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A rebours d’une idée convenue et au-delà de quelques affirmations classiques sur les moyens, le programme du Nouveau Front Populaire est conservateur et loin d’être progressiste. Il promet la suppression de Parcoursup, ce qui est techniquement impossible avant la rentrée 2026, sauf à semer le chaos, sans dire par quoi et comment le remplacer. Et jure de rendre l’université non sélective, en entérinant l’idée d’un système à deux vitesses ! La sélection pour les supposées élites, la non-sélection pour le “peuple” : quel message réactionnaire et méprisant pour les universités ! Ces 2 promesses, les auteurs savent qu’elles ne seront pas tenues… Notons au passage que le NFP renonce à l’allocation universelle d’autonomie.

“10 jours pour redevenir populaire” : cette Une de Libération résume le défi du NFP, même si désormais le vote RN s’est enraciné dans toute les catégories d’âge et/ou sociales. La gauche est minoritaire dans ce pays mais pèse au-delà de son poids dans le système éducatif et chez les élites. Que nous dit le programme du NFP concernant l’ESR ?

Evidemment, et c’est tout à son honneur, les étudiants étrangers sont les bienvenus dans le programme du NFP, à l’inverse de celui du RN. Dans le même temps sa frange antisémite s’opposera à toute collaboration avec les universités israëliennes, ce qui est un léger problème…

De façon inattendue, le Nouveau Front Populaire souhaite “une loi de programmation de la recherche plus ambitieuse” . Cela marque-t-il la reconnaissance que cette loi était ambitieuse ? Etonnant pour celles et ceux au NFP qui n’ont eu de cesse de la dénoncer 😉 ! Quant à l’affirmation de la nécessité de plus de moyens (un classique de la gauche), on le sait, elle n’engage que celles et ceux qui reçoivent cette promesse… Mais en même temps, il renonce à l’allocation d’étude universelle, sans que l’Unef ne s’en émeuve. Comprenne qui pourra.

Mais allons à l’essentiel. Quel type d’enseignement supérieur et d’organisation du système la gauche entend-elle promouvoir ? Rendre l’université non sélective et supprimer Parcoursup ne sont-ils pas des promesses intenables ?

PS : un vide sidéral

En réalité, quand j’écris la gauche, je devrais dire LFI car le PS est programmatiquement, sur ces sujets, au degré zéro de la réflexion. Le “penseur” de LFI sur l’ESR, c’est Hendrik Davi, qui avait déposé 2 propositions de loi, mais qui a été écarté de l’investiture par J-L Mélenchon. Pourtant, c’est bien sa vision qui semble inspirer le NFP, même si cela est réduit à quelques lignes seulement.

Comme je l’ai noté à plusieurs reprises, le PS n’a quasiment aucun projet et aucune réflexion sur ces sujets. Il avait publié un texte “Redonner du sens et des moyens au service public de l’enseignement supérieur et de la recherche !”, au contenu indigent et indigne de l’histoire de ce parti, avec un véritable parcours d’enfonçage de portes ouvertes, de langue de bois, d’oublis, de formules creuses, de postures grandiloquentes et de perles.

Par exemple “le pilotage des politiques de recherche et de formation doit être retiré aux seuls établissements et confié à des réseaux thématiques qui seront astreints à une obligation de péréquation territoriale et disciplinaire.” 🤭 Le groupe parlementaire socialiste n’était pas plus inspiré dans son contre-budget. En résumé le PS, partisan de supprimer Parcoursup, n’a absolument pas investi la réflexion sur le 3ème budget de l’Etat, alors même qu’il prétend gouverner.

Un programme NFP inspiré par LFI

Ce programme est évidemment lacunaire, ce qu’on peut reprocher à tous les partis. Mais au fond, autour de 3 mesures, il nous fait entendre une petite musique, avec des fausses notes étonnantes, sans doute fruit de compromis boiteux mais aussi d’un manque d’intérêt et de travail sur le sujet. De ce point de vue, les positions de LFI ont elles le mérite de la clarté (voir infra).

