Depuis 20 ans, la pensée en vogue chez les dirigeants de l’ESR était que les contrats avaient eu des vertus majeures dans l »évolution des universités françaises vers plus d’autonomie. Le contrat de site alsacien signé en juillet 2018 illustre si besoin est l’échec de cette politique. Alors que le MESRI annonce, une nouvelle fois, une évolution de cette politique contractuelle, le constat, implacable, c’est que cela n’a jamais réellement marché et a toujours relevé de l’affichage. Cela peut-il changer ?
J’ai rencontré depuis plus de 20 ans tous les Dges, Dgesip, Dgri, présidents d’Aeres, Hceres etc.. Toutes et tous ont eu le souhait, sincère, de faire évoluer chacun à leur niveau la relation contractuelle entre l’État et les établissements d’ESR. Côté dirigeants d’établissements, on affichait le même enthousiasme sur un outil qui devait changer radicalement le fonctionnement de l’ESR.
Christine Musselin analysait même dès 2001 « les causes du succès de la politique contractuelle » (dans La longue marche des universités françaises ), qu’elle attribuait notamment aux 5% sur lesquels portait le contrat et qui étaient censés incarner les marges de manœuvre du budget de fonctionnement. Ce satisfecit s’est développé chez les décideurs de l’ESR après la circulaire de 1989 autour de ses vertus quasi aphrodisiaques sur l’autonomie des universités. La réalité est plus terre à terre, et il faut le dire très décevante.
Une fois de plus, une bonne idée s’est heurtée à la mise en œuvre. Et on peut se poser légitimement la question : qu’y a-t-il de réellement changé ? La culture de l’évaluation a progressé ? Oui. Mais concrètement ? L’autonomie aussi ? Oui mais concrètement ? Les 5% sont une chimère alors que le PIA a bouleversé les règles du jeu. Ces questions, le DGRI Bernard Larrouturou et la Dgesip Brigitte Plateau se les posent donc…à nouveau. Ils annoncent notamment leur volonté de lier beaucoup plus les organismes de recherche aux politiques de site, ce qui paraît cohérent.
Il n’y a évidemment aucune raison de leur faire un procès d’intention, mais comme tous leurs prédécesseurs, ils sont confrontés aux mêmes obstacles : pas de moyens, pas de pluriannuel…et pas de réelle évaluation-décision. A chaque fois, l’intention est clairement affichée d’aller vers un document stratégique, de se fixer sur un petit nombre d’objectifs et de projets. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler la multitude de déclarations sur ce sujet depuis 20 ans ! Si l’on n’y est jamais arrivé, il y a peut-être des raisons non ?
Car qui dit contrat dit évaluation et évidemment moyens incitatifs, ou pas ! C’est là le paradoxe de la situation française : les personnels et les institutions ont l’impression pas fausse d’être évalués et contrôlés en permanence mais qu’aucune décision réelle, dans un sens ou dans un autre, ne sort de ces processus ! En gros tout le monde est perdant, les personnels en tension, les institutions sous pression, l’État…sans décision.
Les raisons de l’échec répété de la politique contractuelle
Je vais dire tout haut ce que tout le monde pense au moins tout bas et que j’entends en permanence : la politique contractuelle a toujours été un délire bureaucratique. Le nouveau « dialogue de gestion » (ah ce sens de la formule !) en sera-t-il un nouvel avatar ?
Au-delà de cette question majeure, d’autres aspects jouent un rôle non négligeable dans l’échec de la politique contractuelle depuis des années. Comme toujours les raisons sont multiples et partagées.
L’incapacité à fixer de réelles priorités. La lecture des contrats laisse rêveur : on s’enivre de déclarations souvent grandiloquentes sur le positionnement international ou sa place dans l' »écosystème » (la fascination française pour les mots !) mais peu de la mise en œuvre concrète. Les réelles priorités et la capacité à les mettre en œuvre sont dissoutes dans un immense fatras, illisible, d’autant que l’objectif des contrats de site se heurte à la dure réalité, comme on le voit sur Saclay, en Bourgogne Franche-Comté, en Bretagne, ou encore à Lyon (liste non limitative).
Pas d’impact sur les moyens, pas de pluriannualité. A quoi bon signer un contrat qui ne fait qu’entériner les dotations normées et laisse aux financements sur appels à projet le soin d’abonder, ou pas, les ressources de l’établissement ? Le fait qu’État et établissements n’ont jamais réussi à se mettre d’accord pour un modèle d’allocation des moyens à la performance ou sur d’autres critères résume un échec patent. Pire, la non pluriannualité laisse les établissements dans l’incertitude budgétaire.
Des présidents MESRI-dépendants. Avec ce jeu du chat et de la souris, les présidents d’université sont de fait « MESRI dépendants » tellement la culture centralisatrice est prégnante. Un battement de cils au ministère et c’est l’inquiétude, la satisfaction ou la colère. Alors même qu’ils disposent de marges de manœuvre non négligeables, les réunions interminables avec l’administration centrale semblent parfois être le Graal, et consomment en tout cas une énergie invraisemblable.
