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Je reçois ce lundi un communiqué de presse à la gloire de Vivatech avec « une hausse de la fréquentation de 24% sur un an, 125 nationalités représentées, plus de 450 speakers, plus de 13 000 startups présentes ». Loin de moi l’idée de minorer le succès d’un salon consacré à la technologie. Mais dans la suite de mon billet qui s’interrogeait « Peut-on miser sur l’innovation sans miser d’abord sur les universités ? », ce communiqué est révélateur des contresens que je soulignais. Décryptage…à partir d’une analyse du CES 2019 de Las Vegas.

David Thesmar et Augustin Landier ironisaient dans les Echos sur la start-up nation : le communiqué à la gloire de Vivatech est de ce point de vue une caricature. La confusion entre communication, création d’entreprises, business, innovation est à son comble. Évidemment avec ce billet, je ne me situe pas dans les retombées presse « mainstream ». Mais les réactions à mon billet « Peut-on miser sur l’innovation sans miser d’abord sur les universités ? » me convainquent que je dis tout haut ce que beaucoup pensent.

Soulignons au passage que les communicants de Publicisconsultants pourraient déjà apprendre à rédiger un communiqué de presse : indigeste, et absolument pas dans les canons de la profession, un comble ! Bizarre pour des pros de la com !

Ne parlons pas non plus du sabir utilisé, qui semble être la règle pour faire moderne et techno (un « track de conférence », les « corners« ). A propos des « grandes tendances qui contribuent à façonner le monde de demain », on trouve les incontournables (Intelligence artificielle, 5G, blockchain, Quantum Computing, santé connectée, la nouvelle course à l’espace) mais aussi« la mobilité et l’environnement ». Bref, du Bouvard et Pécuchet à la sauce numérique.

Mais parlons du fond. Que nous dit ce communiqué avant tout ? 2 choses.

  1. Qu’il y avait du monde (le grand public) mais surtout des personnalités, connues ou entretenant leur notoriété. C’est la règle du jeu de la promotion mais qui révèle en fait les véritables attentes autour de cet événement. En effet, la liste des personnalités comprend beaucoup de politiques, de dirigeants d’entreprises (high tech ou non), et bien sûr de start-up en quête de financements et/ou de marchés. C’était donc surtout « The place to be », évidemment pour nouer également des relations d’affaires.
  2. Que le monde de la recherche (sans qui les réelles innovations seraient impossibles), n’y existe pas vraiment : l’apport et la présence du CNRS ou de l’IMT par exemple ne sont absolument pas mentionnés, tandis que la « deep tech » y est très faiblement représentéé. Et relevons, une fois de plus, que parmi les (nombreux) membres du gouvernement passés à Vivatech, la ministre pourtant en charge de la recherche et de l’innovation apparaît noyée parmi ses collègues.

Quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur ce salon (et vu les tarifs !), l’absence de l’ESR français dans sa globalité saute aux yeux : le MESRI a été incapable d’y fédérer une apparition concertée.

Le CES 2019 de Las Vegas et la French Tech

Il est intéressant de revenir sur le CES 2019 de Las Vegas, qui en miroir, nous dit beaucoup sur la vision française de l’innovation et les effets de mode.

Soyons clair : un salon consacré à l’innovation, comme Vivatech ou le Consumer Electronics Show n’est pas un salon consacré à la recherche, mais au business. Mais ce business s’appuie presque toujours (si l’on parle d’intelligence artificielle, de monde connecté etc.) sur un lien étroit avec la recherche.

A propos de la présence française à Las Vegas, Jamal El Hassani dénonçait en janvier 2019, dans le Journal du Net, le fait que, « passée la démonstration de force, on déchante rapidement face aux nombreuses start-up dont on peut franchement douter de la pérennité, et qui présentent des gadgets qui auraient davantage leur place au concours Lépine, car souvent éloignés de produits pensés pour des besoins et un marché. » 

« Arrêtons les fantasmes sur le CES » alerte Ari Kouts. Pour comprendre là où va l’industrie, « il faut donc sortir des paillettes des écrans 8K géants, des robots dansants, et des discours ‘… et donc grâce à l’intelligence artificielle notre produit…’ servis à toutes les sauces sans aucun fondement, et profiter de l’occasion pour dénicher les sujets de demain. »

De nombreux commentateurs spécialisés vont dans le même sens. Mais le plus complet est le compte-rendu du CES 2019 de Las Vegas réalisé par le blogueur-consultant Olivier Ezratty. Quasi encyclopédique, il est plus proche de la réalité de l’innovation dans le monde et surtout garde une distance critique avec les effets de mode. Mieux, il sait de quoi il parle !

Je conseille notamment de lire 2 passages. L’un sur les tendances thématiques (page 12), l’autre sur la French tech (à partir de la page 29) avec quelques anecdotes drôles.

