Et si le naufrage de Galaxie était l’occasion de réfléchir à la bureaucratisation croissante de l’ESR ? Ce « plantage informatique » arrive après des dysfonctionnements qui semblent sans fin. Ainsi, la demande kafkaïenne du MESRI que les universités remontent (et sous format papier !) tous les entretiens de leurs ITRF (et ce n’est pas un poisson d’Avril !) révèle des maux bien plus profonds. Ils expliquent, beaucoup plus que des choix « idéologiques », la défiance qui règne à tous les étages. Au moment où beaucoup s’interrogent sur le périmètre du futur ministère, je suggère un ministère de la simplification de l’ESR !
On pourrait dire, avec une formule facile, que le MESRI est sur une autre planète, et pas forcément dans le même système. Ce portail Galaxie dédié notamment aux opérations relatives à la qualification, aux recrutements et à l’avancement de grade des enseignants-chercheurs a donc « explosé ». Peu importent les raisons qui sont ou seront avancées : le fait est qu’il est un outil moyenâgeux. Et je n’aurais pas la cruauté de pointer tous ces sous-sites du MESRI abolument pas actualisés. Dans ce contexte, il faut le souligner, data ESR est une éclaircie bienvenue, mais qui ne concerne pas l’immense majorité des personnels.
Ce plantage de Galaxie, avec un report obligé de toutes les opérations et un stress maximum chez les personnels, en dit long sur le fonctionnement d’un système embolisé. Certes, d’autres secteurs de l’Etat connaissent ces dysfonctionnements (voir infra). Mais ce qui est propre à l’ESR, c’est que tout ceci se heurte aux opérateurs supposés ‘autonomes’ que sont les établissements, un cas unique 1Je ne parle pas des collectivités locales évidemment qui, elles, s’auto administrent..
Une tension non résolue
Lorsqu’on lit les rapports de la Cour des comptes sur SIRHEN pour l’éducation nationale et Louvois pour la paie des militaires, on y trouve des analyses concrètes de tous les ingrédients d’un mal français : un enchevêtrement des textes et des statuts, une stratification qui débouchent sur des monstres ingérables avec des donneurs d’ordre dépassés, changeant constamment leur fusil d’épaule.
Dans l’ESR, des années de bureaucratisation ont, beaucoup plus que telle ou telle décision politique, miné la confiance et la crédibilité. Les changements permanents, les appels à projets ont poussé au paroxysme les logiques « top-down », à tel point que même de hauts responsables confient ne plus savoir qui ordonne quoi et comment. En un mot, tout part ou remonte au MESRI ou ailleurs dans l’Etat central, avec un micro-management dont j’entends depuis des années qu’il faut l’arrêter pour se concentrer sur la stratégie 😂… La mise en place de la LPR, celle du RIPEC ont accentué cette tendance. Je n’ai pas l’impression, pour prendre un exemple connu, que le système (élevé) de primes à Bercy fasse l’objet de telles procédures (des lecteurs me démentiront peut-être !).
Ainsi, comment a-t-il été possible que germe l’idée dans un service du MESRI de demander aux établissements de faire remonter sous format papier TOUS les entretiens des ITRF ? Ce délire bureaucratique n’est simplement possible que parce que le MESRI n’accepte pas l’autonomie des établissements, avec la complicité passive ou active de (des ?) syndicats et des corps intermédaires que sont les organismes à vocation nationale. Son fonctionnement reste donc calqué sur celui hyper centralisé de l’éducation nationale, à l’image de la DGRH. Cette tension non résolue entre national et local, se retrouve par effet de ruissellement à tous les étages du système : ce fonctionnement est souvent reproduit en interne, pas toujours à leur corps défendant, par les établissements eux-mêmes ! On lira plus loin l’analyse qui n’a pas pris une ride de René Rémond.
Un théâtre national
J’ai déjà souligné l’absurdité de ce rituel de la visite hebdomadaire sur le « terrain » du ou de la ministre : avez-vous déjà vu ceci dans un pays comparable ? Ce qui est en cause, c’est cette vision centralisatrice dans laquelle il y a 2 enjeux. Le premier est la remontée d’informations au ministre, pour « savoir » ce qu’il se passe éventuellement. Le second, c’est celui de demander aux établissements d’illustrer ce que le ou la ministre entend promouvoir. Et bien sûr, il faut informer Matignon et l’Élysée. Dans ce théâtre, derrière le décorum des joutes bien huilées avec les syndicats, il faut garantir de pseudo garde-fous nationaux. Le Cneser en est une caricature : écouter le récit qu’en font des participants divers est édifiant 🤔.
