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La décision du Conseil constitutionnel sur une QPC sur les droits d’inscription utilise des concepts bien flous (“modiques”, “le cas échéant”, “capacités financières”) symboliques de la difficulté de notre pays à trancher cette question, dans un sens ou dans un autre. Résultat, un système bricolé avec des règles à géométrie variable, fragile juridiquement visiblement. La Cour des comptes avait fait quelques simulations intéressantes. De mon côté, je me suis efforcé de retracer un historique…surprenant des droits d’inscription et des bourses !

Le conseil constitutionnel indique donc “que l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public” mais que “cette exigence ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants.” Quelle obscure clarté 1Le Conseil d’État, saisi sur le fond par l’Unedesep, la Fenepsy et le BNEI, se prononcera d’ici la fin de l’année sur l’arrêté instaurant des droits d’inscription différenciés pour les étudiants extracommunautaires et, le cas échéant ? précisera si ces derniers peuvent s’apparenter à des frais “modiques”. !

Il faut souligner que le treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel fait allusion la décision 2“la Nation garantit l’égal accès de l’adulte à l’instruction” et l’organisation de l’enseignement public gratuit “à tous les degrés est un devoir de l’État”. Il en résulte selon le Conseil constitutionnel “que l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public.” fait référence à une période où le nombre d’étudiants était marginal et essentiellement destiné à l’enseignement, au droit et à la médecine et où le coût pour l’Etat des études était faible. De plus, à l’époque, l’enseignement supérieur privé n’existait quasiment pas.

L’édifice est très fragile juridiquement comme le montrent les circonvolutions du Conseil. Derrière la question des étudiants extracommunautaires, c’est en effet plus largement celle de l’ensemble de l’enseignement supérieur qui est posée.
  • D’un côté les BTS totalement gratuits puis les universités avec les frais d’inscription les plus faibles étagés par cycle.
  • De l’autre une ribambelle d’établissements publics avec des frais divers, dont des écoles d’ingénieurs à 2 500 €. Sans parler des établissements hors tutelle du MESRI ! Des modèles économiques se sont construit discrètement mais résolument pour contourner ce tabou.
Cette extraordinaire diversité a d’ailleurs conduit la Cour des comptes à poser une question : est-il possible qu’un service public continue de proposer une telle diversité de situations ? Car dans le secteur public ou semi-public, elle relève à juste titre l’incohérence et les inégalités générées par la jungle des montants des droits 3sans parler des modèles des Business schools “consulaires” ou encore de Science Po.
  • Mais qu’est-ce qu’une contribution modique ? Est-elle indexée sur le coût réel d’une année d’étude (l’argument du MESRI pour les extracommunautaires qui évalue ce qu’il propose à 1/3) ? Si c’est la cas, la faiblesse des droits d’inscription à l’université laisse augurer de la possibilité d’une augmentation ! Est-elle définie par le mode de vie des étudiants ? Mais dans ce cas, si on prend le cas des places de cinémas, les étudiants de 2019 sont mieux lotis que leurs camarades des années 60 !
  • Comment définir les capacités financières des étudiants ? Prend-on en compte par exemple les revenus des familles ? Avec l’ensemble des aides perçues (logement, parts fiscales) ? Ces capacités financières ne sont mesurées actuellement que par l’exonération des boursiers. Faut-il considérer que les plus de 60% d’étudiants non boursiers des universités sont susceptibles de contribuer très fortement désormais ? C’est ce qu’avaient fait F. Mitterrand et A. Savary en 1982 (voir mon tableau), sans que cela n’émeuve les juges…
Dans le cadre des conclusions baroques du Conseil constitutionnel, on pourrait même imaginer que les établissements privés qui bénéficient indirectement d’un financement public (par exemple avec leurs étudiants qui par leur statut étudiant bénéficient d’aides sociales) “offrent” la gratuité à leurs boursiers ? !

Les calculs de la Cour des comptes

Quels sont les enjeux financiers ? Dans un rapport de 2018 la Cour des comptes a procédé à des simulations sur la base de 1 034 315 étudiants en L (170 €), 565 059 en M (243 €) et 58 596 en doctorat (380 €). Elle note qu’une hausse de 10 % “appliquée à tous les cycles n’apporterait que 34,2 M€ de recettes supplémentaires par rapport à la situation prévisionnelle en 2018-2019.”
2 hypothèses
  1. Si un relèvement des droits de 30 % “appliqué à tous les cycles procurerait 102,6 M€ de recettes supplémentaires”, pour atteindre une recette annuelle supplémentaire de 1 Md€ il faudrait porter “les droits à 730 € en licence générale, à 887 € en master et à 1 380 € en doctorat.”
  1. Mais les magistrats financiers visent une cible théorique de 432 M€ de recettes supplémentaires qui pourrait être approchée en portant les droits à 392 € en licence générale, à 573 € en master et à 678 € en doctorat.”

