Dans le ‘bazar’ actuel, il ne sert pas à grand chose de commenter les soubresauts du budget de l’ESR : wait and see. Mais les derniers chiffres 2024 n’incitent en tout cas pas à l’optimisme : en 10 ans les dépenses publiques de R&D ont baissé en % de PIB, la France étant désormais 9ème dans l’UE ! Je vous propose un tour d’horizon entre le CAS Pensions (oui encore…), des déclarations polémiques de Ph. Baptiste, des réformes qui s’enlisent façon Kafka (ou Ubu) plutôt que Zola, l’hypothèse d’une bulle de l’ESR privé, une synthèse à lire sur la réussite étudiante, et puis ces polémiques qui font le sel de l’ESR.
Après des mois d’atermoiements, le gouvernement (enfin le dernier…) vient enfin d’admettre que ni les présentations budgétaires précédentes, ni la Cour des comptes, ne traitaient les chiffres du CAS Pensions de façon transparente. La ministre du Budget Amélie de Montchalin le confirme : « sur 52 milliards de contribution de l’État pour payer les retraites des fonctionnaires, 11 milliards sont liés à des cotisations dites normales et 41 milliards liés à une cotisation d’équilibre ».
41 milliards qui ne concernent pas uniquement le régime des fonctionnaires à proprement parler comme le démontre clairement ce thread sur X. Et qui prouve que la DIE est fausse dans les comparaisons internationales : toujours pas un mot de France Universités et des syndicats…
Financement d’un investissement productif : vent mauvais
Les chiffres globaux 2024 de l’éducation en France publiés par la Depp-MEN indiquent que le poids des dépenses d’éducation dans le PIB atteint 6,8 %, et que la dépense pour un élève ou un étudiant, qui est de 10 920 € en moyenne, est « plus élevée que dans la moyenne des pays de l’OCDE ». Avec le CAS Pensions… Pour l’enseignement supérieur, le financement de l’État représente 56,3 %, et « s’accroît de 0,8 % en euros courants, mais recule de 1,2 % en euros constants ». Elle est de 13 300 € pour un étudiant (-1,4 %) mais varie de 12 460 €, pour un étudiant à l’université, à 17 220 € pour un élève en STS et 19 070 € pour un élève en CPGE. Cette « dépense par étudiant en France avoisine la moyenne des pays de l’OCDE » estime le MEN. Avec le CAS Pensions…
Quant aux dépenses publiques de R&D, la France est passée en 10 ans de 0,69% à 0,65%, en dessous de la moyenne de l’UE (0,71 % du PIB, + 3,4 % par rapport à 2023). Elle se situe désormais en 9ème position 😒, selon les données d’Eurostat. Et encore je n’ai pas trouvé (merci à mes lectrices et lecteurs !) si le CIR est compris dans les dépenses publiques de R&D. Pour l’appel Starting grants 2025 de l’ERC, est comme souvent désormais derrière les Pays-Bas.
Pendant ce temps, évidemment, la Chine et les pays d’Asie, les Etats-Unis ont pris le train de l’IA, tandis que les députés rivalisent d’ingéniosité fiscale pour répartir un gâteau qui se rétrécit, mais ignorent totalement ce que l’ESR pourrait apporter pour augmenter ce gâteau…😒
Un ministre peut-il dire ça ?
Quel sens politique dans le contexte actuel ! Ph. Baptiste semble imiter A. Saunier-Seïté, cette ministre de Giscard qui dénonçait en permanence ses collègues et les universités. Au détour d’un commentaire devant la Commission de la Culture du Sénat sur le taux de réponse aux projets Horizon Europe, il a traité carrément les personnels et les établissements de « nuls », « à la ramasse » (à1h49 mn de la vidéo) ajoutant qu’ils avaient pourtant été dûment « harcelés » par le ministère 🤔. Le ministre était certes fatigué au bout de presque 2 heures d’audition. Un inconscient anti-universités que beaucoup dénoncent en off dans le milieu…
« Ce n’est pas Zola non plus » : les syndicats dénoncent aussi cette phrase de Ph. Baptiste minimisant les difficultés financières des établissements. Il a raison, ce n’est pas Zola mais plutôt Kafka (ou Ubu !) avec une succession de changements de cap (plus de COMP, nouvelle réforme des études de santé etc.) ou de dossiers qui n’avancent pas (délégation globale de gestion). La nouvelle réforme des études de santé illustre la déliquescence des politiques publiques : absence de décision puis maelström de décisions et de réformes non coordonnées, mal conçues et encore moins bien menées. Avec des parlementaires hors sol qui décident le déploiement d’une 1ère année d’accès aux études de santé dans chaque département progressivement à partir de la rentrée 2026… Résultat, tout le monde est mécontent : les familles et les étudiants, les doyens, les professionnels et la population qui fait face aux difficultés du système de santé. Et les universités écopent.
