La publication par le MESRI de l’Etat de l’ESRI 2020 dresse un constat implacable : la dépense par étudiant est de 11 470 € en 2018, son plus bas niveau depuis 2007. Avec un écart sans précédent de 5 800 € entre le coût d’un étudiant en université et en CPGE. Alors que pour l’ensemble des pays de l’OCDE, cette dépense s’accroît de 8 % entre 2010 et 2016, elle baisse en France de 5 % sur la même période ! Cerise sur le gâteau, on découvre une curiosité statistique et politique : les projections du MESRI à 10 ans ont surestimé systématiquement la progression des effectifs dans les CPGE et les STS et sous-estimé celle dans les universités. Comment et pourquoi ?
La dépense par étudiant révèle la capacité des différents gouvernements d’une part à prévoir et d’autre part à faire, ou pas, de l’enseignement supérieur une priorité. Certes, elle ne se réduit pas au financement public et ne fait pas tout : sa composition mérite également d’être analysée, mais c’est un autre sujet. 1Selon le document du MESRI, « en financement initial, avant la prise en compte des transferts entre les agents économiques, la part de l’État est prépondérante dans le financement de la DIE pour l’enseignement supérieur (67,6 %), loin devant celle des collectivités territoriales (10,4 %) et des ménages (9,6 %). » Et quant aux comparaisons internationales, « les pays scandinaves et la Belgique affichent un financement des établissements d’enseignement supérieur quasiment exclusivement public (supérieur à 85 %). A l’opposé, pour le Japon, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Corée du Sud et l’Australie, le financement est majoritairement d’origine privée. La France, avec un financement public à hauteur de 78,7 %, se situe bien au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE (+ 10,2 points). »
Mais cette dépense par étudiant est évidemment « indexée » sur l’évolution des effectifs, d’où l’importance de projections fiables. Or, un regard rétrospectif sur ces projections (qui ne sont donc pas des prévisions ?) du MESRI montre pour le moins des approximations et des biais, dont d’ailleurs je n’ai pas une explication claire : je vous propose 11 notes à relire (oui il faut les mériter ?) afin, si vous le souhaitez, d »aller dans le détail des filières et de contredire éventuellement mon analyse. Je me suis concentré en effet sur les projections à 10 ans.
Des projections erronées à 10 ans
Naturellement, il faut prendre en compte de multiples réformes (bac pro, bac, Parcoursup par exemple) qui modifient les scénarios envisagés. Alors que le SIES du MESRI a une production de qualité, voire de très grande qualité 2La permanence des erreurs montre bien qu’il s’agit d’un problème structurel et pas de personnes., la relecture des projections à 10 ans est souvent cruelle : croissance des prépas ou des STS complètement surestimée, celle du privée sous-estimée etc. Surtout, la grande masse des étudiants étant à l’université, l’erreur de prévision les concernant (ne jouons pas sur les mots) a des conséquences incroyables en volume.
Et comme ces scénarios prennent en compte des variables diverses (démographie, bac, réussite, poursuite d’études, emplois, comportements mais aussi politiques publiques etc), il existe une dimension politique qui semble absente. Je ne suis pas statisticien mais on peut quand même s’interroger sur le processus de relecture et le pilotage depuis des années au sein du MESRI !
Comment diriger un Ministère dans ces conditions ?
J’ai relu (voir infra) et comparé quelques projections d’évolution des effectifs réalisées depuis plus de 10 ans. Ce qui frappe le plus, c’est la persistance de scénarios erronés attribuant aux CPGE et aux STS une croissance soutenue … et aux universités une croissance modérée. Or, ces projections sont à chaque fois démenties par la réalité.
En 2010, on prévoit 89 100 étudiants en CPGE et en février 2016 94 000 pour 2019 : la réalité sera de 85 100 (écart de 4 à 9 000). Idem pour les STS, on prévoit en 2010 284 500 étudiants pour 2019, en 2016 279 000 : la réalité est de 264 000 (écart de 15 000 à 20 000).
