1 Comment

Bien qu’opposé à la loi sur l’immigration, pas seulement sur son aspect étudiant, je pense qu’il n’est pas interdit de réfléchir, même si cela me vaudra des insultes, sur le poison d’une vision franco-française, qui n’épargne malheureusement pas l’ESR. Cela témoigne d’un climat de repli sur soi que l’on rencontre justement dans des camps auxquels on croit s’opposer… La victoire « culturelle » du RN, c’est aussi ça : s’arc-bouter en permanence sur la spécificité française au détriment des apports étrangers. Je présente donc à toutes mes lectrices et lecteurs mes meilleurs vœux d’optimisme, mais aussi de lucidité pour savoir penser contre soi-même.

N’étant pas universitaire mais un observateur de longue date (pas aussi féroce que le regretté B. Maris), j’ai toujours été frappé par les vertus de ce monde mais aussi, comme tout corps social, par sa dualité, voire sa duplicité. Et sur la question des étudiants étrangers, les bras m’en tombent quand je vois les assauts de vertu sur la « vision internationale », le rôle de la France vis-à-vis des étudiants étrangers etc.

Bien sûr de gros progrès ont été faits, comme ces journées d’accueil sur les sites. Mais la réalité du comportement d’une partie de la communauté universitaire concernant l’aspect humain est déplorable : de nombreux responsables d’institutions dites « prestigieuses » ou pas 😉 me content ainsi régulièrement les comportements méprisants d’enseignants avec leurs propres étudiants étrangers. Et je pourrais ajouter les comportements strictement administratifs à la française, où ils/elles ne sont que des numéros.

Je vais donc aller à l’encontre d’idées reçues à propos de l’aspect étudiant de la loi sur l’immigration. Non pas que je l’approuve mais parce que, une fois de plus, elle sert de prétexte à beaucoup de ses détracteurs pour ne pas réfléchir et à mettre sous le tapis de vraies questions. Je précise qu’au moment où j’écris ces lignes, je ne sais pas si S. Retailleau restera ministre de l’ESR.

Début juillet, je dénonçais la tentation d’une limitation du nombre d’étudiants étrangers : dans une proposition de loi “Reprendre le contrôle de la politique d’immigration d’intégration et d’asile”, les sénateurs LR entendaient déjà conditionner l’obtention d’un titre de séjour au versement d’une “caution retour”, restituée lors du départ de France de l’étudiant afin de justifier le “caractère réel et sérieux” de leurs études 1Remarquons que, sauf erreur, le député LR et universitaire P. Hetzel, ancien directeur général de l’enseignement supérieur a voté cette loi.. Un remake de la philosophie de la circulaire Guéant abrogée par Manuel Vals, M. Sapin et G. Fioraso en mai 2012. Tout ceci s’inscrit dans une tendance plus générale, dont le Royaume-Uni est la pointe avancée, ce qu’un récent tweet de R. Sushak accentue. Au grand dam des universités britanniques.

S’indigner, c’est bien, réfléchir c’est mieux.

Le fait que la question des étudiants étrangers soit politiquement instrumentalisée doit-il interdire de réfléchir 2 Il suffit de lire cet article de Libération d’avril 2015 à propos d’une phrase de Michel Rocard pour relativiser certains débats… ? Je recommande de ce point de vue 3 contributions, celles du directeur de l’Ofii, Didier Leschi  qui resitue le débat franco-français dans un cadre plus international mais évoque les étudiants, celle de El Mouhoub Mouhoud, président de Dauphine-PSL qui juge « que le régime d’immigration français, prisonnier du passé, tourne le dos à ses intérêts ». Enfin, celle du PDG du CNRS A. Petit, dans une tribune au Monde, qui pointe au nom de toutes les communautés un problème majeur : « cette image dégradée nuira à l’ensemble de nos coopérations scientifiques internationales ».

Chacun et chacune dans son rôle, les conférences, organisations et syndicats, ont en effet fait part de leur indignation, à juste titre, mais pas forcément avec les bons arguments. On notera d’ailleurs, qu’il a fallu la ‘loi immigration’ pour s’intéresser à l’ESR. Et de ce point de vue, c’est un fait que S. Retailleau a fait entendre sa voix dans un gouvernement et dans des médias globalement sourds aux problématiques de l’ESR. Car rappelons que la « caution étudiante » n’était pas dans le texte initial du gouvernement : il faut lui reconnaître de s’être battue, avec sa démission dans la balance, et d’avoir obtenu une première victoire sur la mise en œuvre a minima, à confirmer, dans l’attente également des décisions du Conseil Constitutionnel.