Remarquons (voir les tableaux infra) que de toutes les façons pour l’instant, c’est l’hypothèse qu’il faudrait simplement compenser l’inflation qui devrait être prise en compte puisque le MESRI a choisi la stagnation des droits 4la CVEC en plus mais la sécurité sociale étudiante en moins

Au nom de l’égalité, plein de questions sont posées : doit-on aligner par le bas, c’est à dire les droits universitaires ? Ou doit-on aligner par le haut, à savoir sur les écoles d’ingénieurs par exemple ? Doit-on rapporter au coût par étudiant, ce qui signifierait une forte hausse en prépa ? Etc.

Réalité historique et fantasmes

Les droits d’inscription représentaient 1% des recettes des universités dans les années 50, et aujourd’hui aux alentours de 2%. Mieux, ils ont été en régression pendant 40 ans : quand François Mitterrand et Alain Savary ont amorcé une rupture en les augmentant fortement, la contrepartie a été une hausse du nombre de boursiers. Ceux-ci sont ainsi passés de 8% de dans l’après-68 à près de 38% aujourd’hui (40% à l’université).

Mais les choix politiques de l’époque, conservés par tous les gouvernements, ont été de “saupoudrer” les aides, sans véritablement les cibler sur les plus défavorisés, sur le modèle par exemple des bourses américaines. Oui, je serai taxé sans doute de “tigre de papier” et de suppôt du grand capital mais le système US, s’il a de redoutables défauts, dispose d’un système de bourse qui peut être très généreux ?.

Les polémiques sans fin sur le montant des frais d’inscription, dont faut-il le rappeler, les boursiers sont exonérés, masquent ainsi la question essentielle du montant des bourses ou plus largement des aides sociales.

Comme le montrent tous les chiffres disponibles, les inégalités d’accès dans le supérieur ont régressé. Par contre, taux de succès et choix d’études longues restent de vrais marqueurs des inégalités sociales. Pourquoi évoque-t-on tout le temps des 60% d’étudiants non-boursiers, appartenant à la classe moyenne, mais pas les 12% que l’on peut considérer, vu les barèmes, comme défavorisés ?

Loin de moi l’idée de méconnaître les difficultés que peut connaître telle ou telle catégorie d’étudiant, non boursier ou boursier échelon 0, 1 etc. Mais qui sait combien touche un boursier considéré comme très défavorisé ? Peut-on réellement avoir l’esprit libre avec une bourse de 4 555 € (échelon 5) à 5 612 € (échelon 7) sur 10 mois ? Car cela suppose un plafond de ressources, selon le barème, de 11 950 € au mieux (sic) et de 250 € au pire ? !

Environ 13% des étudiants plus que défavorisés sont dans ce cas : peuvent-ils vivre décemment ? Peuvent-ils étudier sereinement ? Les chiffres que je publie le montrent : depuis 1936, les bourses ont gagné très peu de pouvoir d’achat, comparé à l’augmentation globale de la richesse de notre pays ! Par contre, l’évolution des droits d’inscription, en pouvoir d’achat, montre une régression depuis 1960 !

Il est donc plus que choquant de constater que les ressources des étudiants censés en avoir le plus besoin sont un non-sujet : chaque année, on bataille sur une hausse de 1 ou 2% des droits d’inscription (pétition, communiqués de presse etc.) mais rien, quasiment rien sur le pouvoir d’achat des bourses !

En novembre 2018, j’avais publié un tableau qui me semble assez parlant sur l’évolution des droits d’inscription depuis 1960 mais surtout des bourses…depuis 1936 !


Des chiffres à méditer

J’ai réalisé ce petit travail historique, à partir de documents qui avaient été mis en ligne il y a quelques années, mais qui ont disparu ou en tout cas que je n’ai pas retrouvé. Fort heureusement, j’avais téléchargé ces documents numérisés (souvent à partir, pour les séries les plus anciennes, du Bureau universitaire de statistiques, le BUS).

Les séries ne sont pas complètes, par exemple sur le montant des bourses, ce qui explique mes choix de dates (sur le BOEN, la numérisation ne permet de remonter que jusqu’en 1998). Je suis parti de la licence, la différenciation des droits selon les cycles étant intervenu tardivement.

Que pouvait-on “acheter” en 1960 avec la somme consacrée aux frais d’inscription ? La place de cinéma valait en 1960 en moyenne 1,86 F soit 2,98 en euros constants (source rapport sénatorial). Aujourd’hui, elle est, hors abonnement et en moyenne de 10 € en 2018. Donc, alors qu’un étudiant d’université en licence dépensait l’équivalent de 21 places de cinémas en 1960, il en dépense 17 en 2018 pour les droits d’inscription. Sachant que le niveau de vie en général a augmenté, cet exemple autorise à conclure que les frais ont en réalité baissé… De plus la part des exonérés a explosé. L’occasion de débattre sereinement du “modique” et des “capacités financières” ?

