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Le premier bilan de Parcoursup, incontestable lui, c’est que l’augmentation du nombre d’étudiants, une fois de plus pas anticipée (on pourrait refaire l’histoire depuis les années 60 !) va nécessiter des moyens supplémentaires. Il est probable que le gouvernement (comme ses prédécesseurs ) n’en fasse pas une priorité ?. Mais rêvons : certains ont lancé l’idée, comme un symbole, mais parfois comme une demande concrète, de la création d’une université supplémentaire. Est-ce vraiment un bonne idée ? Retour sur l’allocation des moyens du point de vue d’une stratégie de l’ESR.

Dès que l’on parle d’ESR dans notre pays, il s’agit des universités que l’on charge de toutes les missions et de tous les maux. Pour les oublier au quotidien. Ainsi, on avait l’impression à l’occasion des débats virulents sur Parcoursup que seules ces dernières étaient concernées.

Or on peut faire plusieurs constats qui cadrent à mon sens le débat autour de l’allocation des moyens :

  1. La difficulté à saisir les attentes des jeunes et de leurs familles, désorientés au sens littéral du terme par une offre foisonnante et peu lisible et/ou élaborant des stratégies à l’image de la complexité du système.
  2. L’université n’est plus dominante au sens traditionnel : on y cherche avant tout des filières sélectives.
  3. Les problèmes les plus aigus sont essentiellement, une fois de plus, en Île-de-France, et particulièrement dans Paris intra-muros.
  4. L’enseignement supérieur privé capte une partie de la croissance des effectifs, et ce bien avant la création d’APB ou Parcoursup.

Je vais passer en revue quelques unes des questions soulevées par une augmentation des moyens, sachant que l’enseignement supérieur en France n’est toujours pas une priorité, et pas seulement au niveau budgétaire.

Des annonces gouvernementales inopérantes

Ce qui m’a toujours fait sourire, ce sont ces annonces gouvernementales (celui-ci n’en a pas le monopole) de places supplémentaires. Claude Allègre avait en son temps pris le problème à bras-le-corps avec la création de nouvelles universités.

Annoncer 10 000, 20 000 ou 50 000 places supplémentaires suppose des locaux (c’est faisable) et des personnels : et là on se demande comment en quelques mois on peut recruter des enseignants, surtout des enseignants-chercheurs.

En fait, ce qui se passe est toujours la même chose : appel à des vacataires et éventuel remplissage au chausse-pied de filières (BTS, universités). Des rustines, c’est tout.

Faut-il pour autant aller dans le sens deA-t-on vraiment besoin de créer 100.000 places à l’Université ? Si on a 66.000 bacheliers sur le carreau, et que leur nombre augmente de 35000 par an, ça parait raisonnable. Plus raisonnable qu’annoncer la création de 10000 places fictives en tous cas.”

Les difficultés de la prévision

Depuis que je suis les questions d’ESR, l’administration arrive à prévoir les effets de la démographie combinés aux taux de réussite au bac (encore que…) Cela devient plus difficile quand il s’agit des réorientations en 1ère année d’université.

Mais là où la prévision s’avère délicate, c’est concernant les choix des filières des jeunes et des familles, l’évolution de l’offre de formation sur 10 ans, et bien sûr la dimension territoriale.

D’abord parce qu’une partie des candidats n’a pas de choix particulier pré-établi. Ensuite, la France toujours napoléonienne est structurée en académies qui reflètent de plus en plus mal la réalité de la vie éducative sur les territoires et les mobilités potentielles. L’adéquation formation-territoire-demande a ainsi considérablement changé.

Enfin, les métiers évoluent plus que jamais alors que notre système spécialise dès la première année dans les filières dites non professionnalisantes. Le mythe de l'”adéquationnisme” formation/emploi a fait des ravages. Conclusion, même si des évolutions se font jour, le système français est rigide et manque de passerelles.

C’est donc le système lui-même qui doit être interrogé, avec notamment sa balkanisation, ses différences de financement, sa répartition territoriale et la difficulté des universités à réagir vite.

Collèges universitaires, partenariats

Je livre à la réflexion 2 approches, celles de Philippe Jamet et de Stéphanie Dameron. Dans un livre (Éducation française l’heure de vérité), le DG de l’IMT Philippe Jamet avait émis des propositions qui mériteraient un minimum de débat. Il propose de “collégiser” le premier cycle, en créant, d’une part, des “collèges supérieurs professionnalisés”, équivalents des “community colleges” américains, et d’autre part, des “collèges propédeutiques généralistes”, qui correspondraient plutôt aux “collèges d’arts libéraux”.

Les premiers fusionneraient les BTS et les IUT, en en conservant le maillage territorial, avec des entités de 3 à 4 000 étudiants. Résultat selon lui, on aurait une offre professionnalisante courte bien identifiée, avec des passerelles organisées vers le supérieur général (comme elles existent déjà entre IUT et écoles). Cette offre devrait selon lui représenter au moins 40 % du nombre de places offertes aux bacheliers chaque année, sachant que les IUT sont sélectifs et les BTS moyennement sélectifs.