Alors quelle est la vision de l’organisation de l’enseignement supérieur du NFP ?

Elle comprend à la fois des contradictions (allocation d’autonomie pour tous ou pas ?) et des imprécisions gênantes (par quoi remplacer Parcoursup pour la rentrée 2025, alors que cela se prépare dès maintenant), des impasses surprenantes (sur le supérieur privé ou sur les STS).

Mais il y a surtout un fil conducteur dont la gauche n’arrive pas à se défaire : une vision passéiste de l’université et l’impossibilité d’accepter la sélection, sauf bien sûr pour ses enfants. Selon moi, en quelques lignes, ce programme du Nouveau Front Populaire sur l’ESR s’inscrit ainsi dans la droite ligne de la défense … des privilégiés ! La sélection pour les supposées élites, la non-sélection pour le “peuple” : quel message réactionnaire !

Les 3 propositions du NFP

  • “Démocratiser l’université en abolissant Parcoursup et la sélection dans l’université publique” 

Diantre ! Abolir la sélection dans l’université publique ! Rien que ça ! Oui mais pas ailleurs ? Est-ce que Julia Cagé et Thomas Piketty, par exemple, prônent la fin de la sélection à Sciences Po et/ou à l’école d’économie de Paris ? Sinon, pourquoi ?

Personne ne semble avoir réfléchi concrètement au remplacement de Parcoursup en dehors de dire “libre choix” : on souhaite du plaisir aux juristes de gauche de l’université Paris-I face à l’afflux d’étudiants 😉. Et on sait que cette promesse de non sélection à l’université est intenable, alors que près de 50% des effectifs sont déjà inscrits dans des filières sélectives, à l’entrée, en fin de première année ou en master : IUT, filières santé, écoles d’ingénieurs etc.. Devront-ils admettre tous les étudiants ? La gauche se signale tristement par une hypocrisie XXL : pas un mot sur la démocratisation des Grandes écoles, là où ses dirigeants conseillent à leurs enfants de s’inscrire.

Pourquoi n’ont-ils pas écouté Thomas Piketty qui jugeait en juillet 2018 à propos de Parcoursup peut mieux faire” ? Il précisait que “la prise en compte des notes, des séries et du dossier scolaire dans les admissions universitaires (principale nouveauté de Parcoursup) n’est pas forcément une mauvaise chose en soi,” à condition d’investir dans les universités selon lui. Il concluait en écrivant : “Soyons clairs : il s’agit de questions complexes, qu’aucun pays n’a résolues de façon pleinement satisfaisante. Mais à partir du moment où le gouvernement annonce la transparence, il ne peut se permettre de maintenir une telle opacité (…).”

On pourrait ajouter que l’opacité ressentie est aussi liée, non seulement à la complexité du système (des milliers et milliers de choix possibles) mais à cette injonction faite aux jeunes de se spécialiser très tôt. Peut-être un jour la gauche comprendra que la démocratisation est une réalité concernant l’accès aux études supérieures. L’enjeu est l’accès aux études longues pour les jeunes des milieux défavorisés, les familles considérant par ailleurs la sélection comme une reconnaissance, ce que la pseudo-sélection du privé leur donne.

  • “instaurer le repas à 1 euro dans les Crous”  

On se félicite que les enfants des familles favorisées (la majeure partie des effectifs de l’enseignement supérieur selon la gauche elle-même) profitent de cette mesure ! Même les petits-enfants de V. Bolloré ou B. Arnault et de tous les multimillionnaires fustigés par le NFP…

Surtout, le problème est que cette proposition n’aborde pas ce qui concerne des centaines de milliers d’étudiants qui n’ont pas de restau-U à proximité, ou pas ouverts le soir, et encore moins le W-E.

  • “mettre en place une garantie d’autonomie qui complète les revenus des ménages situés sous le seuil de pauvreté (accessible dès 18 ans pour les personnes indépendantes fiscalement et dès 16 ans pour les élèves de l’enseignement professionnel)”.