Les équipes accompagnantes des régions et autres organisations ? « Largement surnuméraires » ?. Plus important, il souligne qu’il y avait « à peu près autant d’erreurs de casting qu’en 2018 avec encore plus d’offres d’entreprises qui n’ont rien à voir avec les thématiques du CES, comme diverses applications de travail collaboratif pour les entreprises. »

Pourquoi ? « Les startups de ces domaines viennent surtout rencontrer les décideurs d’entreprises français qui parcourent les allées du CES » ?! Et il ironise sur le « véritable effet d’œufs et de poules que l’on n’évoque pas assez : nombre de startups françaises exposent pour rencontrer ces centaines de décideurs français cornaqués par près d’une dizaine de tour operators du CES (…) ».

Son jugement sur l’’innovation française ? Elle est « à la fois surprenante et originale mais trop souvent destinée à des usages et marchés de niches très étroites. » Et il remarque que « cette année, les commentateurs, surtout ceux qui étaient restés en France, relançaient le débat sur cette présence française, sur le rôle des aides publiques dans cette présence, sur celui des politiques, moins représentés cette année, du manque d’ETI et de grands succès, de la mesure a posteriori du retour sur investissement des startups qui vont au CES, etc. »

Je laisse les lecteurs lire ce dossier très complet. Y a t-il une bulle autour des start-up ? Je me garderai de me prononcer mais force est de constater qu’un grand nombre, y compris dans les EdTechs n’a pas trouvé son modèle économique. Or, la levée de fonds comme modèle ne peut durer qu’un temps, d’autant que l’innovation est par nature fragile et remise en cause, avec des cycles accélérés.

La lecture d’Olivier Ezratty me conforte dans les idées que j’ai développées dans mes billets (nombreux) sur ces sujets : il ne suffit pas de prononcer le mot innovation dans un monde qui change à une vitesse déconcertante. Le nombre d’initiatives coupées des universités, organismes et écoles n’est en tout cas pas un bon signe.

Car partout dans le monde, c’est autour du tissu universitaire que sont nées les grandes ruptures.

4 Responses to “Las Vegas, Vivatech etc. : l’écume de l’innovation ?”

  1. L’annee Prochaine venez sur le stand Ionis et vous verrez comment l’innovation et la passion d’entreprendre donne des perspectives exceptionnelles à nos jeunes.
    Oui il y a des grandes approximations et des personnalités totalement inutiles qui passent leur temps à se montrer
    Oui l’innovation est souvent exagérée et amplifiée de manière trop médiatique.
    Mais Vivatech doit servir de catalyseur et fait partie du combat d’influence que doit mener la French Tech
    A l’ann Prochaine

    • Cher Marc Drillech, j’adhère complètement à votre remarque sur la passion d’entreprendre de nombreux jeunes, sur leur envie d’innover.Je souligne simplement les constats faits par des commentateurs spécialisés sur le CES de Las Vegas, sur les effets de mode et sur l’absence de la dimension « innovation de rupture ». D’ailleurs la présence massive des pouvoirs publics mais l’absence du MESRI à Vivatech nous en dit long sur la vision française de l’innovation ! Et pour « catalyser », il faudrait déjà que les pouvoirs publics sachent ce qu’ils veulent.

  2. D’accord avec les remarques de Jean Michel Catin mais petite question iconoclaste: un des objectifs de l’innovation en France et en Europe n’est-il pas d’arriver à concurrencer l’économie chinoise et américaine?
    Va-t-on y arriver en continuant à organiser la recherche (et l’innovation qui en découle) autour d’un système compétitif plutôt que coopératif? Peut-on continuer à disperser les efforts de nos chercheurs français et européens dans la course au financement?
    Allons même plus loin au niveau des entreprises et mettons en place (ou relançons) des centres communs de recherche (open-innovation?). Et là on retombe sur le sujet de la simplification des dispositifs existants déjà traité dans ce blog de JMC.
    Pour finir regardons un peu du côté de nos concurrents asiatiques sans aller jusqu’à une économie dirigiste.

  3. Pitoyable, l’absence du MESR au CES de L’as Vegas. Cela confirme une donnée manifeste : la France se moque de son université. La meilleure preuve en étant la détestable absence d’interet du pouvoir ( donc de nos élites ) pour l’université et la recherche. Depuis deux ans on n’a pas entendu un seul discours marquant du président Macron sur le sujet. Il est juste allé à Saclay pour consacrer le divorce entre l’université et Polytechnique, sous la pression des puissants lobies de cette école. Avec le recul on s’apercoit que c’est un fort médiocre élève de fac, Nicolas Sarkozy, qui a le plus clairement compris, en 2007, la nécessité de revaloriser l’université et la recherche. Depuis, tout est retombé . L’uiversite est un puissant levier de soft power pour les anglo saxons, les allemands, les suisses, les australiens, les chinois . Pas pour les français. Quelle tristesse.
    Bravo Jean Michel d’y revenir constamment , ça n’a pas autant d’effet que de barrer les rues, mais c’est nécessaire et salutaire , et, sait on jamais, cela aidera peut être à convaincre quelques universitaires et chercheurs de quitter leur tour d’ivoire et monter au créneau

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