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En pleine semaine d’ouverture de Vivatech, le salon qui ambitionne de rivaliser avec Las Vegas, Barcelone ou Berlin sur les technologies du futur, 2 économistes publient dans les Echos une tribune au vitriol sur l’approche française de l’industrie et de l’innovation. Ils dénoncent des illusions, dont j’avais pointé en octobre dernier les fuites en avant : c’est ce qu’ils appellent “une start-up nation à contretemps”. Ils soulèvent une question fondamentale : comment peut-on affirmer miser sur l’innovation sans miser d’abord sur les universités et la recherche ?

Au moment où des coups de clairon permanents sur l’attractivité de la France, son système d’innovation à la pointe etc. retentissent, les 3 constats d’Augustin Landier, professeur à HEC et David Thesmar, professeur au MIT méritent réflexion : arrêtons de subventionner l’innovation privée, donnons une réelle autonomie aux universités, faisons des universités les leviers de la décentralisation économique.

L’innovation privée et les subventions publiques

Dans cette tribune des Echos du 10 mai, ils attaquent fort : ce n’est pas l’innovation privée des entreprises qui a besoin de fonds publics, mais les universités de recherche.” Ils disent tout haut ce que toute personne raisonnable sait : derrière le bruit médiatique autour de Station F, Vivatech et bien d’autres, il existe en France un contresens total sur ce qu’est l’innovation. On rejoint là le débat autour de l’ENA, des Grands corps, mais surtout de la place de l’université et de la recherche dans notre pays.

Les 2 économistes passent donc au bazooka les politiques menées depuis des années, voire des décennies, derrière lesquelles un vieux vernis “pompidolien” se pare de “la tonalité plus juvénile de la ‘start-up nation’.” En gros, État et collectivités passent leur temps à réparer des tissus industriels dépassés à coup de subventions, ou arrosent le sable du désert, en se livrant à un “Meccano®” industriel “usé jusqu’à la corde et totalement inopérant.”

Car selon eux, “même à supposer qu’en chaque haut fonctionnaire sommeille un capital-risqueur de génie, le ciblage par l’État de l’innovation privée n’est pas un bon calcul économique.” La raison ? La recherche privée “est souvent directement rentable et protégée par les brevets et le secret des affaires.” Mais il est vrai qu’une des spécialités du capitalisme français, héritage colbertiste, c’est la chasse, non à l’innovation, mais à la subvention ? !

C’est pourquoi l’État devrait concentrer ses moyens sur ce que les entreprises ne feraient pas sans subvention : la recherche fondamentale, qui tombe dans le domaine public.” Curieusement cependant, ils n’abordent pas certains “non-effets” du CIR, comme l’ont montré les récentes études du CNEPI.

Les modes, la bulle “start-up”, les médias

J’ai déjà cité des rapports sur l’innovation et la prospective réalisés par Bercy qui feraient de bons poissons d’avril ! Augustin Landier et David Thesmar dénoncent ainsi “cette frénésie médiatique” avec ces annonces incessantes de “fonds de rupture”, de “champion européen de la batterie”, de “Paris capitale mondiale de la blockchain” etc.

La crédulité est en effet telle que médias, élus, technocrates, décideurs divers se pâment tous par exemple sur l’intelligence artificielle sans comprendre le 1/10ème de ce qu’ils évoquent.

Fleurissent aussi dans les médias (la PQR par exemple) de pseudo ‘success stories’ dans lesquelles un diplômé, en général d’école de commerce, a un projet révolutionnaire d’application de baby-sitting (au hasard) et qui, grâce à cette visibilité médiatique espère faire une levée de fonds (avec 0€ chiffre d’affaires et une rentabilité hypothétique). Vous y ajoutez parfois un grain de volapük new age et des investisseurs fascinés misent…jusqu’à l’explosion de la bulle ?.

