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Trop de diplômés, notamment à bac+5 ? Les mauvais résultats français dans PISA et TIMMS, la situation politique et économique cahotique, la mauvaise image persistante de l’université et la montée en puissance du privé, relancent ce débat avec un élément nouveau : les effets supposés de l’IA. Mais au-delà des arguments de café du commerce, posons-nous les questions qui méritent mieux que des réponses outrancières. Petit tour d’horizon de la question.

Faut-il « réduire l’enseignement supérieur » ? C’est le titre provocateur d’une tribune dans Les Echos de Julien Damon. De son côté l’Express titre son dossier « Diplômes dévalorisés, le krach mondial qui vient ». Rien que ça ! Enfin, Laurent Alexandre, médecin de formation converti à la futurologie, et Olivier Babeau, professeur d’économie à l’université de Bordeaux publient un livre (pamphlet ?) « Ne faites plus d’études : apprendre autrement à l’ère de l’IA ». Le ton est donné, avec ces relents catastrophistes, voire apocalyptiques dont notre pays est si friand en ce moment.

Tout le monde réfléchit de façon défensive : gérer le gâteau existant, sans envisager d’en augmenter la taille, notamment grâce à l’éducation et à la recherche. Le principal risque en France est-il le trop-plein de diplômés du supérieur ou plutôt la fuite, lente mais régulière des talents et la faible attractivité de notre système ESR ? Rappelons que l’on décerne notamment environ 142 000 diplômes de BTS, et à l’université 60 000 DUT/BUT, 200 000 Licences, 144 000 masters et 15 000 doctorats chaque année.

Pourtant, même si certaines réponses apportées sont outrancières ou hors sol, les questions autour du nombre nécessaire de diplômés, leur niveau, le coût des études, leur insertion etc., sont légitimes et incontournables.

Nombre de diplômés : refuser le simplisme

Commençons par constater que la question des diplômes du supérieur ne procède pas d’une catégorie homogène : quelles sont les problématiques partagées selon la typologie (professionnalisante ou pas), sélective ou pas, de niveau (BTS à doctorat), la discipline choisie, le type d’établissement (établissement diplômant à bac + 3 et université) etc. ?

Et de quoi parle-t-on lorsque l’on s’interroge sur le nombre de diplômés ? De l’orientation ? Du niveau et/ou des compétences des étudiants avec le poids des lacunes du pré-bac, pointées par l’OCDE ? De leurs choix de formation et de leurs aspirations ? De l’offre et de la qualité des formations ? De la répartition géographique ? De la demande en emplois et des niveaux de salaires ? Des coûts de formation pour la collectivité ? Et quid des deuxièmes chances offertes par la formation continue ? Rien que cet énoncé traduit l’inanité des réponses simplistes !

Cela permet d’amorcer une réflexion un peu plus rationnelle. Car comme le disait mon philosophe préféré Pierre Dac, « les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir. » Faut-il rappeler les conséquences catastrophiques du numerus clausus de 1971, fruit d’une coalition hétéroclite des syndicats de médecins, de la sécurité sociale et globalement d’une grande partie de la technostructure et des futurologues 1 ? Qui avait prédit l’essor d’internet, puis de l’IA ? Qui est assez visionnaire pour anticiper les cycles économiques et les innovations de rupture, ou l’émergence de nouveaux métiers ?

Bref, méfions-nous des bateleurs de foire, sachant que la seule certitude (et encore), c’est la démographie en général, dont celle des étudiants, en particulier à l’université. Mais moins d’étudiants ne veut d’ailleurs pas forcément dire moins de diplômés ! Faisons donc preuve d’humilité.

9 questions à se poser

Il y a donc d’un côté l’hystérie réactionnelle (voire réactionnaire) : on juge qu’il y a trop de diplômés, notamment à bac + 5, des disciplines pas adaptées, des étudiants illettrés et incultes. De l’autre, il y a le déni qui voit dans la massification une marche indifférenciée vers la démocratisation et occulte les problèmes de niveau et d’offre de formation. Il y a celles et ceux pour lesquels il y aurait à la fois trop d’échecs en L et trop de diplômés, surtout à bac + 5, notamment en SHS. Et il y celles et ceux qui s’interrogent surtout sur ce que devraient être les formations de demain et les compétences attendues.