C’est ainsi que même des mesures positives sur les carrières et les primes (qui au regard des standards internationaux semblent cependant bien timides) deviennent des cauchemars bureaucratiques. En quoi l’avalanche de règles, à part égale le résultat de la diarrhée bureaucratique et des pressions syndicales, a-t-elle réellement abouti à améliorer la situation des personnels ? Une bonne idée est pervertie et aboutit à l’inverse de son objectif comme on l’a vu de façon caricaturale à propos des côtés inapplicables des « quotas » dans les comités de recrutement. Au XXIème siècle, on sait que ce type d’organisation, ça ne marche pas. A l’université comme dans toute organisation humaine.
La France : une île bureaucratique
Il ne s’agit pas en l’occurrence d’un débat politique classique avec un MESRI adepte de la compétition et de la dérégulation, face à des communautés luttant pied à pied contre. D’abord, parce ce que ce débat traverse et clive les communautés académiques. Ensuite parce que dans les pays partisans d‘une compétition plus ou moins forte sur les financements et les carrières, rien n’est comparable à la bureaucratie à la française. Les rythmes de décision sont d’un autre ordre, pour en plus des montants supérieurs. On regardera avec amusement cette vidéo promotionnelle du doctorat en Allemagne…
Certes dans tous les pays, les académiques se plaignent des contraintes administratives : la nature de leur métier s’accommode mal, ou peu, de ce qui est normatif. Mais globalement tout se joue au niveau « saisissable » d’universités autonomes, auxquelles on ne demande pas en permanence du ‘reporting’. Dans un excellent article sur la France, Ben Upton du Times Higher Education (THE) estime qu’ « en dépit de réformes incrémentales durant le premier mandat du Président Emmanuel Macron, la France a toujours l’un des systèmes universitaires les plus centralisés d’Europe ». On salue au passage la performance de l’auteur pour se retrouver dans les méandres de la politique ESR française 😃!
Un « compromis historique »
La France a donc choisi ce qui ressemble fort à un compromis historique sur le dos des établissements mais aussi des personnels. Toute souplesse, toute délégation de pouvoir, toute autonomie est vue comme une atteinte à l’égalité : administration centrale et syndicats ou organismes à vocation nationale y trouvent leur raison d’être. La Loi, les décrets, les arrêtés, la circulaire puis la circulaire qui corrige etc. : se construit ainsi la prison des fameux « risques juridiques » que chroniquent régulièrement tribunaux administratifs et Conseil d’Etat.
En réalité, à force de jouer au chat et à la souris pour tout transformer en procédures, MESRI et syndicats (sans doute pas tous) prennent au piège les personnels eux-mêmes. Ainsi, face à ces procédures chronophages, absurdes, la perte de confiance s’accroît sur tous les sujets. Même chez des syndicalistes, on a l’impression d’être dans une « lessiveuse » et certains dénoncent, suprême audace, les usines à gaz. Des procédures justifiées, parfois complexes mais pas toujours, ne trouvent même plus grâce aux yeux des communautés. Elles servent de terreau aux fake news, voire à des comportements proches du complotisme, avec des réactions pavloviennes : être contre 2Beaucoup d’universitaires ont un rapport lointain avec le réel tel qu’il se pratique dans le privé : les procédures et les contraintes font partie du quotidien des entreprises, et globalement de toute organisation. La question est celle de leur efficacité..
Que faire ?
Ce centralisme à la française dans lequel tout remonte et redescend est LE responsable de tous les maux. Face à des universités qui dans le monde entier sont globalement plus agiles, notre système est d’un autre siècle.
Le monde de l’ESR adore, ou pour le moins est fasciné par les grandes lois, les grandes messes, les grands soirs, comme en attestent les tenues régulières d’Assises. Face au rouleau compresseur des circulaires, n’est-il pas temps, entre gens raisonnables, de faire autrement ? Ce ne sont pas les rapports qui manquent. La Cour des comptes, l’IGESR ou encore le rapport Hetzel-Montchalin en 2018 ont pointé de multiples problèmes, et esquissé des solutions. Mais cette question de la simplification suppose de la confiance, une confiance réciproque qui n’a jamais existé entre la ministre et les dirigeants d’établissements ainsi que les communautés.