En effet, le fait même que l’application renvoie à des décrets et des arrêtés illustre ce que relevait en novembre la revue l’Hémicycle : elle soulignait que début 2023 « notre droit était composé de presque 94 000 articles de loi et de plus de 250 000 articles réglementaires. Une inflation devenue illisible pour les Français, les entreprises et même les élus. » Le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration«  est, avant son passage devant le Conseil constitutionnel, le symbole d‘un texte qui aura quelques difficultés de mise en œuvre : lisez et vous comprendrez à l’image de cette chronologie des lois sur l’immigration sur Vie publique.

La « caution étudiante » ne doit pas cacher les véritables enjeux

Je ne vais pas me faire des amis, surtout chez celles et ceux qui ont remplacé toute réflexion par l’indignation dans un réflexe quasi-pavlovien. Relisons donc les chiffres comparés de la mobilité internationale selon CampusFrance : le Royaume-Uni est la première destination d’études en Europe, et « accueille un étudiant sur cinq sur le continent (21%) contre un étudiant sur quatre cinq ans plus tôt (26%), devançant l’Allemagne (13% ; une part stable sur 5 ans), la France (9%, – 4 points) (…). » Les études au Royaume-Uni sont comme on le sait très onéreuses tandis qu’en Allemagne, l’étudiant hors UE doit verser sur un compte 11 208 € 3Germany-Visa indique qu« un compte bloqué est un compte bancaire spécial exigé par les autorités allemandes pour prouver la stabilité financière des étudiants internationaux ou des demandeurs d’emploi qui sollicitent un visa allemand. Avant de partir pour l’Allemagne, vous devez déposer 11 208 euros sur un compte bancaire enregistré en Allemagne. Cet argent sera bloqué et, après votre arrivée, vous ne pourrez retirer que 934 euros par mois pour vos dépenses quotidiennes – c’est pourquoi on parle de compte bloqué. ».

La question financière est importante, mais n’apparaît pas décisive dans la dynamique de la mobilité. Pourquoi ? C’est la qualité des formations et de la recherche qui l’est, combinée à une expérience étudiante de qualité, avec de véritables services et un accompagnement réel. Et le fait que notre pays peine à dispenser des cours en anglais en master (oui c’est plus facile au Royaume-Uni !) n’aide pas. En quoi d’ailleurs faire payer les étudiants étrangers qui le peuvent serait une remise en cause du service public ?

Mieux vaut se poser la question des exonérations et de véritables bourses dans le cadre de stratégies d’attractivité mieux réfléchies. Le manque de moyens (d’ailleurs variable) des universités ne peut suffire de seule explication, lorsque l’on connaît la faiblesse de la relation enseignant-étudiant dans notre pays. Ce ne sont donc pas ces mesures (caution, frais d’inscription) qui feraient « baisser » l’attractivité comme l’attestent les contre-exemples américains et britanniques. Comment expliquer alors la baisse inquiétante du nombre de doctorants étrangers ?

Stigmatiser ou cibler l’Afrique ?

Si les dirigeants d’HEC, de l’ESCP et de l’ESSEC, dont les étudiants ne sont pas vraiment dans le besoin, sont montés au créneau, c’est parce qu’ils ont compris le véritable message, le repli sur soi et le protectionnisme défensif dans une économie mondialisée.

Voir les étudiants étrangers comme des illégaux venus profiter du système ou des délinquants, comme celles et ceux qui vont prendre le travail des « français » est, comme l’a montré le président de Dauphine PSL, un signal négatif et hors du temps au moment où tous les pays se livrent une guerre de compétences, les États-Unis faisant la course en tête (jusqu’à l’éventuelle élection de Trump ?).

Parlons clair : il s’agit de stigmatiser les étudiants originaires d’Afrique. Or cela souligne encore plus une erreur monumentale sur une stratégie africaine, un continent en partie francophone, avec une classe moyenne qui se développe (n’en déplaise aux pessimistes et catastrophistes de tous poils). Le manque de vision des pouvoirs publics ne date pas d’aujourd’hui : la France a raté le tournant de l’Afrique subsaharienne, engluée dans une vision post-coloniale, dont la présence militaire (qui a bien sûr ses justifications dans certains cas) est le symbole. Des groupes privés français d’enseignement supérieur comme Galileo y ont par contre investi en lieu et place de l’enseignement supérieur public.

