On l’a oublié, mais que n’a-t-on pas entendu depuis des mois à propos des étudiants : indisciplinés, irresponsables, démotivés, tricheurs, pas au niveau et, autre face de la même pièce fantasmatique et négative, miséreux, dépressifs etc. Ce florilège donne à voir une vision bien frileuse (et triste) de la jeunesse. L’enthousiasme de la rentrée en présentiel est l’occasion de revenir sur le clivage quasi culturel entre les tenants de la défiance vis-à-vis des étudiants et les tenants de la confiance. Un vieux problème éducatif dans un pays qui parle de « faute d’orthographe » quand les autres langues parlent d’ « erreur » orthographique… Tout un symbole.
On les attendait en 2020 et 2021 sans masque et indisciplinés : les étudiants ont globalement montré un sérieux exceptionnel quant au respect des règles sanitaires, contrairement aux prévisions des Cassandre. Et aucun cluster d’importance n’a été relevé dans les établissements 👍.
Alors que retiendra-t-on des diplômés de 2021, ou des apprentissages de 2021 ? Oui les étudiants, qu’ils soient primo-entrants ou non, ont des lacunes. Oui il y a eu sans aucun doute des « souplesses » dans l’évaluation en particulier au début de la crise, des écrans éteints : et alors 😉? C’est le moment de savoir penser contre soi-même, d’interroger des visions marquées par nos histoires et nos milieux, mais aussi par une mémoire qui flanche.
Rappelons que les difficultés liées au Covid sont partagées globalement dans les universités et écoles du monde entier (y compris la triche). Cela est également vrai en France dans le système « écoles » qui dispose pourtant de moyens largement supérieurs en termes de numérique et d’accompagnement. Les défis sont les mêmes partout, même si il faut rester lucides 1J’ai abordé à de multiples reprises la question du sous-financement des universités et de la nécessaire refonte des aides sociales. sur les inégalités de traitement qu’ont subi les étudiants d’universités par rapport à ceux de CPGE.
Il ne s’agit donc pas de nier les effets négatifs de la crise sanitaire sur les étudiants : 2 années avec un enseignement fragmenté et gravement perturbé, des enseignants souvent démunis, des outils parfois obsolètes, avec des lacunes réelles dans l’acquisition des connaissances, et des situations sociales difficiles, ça ne peut avoir qu’un impact. Mais est-ce une fatalité ? Les jeunes devraient-ils porter ce « fardeau » sur leurs épaules tout au long de leurs études devant (face à ?) des enseignants désespérés par la baisse du niveau ?
Faute d’orthographe ou erreur d’orthographe ?
Faisons un pas de côté. Dans un article du linguiste Bernard Cerquiglini dans la revue l’Histoire de septembre 2021, ce dernier souligne avec malice, à propos du débat sur l’orthographe, qu’en France on dit « faute d’orthographe » mais que dans beaucoup de langues on dit erreur d’orthographe…😀 C’est le cas en anglais, en allemand ou encore en espagnol.
Cette symbolique de la faute plutôt que l’erreur on la retrouve partout, en particulier dans notre système éducatif, ce qu’attestent toutes les études PISA sur le manque de confiance des élèves français et le manque de soutien qu’ils perçoivent chez leurs enseignants. Évacuons un faux débat, celui des moyens (certes important) : la question est avant tout d’ordre « culturel » et vient de loin dans l’histoire de notre pays.
Or, si la faute est condamnable, l’erreur se corrige et est source d’amélioration (s). Ces 2 visions, l’une négative et culpabilisante, l’autre positive et énergisante, clivent le monde éducatif français : doit-on mettre l’accent sur les progrès réalisés ou pointer les faiblesses ?