Recréer de la confiance, suppose que les syndicats soient réellement associés et qu’un consensus puisse émerger. Trop souvent prompts à demander de nouvelles règles, surtout nationales, ils sont pourtant capables de dépasser un débat politicien sur l’autonomie avec le MESRI et les chefs d’établissements. Car simplifier la vie des personnels (et des étudiants) ne peut pas être négociable, la façon de le faire oui. Alors votons pour un ministère de la simplification : je transmets aux (nombreux) candidats ministres.
Ce qu’écrivait René Rémond dans « La règle et le consentement »
Paru en 1979, ce livre a été réédité par les Presses universitaires de Nanterre et les Presses de Sciences Po, à l’initiative de la Conférence des présidents d’universités (devenue France Universités) pour ses 50 ans. C’est l’occasion pour moi de rendre hommage à Alain Abécassis : ce Haut fonctionnaire, que j’ai fréquenté régulièrement depuis 1998 vient de décéder (l’hommage de France Universités). Il commentait, avec Christine Musselin, cette réédition. Nos échanges ont largement nourri mes réflexions sur l’ESR, grâce à sa connaissance encyclopédique et surtout sa courtoisie qu’incarnait son respect des opinions différentes.
« L’idée d’autonomie fait contre elle la quasi-unanimité de courants et de forces que tout par ailleurs sépare et oppose. Les étudiants, quand par exception il ne la tienne pas pour une fiction, la redoutent : n’entraînerait-elle pas une dévaluation des diplômes au caractère national et uniforme desquelles ils sont jalousement attachés comme à une garantie d’égalité et à une assurance d’emploi ?
Les enseignants craignent d’y perdre leur indépendance et préfèrent ne dépendre que d’autorités éloignées, impuissantes à exercer un contrôle véritable, plutôt que de responsables locaux, même s’ils procèdent de la libre désignation. Quelle que soit leur inclination politique l’autonomie leur reste suspecte.
Ceux de droite sont convaincus que l’exercice de la liberté se soldera par un abaissement vertigineux de la qualité de l’enseignement et de la valeur des études : ils sont si pessimistes sur les effets de la liberté qu’ils ne font confiance qu’à l’autorité du pouvoir central. C’est ainsi, par un paradoxe verbal, que ceux qui s’intitulent autonomes sont les adversaires les plus irréductibles de l’autonomie.
Pour des raisons différentes, les enseignants de gauche ne sont pas moins défiants : il redoute « le démantèlement » du service public. Car ils confondent abusivement autonomie, génératrice de diversité avec concurrence, elle-même indûment identifié à privatisation par un jeu simpliste d’équation fictive dont il est quasiment impossible de les faire sortir.
Les premiers se persuadent que l’autonomie a introduit la politique à l’université et, avec elle, le désordre, la saleté, les divisions et les troubles ; les seconds craignent qu’elle ne soit un expédient des pouvoirs publics pour se décharger à bon compte de leur responsabilité.
Quant aux syndicats, ils préfèrent de beaucoup traiter d’égal à égal avec l’administration centrale : d’appareil à appareil on s’entend à demi-mots ; on a même manière de raisonner, ce sont des animaux de la même laine. La formule présente moins de risques que de laisser leurs délégués prendre sur place des responsabilités en traitant avec les autorités de l’université.
Tout se passe comme si personne n’avait envie d’être responsable : il est tellement plus satisfaisant de critiquer sans avoir part à la décision, et d’appliquer sans conviction une décision à laquelle on n’a pas pris part. Aussi l’autonomie est-elle la mal aimée de notre système. »
Références
↑1 | Je ne parle pas des collectivités locales évidemment qui, elles, s’auto administrent. |
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↑2 | Beaucoup d’universitaires ont un rapport lointain avec le réel tel qu’il se pratique dans le privé : les procédures et les contraintes font partie du quotidien des entreprises, et globalement de toute organisation. La question est celle de leur efficacité. |
Et si on confiait ce sujet à un cabinet conseil?