Évolution des droits d’inscription

AnnéeMontant en francs et eurosEuros constants (arrondis)Base 100Remarques
196040 F64100
196545 F6094
Baisse de facto jusqu'en 1969 des DI
196995 F108168Forte augmentation après mai 68.
1982150 F5078Forte augmentation d'un coup mais qui ne rattrape pas les effets de l'inflation
1983200 F6195On retrouve presque le niveau de 1960
1985330 F88137
1986450 F117182
1990500 F114179
2013183 €186291
2018 et 2019170 €170265L'inflation n'est pas compensée.

Évolution des bourses

AnnéeMontant maximum des bourses en Francs et en eurosEn euros constants arrondisBase 100Remarques
19365 200 (anciens) F3 820100
194976 700 (anciens) F2 38162Crise économique de l'après-guerre
19756 417 F4 446116
198210 692 F3 55293Choix de l'augmentation du nombre de boursiers, mais pas des bourses
199217 244 F
3 73798On approche du niveau...de 1936 !
20013 456 euros4 308113Décennie pendant laquelle les bourses reprennent légèrement du pouvoir d'achat.
20114 600 euros4 815126
20185 551 euros5 551145

 

Références

Références
1 Le Conseil d’État, saisi sur le fond par l’Unedesep, la Fenepsy et le BNEI, se prononcera d’ici la fin de l’année sur l’arrêté instaurant des droits d’inscription différenciés pour les étudiants extracommunautaires et, le cas échéant ? précisera si ces derniers peuvent s’apparenter à des frais “modiques”.
2 “la Nation garantit l’égal accès de l’adulte à l’instruction” et l’organisation de l’enseignement public gratuit “à tous les degrés est un devoir de l’État”. Il en résulte selon le Conseil constitutionnel “que l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public.”
3 sans parler des modèles des Business schools “consulaires” ou encore de Science Po
4 la CVEC en plus mais la sécurité sociale étudiante en moins

3 Responses to “Droits d’inscription : modique, vous avez dit modique ?”

  1. La décision du Conseil constitutionnel sera critiquée, en particulier par les juristes, pour son caractère “bien flou”. Or, justement, elle permet toutes les évolutions, tant mieux! Comme le montre l’étude de JM Catin ou celle de la Cour des comptes, on pourra se baser sur le coût réel des formations, sur le montant des bourses, etc et ainsi faire évoluer le système vers une participation plus importante des usagers, du moins ceux qui en ont les moyens et qui sont les principaux bénéficiaires de la gratuité. Une sage décision!
    Bernard Toulemonde

  2. L’optimisme de Bernard Toulemonde fait vraiment plaisir en ces temps moroses.
    “Une sage décision”…bien floue !! Pour Bernard Toulemonde, cela laisse ouvertes de très larges possibilités.
    C’est aussi ce que dit Paul Cassia, professeur de droit à Paris 1, sur Mediapart.
    Les “droits d’inscription modiques” conduisent évidemment pour donner un contenu à la chose à référer le montant des droits au coût réel des diverses formations et le “en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants” à permettre aussi bien la prise en compte du statut de boursier que la mise en place d’un système de droits du type de celui de Sciences Po Paris.
    Probablement aussi, les termes du Conseil Constitutionnel n’interdisent pas un dispositif souvent évoqué : le prêt à remboursement contingent au revenu (PARC). Ce type de prêt, souscrit par l’étudiant, a la caractéristique de pouvoir être remboursé de manière différée, une fois que les revenus de l’emprunteur, i.e. l’ancien étudiant, ont atteint un certain seuil. La gratuité est de fait pendant les études et ce n’est que plus tard que l’étudiant rembourse en partie ce que la collectivité a consenti pour sa formation et donc son statut professionnel dans la vie active.
    Donc, finalement….tout est le mieux dans le meilleur des mondes..de l’enseignement supérieur français…!!

  3. La décision du Conseil d’Etat laisse en effet à peu près toutes les possibilités ouvertes, que l’on soit d’accord ou pas : les droits augmentés pour les étrangers non-communautaires, des droits significatifs (sous le vocable “modique”) pour les Français et Européens. Il a quand même l’air d’exclure la possibilité d’institutions publiques françaises de faire payer au coût réel des formations, chose qui existe.

    Une remarque : les droits d’inscription pour les doctorats. La Cour des comptes fait une erreur majeure en proposant d’augmenter les droits pour les doctorants plus que pour les masters ! On l’a vu avec les droits pour les étrangers : le Ministère est très vite revenu là-dessus. Si on augmente les droits pour les doctorants, il faut immédiatement augmenter du même montant les allocations doctorales pour les doctorants financés, et on laisse au bord de la route tous ceux qui ne sont pas financés, dont les profs du Secondaire. Choisir de faire un doctorat n’est pas du tout la même démarche que de faire un master de finance.

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