Les collèges propédeutiques réuniraient de leur côté les licences universitaires générales y compris les CPGE, pour en faire un “système universitaire tutoré”, plus ouvert, moins déterministe, avec plus de travail personnel et sur une base plus intensive, et sans tuyaux disciplinaires. Cela permettrait aux jeunes d’affiner leur orientation en testant des disciplines.

Dans les Echos ( abonnés) Stéphanie Dameron de Paris Dauphine/PSL plaide de son côté pour “accepter l’hétérogénéité des structures d’enseignement supérieur”. Il faudrait selon elle créer “de nouveaux lieux de savoir, dotés des moyens nécessaires pour expérimenter” en privilégiant les domaines “où les besoins sont grands, comme la science des données, ou des secteurs particulièrement sensibles pour la compétitivité française, comme celui du luxe.”

Et elle souligne qu’il ne suffit pas “de créer des établissements supplémentaires. Il faut également transformer en profondeur les établissements publics existants en modifiant le code de l’éducation afin de rendre possibles de nouveaux partenariats.”

Augmenter les moyens, mais où et comment ?

Tous les deux se retrouvent, même si leur analyse sur les conséquences de l’hétérogénéité des structures diverge, pour demander un réel investissement dans les filières courtes. Car augmenter les moyens de l’ESR suppose d’avoir une stratégie : quels types de formations encourager, quelle réponse à la demande sociale ? De ce point de vue, il existe, tant chez les jeunes et leurs familles que chez les entreprises, une forte de demande de diplômes professionnalisants à bac + 2, bac + 3.

Côté universités (hors IUT). Elles sont loin d’être toutes au maximum de leur capacité d’accueil. La grande couronne parisienne souffre ainsi de l’attractivité francilienne. Dans nombres d’entre elles (parfois les mêmes, pas toujours), certains filières (je pense aux langues) chassent en quelque sorte le “client”.

Et s’il y a un rebond en sciences, il faut rappeler ces licences de physique ou de chimie qui ne rassemblaient que quelques étudiants (et je ne parle pas des masters !), il s’agit plus d’un retour à la normale. Les déséquilibres au sein des établissements sont une réalité (Droit vs Langues par exemple), ce qu’attestent les chiffres des taux d’encadrement.

Enfin, la recherche accapare budgets et énergie, le cycle M préoccupant plus les chercheurs que la 1ère année.

Côté IUT et BTS. Il existe également des gisements importants de places : les IUT peinent à remplir certains départements mais font face à une forte demande pour d’autres.

On est donc face à un problème un peu plus complexe qu’un slogan politique : il suppose que soit traitée autrement la mobilité étudiante, que le système des aides sociales dans leur globalité soit revu etc.

Le maillage territorial du supérieur en France est relativement complet : le renforcer autour de filières professionnalisantes bac + 3 aurait un coût relativement marginal (locaux, synergies pédagogiques) et serait accueilli positivement par les familles et les élus locaux.

L’adéquation demande/offre sera un casse-tête tant que le système français public sera aussi cloisonné, sachant que le privé n’a pas ce type de problème.

Le cas parisien

Comme toujours en France, Paris et dans une moindre mesure  l’Île-de-France, sont le baromètre de tout. Quel est le réel particularisme parisien en matière d’enseignement supérieur ? C’est la faiblesse des formations courtes professionnalisantes “reléguées” en banlieue, et qu’illustre le fait que n’existent que 2 IUT, et surtout un celui de Paris-Descartes,  qui va bientôt intégrer la future université fusionnée avec le petit IUT de Paris-Diderot.

Curieusement, on n’entend personne, surtout du côté des pétitionnaires permanents du quartier latin demander un rééquilibrage, comme si c’était déchoir d’abriter au sein de la capitale des formations courtes et professionnalisantes. Réclamer la création d’un IUT à la Sorbonne Nouvelle, à Paris-I Panthéon-Sorbonne ou encore à Sorbonne Université, ne serait pas injurieux pour la réputation de leur recherche.

Car toutes les universités en région ont un ou des IUT sans altérer leurs performances en recherche, tandis qu’en “banlieue” (où vivent ces sauvages que certains intellectuels appellent à rejoindre les lumières de la capitale), toutes les universités ont un IUT. Avec des résultats plutôt bon tant en insertion professionnelle qu’en poursuite d’études.

Un coup de pouce aux formations professionnalisantes à bac + 2, bac +3 ? Cela suppose dans le même temps un changement majeur dans la formation tout au long de la vie pour permettre à ces diplômés de se mettre en permanence “à jour”.

En conclusion, j’imagine un gouvernement qui décide de mettre des milliards d’€ sur la table pour l’ESR : aucun outil rationnel n’existe pour les allouer. Bref, comme le préconise Stéphanie Dameron, il faudrait une vision.