Sérieusement un modèle d’établissement autonome mais qui rend des comptes et reçoit ses objectifs via un CA cela existe pour des TGIR (très grande infrastructure de recherche) pourquoi ne pas regarder de ce côté là en essayant de s’en inspirer? Bien sûr cela implique que le personnel soit correctement représenté dans ces CA. Ayant vécu une partie de ma carrière dans un tel établissement j’en vois les avantages mais aussi qqs inconvénients comme la mobilité puisque le personnel est embauché par cette structure. Il suffirait de créer une « holding » au dessus qui s’appellerait ministère avec des services RH à la hauteur (correctement staffés)? Oui à une autonomie avec des droits mais aussi des devoirs (notamment de reporting).
La remontée papier de tous les entretiens des ITRF est un poisson d’avril, cher Jean Michel? rassurez-moi!
Je ne l’ai lu nulle part ailleurs et n’ai vu aucune protestation. Le coût en papier et temps de travail de tout cela?
C’est sans doute la conception du reporting «à la française ».
Il faut arrêter ces dérives (j’allais écrire délires).Soit on laisse l’autonomie aller jusqu’à son terme, y compris pour la gestion administrative et budgétaire des établissements avec toutes ,absolument toutes, les responsabilités que cela implique, soit on re centralise tout façon administration fiscale, qui, techniquement, marche plutôt bien.
Chacun comprendra vers où mon cœur balance…
Ce n’est pas un poisson d’avril : je l’ai appris par hasard, puis revérifié avec diverses sources. Devant le tollé interne (DGS, DRH notamment), et bien sûr l’infaisabilité ministérielle, cela a été abandonné. J’ai par contre « commis » sur twitter un poisson d’avril « « crise énergétique: une circulaire de @sup_recherche demande à tous les établissements de remonter quotidiennement, sous format excel, un tableau de leurs consommations de gaz et d’électricité afin d’affiner le dialogue stratégique de gestion » qui a été pris par certains au premier degré : c’est malheureusement tellement crédible…
Très bon texte qui pointe du doigt un phénomène qui infuse toutes les strates de notre enseignement supérieur.
Et en effet, comme tu l’indiques, cette tutelle lourde et inefficace ne manque pas de ruisseler à l’intérieur des établissements.
Et par ailleurs, combien de fois ai-je entendu dans des réunions y compris très opérationnelles « mais qu’en pense le ministère ? », auquel je répondais invariablement « sans doute rien, alors faisons ce qui nous semble pertinent et ne lui demandons rien ».
Une anecdote sur le risque juridique. A l’occasion de la promulgation de la loi Fioraso pendant l’été 2013, je me suis aperçu que l’ENSAM, comme la plupart des grands établissements, devenait dépourvue d’instance légitime pour traiter des questions individuelles relatives aux enseignants-chercheurs. J’ai alerté immédiatement le MESRI en indiquant qu’il fallait urgemment amender nos statuts, faute de quoi nos décisions seraient facilement attaquables.
Il a fallu 3 ans pour que ce soit chose faite, après de multiples relances. Et j’ai eu la surprise cette année, à l’occasion d’une évaluation HCERES, de voir qu’il existe encore des établissements dans cette situation. Bientôt 10 ans après ! Les textes de toute nature sont tellement complexes et imbriqués qu’ils génèrent à eux seuls le fameux « risque juridique ».
Deuxième remarque. J’ai demandé à quelques établissements de bien vouloir me fournir la liste des sollicitations du MESRI (enquêtes, reporting…) sur une année. Le résultat, que je tiens à disposition, impressionne même les connaisseurs du sujet !
France Universités pourrait mener une enquête exhaustive et en tirer des propositions concrètes…
Dernière remarque en guise de conclusion autant provocatrice que désespérante : en tant que chef d’établissement je n’ai jamais parlé de stratégie avec le MESRI !
Bonjour
J’adhère évidemment a ce qui est indique dans ce texte mais je crains que le mal ne soit plus profond et que l’administration du MESRI ne soit elle meme soumis a des demandes parfois absurdes de remontees d’information par ..au choix : Bercy, la DGAFP , les services du PM
Etc!.
C’est l’ensemble de notre mode de faire pyramidal et tubulaire qui est difficilement compatible avec des etablissements “ autonomes”
Il n y a qu’a voir la décentralisation a la francaise qui ne confie jamais la totalite d’une competence a un niveau quelconque de collecrivite .. mais toujours a moitie faisant ainsi de notre millefeuille territorial un cauchemar organisationnel