On en revient au constat de René Rémond, fin observateur des mœurs universitaires : « il n’est pas si facile de passer d’un siècle de pratique purement réglementaire où l’on attendait que toutes les décisions soient prises d’en haut, quitte à les critiquer et à s’établir dans une attitude permanente d’irresponsabilité critique, à une attitude où il faut prendre des initiatives » (cité par Charles Mercier dans son livre Autonomie, autonomies).
Une Administration centrale décalée. Son handicap majeur reste son faible renouvellement et surtout sa très faible connaissance du terrain, même si il y a les conseillers d’établissement qui sont la plupart du temps d’anciens président(e)s d’université. A quand une mobilité obligatoire comme DGS, DRH, DAF d’un établissement ? Son obsession du contrôle (j’ajoute Bercy) lui fait perdre de vue l’essentiel. Et d’ailleurs, comme j’ai pu l’observer si souvent, les établissements font ce qu’ils veulent : on peut ainsi faire une lecture amusante des réponses des établissements alsaciens aux indicateurs…
La routine bureaucratique. La bureaucratie a toujours existé mais la spécificité française réside peut-être dans cet ivresse des données et des mots, une façon de ne pas prendre de risques, de se protéger. Le résultat ce sont des tonnes d’indicateur, avec des jalons, qui signifient très clairement aux établissements toutes les étapes à suivre. L’autonomie continue d’être qu’un leurre. Mais les 20/30 indicateurs essentiels passent eux à la trappe, noyés dans ce fatras.
Une transparence minimale. Trouver les contrats sur le site du MESRI, c’est mission impossible. Mais les établissements ne sont pas non plus les plus transparents.Il faut dire que l’époque où les contrats étaient signés à leur échéance n’est pas lointaine (oui, ça a existé !).
L’exemple du contrat de site alsacien
Prenons l’exemple (un des rares rendus publics, merci à l’université de Strasbourg) de celui signé en juillet 2018 pour l’Alsace. Il est représentatif de la démarche et je le cite, non pour stigmatiser ses acteurs, mais pour mieux comprendre l’inanité du processus. C’est en théorie un document stratégique.
Il fait 281 pages et réunit 14 signataires dont je doute qu’ils l’aient lu ! Tout est en effet décrit dans le détail avec un luxe de déclarations de bonnes intentions et une définition détaillée des voies et moyens pour y arriver. Notons que de nombreux éléments datent de 2017, en raison de la longueur bureaucratique du processus. Et bien sûr…il n’y a pas d’évaluation du précédent contrat 2013-2017 (juste une précision « au vu d’un bilan partagé des forces et des faiblesses de la démarche »).
Il s’agit en réalité d’un inventaire à la Prévert incroyablement détaillé avec des tas d’indicateurs dont on est sûr qu’il ne seront pas utilisés… On y trouve parfois des choses essentielles, d’autres plus inquiétantes (le pilotage dans un établissement de la masse salariale avec des « macros excel exploitées en commun entre RH, service d’aide au pilotage et DAF ») : mais cela relève-t-il d’un contrat, et encore plus d’un contrat de site ou plutôt d’un document de gestion ?
Enfin, s’agissant des politiques de site, chacun sait que le contrat est epsilonesque dans les axes stratégiques. En l’occurrence, la stratégie de l’INSA ou encore de l’UHA Mulhouse se joue ailleurs, comme celle de l’université de Strasbourg. Sur une dotation prévisionnelle d’environ 440M€ pour 2018, un peu plus de 700 000 € sont prévus en plus pour la politique de site…
En lisant les 27 pages et 99 points du document d’orientation stratégique qui concluent ce contrat (oui 99 points !), on se pose, on réfléchit et on se demande ce que l’on peut retenir. Et on imagine sans peine l’impossible communication en direction des communautés et le sentiment, partout en France, d’éloignement des centres de décision.
Curieux de nature, j’ai lu par exemple le contrat de l’Université du Luxembourg qui fait 6 pages (oui 6 pages). Quel est le message essentiel ? Dans le cadre de son évaluation externe, l’université démontrera les progrès réalisés… La convention d’objectifs de l’université de Genève avec la canton de Genève fait 32 pages avec 6 objectifs prioritaires et un plan de financement pluriannuel. Avec l’évaluation externe, le Conseil d’État peut demander…la restitution de tout ou partie des sommes versées !
Bonjour Jean-Michel, une analyse très intéressante, surtout au moment où démarre la contractualisation des sites de la vague D. Espérons que l’impulsion donnée par le MESRI sera suivi d’effets. Au delà de ce qu’indique René Rémond, quelle sont les raisons des difficultés à changer cela ? Après tout, la plupart des acteurs devraient avoir intérêt à disposer de contrats de sites simples et clairs, surtout si les enjeux financiers sont quantitativement faibles.
Bonjour et merci pour vos encouragements. Je n’ai pas de solutions toutes prêtes mais une remarque : si un établissement tape du poing sur la table et dit mon contrat je ne le signe pas dans ces conditions, que peut-il lui arriver ?
