Est-on obligé de donner son avis sur Parcoursup sur la base d’impressions et d’un ressenti ? Est-on obligé d’être un ‘toutologue” et d’avoir un avis tranché sur tout ? Il faut d’abord lire le rapport 2023 du comité éthique et scientifique de Parcoursup qui balaie la plupart des aspects de la procédure y compris plus “techniques” mais néanmoins importants. Il soulève plusieurs questions essentielles comme l’absence de pilotage global de l’offre de formation, l’impact de la réforme du bac et surtout suggère une évolution de la loi pour que le classement soit assumé et sécurisé. Remarquons que ces sujets ne concernent pas seulement la procédure Parcoursup vilipendée par certains !
Lorsqu’il était président, D. Trump voulait interdire le réseau chinois Tik Tok. Et quand J. Biden indique être prêt à soutenir une proposition de loi qui menace ce réseau social, D Trump change complètement de position puisque cela vient de son ennemi. C’est un résumé saisissant de ce qui malheureusement se développe de plus en plus chez nous : peu importe le contenu d’une proposition, peu importent les faits, il faut être contre, y compris et surtout sans connaître les faits et données disponibles.
De ce point de vue, les débats et polémiques autour de Parcoursup sont malheureusement exemplaires 😒. Si LFI, le PS, EELV et le RN sont pour abroger et remplacer Parcoursup 1 Un résumé sur Public Sénat., je doute que leurs positions procèdent d’une analyse des rapports et des données détaillés publiés depuis des années. Les postures politiciennes, les “émotions” et “l’indignation” font souvent office de ligne politique, d’autant que les questionnements autour de Parcoursup concernent très majoritairement Paris et l’Île de France … là où se concentrent la majorité des ‘décideurs’, y compris médiatiques.
‘Trumpisation’ des esprits ou analyse argumentée ?
Pourtant, de nombreux universitaires ‘encartés’ (hors le RN évidemment) sont très gênés sur l’obscure nature des évolutions concrètes proposées par ces partis. Alors que le rapport 2023 du CESP vient de sortir, c’est donc l’occasion de rafraîchir quelques mémoires. Si ce comité a eu des débuts chaotiques, il délivre désormais des analyses et données qui permettent d’argumenter, de nuancer, de se prononcer en connaissance de cause.
J’ai abordé à plusieurs reprises ce sujet et je vous en propose donc, à la fin de ce billet, un résumé afin de prendre un peu de recul, notamment sur ce qu’il se passait avant (Ravel, APB). Et ce rapport 2023 dresse un tableau précis et donc nuancé, rejetant tout catastrophisme sans pour autant sombrer dans la béatitude.
Le rapport émet 22 propositions, évidemment de valeur différente. Mais déjà tordons le cou à un “marronnier” journalistique sur la sécurité de la plateforme, auditée positivement par l’ANSSI : “depuis son instauration, Parcoursup n’a connu aucun problème majeur de données.” 2J’avais signalé depuis le début l’incroyable légèreté de faire tout reposer sur un seul homme (Jérôme Teillard). Le MESR a désormais mis “les moyens nécessaires”, le service étant passé de 14 personnes en 2018 à 30 en 2023. Évidemment on ne peut jurer de rien face aux hackers poutiniens pour le futur, mais ce n’est pas propre à Parcoursup ! Au passage, ne doit-on pas s’interroger sur le risque d’instrumentalisation de Parcoursup par les services russes sur les réseaux sociaux ?
Quel taux de satisfaction ?
Il est intéressant de mieux cerner le ressenti des familles et des candidats. Le sondage (annuel) portant sur 1000 néo-bacheliers(p11 et 12), montre une “amélioration générale du taux de satisfaction, repérable à toutes les étapes du processus d’entrée dans l’enseignement supérieur”, ce qui n’exclut pas le stress. Mais en quoi le stress d’un jeune et de sa famille face à des choix est-il un marqueur de l’échec de Parcoursup ? Une des raisons sans doute est que “des progrès remarquables ont été réalisés depuis 2018 concernant la vitesse de la procédure” selon le CESP. “Le 16 juin, 79 % des candidats avaient déjà une proposition (76 % en 2022). En particulier, 89 % des candidats de terminale avaient déjà une proposition (85 % en 2022).”
On m’objectera que ce n’est qu’un sondage : mais pourquoi aurait-il moins de valeur que des micro-trottoirs orientés dont certains médias sont si friands ? Ce sondage illustre en réalité le découplage entre la plateforme ‘Parcoursup’ et la complexité liée aux milliers de formations et aux réformes incessantes. C’est au fond à ce deuxième aspect que s’attaque le rapport, dont la plateforme n’est que le reflet, perfectible.
Une offre de formation déséquilibrée et pas pilotée
L’offre de formation a en effet “un impact fort sur l’admission des candidats et une absence de régulation.” Le CESP déplore ainsi la persistance du “déséquilibre de l’offre en Île-de-France” et aussi “l’augmentation considérable et anarchique de l’offre des formations en apprentissage.”