Or, cibler l’Afrique est une urgence et doit être une priorité, ce que personne n’a vu ou voulu voir. Outre la jeunesse du continent, il y a le développement considérable d’une classe moyenne, qu’une vision misérabiliste, partagée à gauche et à droite, a ignoré. Le résultat, c’est que les élites africaines se forment et vont se former chez elles, mais sans la France, et de plus en plus hors de France. Et en même temps 😊, comble de l’hypocrisie, on ne se prive pas dans les hôpitaux de se servir des médecins étrangers comme variable d’ajustement de notre impéritie, au détriment des pays d’origine.

L’ESR français au risque de la « préférence nationale » ?

C’est donc un processus bien plus profond qui met en jeu de vieux réflexes français, bien au-delà de l’enseignement supérieur et de la recherche : les modèles français seraient supérieurs aux autres. Nous le verrons prochainement avec les élections européennes et le déchaînement de xénophobie plus ou moins ouverte, de la droite à la gauche, avec cette curieuse alliance pro Poutine et anti-européenne.

Peut-on se poser la question d’un système français toujours illisible dans ses formations ? Peut-on attirer des étudiants en développant en permanence un discours flirtant avec la xénophobie et vantant le génie français, son organisation unique qui serait justement un contrepoids, je le formule plus clairement, « à l’impérialisme anglo-saxon » ?

Comment comprendre le nombre ridicule d’étrangers recrutés sur des postes de maîtres de conférence ou de professeurs à l’université (le CNRS fait mieux) ? Doit-on évoquer le fonctionnement des comités de sélection, ou encore Galaxie et son interface en français ? Souvenons-nous de la bataille du temps de G. Fioraso pour exiger l’enseignement exclusivement en français. Souvenons-nous du mépris affiché dès l’origine pour PISA, une invention de l’étranger, de même d’ailleurs que pour tous les classements internationaux, à l’image du ‘plombier polonais’ qui nous menaçait… Je n’évoque même pas le CNU avec ses dizaines de sections que le monde entier nous envie.

La stigmatisation, ce n’est pas seulement les autres… La victoire « culturelle » du RN, c’est aussi ça : s’arc-bouter en permanence sur la spécificité française au détriment des apports étrangers.

En effet, combien de fois ai-je pu mesurer l’abyssale ignorance par les universitaires eux-mêmes des autres systèmes d’ESR ? Le Danemark loué pour son allocation d’études alors même qu’elle est imposable et que le système est ultra-sélectif, ce que l’on tait ? Les universités américaines « financées par les entreprises » alors que leurs financements essentiels viennent des étudiants, des alumni mais surtout des fonds fédéraux publics en recherche ?

La liste est longue, entre mauvaise foi et ignorance, de ce qui ronge une partie du monde académique français : un tropisme franchouillard fait d’arrogance, de mépris de ce qui est étranger et d’isolationnisme … que l’on retrouve chez certains partis. Alors il ne suffira pas de jurer défendre « la veuve et l’orphelin étranger ». Les bons sentiments ne font pas une politique et il faudra véritablement changer de paradigme en intégrant l’apport de « l’étranger » sous toutes ses formes.

Ah oui j’oubliais : comme d’habitude, les universitaires enverront sans problème leurs enfants suivre des cursus payants, qui aux Royaume-Uni, aux États-Unis ou en Australie…

Références

Références
1 Remarquons que, sauf erreur, le député LR et universitaire P. Hetzel, ancien directeur général de l’enseignement supérieur a voté cette loi.
2 Il suffit de lire cet article de Libération d’avril 2015 à propos d’une phrase de Michel Rocard pour relativiser certains débats…
3 Germany-Visa indique qu« un compte bloqué est un compte bancaire spécial exigé par les autorités allemandes pour prouver la stabilité financière des étudiants internationaux ou des demandeurs d’emploi qui sollicitent un visa allemand. Avant de partir pour l’Allemagne, vous devez déposer 11 208 euros sur un compte bancaire enregistré en Allemagne. Cet argent sera bloqué et, après votre arrivée, vous ne pourrez retirer que 934 euros par mois pour vos dépenses quotidiennes – c’est pourquoi on parle de compte bloqué. »

One Response to “Étudiants étrangers : il n’est pas interdit de réfléchir”

  1. Merci Jean-Michel de nous poser comme d’habitude les bonnes questions. Le réflexe d’indignation moutonnière de l’ESR, sur cette question comme sur d’autres, ne nous honore pas, c’est certain. Je vous rejoins totalement sur le fait que le bon argument sur cette disposition – je précise que j’y suis opposé – est le repli sur soi d’un système qui continuera à s’atrophier s’il n’accepte pas que l’ESR est mondialisé. Ceci signifie en effet qu’il faut regarder ce qu’il se passe à l’étranger, et accepter que certains pays puissent être de réels partenaires, et en effet notamment en Afrique.

Laisser un commentaire