Dans le même temps, on prévoyait pour 2019, 1 540 600 étudiants à l’université (y compris IUT), alors que la réalité de 2019 est de 1 634 900 et donc un écart de 94 300 quand même ! Mieux, ce qui est à peine croyable, en 2008 le MESRI anticipait pour 2017 non pas une légère croissance des effectifs à l’université mais carrément – 15% d’étudiants ? !
En résumé, les CPGE et STS ont moins d’étudiants que prévu, tandis que les universités en ont plus (l’équivalent de 3/4 universités) : cela fait donc 10 ans (au minimum) que la Dgesip ou ses avatars (Dges etc.) doivent élaborer une politique à partir d’indicateurs…faux !
Dans ce contexte, l’appel à manifestation d’intérêt pour des projets de recherche autour de Parcoursup est un progrès mais laisse de côté toute vision prospective sur l’évolution du nombre d’étudiants et leurs attentes 3Remarquons que si les sociologues, statisticiens, économistes signataires énervés de tribunes sur la « démocratisation » de l’enseignement supérieur dépensaient autant d’énergie à travailler sur les chiffres, on avancerait peut-être un peu plus vite ?.
Un nouveau scénario pas plausible
On peut donc s’interroger sur le nouveau scénario du MESRI 2017/2027 : « En dix ans, suite aux moins nombreuses entrées supplémentaires en 2019 et à une stabilité les années suivantes, l’université gagnerait au total 78 000 inscriptions d’étudiants, soit une hausse de 5,3 %. La progression serait plus forte en cursus licence qu’en cursus master (+ 6,9 % et + 4,0 %).
Cela signifierait donc seulement 7 800 étudiants en plus par an à l’université ! Pourquoi ? En raison notamment de « la nouvelle réforme des masters » qui instaure « le recrutement et la sélection des candidats à l’entrée dans le cursus. » Une explication un peu courte même si le maintien de la tendance à la baisse des doctorants semble lui crédible (de même d’ailleurs que la stagnation des prépas).
Quelles conséquences pour ces « erreurs » ?
Or, les chiffres du MESRI sur le montant de la dépense étudiante sont clairs : « les coûts moyens par étudiant varient, en 2018, de 10 120 euros par an pour un étudiant à l’université à 14 180 euros pour un étudiant en STS et 15 890 euros pour un étudiant en CPGE. Ces dépenses moyennes ont ainsi eu tendance à se rapprocher, à partir du milieu des années 2000, mais elles s’écartent à nouveau depuis 2013 pour atteindre, en 2018, un écart de près de 5 800 euros entre le coût d’un étudiant en université et en CPGE. »
Ah si j’oubliais le génie français : dans quel pays au monde, peut-on concevoir une loi dédiée exclusivement à la recherche (la LPPR) en ignorant le décrochage manifeste en matière d’enseignement supérieur ? En France bien sûr, une contradiction et surtout une erreur stratégique que j’avais dès l’origine pointées.
Répétons-le, même si c’est politiquement incorrect, la priorité pour la recherche, c’est d’abord l’enseignement supérieur et les universités, son poumon.
Petit historique des projections du MESRI : 11 notes
NB : j’ai sélectionné le résumé de ces 11 notes.
Projections 2008 à 2017 : note de novembre 2008. À l’université, la baisse serait plus importante, 195 700 étudiants en moins y seraient inscrits (- 15,2 %). Les effectifs diminueraient également dans les filières IUT (- 1,1 %) et STS (- 3,3 %). Les classes préparatoires verraient leur influence (sic) augmenter avec 3 800 étudiants supplémentaires dans dix ans (+ 4,9 %). Dans les autres formations du supérieur (IUFM, écoles de commerce, d’art, d’architecture…), les effectifs progresseraient de 42 400 étudiants (+ 9,8 %).
Projections 2010-2019 : note d’octobre 2010. À l’horizon 2019, le nombre de bacheliers généraux et technologiques augmenterait de 3,5 % par rapport à 2009. La réforme du baccalauréat professionnel en trois ans –mise en place depuis la rentrée 2009–serait susceptible de provoquer une forte croissance du nombre de bacheliers professionnels (+ 80 000). Suite à cet afflux de bacheliers, si les tendances en termes d’orientation et de poursuite d’études se prolongeaient, les effectifs étudiants augmenteraient de 4,8 % à l’université entre 2009 et 2019, 6,6 % en IUT et 9,8 % en C.P.G.E.. Les bacheliers professionnels poursuivant surtout en S.T.S., les effectifs de cette filière augmenteraient de 13,7 % entre 2009 et 2019.
