Le discours d’E. Macron sur la recherche marque une nette inflexion, en actant le décès des COMP, en remettant en cause le “tout appel à projet” et en prônant un financement pérenne des équipes de recherche. Il demande à S. Retailleau une restructuration du MESR, et aux acteurs une clarification de leur positionnement. Mais surtout, devant le ras-le-bol des chercheurs/euses face au “fardeau bureaucratique”, il leur fixe une échéance : se mettre d’accord d’ici 18 mois pour simplifier le fonctionnement du système… Au pied du mur, MESR, ONR et universités, et j’y ajoute le SGPI oublié par le président, le voudront-ils et sauront-ils le faire ?
Une spécificité française veut qu’un président de la République doit avoir un avis sur tout 1Imagine-t-on Joe Biden ou G. Scholtz faire un discours aussi détaillé sur leur système de recherche ?. Il faut reconnaître qu’E. Macron maîtrise bien les arcanes du système ESR ! “Il est rare qu’un président français parle de la science aussi longuement et avec autant de détails”, a commenté pour Nature Alain Fischer, président de l’Académie française des sciences.
“Il est clair que M. Macron a tenu compte des avertissements des scientifiques concernant les problèmes de la recherche française” a-t-il ajouté. C’est effectivement l’impression qui prédomine après ses rencontres avec des Prix Nobel et médailles Fields. Que retenir de son discours prononcé devant 300 chercheurs et responsables ? Est-ce comme l’écrit Nature, “le plus grand bouleversement du système de recherche français depuis une vingtaine d’années” à partir des “propositions soumises par le géophysicien Philippe Gillet à la demande de la ministre de la recherche Sylvie Retailleau au début de l’année” ? Au fond, le fait que Nature estime que cibler l’allègement du “fardeau bureaucratique” est un bouleversement du système français de recherche, nous en dit long sur le regard “étranger”, après celui sur le CNRS.
Une double “révolution”
Si l’on s’attache au fond du discours, et pas à une phrase sortie de son contexte, E. Macron reprend et valide effectivement les axes déjà développés par Sylvie Retailleau, par le rapport Gillet et renforcés par les constats sévères du rapport d’évaluation du CNRS et la nécessité d’une “opération commando’. L’approche est cohérente : la simplification demandée de toutes parts suppose de clarifier l’organisation du système entre les différents donneurs d’ordre et entre le national et le local.
La ministre voit ses choix confortés : faire des universités “les cheffes de file pour organiser la recherche scientifique de leur territoire” et des ONR des agences de programme (voire de financements 🤭?), selon un principe de spécialité. Avec à la clé une promesse forte (et ambitieuse) aux communautés : la simplification. En parallèle, E. Macron livre une charge très sévère sur le fonctionnement du MESR qui n’aurait pas tiré les conséquences de l’autonomie des universités.
L’échéance à 18 mois, qui figurait page 56 dans le rapport Gillet 2“Pour ne pas continuer de pénaliser les gestionnaires et les chercheurs, l’ensemble devrait pouvoir être rendu opérationnel au plus vite, soit dans moins de 18 mois pour le premier déploiement complet sur sites pilote.”, est habile, la patate chaude étant ‘refilée’, si l’on peut dire, aux acteurs eux-mêmes. En résumé, le président demande à S. Retailleau une restructuration du MESR, et aux acteurs une restructuration et une clarification de leur fonctionnement.
Des constats lucides mais partiels
Une figure imposée de ce genre de discours, c’est le plaidoyer pro domo (la LPR et ses 25 Mds€, France 2030 et ses 13 Mds€). E. Macron glisse au passage que la “clause de revoyure” de la LPR (très attendue) doit permettre selon lui de “rattraper le cœur de la différence qu’on a en termes de financement” et annonce 1Md€ de plus pour France 2030.
Car il admet que c’est une logique de “rattrapage” : “nous avons pendant plus de deux décennies eu un désinvestissement trop important sur notre recherche” avec “une organisation (…) trop complexe, trop cloisonnée, souffrant de procédures administratives trop lourdes et chronophages. Sur ce sujet, je dirais que le passé peut être encore conjugué au présent, pour partie.” Il dénonce également la “maladie du système” des évaluations dont on ne tire “à peu près aucune conséquence.”