2 Responses to “Une université en plus ? une fausse bonne idée”

  1. Voilà un billet qui tombe à pic et qui invite au débat. Donc, quelques mots liés aux deux propositions émises (les “collèges” d’une part, les “nouveaux partenariats” d’autre part) dans le contexte de la récente concertation sur la licence.
    Ce qui a été le plus étonnant lors de cette concertation, c’est la question qui s’est révélée la plus difficile à traiter. Non pas comme on aurait pu le penser a priori la question des modalités de contrôle des connaissances ou celle des “1500 heures”, mais, à notre grande surprise, celle de la professionnalisation !
    L’idée de départ était cependant très simple. Puisque la licence continuerait à être non-sélective et donc à accueillir des publics diversifiés et hétérogènes d’étudiants dans leurs projets comme dans leurs capacités, la réussite du plus grand nombre nécessitait des parcours diversifiés de formation. Cette première idée n’a pas posé – énoncée ainsi – de problèmes particuliers. Mais en outre, puisqu’il ne pouvait sérieusement être affirmé que tout le monde avait vocation à poursuivre immédiatement en master et que déjà, il fallait réussir la licence, il a été proposé qu’au sein même de la licence puissent être organisés des parcours de formation professionnalisés favorisant une (bonne) insertion professionnelle après l’obtention du diplôme.
    Il y avait là une proposition qui apparaissait logique au regard de la double finalité traditionnellement proclamée (sans qu’on en tire les conséquences) de la licence (poursuite d’études, insertion), des besoins de formation des étudiants (notamment, mais pas seulement, ceux qui sont en situation d’échec dans les parcours “académiques” actuels), mais aussi au regard de la multiplication des cursus professionnalisés en trois ans à laquelle on assiste depuis quelque temps (bachelors et autres) qui attestent l’évidence et l’urgence des besoins. Autant qu’il y soit répondu au sein même de la licence, plutôt qu’à côté et de façon en quelque sorte concurrentielle dans des formations publiques ou privées qui, elles seraient, bien évidemment sélectives….
    C’était trop simple…. Les oppositions firent rage de toutes parts : les opposants traditionnels, les académiques purs et durs et même l’aile progressiste, d’ordinaire ouverte à prendre en compte la réalité des besoins et à prendre les risques de l’innovation… Craintes de détourner les étudiants des parcours académiques, craintes de créer des parcours de relégation, craintes des réactions d’une “base universitaire” pas prête… il est trop tôt pour analyser finement les choses…
    Mas le résultat est clair. La seule disposition qui demeure de ce débat figure à l’article 7 du nouvel arrêté : “…En particulier, les formations ainsi que les unités d’enseignement qui les composent peuvent présenter, à des degrés divers, une dimension plus professionnalisante. Elles peuvent offrir également des passerelles vers d’autres formations. Elles constituent ainsi une réponse adéquate aussi bien pour les étudiants qui, en formation initiale, ont un objectif d’insertion professionnelle à l’issue de la licence que pour ceux qui, en formation continue, souhaitent une réorientation professionnelle ou une reprise d’études.”
    Alors maintenant la question centrale va être la nature de l’offre que les universités vont développer avec ces nouveaux textes qui élargissent considérablement leurs marges d’initiative.
    Ou bien les parcours de licence proposés prendront bien en compte les besoins d’une insertion professionnelle de bonne qualité pour ceux qui le souhaitent et c’est au travers de la licence qu’il sera répondu à ces besoins, comme c’est souvent le cas à l’étranger avec les diplômes universitaires de niveau “bachelor”.
    Ou bien il faudra bien répondre aux besoins d’une autre façon, et tant la proposition de création de collèges supérieurs professionnalisés que celle de multiplier de nouveaux partenariats trouveront une actualité brûlante.
    Et cela d’autant plus que va s’ouvrir dès l’automne la concertation annoncée sur l’évolution du DUT et de la licence professionnelle…
    Décidément ce billet tombe vraiment à pic…

  2. En effet, l’arrêté Licence est peu loquace en matière de diversification des voies de réussite. Il sacrifie à la mode du moment qui préfère parler des méthodes et des rythmes plutôt que du “cognitif”.
    Mais il est trop facile d’invoquer les résistances pour justifier de la vacuité de l’arrêté. En effet…

    1. Le politique aurait dû exprimer une volonté en la matière. Quid par exemple d’une licence technologique qui aurait acquis le même prestige que celui gagné par les DUT en leur temps ? Or, le politique s’est abrité prudemment derrière la concertation pour ne pas fixer de cap.

    2. Il existe déjà sur le terrain des initiatives qui vont bien au-delà des préventions invoquées par M. Korolistki : le DUT en 180 ECTS, le parcours sciences et technologie des UFR scientifiques, sont des points d’appui. En réalité, par-delà le bruit des uns et des autres, les universitaires confrontés au vrai public étudiant sur le terrain sont en avance des politiques. Leurs initiatives peuvent devenir un levier si la volonté existe au niveau politique. A l’évidence, elle n’existe pas pour diverses raisons. Les uns s’intéressent peu à un sujet éloigné de la recherche et qu’ils ont découvert en 2017, les autres partagent les préventions anti-technologiques, les troisièmes rentrent dans le jeu des antagonismes institutionnels entre les universités et leurs composantes IUT, et les quatrièmes empruntent un peu aux trois précédents.

    Une occasion manquée, assurément.

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