L’inculture crasse d’une partie de la presse (que l’on peut constater chaque jour sur les fake news scientifiques et l’admiration sans bornes pour Élise Lucet, voir le site Sciences et Pseudo-sciences) fait le reste.

Pour être juste, cette folie n’épargne évidemment pas les États-Unis, même si, contrairement à la France, le nombre de réussites…issues en général du tissu universitaire reste sans commune mesure.

Quant aux collectivités, elles sont trop souvent aveuglées par les lumières des paillettes de l’innovation, que de l’innovation elle-même : je n’aurai pas la cruauté de recenser ces termes et manifestations prétentieux, censés témoigner de politiques dynamiques, de la multiplication des dispositifs fumeux etc.

La raison ? Elle a été souligné fortement par le rapport “Lewiner” : dans les comités d’investissement, publics ou privés, combien connaissent la recherche ? Pendant ce temps, les start-up “deep-tech” issues de la recherche publique, peinent non pas à trouver des investisseurs, mais des capitaux à hauteur de leurs besoins. Et vont les chercheurs aux USA.

Mais me rétorquera-t-on, avec la BPI, le PIA de multiples instruments n’ont-ils pas été créés ? Il suffit de consulter la délicieuse infographie réalisée par la Cour des comptes pour comprendre le délire de la stratégie publique française.

Les 2 économistes portent le coup de grâce : derrière ce qu’ils appellent le “relooking start-up”, le discours politique cache mal une stratégie qui n’est pas adaptée à l’économie de la connaissance”. Il est sûr qu’en lisant les communiqués de presse, les médias, en recensant les trophées divers et variés, on a l’impression que l’imitation d’Uber, Deliveroo etc. semble le Graal (confondant e-commerce, création d’entreprises et économie de la connaissance), tandis que les modes se succèdent : aujourd’hui les robots, demain je ne sais quoi etc.

Le rôle central des universités dans la décentralisation économique

Pourtant, selon Augustin Landier et David Thesmar les solutions existent : “il faut des universités autonomes et responsables.” Si leurs propositions (“liberté des frais de scolarité et, surtout, gestion autonome des ressources humaines”) feront polémique, ils soulignent que “dans les données internationales, les universités dont le budget et les ressources humaines sont contrôlés par l’État produisent moins de brevets et se classent moins bien dans les comparaisons.”

Mais le plus intéressant dans cette tribune est à mon sens ce 3ème constat : “l”université doit servir de levier à la décentralisation économique.” Ils relèvent que “l’écosystème de la connaissance est avant tout local” et que la symbiose avec les universités “n’a pas besoin de l’intervention directe de l’État central” car elle s’opère naturellement si l’université est en bonne santé. En un mot, faisons confiance et arrêtons l’inflation des dispositifs !

Ils donnent 3 exemples, 2 assez connus (l’explosion du secteur pharmaceutique autour du MIT et de Harvard, la résurrection de Pittsburgh autour de l’université de Carnegie-Mellon) mais un autre beaucoup moins, celui de la petite ville de South Bend, Indiana, “dont la renaissance s’est appuyée sur l’université Notre-Dame.”

Leur conclusion ? “Les élus locaux devraient davantage s’appuyer sur les universités pour faire évoluer le tissu économique.” Dénonçant enfin le silence “assourdissant” du gouvernement concernant la recherche et l’enseignement supérieur, il soulignent la contradiction avec l’affichage d’une politique d’innovation.

Bien sûr, le MESRI, les établissements encouragent et soutiennent de réelles innovations produites par des chercheurs, mais ont-t-ils les clés ? Car, et c’est mon commentaire, si le ministère MESRI est enseignement supérieur, recherche et innovation, c’est bien Bercy et Bruno Le Maire (dont la proximité avec la recherche est connue ?) qui pilotent réellement.

Les universités ont en tout cas un avantage : un maillage territorial unique, à ne pas confondre avec le fameux aménagement du territoire qui a, plus qu’à son tour, servi au clientélisme.

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