Cette lucidité, qu’il faut saluer, s’accompagne cependant d’oublis pour le moins curieux : l’emballement du CIR (+ de 7Mds€ !) qui ne corrige pas la faiblesse de l’investissement privé ou encore le rôle du SGPI, jamais mentionné, dans l’accroissement de la complexité.
La fin du “tout appel à projet” ?
Cependant, E. Macron met le doigt là où cela fait très mal. Alors que le sous-financement public de la recherche (voir les chiffres infra) doit être tempéré, il a beau jeu de le souligner : même quand l’argent coule à flots sur certains secteurs avec France 2030, il met du temps à arriver, comme le lui avait fait remarquer Alain Aspect. Ou alors il suppose un temps colossal pour avoir le droit de le dépenser, à l’image des règles (et des logiciels…) pour les missions.
Au-delà de ce constat, il glisse une information qui marquerait une rupture importante, si elle est suivie d’effets. Les commentateurs n’ont pas beaucoup relevé cet aspect du discours. Constatant que “même si on augmente les moyens, même si on va plus vite, etc., on a des équipes qui passent un temps considérable à faire au fond du dossier administratif pour avoir de l’argent pour le programme de recherche, qui leur permet de vivre.” Pourquoi ? Parce que l’on finance “encore beaucoup trop des projets et pas assez des équipes et on finance encore beaucoup trop sur des temps courts.” Financer la recherche de manière pérenne sur des temps longs : une remise en cause du “tout appel à projet” ?
Des annonces pas nouvelles … mais pas forcément claires
Le fait que chaque ONR soit transformé en agence de programme et “disposera des ressources pour piloter les programmes qui lui seront confiés” n’épuise pas le sujet de la mise en œuvre concrète. Car l’ambiguïté continue de régner, agence ou opérateur, agence de programme vs agence de financement… Le diable n’est-il pas dans les détails ? 🤭
De même, et logiquement, “faisons des vraies universités autonomes avec des logiques de site et ayons des équipes qui sont gérées au niveau d’un site.” Elles sont désignées “cheffes de file pour organiser et gérer la recherche scientifique de leur territoire”, car “c’est au niveau des universités que cela se joue”.
Avec un “Acte 2 de l’autonomie”, il propose de revoir leur gouvernance et leur modèle économique des universités (à partir de droits d’inscription plus élevés ?) tandis que d’ores et déjà “les universités qui y sont prêtes” doivent faire “des propositions audacieuses” pour “gérer les ressources humaines qu’elles ont sur leur site, avec une vraie logique de délégation de cette fonction”. Sans la mutualisation des effectifs des ONR, on voit effectivement mal la plupart des universités, en manque de personnels de soutien, capables de relever ce défi du ‘gestionnaire unique’.
L’acte de décès des ‘COMP’
Le président de la République a poursuivi en ajoutant quelques clous au cercueil des COMP (contrat d’objectif, de moyens et de performance) déjà mal-en-point, qui eux-mêmes avaient acté le décès des DSG (dialogues stratégiques de gestion).
“Quand on regarde en vrai ce qu’avec ces contrats on pilote comme vraies dépenses au total, on a envie de se dire que les gens qui sont prêts à les préparer, à les documenter et les évaluer sont des héros (…) Donc, ça veut dire qu’on n’a pas pris les bonnes décisions” : il acte brutalement le décès des COMP (contrat d’objectif, de moyens et de performance), qui eux-mêmes avaient acté le décès des DSG (dialogues stratégiques de gestion) 😒.
Cette charge, très violente sur le fond, montre au moins une écoute des dirigeants des établissements qui n’en peuvent plus, malheureusement en privé, du micro-management du MESR pour 0,8% de leur budget… Mais on peut surtout s’interroger pour l’étape suivante ! Comment les président (e)s d’universités ont-il pu accepter collectivement ceci ? En effet, l’acte 2 de l’autonomie qui leur est proposé suppose qu’ils/elles cessent d’être MESR-dépendants, fonctionnellement et psychologiquement.