Car sur Paris et l’Île-de-France, il y a une “surreprésentation des formations ‘d’élite’, sous-représentation des formations courtes professionnalisantes.” Cela donne un risque beaucoup plus important “de n’avoir aucune proposition sur Parcoursup pour les néo-bacheliers franciliens que pour ceux des autres régions.” Je suis certain que les opposants à Parcoursup demandront que les grands lycées parisiens ouvrent des STS… de la même façon qu’ils demandent la fin de la sélection à Normale Sup, Sciences Po ou l’X 🤭 ! En attendant, par contraste, le ‘zoom’ sur les Hauts-de-France est instructif.
La localisation des formations pose aussi question en raison “des difficultés grandissantes des jeunes pour se déplacer et se loger” tandis que “les besoins économiques d’un territoire, ainsi que ceux de la recherche” devraient être pris en compte. Or, le CESP constate qu’il n’existe pas d’instance “où s’analyse et se discute les évolutions de l’offre, de la demande, des besoins économiques pour prendre des décisions concertées. Pour être pleinement efficaces, ces instances devraient se tenir au niveau régional.” Depuis des dizaines d’années, j’ai toujours entendu ce constat… 😒
La réforme du bac et la convergence des calendriers
Le CESP ose prendre la question ‘à l’envers’ : “il ne s’agit en aucun cas d’un simple choix de calendrier.” Et il préconise “de dire clairement que la finalité du lycée général et technologique est de préparer les lycéens à l’enseignement supérieur”. A propos des calendriers, il suggère de “construire et diffuser des banques d’épreuves standardisées pour les lycées, former les enseignants à les utiliser pour noter leurs élèves de façon plus harmonisée dans les dossiers Parcoursup”. Le sujet n’est en tout cas pas simple !
On notera sa remarque sur le bac pro dont les dates des épreuves terminales n’ont pas été modifiées en 2023 : “la raison provient sans doute du ‘contrôle en cours de formation’ qui permet un contrôle continu beaucoup plus harmonisé car construit à partir d’un référentiel de compétences standardisé.” Mais qui s’intéresse aux bacs pro 😒 ? Par ailleurs, le rapport souligne que “l’engagement des professeurs principaux (…) ne tient qu’aux bonnes volontés individuelles et à leurs propres efforts d’autoformation : dans aucun des lycées auditionnés, on ne trouve un plan de formation”.
Assumer le classement et la sélection ?
C’est le sujet le plus sensible : le classement et sa transparence. Le rapport estime que la nécessaire transparence, qui a progressé mais n’est pas encore atteinte, rencontre un obstacle majeur : le fait que ne sont pas assumés ni le classement, ni la sélection (c’est ma traduction). Le résultat est une formidable ambiguïté, alors même que jeunes et familles y sont prêts, comme le montre l’essor des formations sélectives.
Si un élève n’a suivi aucune spécialité dans une discipline scientifique, “est-ce légitime de ne pas le classer, ou de mal le classer, pour entrer dans une formation scientifique (CPGE, école d’ingénieur, licence de sciences et technologie) ? ” Le CESP estime donc “nécessaire d’assumer politiquement” que la probabilité d’accès et de réussite est différente. C’est pourquoi il juge nécessaire “de lancer une réflexion d’ensemble sur la question des classements et de leur transparence”. Conséquence : “Il sera donc peut-être nécessaire un jour de faire évoluer la loi, en introduisant notamment la possibilité de quotas pour les formations sélectives (géographiques, reprises d’études, filles pour les filières scientifiques).”
Places disponibles. En 2022, un quart des formations sélectives attractives (plus de 1 500) “ne remplissaient pas et auraient dû accueillir au moins 5 candidats de plus en procédure principale. 14 500 places sont ainsi perdues, soit 5 % de la capacité d’accueil totale des formations sélectives attractives.” De même, “9 % des formations sélectives qui ne sont pas attractives pourraient admettre plus de candidats si elles appelaient tous les candidats classés et 4 % ont éliminé plus de la moitié de leurs candidats en procédure principale tout en admettant 800 en procédure complémentaire.”
On notera que le CESP s’est intéressé au cas d’Avignon, en pointe sur le sujet des ‘Oui si’ 3Le CESP juge le bilan global des ‘Oui si’ très “mitigé”. sans aucune licence en tension (ce qui est le cas dans l’immense majorité des universités) et donc souvent une inscription par défaut : “la L1 devient alors pratiquement une ‘plateforme d’orientation’ avec environ la moitié des étudiants en réorientation à la fin de l’année.” Le travail conjoint et individualisé avec les lycées a été financé par l’université parce qu’elle a été lauréate d’un appel à projets du PIA3. Le comité pointe ainsi le problème des financements sur appels à projets vs les financements récurrents.