Si je comprends bien, l’idée d’allocation d’autonomie pour tous est abandonnée, au profit d’un système ciblé sur les étudiants âgés de 18 ans “indépendants fiscalement”. J’ai déjà montré comment l’allocation d’études universelle était en réalité une ‘machine’ à aggraver les inégalités.

Des promesses inapplicables et/ou non tenables ?

On l’a vu, supprimer Parcoursup est quasi impossible techniquement d’ici la rentrée 2025 : la promesse évoluerait probablement vers des aménagements, ce qui se fait d’ailleurs depuis le début. Mais ne pas la tenir renforcera ce sentiment de ‘foire à la démagogie’ des politiques dont seul le RN tire profit. Et puis n’oublions pas que ce sont les universités, dont LFI n’est pas une grande partisane de l’autonomie, qui sont en première ligne : on attend la réaction de ces universités dirigées par des présidents proches du NFP mais qui sélectionnent sans problème. Enfin, il y a des divergences de fond entre LFI et le PS sur la question du rôle des régions par exemple dans l’orientation.

Cela ne contribue-t-il pas à ‘démonétiser’ la parole politique avec des promesses démagogiques et/ou intenables ?


Le programme de LFI

Rapporteur pour avis des crédits de l’enseignement supérieur, Hendrik Davi (LFI-Nupes, Bouches-du-Rhône) avait déposé début avril 2024 une proposition de loi à l’Assemblée nationale, sur l’accès à l’enseignement supérieur, à la veille de la clôture des vœux sur Parcoursup, cosignée par l’ensemble du groupe LFI-Nupes et d’autres députés de la Nupes (dont Sandrine Rousseau).

Pour mémoire, il avait également déposé une autre proposition de loi relative à l’ESR en janvier 2023  pour garantir le “droit à poursuivre des études supérieures”. Elle partait d’ailleurs d’une affirmation fantaisiste selon laquelle “en 2022, 125 000 bacheliers n’ont obtenu aucune proposition de formation dans l’enseignement supérieur et 300 000 d’entre eux ont dû s’inscrire dans un cursus qui n’était pas conforme à leur choix”.

Il proposait de supprimer à la fois Parcoursup et “la sélection en master”, en partant du principe que “toutes celles et tous ceux qui souhaitent poursuivre leur formation à l’issue de leur licence doivent aussi avoir une place en master”, et d’“instaurer la gratuité des formations universitaires publiques”.

Il proposait surtout un grand chambardement  : tous les moyens du programme budgétaire consacré à France 2030 et aux appels à projets seraient réaffectés aux universités actuelles et à la construction de nouveaux établissements tandis qu’ANR, HCERES seraient supprimés. Et sa proposition de loi prévoyait aussi de retirer aux régions leurs prérogatives en matière d’orientation, ce qui ne semble pas compatible avec les positions du PS…et de ses président(e)s de région.

Au fond, la gauche, si elle suivait le programme de LFI, quoiqu’on en pense, mettrait une pièce dans la machine à réformes incessantes, alors même que les communautés, y compris celles qui lui sont favorables, veulent surtout une pause !

Les propositions de loi LFI version H. Davi

Accès au supérieur et formations. Les propositions sont organisées autour de la suppression de Parcoursup.