Les 3 positions peuvent d’ailleurs se mélanger, signe que rien n’est simple. Malheureusement, les agendas idéologiques et politiques n’aident pas à la clarté ! Examinons donc quelques unes des affirmations entendues ici ou là.

1. Raccourcir la durée des études ? Très tranché, le sociologue Julien Damon affirme qu’« il ne faut plus cirer trop longtemps les bancs des universités » et que raccourcir la durée des études supérieures accélérerait l’entrée des jeunes dans la vie active et doperait l’activité tout en diminuant les dépenses d’éducation. « Il faut convaincre les jeunes et leurs parents de la pertinence d’orientations plus axées sur le marché du travail. Mais puisque moins d’étudiants, c’est plus d’actifs et moins de ressources pour le système éducatif, il faudra aussi convaincre les dévots du système, à l’université comme dans les grandes écoles. » Diantre 2!

Derrière la tentation du malthusianisme, émerge cependant cette question des formations professionnalisantes : le problème, et l’auteur me semble se tromper lourdement, n’est pas le nombre d’étudiants concernés, de plus en plus important, y compris et surtout à l’université, mais l’adéquation entre les profils étudiants, les disciplines choisies et les attentes des entreprises…et les rémunérations proposées !

2. Et les poursuites d’études ? Selon le SIES-MESR, le nombre de primo-diplômés d’un bac + 5 a pratiquement doublé (+ 80 %) entre les sessions 2006 et 2023. La note en donne les raisons entre fin de la maîtrise et réforme des concours enseignants notamment. Elle souligne aussi les difficultés sur la poursuite en doctorat, qui semble n’intéresser aucun commentateur… Ce qu’il faut noter c’est que les primo-diplômés à bac + 5 qui poursuivent des études « ont globalement de meilleurs profils scolaires et des profils sociaux plus favorisés que ceux qui arrêtent leurs études ». Sur un autre plan, rappelons que l’on est passé du DUT diplôme terminal à véritable préparation à la poursuite d’études (un effet aussi du LMD). C’est tout l’enjeu du BUT  : deviendra-t-il réellement un diplôme d’entrée sur la marché du travail ?

3. Des diplômes inutiles ? Dans leur livre, Ne faites plus d’études : apprendre autrement à l’ère de l’IA, Laurent Alexandre et Olivier Babeau, tous les deux plutôt marqués à droite, expliquent qu’avec l’IA, il ne faut plus raisonner en termes de « diplôme académique », vite obsolète, mais de « compétences », qu’il faudra mettre à jour tout au long de la vie, au rythme des évolutions technologiques, plutôt qu’entre 3 et 22 ans, comme le veut le cursus scolaire et académique classique. Des constats souvent pertinents, mais un tantinet démagogiques : les auteurs ont fait des études très longues, leur entourage aussi, sans parler de leurs enfants… Et puis qui acceptera de se faire soigner par un médecin non diplômé ? Et dans une interview à l’Express 3, ils multiplient les affirmations péremptoires voire démagogiques sur la supériorité infinie de l’IA. Hasard ? Ils évoquent peu (ou pas) l’importance de la recherche et de la science, avec leur facteur humain, ses chercheurs/euses…issu(e)s des rangs étudiants 😉.

4. Quelles compétences requises pour les diplômés face à l’IA ? L. Alexandre et O. Babeau tempèrent cependant cette vision ‘prophétique’ car « ce que les machines ne savent pas faire va prendre une valeur décuplée : la confiance humaine, l’intuition relationnelle et le capital social ». Le réseau, et le charisme personnel, seraient désormais essentiels, véritable stratégie de survie face aux machines. Remarquons que les enquêtes de la CGE ont montré que la motivation du choix des Grandes écoles était d’abord l’effet « réseau », si faible dans les universités… Reste que le constat des auteurs semble là aussi pertinent et devrait faire réfléchir encore plus sur la place de l’expression orale dans les formations et sur la pédagogie.