Enseignement supérieur privé: label ou pas label ?
Le rapport consacre 17 pages (quand même ! p38 à 55) aux formations privées. Je vous conseille de jeter un œil à la page 46 qui recense les labels existants : édifiant ! Le CESP reste prudent sur la création d’un nouveau label “et sur son réel pouvoir de simplification du paysage”. Il juge qu’il “est encore trop tôt pour émettre un avis circonstancié.” Mais il fixe une limite : “il ne doit en aucun cas devenir un nouveau label qui s’ajoute aux autres labels figurant déjà sur la plateforme, au risque d’augmenter encore l’incompréhension des candidats.”
Il préconise en tout cas de prévoir la possibilité de retirer de la plateforme les formations qui ne remplissent pas des critères de qualité et ne respecteraient pas les engagements de la charte Parcoursup, ce qui suppose “un dispositif efficace de contrôle et de sanction, avec les moyens humains et matériels pour effectuer ces contrôles”, notamment dans les rectorats. Ce qui n’est pas gagné…
Le rapport aborde évidemment de nombreux autres sujets comme celui des candidats en réorientation (200 000 candidats en moyenne qui représentent environ 20 % des candidats ayant confirmé au moins un vœu toutes procédures confondues) ou encore les STS et les BUT. Il ouvre ainsi un espace pour un débat argumenté au bénéfice des jeunes qui s’inscrivent dans l’enseignement supérieur. Doit-on en faire un objet de polémiques ?
Juillet 2018 : Parcoursup et le panurgisme médiatique avec le cas de cette lycéenne polynésienne soi-disant refusée dans les “prestigieux” lycées parisiens qui faisait le “buzz”. Une dépêche AFP, sans vérification, à l’origine de tout ceci était rapidement démentie, notamment grâce au travail … journalistique de Marie-Estelle Pech alors au Figaro, s’est révélée un peu différente ! Mais ce virus des vérités alternatives et autres fake news, avait essaimé des réseaux sociaux vers la presse : Parcoursup devenait l’exutoire de tous les maux, avérés ou inventés, de l’ESR.
Janvier 2019 Parcoursup : la possibilité d’un débat rationnel avec des polémiques, souvent appuyées sur de fausses informations et/ou quelques cas particuliers issus évidemment des beaux quartiers de Paris. Pourtant, le rapport du Comité éthique et scientifique de Parcoursup (CESP) de janvier 2019 inaugurait un processus inédit d’évaluation d’une politique publique dans l’ESR, permettant à celles et ceux qui le souhaitaient de participer à un débat rationnel.
Mars 2020 Parcoursup et le bal des hypocrites alors que la Cour des comptes s’intéresse à Parcoursup et fait un premier bilan de la loi ORE. Et contrairement à ce que la plupart des médias ont rapporté, elle porte d’abord sur Parcoursup une appréciation claire : l’administration « s’est montrée performante », l’affectation des candidats à la rentrée universitaire 2018 ayant « été assurée sans heurts notables » : le cataclysme annoncé (des dizaines de milliers de jeunes sans affectation) n’est donc pas arrivé. J’en profitais pour faire un petit retour en arrière sur le « c’était mieux avant ».
Février 2023 Parcoursup, l’autre ‘Linky’ ? car Parcoursup a incarné l’essor des vérités alternatives dans le monde universitaire avec le refus de s’appuyer sur les données réelles de Parcoursup, bouc-émissaire idéal. Il est devenu pour certains le nouveau compteur Linky à qui l’on attribue la responsabilité (entre autres) de la sélection sociale, de la sélection tout court d’ailleurs. J’ajoutais que le nouveau rapport du Comité éthique et scientifique de Parcoursup méritait une lecture critique certes, mais d’abord une lecture… Car ce qui m’avait frappé en lisant de nombreuses contributions de sociologues « engagés », c’est la quasi absence dans leur bibliographie des analyses et données du CESP.
Références
↑1 | Un résumé sur Public Sénat. |
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↑2 | J’avais signalé depuis le début l’incroyable légèreté de faire tout reposer sur un seul homme (Jérôme Teillard). Le MESR a désormais mis “les moyens nécessaires”, le service étant passé de 14 personnes en 2018 à 30 en 2023. |
↑3 | Le CESP juge le bilan global des ‘Oui si’ très “mitigé”. |
Un peu lassant tes attaques gratuites sur la gauche! On connaît ton penchant😉
Heureusement cela ne nuit pas trop à tes analyses qu’on peut partager ou pas😉
Concernant le PS je ne suis vraiment pas sûr que nous demandions l’abrogation! Une réforme de l’orientation oui, revoir l’offre en traitant toutes les voies post-bac adossées ou pas à la recherche, etc…
En gros le sujet n’est pas Parcoursup !
Les faits, rien que les faits, c’est ce qui guide mes analyses.