Des rentrées rassurantes
Alors profitons de cette rentrée pour voir (enfin) le positif : les étudiant(e)s sont là, attentifs, heureux d’être de retour, comme le montrent les images sur les réseaux sociaux de ces rentrées massives et visiblement joyeuses. Avec à la clé un formidable investissement des équipes éducatives, qui rivalisent de créativité pour les accueillir. L’autre bonne nouvelle, c’est la précocité d’une rentrée qui est désormais devenue la règle 2Notons au passage que désormais, les calendriers de rentrée éducation nationale et enseignement supérieur sont synchrones..
Tout ceci contraste fortement avec les traditionnelles déplorations sur l’état des étudiants que l’on a lues et/ou entendues depuis des mois…voire il y a des décennies ! Compétition de l’indignation, misérabilisme, dramatisation permanente sont un sport national, et débouchent malheureusement sur des visions à la limite du complotisme lorsque l’on relit certaines déclarations comme celle d’un professeur de Droit (encore doyen d’une faculté à l’époque) en mai 2020 dans Le Monde : à la suite de nombreuses pétitions allant dans ce sens, il subodorait autour de l’enseignement hybride…« un leurre motivé par des considérations budgétaires ». Quel visionnaire 🤣!
Soulignons au passage que, sans remonter à 1968, les années universitaires des années 70 et 80 étaient plus que courtes tandis que l’accueil des nouveaux entrants était indigent. Qui se souvient que, par manque de moyens, les années universitaires commençaient au mieux en octobre et finissaient en mai, au pire en novembre et se terminaient en avril (je l’ai vécu !) ? A-t-on oublié la récurrence de longs mouvements sociaux, pas seulement dans les « facs de Lettres » ? Par exemple le mouvement de grève (pendant près d’une décennie !) qui durait 3 à 4 semaines au printemps dans les IUT « pour la reconnaissance du DUT dans les conventions collectives » !
Le syndrome du premier de la classe
Après une crise de cette ampleur, faut-il pleurnicher sur les manques ou bien encourager et donner confiance aux étudiant(e)s ? Il est vrai qu’une partie des enseignants-chercheurs est victime du syndrome du premier de la classe : issus en général de milieux favorisés, maîtrisant les codes, ayant fait le plein de réussites scolaires, ils/elles voient le monde à leur image et, inconsciemment sans doute, étalonnent le niveau de leurs propres étudiants sur le leur.
La question que le monde universitaire doit se poser est évidente : les lacunes (réelles) d’aujourd’hui sont-elles surmontables ? On m’objectera bien sûr la question des moyens. Réelle, mais très diverse, elle ne peut cependant servir de cache sexe à la persistance d’une vision négative de l’enseignement et de la pédagogie, qui n’est pas liée au statut et à la carrière !
Car amener les étudiants dun point a à un point h ou z, n’est-ce pas par définition la nature de l’enseignement ? D’autant que l’on peut opposer aux lacunes supposées l’émergence de compétences solides révélées par la crise (sens de l’organisation, autonomie etc.), qui ont elles parfois fait défaut, ne l’oublions pas, à leurs enseignants 😉.
Et puis, au-delà de l’absentéisme en première année (qui est d’un autre ordre), ne faut-il pas revendiquer pour les jeunes motivés le droit à l’échec ? Peut-on continuer à penser comme si un échec ou un parcours moyen étaient un poids ad vitam eternam ? Peut-on continuer à voir la formation initiale et le diplôme comme le talisman qui préserve de toutes les ignorances 3Pour les ignorances, le niveau de diplôme n’interdit pas de professer les pires énormités sur les vaccins… et de tous les risques ? Peut-on encore restreindre la valeur d’un(e) étudiant(e) à un cursus sans y intégrer le potentiel évolutif de la formation tout au long de la vie ?
Vous avez 3 heures 😆😆 !
Références
↑1 | J’ai abordé à de multiples reprises la question du sous-financement des universités et de la nécessaire refonte des aides sociales. |
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↑2 | Notons au passage que désormais, les calendriers de rentrée éducation nationale et enseignement supérieur sont synchrones. |
↑3 | Pour les ignorances, le niveau de diplôme n’interdit pas de professer les pires énormités sur les vaccins… |
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