Projections 2011 à 2020 : note de novembre 2011. À l’horizon 2020, les nombres de bacheliers généraux et technologiques augmenteraient de 2,3 % par rapport à 2010. La réforme du baccalauréat professionnel en trois ans, mise en place depuis la rentrée 2009, serait susceptible de provoquer une forte croissance du nombre de bacheliers professionnels (+ 70 000). Suite à cet afflux de bacheliers, si les tendances en termes d’orientation et de poursuite d’études se prolongeaient, les effectifs étudiants augmenteraient de 10,1 % à l’université entre 2010 et 2020, 1,2 % en I.U.T. et 7,4 % en C.P.G.E.. Les bacheliers professionnels poursuivant surtout en S.T.S., les effectifs de cette filière augmenteraient de 6,8 % entre 2010 et 2020.
Projections 2012 à 2021 : note de septembre 2012. À l’horizon 2021, le nombre de bacheliers généraux augmenterait de 12,1 % par rapport à 2011, tandis que les effectifs de bacheliers technologiques diminueraient de 9,6 %. Les effectifs de bacheliers professionnels connaîtraient un réajustement après le pic conjoncturel de 2012 (- 9,5 % entre 2012 et 2021), mais resteraient supérieurs aux effectifs de 2011 (+ 9,7 %). Suite à cet afflux de bacheliers généraux, si les tendances en termes d’orientation et de poursuite d’études se prolongeaient, les effectifs étudiants augmenteraient de 11 % à l’université entre 2011 et 2021, 9,5 % en C.P.G.E. et 4,5 % en I.U.T.. La hausse en S.T.S. serait plus modérée (3,1%).
Projections 2013 à 2022 : note d’octobre 2013. À l’horizon 2022, le nombre de bacheliers généraux augmenterait de 12,9 % par rapport à 2012, tandis que les effectifs de bacheliers technologiques diminueraient de 3,2 %. Les effectifs de bacheliers professionnels connaîtraient un réajustement après le pic conjoncturel de 2012 (- 8,6 % entre 2012 et 2022), mais resteraient supérieurs aux effectifs de 2011 (+ 12,2 %).Suite à cet affl ux de bacheliers généraux, si les tendances en termes d’orientation et de poursuite d’études se prolongeaient, les effectifs étudiants augmenteraient de 8 % à l’université entre 2012 et 2022, 12,3 % en CPGE, 4,1 % en IUT et 0,1 % en STS. L’enseignement supérieur pourrait ainsi rassembler près de 2,6 millions d’étudiants en 2022, soit 200 000 de plus qu’à la rentrée 2012.
Projections 2014 à 2023 : note d’avril 2015. À l’horizon 2023, le nombre de bacheliers augmenterait significativement pour toutes les séries par rapport à 2013, en raison principalement du dynamisme démographique. La mise en place de l’orientation prioritaire a permis d’augmenter le taux de poursuite et les effectifs des bacheliers professionnels en STS, et des bacheliers des séries technologiques en IUT.Si les tendances en termes d’orientation, de poursuite d’études et de démographie se prolongeaient, les effectifs étudiants augmenteraient de 9 % entre 2013 et 2023.
Projections 2015 à 2024 : note de février 2016. En 2015-2016, selon les prévisions effectuées à partir des résultats provisoires au baccalauréat, des choix d’orientation observés les années précédentes et des premières informations disponibles sur l’année en cours, les effectifs étudiants augmenteraient de 1,6 % dans l’ensemble de l’enseignement supérieur. Ceci correspond à environ 40 000 étudiants supplémentaires en un an. En 2024, selon ces hypothèses, 2 806 000 étudiants seraient inscrits dans l’enseignement supérieur français, soit 335 300 étudiants de plus qu’en 2014.
