L’échec des Comue est acté et l’avant-projet d’ordonnance sur les nouvelles formes de regroupement a pour objectif de sortir de l’ornière du rapprochement Universités-Grandes écoles, en panne depuis 20 ans. L’ESR français est à la croisée des chemins : va-t-il connaître une nouvelle couche du millefeuille ou bien une clarification ? Sans entrer dans le détail d’un texte touffu et provisoire, l’essentiel est là : l'”emboîtement” des personnalités morales préserve-t-il les “spécificités” des écoles ? Ou écoles et universités peuvent-elles converger sur un nouveau modèle ?
Après des années d’errements et de complexification de l’ESR français, l’avant-projet d’ordonnance est-il de nature à rassurer ? Il a en tout cas suscité la grogne des organisations syndicales autour de la question de la représentation des personnels, un débat maintenant classique.
Je voudrais revenir sur un aspect essentiel dès qu’il y a un nouveau texte : va-t-il complexifier le système ou le clarifier ? Car la lassitude des communautés est forte face à ce grand meccano institutionnel engagé il y a près de 20 ans (on l’a oublié !) et dont les Comue ont été le dernier avatar.
Rien que sur les règles de représentation des personnels (voir les contentieux de Lyon), même les plus pointus des spécialistes s”y perdaient. Ces Comue, véritables OVNI, ont épuisé les communautés sans apporter la preuve, c’est un euphémisme, de leur utilité.
Le cas des communes
Le millefeuille français n’est pas une spécificité de l’ESR : l’existence d’environ 35 000 communes, un chiffre sans équivalent en Europe, est une donnée majeure des enjeux d’aménagement du territoire.
Cela mérite un petit arrêt sur image car les pouvoirs publics, par l’intermédiaire des préfets, ont été hyper directifs avec une hiérarchie autour de 4 types de regroupements : métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération et communautés de communes. L’enjeu était notamment la mise en place d’une fiscalité professionnelle unique.
En 2018, selon la direction générale des collectivités locales :
21 métropoles regroupaient 904 communes et 18 millions d’habitants
11 communautés urbaines regroupaient 523 communes et 2,4 millions d’habitants
222 communautés d’agglomération regroupaient 7443 communes et 23,6 millions d’habitants
1009 communautés de communes regroupaient 26 424 communes et 22,4 millions d’habitants.
La volonté de regroupement n’est pas donc pas propre à l’enseignement supérieur mais représente un mouvement général dans le cadre de l’État. Ce qui est intéressant dans cette comparaison avec les communes est que ce changement s’est heurté, lui aussi, aux arguments de l’identité des communes, des spécificités etc.
Les débats infinis sur les modalités de représentation par exemple (attribution des vice-présidences de façon clientéliste pour satisfaire toutes les communes) ne sont donc pas l’apanage des universités et écoles.
Pourtant, l’existence des 36 000 communes n’a pas été entamée par les regroupements : les fusions ont été limitées (Cf. l’AMF) puisque l’on arrive encore à environ 35 000 communes.
Le nouveau mantra : emboîtement
Pour résumer, le nouveau texte entend s’attaquer autrement à la question du rapprochement universités-grandes écoles, toujours pas réglé depuis 20 ans. Car en 1998, Jacques Attali produisait à la demande de Claude Allègre, un rapport donnant la philosophie de toutes les mesures qui reviennent sans cesse sur le devant de la scène : mettre au centre les universités, rapprochement avec les Grandes écoles, politique de site, évaluation etc. tout y était.
On a eu les Pôles européens, les PRES, les Comue, avec à la clé, à chaque fois, des dizaines de millions d’euros dépensés.
Remarquons au passage que ce nouveau texte n’aborde pas les questions de GRH, statutaires (CNU entre autres), mais se concentre sur un sujet : des établissements peuvent-ils être des composantes d’un établissement “chapeau” ?
Le texte d’avant-projet d’ordonnance vise donc à lever des obstacles juridiques pour permettre aux sites qui le souhaitent de s’organiser comme ils l’entendent. En résumé, il doit permettre l’emboîtement des personnalités morales, le nouveau mantra de l’ESR.
Point de hiérarchie comme pour les collectivités locales : l’originalité de la démarche est de prendre le parti-pris inverse de celui choisi pour les Comue.
C’est aux établissements, sur les sites, de formuler leur stratégie et leurs propositions dans le cadre d’une “boîte à outils”. Et on n’impose plus le “big is beautiful”, même si on ne l’exclut pas.
On est donc encore dans l’architecture institutionnelle mais, si je puis dire, la “patate chaude” est redonnée aux établissements. Les différents acteurs vont donc pouvoir écrire des statuts, le MESRI gardant (on est en France) la main avec les décrets de création.
La résistance des “spécificités”
Mais évidemment, dans ce monde idyllique du bottom-up, il va y avoir de légers détails qui risquent de compliquer la donne. D’ores et déjà, les écoles s’inquiètent de l’accréditation et de l’affectation des crédits. CGE et Cdefi souhaitent que les regroupements mis en place dans un cadre expérimental ne se structurent pas “au détriment des spécificités des écoles”.
L’éternelle “spécificité des écoles” a servi d’argument depuis 20 ans : seule l’université de Lorraine a réussi à intégrer université (Nancy-I et II, Metz) et écoles (INP Lorraine). La tentative bordelaise entre l’institut polytechnique de Bordeaux et l’université fusionnée a échoué : pire, en plein débat sur la cohérence, le MESRI de l’époque validait la création d’un nouvel institut…
Le projet Newuni en est une dernière illustration même si des écoles ont rejoint le projet Université Paris-Saclay.
Mais cette spécificité n’est pas … spécifique aux écoles ! Les juristes, les médecins, les IUT, les écoles internes aux université, les SHS, tout le monde dans l’ESR français argue de sa spécificité. Le sociologue François Dubet avait il y a quelques années, parlant de ses collègues, caractérisé à juste titre le système français d’addition de milliers de PME.
Et bien sûr, on ne peut oublier le rôle que vont jouer les organismes de recherche, essentiellement le CNRS, dans ces politiques de site autour de la tutelle unique des labo et du mandataire unique sur la propriété intellectuelle.
Loin d’un simple problème juridique, l’emboîtement des personnalités morales touche là à une dimension culturelle et historique propre à la France. Il va mettre à nu les choix stratégiques sur les sites et la capacité des acteurs à développer des projets communs.
Au-delà de l'”emboîtement” des personnalités morales pour préserver les “spécificités” des écoles, le défi réside dans la capacité de ces dernières et des universités à converger sur un nouveau modèle.
Enfin, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle, inquiétant, sur une entrée dans le débat par les spécificités : jusqu’où vont-elles ? Cela rappelle furieusement ce qui se passe entre les pays (encore) membres de l’Union Européenne…
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