Errare humanum est, perseverare diabolicum
La Cour des comptes l’a dénoncé, les Campus connectés ont un coût exorbitant par rapport à leur efficacité. Mais pourquoi ne pas continuer à se tromper ? Comme il l’avait annoncé, le MESR lance 3 vagues d’appels à candidature, avec un bémol… Il propose « un co-financement de 3 ans pour la collectivité territoriale porteuse du projet et un co-financement de l’établissement d’enseignement supérieur partenaire pour accompagner le déploiement du dispositif. » Y aura-t-il des volontaires ?
Heureusement, ces universités souvent pointées du doigt (parfois à juste titre) peuvent être plus vertueuses que leur tutelle. L’université Toulouse-II Jean-Jaurès a décidé de fermer l’antenne de l’Ensav (École nationale supérieure de l’audiovisuel) à Castres, pour relocaliser ses activités à Toulouse. L’université assure que cette décision a été prise « pour garantir la qualité des enseignements » et révèle que seulement cinq puis sept élèves étaient inscrits ces deux dernières années sur les quinze places existantes et qu’aucun contrat d’alternance n’a été signé en trois ans ! Elle ajoute avoir relevé « un fort sentiment d’isolement exprimé par les étudiantes et les étudiants, tant sur le plan pédagogique que relationnel, avec un réel éloignement de la vie de l’école à Toulouse » 1.
Y aura-t-il une bulle du privé de l’ESR ?
Après le DG de l’Edhec, c’est une tribune dans Les Echos qui tire la sonnette d’alarme. L’hypothèse de cette bulle est liée à l’accumulation de facteurs, dont le plus récent est la diminution des aides à l’apprentissage, une manne pour le secteur privé, et pas le meilleur. Mais ceci s’ajoute à beaucoup de signaux plus ou moins faibles. Des responsables d’IAE ou autres formations universitaires semblent tabler sur un retournement, qui leur permettrait a minima de ne pas prendre de plein fouet la diminution des aides à l’apprentissage. A suivre en tout cas, car derrière l’éventuelle éclatement de cette bulle, il y a, ne l’oublions pas, des jeunes
De plus, selon une étude produite par l’Apec, « les recrutements de cadres ont sévèrement fléchi en 2024 (- 8 % par rapport à 2023) », un phénomène qui touche fortement les jeunes diplômés, et « particulièrement les diplômés en droit, économie et gestion, notamment ceux issus des écoles de commerce ». Et ça va continuer en 2025.
C’est l’occasion de revenir sur le feuilleton des business schools françaises qui seraient « leaders » dans le monde ? Pas vraiment si l’on en juge par un autre classement du Financial Times : basé sur la recherche et l’impact de ces mêmes business schools auprès des entreprises, il fait résonner une autre musique… que celle du celui des masters de management qui les place en tête et en nombre en Europe. Elles disparaissent presque complètement d’un classement des 50 meilleures dans le monde, seul l’Insead y figurant.