  • “Revenir sur la loi ORE” et prévoir la création d’une nouvelle plateforme à la place de Parcoursup. “Chaque lycéen sera au minimum inscrit de droit dans la filière de son choix à proximité de son lieu d’obtention du bac ou de son lieu de résidence”, précise le texte.
  • Instaurer la gratuité des formations de l’enseignement supérieur public.
  • Supprimer la possibilité pour une université de disposer de la qualification de grands établissements. “Rien ne justifie que l’université Paris-Dauphine, l’université de Lorraine, l’université Paris Sciences et Lettres et l’université Grenoble Alpes bénéficient d’un statut particulier”, considèrent les signataires.
  • Préciser que la dépense par étudiant doit tendre à être similaire d’une université à l’autre, pour ne reproduire d'”inégalités territoriales existantes”.
  • Réaliser une cartographie annuelle des besoins en qualifications et des filières en tension. Le délégué interministériel à l’orientation actualisera chaque année un plan d’emploi pour répondre aux besoins identifiés par la cartographie. Un plan de construction de nouveaux établissements d’enseignement supérieur sera diffusé “de manière à proposer une offre publique là où elle est insuffisante”.
  • Prévoir la généralisation d’un système d’accompagnement des élèves qui en ont besoin. Il s’adressera aux élèves qui “viennent de l’enseignement professionnel, technologique, qui sont en reprise d’études ou qui n’ont pas suivi les spécialités les mieux adaptées à la filière choisie”. Ceci sera rendu possible “grâce à un redéploiement des moyens qui étaient antérieurement dédiés au dispositif “Oui SI””.
  • Réaffecter les moyens du programme 421 de France 2030 à toutes les universités ainsi que pour la construction d’universités nouvelles prévue à l’article 11.

Vie étudiante. 3 mesures étaient proposées :

  • L’instauration d’une allocation d’autonomie, à hauteur de 60 % du niveau de vie médian qui correspond au seuil de pauvreté pour les étudiants détachés du foyer fiscal de leurs parents ;
  • la mise en place d’un vaste plan de logement étudiant ;
  • la gratuité “à terme” des repas dans tous dans les restaurants universitaires.

Enfin, pour “améliorer le taux de réussite en licence”, les signataires estimaient que “cette incapacité à accompagner la moitié des étudiants vers la réussite est en grande partie due à la baisse du taux d’encadrement”. Ils jugaient donc nécessaire de “recruter du personnel et de consolider leur statut”, et prévoyaient :

  • un plan de titularisation des contractuels exerçant des fonctions pérennes pour lutter contre la précarité des jeunes chercheurs ;
  • “d’abroger les principales dispositions de la loi de programmation de la recherche et ainsi de modifier la trajectoire d’emplois pour recruter plus de personnels dans les universités dans toutes les catégories” ;
  • “de retirer aux universités la responsabilité et la compétence en matière de gestion des ressources humaines prévue par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités” ;
  • une revalorisation des grilles salariales des personnels de l’ESR pour rattraper le retard de leur rémunération par rapport à celle de leurs collègues de l’OCDE ;
  • la suppression des “dispositifs de la LPR sur les chaires d’excellence, les contrats à durée indéterminée de mission et les primes au mérite”.

Recherche. Les signataires proposaient également d’augmenter de 8 000 le nombre d’allocations doctorales, “notamment en sciences humaines et sociales”, où le plus souvent les doctorats ne sont pas financés.

L’augmentation prévue des moyens de la recherche publique suppose de revoir “de fond en comble” le système de financement de la recherche “pour produire plus de savoirs scientifiques dans tous les domaines, notamment la planification écologique”. Sont donc envisagées :

  • la suppression des investissements d’avenir pour réaffecter les fonds “sous forme de crédits récurrents et en lançant un programme de grands équipements pour les enjeux de la planification écologique” ;
  • la suppression du crédit d’impôt recherche afin de rediriger ces moyens vers d’un fonds d’investissement dans la recherche collaborative ;
  • la suppression de l’ANR et la réallocation des moyens sous forme de crédits récurrents aux unités ;
  • la suppression du HCERES afin de revaloriser une évaluation scientifique faite par les pairs et organisée par les établissements eux-mêmes ;
  • l’élaboration d’un service public de la publication scientifique, afin d’être en mesure de se passer des éditeurs privés et de rendre libre et gratuit l’accès à la publication scientifique.

One Response to “Nouveau Front Populaire et ESR : 2 promesses intenables”

  1. On note que Sciences Po, établissement sélectif et payant mais néanmoins public, ne semble absolument pas concerné par tout cet égalitarisme.

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