Quelques semaines après l’évacuation de l’Université Toulouse Jean-Jaurès a sonné le glas du mouvement de protestation contre Parcoursup, que retenir de cet épisode conflictuel ? Je l’ai chroniqué au fil de l’eau, en essayant de prendre la distance nécessaire. Le recul d’aujourd’hui permet d’en tirer, modestement, quelques enseignements.
Un mouvement sectoriel, sans lycéens
Ce mouvement n’a jamais rassemblé plus de 10 000 étudiants, n’a donné lieu à quasiment aucune manifestation d’étudiants en propre, et encore moins de lycéens. Mais il a embrasé plusieurs établissements et a pris un relief médiatique à partir de l’agression perpétrée par un commando pour déloger des étudiants à la faculté de Droit de Montpellier.
Comment un mouvement somme toute très marginal a -t-il pu tenir la France en haleine ? Parce ce que la sphère politique a vécu avec l’espoir ou la crainte de vivre un nouveau mai 68, tandis que les médias ont eu la hantise de rater un moment historique. Le véritable risque était qu’un dérapage violent mette le feu à la plaine : c’est le sens d’ailleurs de la « fake news » du vrai-faux étudiant de Tolbiac « grièvement blessé », véhiculé par les réseaux sociaux. Retour de bâton au passage, car si les réseaux sociaux peuvent favoriser les fake news, ils permettent aussi de les dénoncer !
2 ruptures majeures entre enseignants-chercheurs
La première rupture, impensable dans un autre pays développé ayant une tradition universitaire, est que la France se distingue désormais par la diffusion sans complexe, par une partie des universitaires, de « fake news », muraille de Chine jadis infranchissable dans ce milieu. De même, sur Parcoursup, la mise en avant de positions militantes, hors de toute analyse, contraste avec les critiques basées sur une réflexion scientifique, et donc argumentées et contestables !
La deuxième rupture concerne l’évaluation des étudiants et la valeur des diplômes. Notons au passage que dans la multitude d’appels d’universitaires soutenant le mouvement étudiant et s’opposant à la Loi ORE, je n’ai pas souvenir d’avoir vu une seule condamnation des dégradations des locaux universitaires. Ni un soutien aux Biatss malmenés, comme à Nanterre ou Paris 8.
Tout ceci porte en germe, comme à Toulouse Jean-Jaurès, un risque de sécession majeure avec deux modèles d’université.
Le malaise chronique en SHS
Le mouvement étudiant a été principalement localisé dans des filières SHS. Il suffit de lire les incessants appels d’universitaires publiés dans les médias : ils sont signés, outre par des syndicalistes et des militants politiques, essentiellement par des MdeC de SHS, et avant tout de certaines disciplines. On y trouve rarement des représentants des sciences « dures », peu de juristes et d’économistes, peu de Staps aussi. Ce malaise reflète probablement une véritable crise scientifique et pédagogique.
La police dans les campus en pleine célébration de mai 68
S’il ne fallait qu’un seul symbole des changements en cours, c’est l’intervention, à la demande de Jean-François Balaudé son président, de la police sur le campus de Nanterre, en plein cinquantenaire de mai 68 ! Quelle que soit l’opinion de chacun, le fait même que des présidents d’université ont assumé ce risque, sans que cela ne provoque le fameux cycle répression-réaction, est un changement majeur.
Le choix irréversible « à la française », des filières sélectives
Partout dans les pays développés, sélection et taux d’accès à l’enseignement supérieur sont compatibles, la sélection ne signifiant pas malthusianisme : la comparaison des effectifs au début du siècle et maintenant de Harvard vs Ecole Polytechnique permet de mieux le comprendre.
Tous comptes faits, les pouvoirs publics ne font qu’entériner un choix des familles et des jeunes. D’ailleurs, les protestations des lycéens à propos de Parcoursup ne portent pas sur son principe mais son application concrète : on brandit ses notes pour prouver que, bon élève, on devrait avoir droit à telle ou telle filière.
Des universités toujours aussi peu préparées face aux médias
Si les réseaux sociaux ont eu une telle influence pendant ce mouvement, c’est surtout parce que les médias s’en sont abreuvés, faute de pouvoir cerner un mouvement hors normes. Une partie de la presse française s’est encore une fois distinguée par son manque de prudence (on croit à un mouvement d’ampleur), sa difficulté à séparer faits et commentaires, sa propension à faire appel en permanence aux mêmes « témoins », en général militants. Mais ce mouvement a surtout mis en lumière des universités plus promptes à se plaindre des médias qu’à être offensives pour promouvoir leur image.
Un changement de paradigme avec Parcoursup
Que l’on soit favorable ou non à la loi ORE, on assiste à un changement considérable. Alors que les jeunes privilégient de plus en plus les filières sélectives, quelles qu’elles soient, le bac devient le dernier “sceau” à apposer, une fois que tout est écrit. On n’en mesure pas encore toutes les conséquences mais un monument vient de tomber, avant même la réforme Blanquer. Et les universités vont devoir désormais s’atteler à structurer de véritables services d’admission.
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