5. Quels seraient les emplois les plus impactés par l’IA ? L’essayiste David Djaïz pose une question : « Et si l’IA ne menaçait pas les ouvriers… mais les diplômés ? » Il cite une étude de chercheurs de Cornell University qui postule que les métiers les plus exposés à l’intelligence artificielle sont ceux exercés par des bac+5 : traducteurs, analystes, commerciaux, enseignants… Il évoque « des professions de ‘manipulateurs de symboles’ situées au milieu ou en haut de la pyramide sociale, mais relativement automatisables car reposant sur des tâches répétitives de langage, de calcul ou d’organisation. » Pour lui, l’IA ne détruit pas le travail mais « elle redessine la carte du prestige et bouleverse la pyramide sociale. » Là aussi, une réflexion qui me semble juste et que les formateurs du supérieur doivent méditer ! Car les étudiants qui maîtriseront le mieux l’IA, grâce une solide formation de base (les fondamentaux du savoir et des disciplines), ne seront-ils pas justement les gagnants ?

6. Avoir plus de diplômés du supérieur est-il un réel avantage pour un pays ? Pierre Tapie, ancien président de la CGE publie une étude « comparative mondiale » de son cabinet Paxter « Enseignement supérieur, revenu, employabilité ». Elle analyse les relations entre le niveau de développement économique d’un pays et l’accès à l’enseignement supérieur et postule que si une relation existe entre développement économique et accès à l’enseignement supérieur, « passé un niveau de développement moyen (15 000 $), développement économique et accès à l’enseignement supérieur deviennent indépendants. » Sauf erreur, l’étude n’approfondit pas l’impact de l’enseignement supérieur sur la recherche et l’innovation.

7. Augmenter les qualifications réduit-il le chômage ? Le tropisme de l’étude, c’est plutôt d’ailleurs la courbe du chômage : « conduire, dans des pays riches, des politiques publiques visant à un accès toujours plus large à l’enseignement supérieur, a fortiori généraliste, au motif que cet accroissement favoriserait systématiquement un meilleur accès à l’emploi, n’est pas fondé. » P. Tapie et al restent cependant prudents sur cette hypothèse… Ils ne contestent ainsi pas l’effet positif pour les diplômés mais pointent un effet pervers, notamment en France : « augmenter l’accès à l’enseignement supérieur augmente l’employabilité des diplômés et diminue celle des non-diplômés, sans effet sur le chômage en général, sans doute par l’effet signal qui résulte du diplôme. »  

L’édition 2025 de Regards sur l’éducation (OCDE) est elle affirmative : en France, le bénéfice pour les diplômés y est supérieur à la moyenne, comme je l’ai relevé. Cereq et Insee vont dans le même sens. Mais il est vrai, comme le relève le dossier de l’Express, qu’aux États-Unis (mais aussi en Chine) les signaux d’emplois sont négatifs pour les diplômés du supérieur en ce moment. Mais relativisons : ils restent élevés !

8. Y a-t-il une « surqualification » des diplômés dans les emplois ? La sociologue Marie Duru-Bellat, plutôt marquée à gauche (comme son collègue F. Dubet) lançait déjà un pavé dans la mare, dans un article publié par The Conversation le 8 avril 2025 : « Les diplômes ont-ils perdu de leur valeur ? ». Qu’atteste « vraiment » le diplôme : « une compétence technique », « un ‘capital humain’ », « un ensemble relativement flou de qualités pas forcément garanties par leur diplôme » ?

Parce que les carrières ne sont plus linéaires, la montée de la notion de compétence et la multiplication des formations sur le tas ou au fil des carrières « désagrègent en quelque sorte l’idée même d’une qualification valable pour la vie et quelles que soient les tâches (ce que prétendait garantir le diplôme). » Elle juge ainsi qu’il faut sans doute relativiser leur emprise 4.