A propos de la réussite étudiante : une synthèse à lire
Elle est issue d’une note de HDR et propose un«État des recherches en économie et en sociologie sur la réussite universitaire » de Christophe Michaut (Nantes université). Il conclut sur une série de questions : « une ‘gouvernance verticale’ des formations est-elle plus efficace qu’une organisation pédagogique collégiale ? Les universitaires appréhendent-ils différemment les connaissances et les compétences des étudiants ? Existe-t-il des conditions nécessaires pour promouvoir la réussite ? Les ressources financières et humaines des universités ont-elles des conséquences sur les résultats des étudiants ? »
Ajoutons-y en complément Une étude du Céreq sur les parcours des jeunes restés en quartier prioritaire pour leurs études. Ils sont bien moins diplômés du supérieur que l’ensemble de la population. Ce sont aussi eux qui rencontrent « le plus de difficultés une fois sortis du système scolaire. Seuls 59 % de ses membres connaissent une trajectoire dominée par l’emploi ». En revanche, les personnes ayant quitté une QPV après le bac sont plus diplômées, notamment au niveau bac+5, et trouvent plus rapidement un emploi que les personnes y ayant emménagé après leur bac.
Libertés académiques : oui mais doit-on être naïf ?
Le Collège de France a donc annoncé l’annulation 2 d’un colloque intitulé « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines« , organisé dans ses locaux les 13 et 14 novembre par Henry Laurens, titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe du Collège de France et par le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (CAREP). Parmi la trentaine d’intervenants, étaient notamment prévus l’islamologue François Burgat (qui selon Le Monde avait déclaré « J’ai infiniment, je dis bien infiniment, plus de respect et de considération pour les dirigeants du Hamas que pour ceux de l’Etat d’Israël« ), l’ex-Premier ministre Dominique de Villepin ou encore Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU sur les territoires palestiniens.
Si le colloque s’est tenu ailleurs, les organisateurs du CAREP dénoncent cette annulation et soulignent que « le colloque a été conçu dans le strict respect des procédures scientifiques en vigueur ». De son côté, France Universités indique avoir « découvert avec stupeur l’annulation du colloque scientifique » et exprime sa vive inquiétude. Pour rire un peu, je laisse mes lectrices/eurs découvrir que le Doha Institute prend la défense de la liberté académique en France … On attend là-bas des recherches libres sur la dynastie Al Thani, les conditions de travail des immigrés bengladais, pakistanais ou philippins… Les protestations de ces universitaires français du CAREP, financés en partie par le Qatar (il n’y a pas que le PSG !), à propos des libertés académiques en France n’en ont que plus de sel…
Conclusion : s’il faut laisser évidemment les universitaires régler entre eux les questions scientifiques, on a le droit et le devoir de ne pas être naïf. En quoi F. Albanese, antisémite notoire, et D. de Villepin, ami du Qatar, présentent-ils la moindre qualité “académique”?
Méfions-nous des icônes 😊
On parle beaucoup de ces universitaires qui interviennent sur les sujets qui ne sont pas les leurs. On se souvient de ce sociologue du CNRS qui, de concert avec D. Raoult, prônait l’hydroxychloroquine. Et bien il arrive la même chose, toutes proportions gardées, à une icône de l’Histoire, Patrick Boucheron, à propos d’un épisode de « Quand l’Histoire fait date » sur le couronnement impérial de Charlemagne sur Arte. Un « simple » maître de conférences 😉 de l’Upec, Warren Pezé, a relevé sur X les nombreuses erreurs du professeur au Collège de France et sa tendance (de mandarin de gauche ?) à tirer la couverture à lui. Son diagnostic est sévère : « Les ravages de l’omnihistorien à la française. Une liste d’erreurs, pour se souvenir d’inviter un spécialiste la prochaine fois. On ne peut être spécialiste de tout. » A la décharge de P. Boucheron, il n’est pas seul car il suffit de parcourir les médias pour constater combien certains universitaires aiment la lumière, surtout sur les sujets qu’ils/elles ne maîtrisent pas !
- Évidemment, dans la presse régionale, un ancien responsable pédagogique de l’antenne et des acteurs locaux de la culture, dénoncent une fermeture « brutale » et un « coup porté à l’égalité des chances ». On se pince ! ↩︎
- Dans un courrier à l’administrateur du Collège de France, Philippe Baptiste déclarait « douter » que l’administrateur soit « en mesure de garantir un débat où le pluralisme des idées puisse pleinement s’exprimer » mais soulignait que « la décision de maintenir ce colloque relève de la pleine responsabilité du Collège de France ». ↩︎