Projections 2016 à 2025 : note d’avril 2017. En 2016-2017, selon les prévisions effectuées à partir des résultats définitifs au baccalauréat, des choix d’orientation observés les années précédentes et des premières informations disponibles sur l’année en cours, les inscriptions augmenteraient de 2,3 % dans l’ensemble de l’enseignement supérieur, y compris doubles inscriptions des étudiants de CPGE à l’université. Le nombre d’étudiants, établi après neutralisation de ce phénomène, progresserait de 1,9 %. Ceci correspond respectivement à environ 58 000 ou 48 000 inscriptions d’étudiants supplémentaires en un an. A l’horizon 2025, le nombre de bacheliers augmenterait significativement par rapport à 2015, principalement sous l’effet du dynamisme démographique. Si les tendances en termes d’orientation, de poursuite d’études et de démographie se prolongeaient, l’enseignement supérieur pourrait rassembler 2,9 millions d’étudiants en 2025, soit environ 350 000 étudiants de plus qu’en 2015.
Projections 2017 à 2026 : note d’avril 2018. Selon les prévisions effectuées à partir des résultats du baccalauréat, des choix d’orientation observés les années précédentes et des premières informations disponibles sur l’année en cours, le nombre total d’étudiants à la rentrée 2017 augmenterait de 1,4 % sur l’ensemble des formations et des cycles de l’enseignement supérieur, soit + 36 000 étudiants environ. A la rentrée 2018, marquée par le boom démographique de l’an 2000, le nombre total d’étudiants devrait encore s’accroître de 65 000. En particulier, les flux d’entrée en première année dans les quatre principales filières (université y compris instituts universitaires de technologie, sections de techniciens supérieurs et classes préparatoires aux grandes écoles), devraient augmenter de 28 000 environ. Si les tendances en termes d’orientation, de poursuite d’études et de démographie se prolongent, l’enseignement supérieur pourrait rassembler, en 2021, 2,8 millions d’étudiants et, en 2026, 2,9 millions d’étudiants, soit respectivement 216 000 et 327 000 étudiants de plus qu’en 2016.
Projections 2018 à 2027 : note d’avril 2019. Selon les prévisions effectuées à partir des résultats du baccalauréat, des choix d’orientation observés les années précédentes et des premières informations disponibles sur l’année en cours, les inscriptions à la rentrée 2018 auraient augmenté de 2,1 % sur l’ensemble de l’enseignement supérieur, soit + 55 000 étudiants environ. À la rentrée 2019, marquée par une pause de la croissance démographique après le boom des naissances de l’an 2000, le nombre d’inscriptions devrait s’accroitre de 34 000 étudiants supplémentaires, soit une augmentation de presque 90000 étudiants en deux ans. Si les tendances en termes d’orientation, de poursuite d’études et de démographie se prolongent, l’enseignement supérieur pourrait rassembler en 2022, 2,75 millions d’étudiants (hors doubles inscriptions licence- C.P.G.E.) et en 2027, 2,80 millions d’étudiants, soit respectivement 126 000 et 180 000 étudiants de plus qu’en 2017.
Projections 2019 à 2028 : note d’avril 2020. Selon les prévisions effectuées à partir des résultats du baccalauréat, des choix d’orientation observés les années précédentes et des premières informations disponibles sur l’année en cours, les inscriptions à la rentrée 2019 auraient augmenté de 1,3 % sur l’ensemble de l’enseignement supérieur, soit +35 000 étudiants environ. À la rentrée 2020, le nombre d’inscriptions devrait s’accroitre de +24 000 étudiants supplémentaires, soit une augmentation de presque 60000 étudiants en deux ans. Si les tendances en termes d’orientation et de poursuite d’études des bacheliers et des étudiants se prolongent, l’enseignement supérieur pourrait rassembler en 2023, 2,77 millions d’étudiants (hors inscriptions simultanées en licence et en C.P.G.E.) et en 2028, 2,81 millions d’étudiants, soit respectivement +91 000 et +133 000 étudiants qu’en 2018 (dernière année de constat disponible).