Quant au MESR, son recentrage sur le pilotage et la stratégie est une ‘vieille lune’ ! J’ai toujours entendu cela et on peut être sceptique sur sa capacité de régénération. Sauf à des décisions de réorganisation fortes…
Statut et gestion des personnels : ‘good cop’ et ‘bad cop’
Ayant sans doute lu le rapport Gillet, le président de la République a abordé l’épineux sujet de l’investissement dans l’enseignement des chercheurs, sujet qui interroge la question de leur statut et plus largement les modalités de gestion des personnels. Le texte écrit (le prononcé est légèrement différent) va encore plus loin : “si on veut simplifier nos structures, vous aider à terrasser la bureaucratie, faisons des vraies agences de financement qui arrêtent de gérer directement les personnels.” On imagine la levée de bouclier (lire la réaction du SNCS-FSU !)…
Si S. Retailleau est prudente (‘good cop’ ?) il y a donc le ‘bad cop’ E. Macron : “je n’ai pas dit qu’on allait réformer les statuts. Mais à la fin des fins, qu’est-ce qu’on veut ? (…) Les statuts ne sont pas des protections aujourd’hui, ce sont devenus des éléments de complexité. Donc moi, je vous invite très sincèrement (…) à les changer vous-mêmes.” Car “autant de statuts différents dans une même politique publique, à coup sûr, n’est pas efficace ni agréable à vivre pour les acteurs, et donc on doit cheminer là aussi vers des rapprochements des sentiers.”
Une stratégie habile ?
En conclusion, s’agit-il d’une “énième réforme de la recherche publique et de l’enseignement supérieur” comme s’interroge le SNPTES-UNSA ? Cette crainte est fondée, ce qu’a d’ailleurs reconnu E. Macron. Ou est-ce l’occasion de mettre fin aux guerres de territoire dans l’intérêt des personnels, des étudiants et de la recherche ?
Depuis des années, on assiste à une bataille rangée MESR-SGPI-ONR-établissements, au détriment des personnels. Cette stupide guerre de territoire mine le système français : le service public est découpé en tranche, chacun défendant l’intérêt particulier de son université, son école, son organisme, son labo, sa conférence, son corps, sa discipline etc. On en vient à se dire que ce ne sont pas les pouvoirs publics qui “démembrent” le service public, mais toutes les communautés et leurs responsables, y compris les syndicats ; ce qui compte c’est avant tout son particularisme. “Not in my backyard”…
Bien sûr, la redéfinition du rôle des ONR (agence de programme, agence de financement) n’est pas vraiment claire, sachant qu’il y a l’ANR et que le SGPI continue de vivre sa vie… Les mots d’E. Macron ne valent pas passage à l’acte (que l’on soit d’ailleurs pour ou contre les mesures proposées). Ceci étant dit, le ras-le-bol général face à la bureaucratisation du système constitue, comme on le voit au CNRS sur les logiciels de gestion, une pression forte sur les autorités, toutes les autorités.
Leurs responsables seront-ils à la hauteur ? La période de réélection des président (e)s sera-t-elle l’occasion de programmes offensifs et pédagogique sur ces questions ? OU de programme “Miss France” ? Les dirigeants des ONR, nommés par le président de la République, seront-ils les fers de lance du repositionnement de leurs établissements ? Ou saboteront-ils le projet sous la pression de leurs syndicats ? Et enfin, la ministre voudra-t-elle et saura-t-elle réformer son administration centrale en tranchant dans le vif ? Enfin, les conférences diverses ou les syndicats accepteront-ils un changement de modèle qui transfère aux universités la réalité de la gestion ?
De ce point de vue, l’annonce d’un compte à rebours de 18 mois est habile. Il est curieux d’ailleurs d’entendre celles et ceux qui sont partisans d’aller vite sur plein de choses le sont moins sur cet aspect qui quotidiennement “plombe” le fonctionnement du système.