Bien d’accord avec vous, Jean-Michel. Cf. mes 91 chroniques depuis 2009 sur la politique contractuelle https://histoiresduniversites.wordpress.com/tag/contrat-de-site/
La politique de contractualisation a eu, dans la période qui a suivi sa création en 1989, une vertu pédagogique (on peut et il faut s’améliorer) : projeter des objectifs à moyen terme, faire des bilans (sous forme d’auto-évaluations), créer des indicateurs de pilotage, des observatoires des parcours de formation et des débuts de la vie active…
Depuis que la masse salariale est incluse dans les budgets des universités (la fameuse RCE), la contractualisation et les maigres dotations qui l’accompagnent, n’ont plus aucun intérêt en terme de marges de manœuvre financières.
Pire, si on calcule les coûts complets du processus de contractualisation (prise en compte de tous les temps passés), on observe que ces coûts sont supérieurs aux dotations du contrat.
Enfin, le passage de 4 à 5 ans de la durée du contrat accentue les effets négatifs de la contractualisation. On demande aux établissements d’être réactif aux contextes qui les concernent et on fige leur offre de formation et de recherche pour cinq ans.
Bref, il faut arrêter la contractualisation.
Cher Jean-Michel
Je partage ces conclusions si on parle des contrats et non de la contractualisation. Or celle-ci ne se limite pas au document final mais englobe un ensemble d’opérations qui au fil du temps ont été de plus en plus coordonnées : une auto-évaluation, un projet, une évaluation HCERES, et finalement une négociation – c’est en tous les cas le mot qui est employé – qui aboutit à un contrat. Si la contractualisation a eu des effets, c’est avant tout pour les phases qui la précèdent parce qu’elles conduisent les établissements qui jouent le jeu à se poser des questions sur ce qu’ils ont fait et sur ce qu’ils feront. Cela n’a jamais été, y compris au tout début et à l’exception peut-être de la première année, pour les moyens attribués. Certes les 5% n’étaient pas négligeables car c’est toujours par les marges que l’on peut faire bouger, mais c’était effectivement peu. En revanche, cela a enclenché des dynamiques au sein des universités – qui se pensent plus en tant qu’institutions -, et au sein du ministère – qui pense moins en discipline qu’en établissement – sans lesquelles les évolutions récentes n’auraient pas été possibles.
Se demander en revanche pourquoi des contrats plus ambitieux, plus négociés, moins bureaucratiques, mieux suivis, n’ont jamais été mis en place est une vraie question. Une des réponses est certainement à chercher du côté des résistances, du côté du ministère comme des établissements, à abandonner une allocation des budgets basées sur les inputs.
Pour ceux que cela intéresse le contrat de site de Saclay 2015-2919 signé à 19 établissements et sur lequel on s’est proprement assis!
https://drive.google.com/open?id=17niUj_mgO08kLBk23to78D-d_Fy-I9jQ
Et maintenant on parle d’en signer un nouveau, mais quelle valeur peut-il avoir sans continuité dans les décisions au plus haut niveau? D’ailleurs vu la situation actuelle on en signe 1 avec Université Paris-Saclay et 1 avec NewUni ou 1 pour tout Saclay mais alors qui est le pilote? Peut-être la mission préfectorale en cours va nous le dire?
Contrat de site 2015-2019: signé le 20 juillet 2015
Dans un contexte international en pleine mutation, un ensemble d’universités, de grandes écoles et
d’organismes de recherche présents sur le secteur sud sud-ouest de la région Île-de-France et réunis
depuis 2011 au sein du projet IDEX Paris-Saclay ont décidé de créer collectivement la ComUE
« Université Paris-Saclay », avec l’ambition d’en faire à terme une université de recherche et
d’innovation de classe mondiale, au centre d’un cluster technologique portant au plus haut niveau
l’innovation et le transfert vers l’industrie.
Le regroupement Paris-Saclay compte aujourd’hui les établissements suivants :
● les Membres de la ComUE « Université Paris-Saclay » :
o 1. Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;
o 2. Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ;
o 3. Institut des hautes études scientifique (IHES) ;
o 4. Institut national de la recherche agronomique (INRA) ;
o 5. Institut national de recherche en informatique et automatique (Inria) ;
o 6. Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) ;
o 7. Institut national de la santé et dela recherche médicale (Inserm) ;
o 8.Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement AgroParisTech (APT) ;
o 9. Ecole centrale Paris (ECP) ;
o 10. Ecole des hautes études commerciales (HEC) ;
o 11. Ecole polytechnique (X) ;
o 11. Ecole normale supérieure de Cachan (ENS Cachan) ;
o 13. Ecole nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA ParisTech) ;
o 14. Ecole supérieure d’électricité (Supélec) ;
o 15. Groupe des écoles nationales d’économie et statistique (GENES) ;
o 16. Institut Mines-Télécom (IMT) / Telecom ParisTech et Télécom SudParis ;
o 17. Institut d’optique Graduate School (IOGS) ;
o 18. Université Paris Sud (UPSud) ;
o 19. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ).
o
● les établissements qui ont demandé à être Associés ou partenaires :
o Synchrotron SOLEIL ;
M. Brassière, il me semble que vous avez omis l’université d’Evry Val d’Essonne dans les membres de la ComuE de Paris Saclay