Références
↑1 | Selon le document du MESRI, « en financement initial, avant la prise en compte des transferts entre les agents économiques, la part de l’État est prépondérante dans le financement de la DIE pour l’enseignement supérieur (67,6 %), loin devant celle des collectivités territoriales (10,4 %) et des ménages (9,6 %). » Et quant aux comparaisons internationales, « les pays scandinaves et la Belgique affichent un financement des établissements d’enseignement supérieur quasiment exclusivement public (supérieur à 85 %). A l’opposé, pour le Japon, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Corée du Sud et l’Australie, le financement est majoritairement d’origine privée. La France, avec un financement public à hauteur de 78,7 %, se situe bien au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE (+ 10,2 points). » |
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↑2 | La permanence des erreurs montre bien qu’il s’agit d’un problème structurel et pas de personnes. |
↑3 | Remarquons que si les sociologues, statisticiens, économistes signataires énervés de tribunes sur la « démocratisation » de l’enseignement supérieur dépensaient autant d’énergie à travailler sur les chiffres, on avancerait peut-être un peu plus vite ?. |
Merci une fois de plus pour soulever un sujet d’importance: l’écart de moyens attribués entre licence et CPGE est criante depuis longtemps et plusieurs projets politiques au moment des présidentiels ont porté le doigt dessus mais sans retour!
Qd on parle cycle licence vs CPGE où mettons le cycle « bachelor » une autre incongruité française? La stagnation des CPGE ne se transformera-t-elle pas rapidement en baisse drastique justement liée à ce phénomène bachelor?
Oui il faut arrêter les « mesurettes » ou « rustines » pr refonder/redessiner l’ESR. Oui la LPPR est une erreur stratégique en ne traitant pas l’ensemble ES + R (je l’ai écrit aussi ds plusieurs posts) mais n’était-ce pas voulu pr renforcer ds le monde d’avant le pilotage de la recherche par l’aval? La main mise de Bercy renvoyant le MESRI au rôle de subalterne?
J’attends ton prochain article sur le TdF de notre ministre!! C’est la suite de la lettre que tu as provoquée!!!
Les indicateurs sont construits à partir des remontées des établissements.
Il me semble qu’il y a une forte asymétrie sur ce plan entre les universités et les lycées qui hébergent les Cpge.
Les universités ont été progressivement rendues autonomes à une époque qui a coïncidé aussi avec une transition numérique. Plus une forte transformation des parcours étudiants. J’ai l’impression qu’il y a eu un impact sur la qualité des indicateurs nationaux du fait d’une certaine hétérogénéité des outils et des méthodes.
A côté, les prepas sont restées dans des lycées dont les outils étaient imposés et où le suivi était probablement moins hétérogène et plus continu.
Est ce que cela n’a pas créé des difficultés de prévisions ?
Où sinon un biais très français…
Merci Jean-Michel.
Au moment de la rédaction de la Note de Terra Nova
http://tnova.fr/notes/le-choc-demographique-dans-l-enseignement-superieur nous avions remarqué des grosses erreurs de prévision de la DEPP — d’autant plus frappantes que leurs chiffres sont le plus souvent excellents.
Sur la comparaison des moyens entre CPGE et licences universitaires, voici quelques remarques :
– les CPGE ont une relative inélasticité des effectifs, parce la capacité d’accueil dépend du nombre de sections ouvertes ; pour les universités, même lorsqu’elles affichent des capacités d’accueil, elles sont obligées d’accueillir plus d’étudiants si nécessaire ;
– par contraste, les CPGE ont une certaine élasticité des moyens qui leur sont attribués : s’il y a plus d’élèves, automatiquement il y a des moyens supplémentaires pour les colles, les professeurs sont un peu plus payés, etc. En revanche, les moyens des universités sont inélastiques : s’il faut accueillir 200 ou 500 étudiants supplémentaires à la rentrée prochaine, ça sera à budget constant.
– Il faudrait faire la comparaison des moyens un peu plus finement : comparer étudiants en science en licence ou CPGE ; idem en lettres, idem en gestion.