Des précisions sur les chiffres cités par E. Macron
Se félicitant de la LPR, E. Macron souligne qu’elle “commence à se décliner en 21. Mais elle apporte sur sa trajectoire 25 milliards d’euros de plus dans notre recherche sur 10 ans. Et c’est un rattrapage qui nous ramène aujourd’hui à un niveau comparable sur la partie publique aux Etats-Unis, Royaume-Uni.” Cette affirmation est partiellement inexacte.
Recherche. En 2020, la DIRD des administrations est de 0,78 point de PIB, de 0,85 aux USA, de 1,04 en Allemagne, mais effectivement inférieure au Royaume-Uni avec 0,56. En ce qui concerne la DIRD des Entreprises, elle est de 1,50 en France, 2,60 aux USA, 2,09 en Allemagne mais également inférieure au Royaume-Uni avec 1,15. Relevons que malgré ces chiffres, la recherche britannique est devant la France dans tous les indicateurs… Par ailleurs, si France 2030 consacre 13 Mds€ à la recherche, ce qui n’est pas rien, mais cela inclut l’enseignement supérieur. Éternel débat franco-français !
Enseignement supérieur. Il affirme également : “(…) on dépense par exemple beaucoup plus par étudiant d’un point de vue part publique que chez beaucoup des anglo-saxons. Mais au total, on a moins d’investissements parce qu’il y a beaucoup moins d’investissements privés.” Evoque-t-il une augmentation du financement privé qui ne peut qu’être celui des familles ?
En tout cas, ses affirmations méritent d’être nuancées : la dépense par étudiant en France est effectivement légèrement supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE mais est tendanciellement en baisse depuis 2012, et surtout révèle des différences énormes et bien connues selon les établissements (universités vs CPGE-STS par exemple) et entre filières.
Cependant, l’effort national consacré à l’enseignement supérieur représente 1,5 % du produit intérieur brut, soit un poids équivalent à la moyenne observée dans les pays de l’OCDE. La France, avec un financement public à hauteur de 77,4 %, se situe bien au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE (+ 8,2 points) selon les chiffres du MESR. Il y a donc bien un problème d’allocation des moyens et d’efficacité.
Références
↑1 | Imagine-t-on Joe Biden ou G. Scholtz faire un discours aussi détaillé sur leur système de recherche ? |
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↑2 | “Pour ne pas continuer de pénaliser les gestionnaires et les chercheurs, l’ensemble devrait pouvoir être rendu opérationnel au plus vite, soit dans moins de 18 mois pour le premier déploiement complet sur sites pilote.” |
Bonjour Jean-Michel,
C’est exactement la réaction que j’ai eue en lisant le discours du Président de la République: chiche !!
Une simplification majeure de la recherche + une réforme de la gouvernance induisant une responsabilisation des acteurs + un MESR performant et capable de produire une vision et des objectifs d’ensemble + une capacité de nos gouvernants à résister aux éditos de quelques scientifiques de renom qui ne manqueront pas d’être offusqués… Chiche !
Pour la fin du tout AAP je ne suis pas aussi optimiste que toi qd on entend que les futures agences de PGM piloteront leur domaine à travers des AAP gérés par l’ANR!
Ds simplification a-t-on encore besoin de l’ANR , à partir du moment où on a ces nouvelles agences? Les organismes délestés d’une partie de la gestion de terrain par les universités pourraient reprendre leurs rôles qu’ils avaient de mettre en place des Groupements de Recherche sans passer par des AAP, ils connaissent assez bien le tissu des potentialités des labos. Stop à la concurrence intra-nationale plus de coopération constructive 😉 Relire Jean Yves Le Défaut 2013 “Mieux coopérer pour réussir”
Bonjour Jean-Michel,
Pour la gestion, la solution est connue mais politiquement incorrecte.
Une gestion des UMR confiée aux universités avec transfert des moyens RH des délégations régionales (avec détachement des ITA des ONR vers les universités).
Et oui… Elle est connue depuis 25 ans…