e)s d’université (1) : critiqués mais incontournables”

  1. “L’armée mexicaine de vice-présidents peu ou mal formés, armés d’un tableur excel mais pas d’une stratégie, est révélatrice”. Je suis VP CFVU de mon université, je vous engage à me suivre durant qqs semaines dans mon travail (si vous y arrivez…) et je crois que vous réviseriez d’importance ce jugement à l’emporte pièce. Pas grave, la provocation participe à la discussion. Quant à “gérer un troupeau de chats”, je devine d’où vient cette métaphore féline, d’un ancien président, battu aux dernières élections, qui a eu du mal à répondre à une question autrement que par du vide… Excellentes fêtes de fin d’année, continuez le poil à gratter, c’est tjs agréable.

    • Bonjour, puisque vous mettez en cause deux de mes affirmations, je vous précise
      1) concernant les vice-présidents, j’ai simplement procédé à une étude des organigrammes. Je ne parle pas des VP “statutaires” mais de tous ces VP délégués. Et par ailleurs, je ne mets pas en cause la “charge” de travail mais, comme l’ont noté de nombreux rapports (Inspection générale ou Cour des comptes), les doublons avec l’administration, voire un rôle de “commissaire politique” lorsque qu’un VP “coiffe” le/la DGS et le/la DRH sur les personnels…
      2) j’ai entendu cette expression de “troupeau de chats” lors d’un voyage au Québec en 1999 je crois, dans la bouche de François Tavenas, décédé depuis et président à l’époque de l’université Laval. Donc pas de complotisme à la petite semaine sur un ancien président qui me parlerait à l’oreille !

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