Marie Duru-Bellat souligne ainsi les décalages entre l’élévation des niveaux de formation et la croissance « moins marquée » du niveau de qualification des emplois. C’est ce que responsables de formations et recruteurs remarquent ou pratiquent : des postes/fonctions auparavant à bac + 3 le sont désormais à bac + 5, sans forcément une rémunération supérieure.

9. Le déclassement des diplômés : réalité ou ressenti ? Or elle estime que cela effrite « la confiance » dans les diplômes. Conséquence, « ce qu’on obtient avec un diplôme, sa valeur marchande donc, tend donc à baisser avec le temps, selon l’abondance de ce diplôme au regard des emplois censés y correspondre. »

L’Insee nuance pourtant ce sentiment de déclassement. Dans un focus, l’Institut indique que « seuls 12 % des diplômés d’un bac+5 » s’estiment déclassés, jugeant leurs compétences « supérieures à ce qui est nécessaire pour faire son travail ». Cette proportion est de « 18 % à 19 % pour ceux ayant un niveau de diplôme entre bac et bac+4 ». Tous niveaux confondus, « le décalage entre spécialité de formation et emploi est plus fréquent parmi les jeunes qui se jugent trop diplômés par rapport à leur emploi : 44 % déclarent que leur spécialité de formation est peu ou pas du tout adaptée ».

Mais au fait que pensent les jeunes ?

Concluons en donnant la parole aux principaux intéressés, les jeunes. Car à moins de les contraindre à faire des études d’ingénieur, on ne voit pas bien de solution à court terme, les leviers étant multiples, dès le primaire et évidemment le secondaire, mais aussi en termes de modèles. Il faut donc tenter de comprendre leurs aspirations vis-à-vis des entreprises.

Une enquête de l’Institut Montaigne, pilotée notamment par O. Galland, apporte un éclairage original, en partant du point de vue des jeunes. Oui, ça peut compter… Effectuée auprès de 6 000 jeunes de 16 à 30 ans, elle indique que l’orientation est « un facteur de frustration durable, surtout après l’entrée dans la vie active » 5. L’étude distingue quatre profils de jeunes actifs – ‘frustrés’, ‘fatalistes’, ‘rebelles’, ‘satisfaits’ – et pointe surtout « une déconnexion entre les attentes des jeunes et le management en entreprise ».

Elle relève ainsi que « les jeunes ne cherchent pas à fuir le travail ». Mais si l’appréciation globale du management au sein des entreprises est plutôt positive, près d’un tiers des jeunes estiment que leur entreprise ne déploie pas les efforts nécessaires en matière de qualité de vie au travail – un enjeu pourtant central pour ces actifs. « Cette frustration s’exprime particulièrement dans les grandes entreprises, chez les jeunes femmes, ainsi que chez ceux en situation de détresse psychologique. Là encore, le fossé entre attentes et réalité en matière de bien-être au travail alimente un profond sentiment d’insatisfaction. »

Et cette « désillusion » touche davantage les plus diplômés et les formations universitaires généralistes (lettres, sciences humaines et sociales) que les jeunes issus de formations professionnelles (CAP, BEP, BTS, DUT). Les filières de services, où les femmes sont surreprésentées, sont davantage concernées que les filières de production, relève l’enquête.

On le voit avec ces 9 questions : le simplisme n’a pas sa place dans ce débat ! J’y reviens dans un prochain billet sur quelques particularismes français.

  1. Comme le rappelle cet article de Marc-Olivier Déplaude (Inrae) en 2015.
  2. La déconnexion du réel de certains universitaires est toujours aussi surprenante : imagine-t-on HEC réduire ses promotions … et son budget ?
  3. Je n’ai pas encore pu lire leur livre mais j’ai écouté ou vu leurs nombreuses interventions médiatiques.
  4. En référence à son livre co-écrit avec F. Dubet « L’Emprise scolaire, Quand trop d’école tue l’éducation ».
  5. Au passage, si Parcoursup « génère du stress et des frustrations chez une grande partie des jeunes, malgré cela, 70 % d’entre eux réclament son amélioration plutôt que sa suppression. »

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Jean-Michel Catin ()

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