– Un argument des défenseurs des CPGE est de dire : « oui, nos étudiants coûtent plus cher, mais la bonne comparaison est de regarder le coût d’un diplômé. Et nous avons un taux d’échec nettement moindre, donc en fin de compte nous coûtons moins cher ». Un peu de réflexion écarte cet argument, mais il faudrait regarder le taux de succès à niveau égal. Déjà, on sait que les bacheliers généraux ont des taux de succès assez élevés en licence ; si on prenait en compte les mentions, la supériorité des CPGE serait peut-être carrément infirmée (il y a un taux d’abandon non-négligeable, et environ 30% des élèves n’intègrent une école qu’a la deuxième tentative).
– les défenseurs des CPGE
Merci Jean Michel Catin pour ce travail vraiment très intéressant de retour en arrière sur les prévisions. Passionnant.
Je me permets d’ajouter un élément important : le coût d’un étudiant de 11470 Euros est simplement obtenu en divisant le budget total d’une université par le nombre de ses étudiants. Il est donc très surestimé, puisqu’une bonne proportion du budget d’une université est consacré à la recherche. Très grossièrement 50%, puisque les enseignants chercheurs consacrent statutairement la moitié de leur temps à la recherche et que la masse salariale est le premier poste à l’université. Le reste de la dépense (masse des personnels biatoss, fonctionnement) étant aussi partagé entre recherche et enseignement. Il faudrait bien sûr affiner un minimum avec un peu de comptabilité analytique, mais ce n’est pas l’objet de ce commentaire : en gros, la moitié seulement du budget d’une université passe dans l’enseignement. Cela divise donc par deux la dépense consacrée à un étudiant, si on veut le comparer sincèrement au coût d’un étudiant en CPGE. On est donc plus proche de 6000 Euros par étudiant à l’université. En CPGE, on ne fait pas de recherche et le coût total est bien consacré à l’étudiant, et donc dans ce cas le chiffre de 17270 Euros par étudiant est bien le bon… Diable…
Si on prend la peine d’aller un tout petit peu plus loin, avec un tout petit peu de comptabilité analytique là encore on pourrait même différencier le coût d’un étudiant en master et celui d’un étudiant en licence. En effet, il est évident que le coût d’un étudiant dans un master est bien supérieur à celui de la licence avec de très gros effectifs et c’est bien normal. Or, si l’on veut vraiment (mais le veut-on vraiment ?) comparer les coûts de l’université avec les CPGE c’est bien avec la licence qu’il faut comparer les CPGE. Le résultat dépendra de l’université, des disciplines, expérimentales ou non, etc. , mais bon, le chiffre de 6000 Euros par étudiant va encore inévitablement être revu à la baisse en focalisant le calcul sur la licence.
A la fin, l’écart est bien grand… un facteur supérieur à 3 typiquement. Il revient au politique de décider si cet écart est justifié ou non. En tout cas, vu l’origine sociale des étudiants des CPGE, il apparaît clairement que le financement de l’enseignement supérieur est beaucoup plus anti redistributif que ce que l’on croit. Une analyse Rawlsienne peut justifier certaines inégalités, pourquoi pas, encore faut il que cette analyse soit propre et sincère et que les coûts réels ne soient pas cachés.
Voilà pourquoi, selon moi, le salut pour les universités, qui doivent impérativement obtenir davantage de moyens, consiste à présenter leurs dépenses analytiques réelles au ministère. Pour en finir avec ce chiffre cache misère de 11470 Euros par étudiant, qui n’est pas vrai.
Merci Jean-Michel pour cet excellent article, qui démontre une fois de plus, que la prévision démographique est loin d’être une science exacte. Pour autant les prévisions du SIES à 10 ans sont très utiles pour les collectivités locales pour anticiper les éventuelles ruptures dans les évolutions d’effectifs étudiants sur leur territoire.
Concernant les coûts, je suis surpris par la différence entre les 14 180 euros pour un étudiant en STS, et les frais de scolarités encaissés par les établissements privés pour préparer au même diplôme : autour de 6 000 €. Peut-être faudrait-il corriger l’écart par le différenciel de réussite au BTS? Mais même avec cette correction, un rapport du simple au double interroge. Et ce d’autant plus que les établissements privés à but lucratif acquittent des impôts, dont une partie finance leurs concurrents du secteur public. L’enseignement supérieur privé disposerait-il d’une martingale ?