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Le MESR vient de publier « L’état de l’emploi scientifique 2023 » portant sur 2020. Ce rapport, riche de données sur lesquelles j’aurais l’occasion de revenir, pointe une « bombe à retardement ». Elle est semble-t-il passée inaperçue, comme le rapport d’ailleurs ! L’accélération des départs à la retraite de chercheurs/euses et enseignant(e)s-chercheurs/euses dans les 10 ans se conjugue avec la baisse importante du vivier de renouvellement (master et doctorat). La France est-elle en train de vivre un nouvel errement de la politique publique à l’image du numerus clausus en médecine et les conséquences désastreuses à long terme que l’on connaît ?

Alors que les départs en retraite avaient connu un « plateau » depuis des années, ils vont s’accélérer : ainsi, entre 2020 et 2027, « les départs augmenteront de 31 %, davantage au sein des EPST qu’au sein des universités, et davantage chez les chercheurs et les EC que chez les ITA et les BIATSS » selon le rapport.

La question majeure qui est posée est celle-ci : le vivier de doctorants et sa répartition disciplinaire permettront-ils de faire face à ce défi ? Y a-t-il le risque de connaître ce que  la France vit avec la démographie médicale, la difficulté à pourvoir les postes ? C’est déjà le cas dans le secteur académique pour certaines disciplines comme l’informatique.

Or, on sait qu’un poste de chercheur ou d’enseignant-chercheur suppose, pour garantir sa qualité, une sélectivité forte. Sachant qu’en plus 56% des docteurs vont hors secteur non académique, et principalement par choix. Y aura-t-il un effet ciseaux de l’accélération de la hausse des départs à la retraite vs une diminution importante du vivier ? Cette hypothèse mérite d’être prise très au sérieux, et j’accueillerais avec plaisir les commentaires et contributions sur mon blog.

C’est tout le paradoxe, et l’intérêt, de cette publication intitulée « L’Etat de l’Emploi scientifique en France ». Cosignée par les 2 directrices, Dgesip et Dgri (une première ?), elle montre le lien recherche-enseignement supérieur sous ses différentes facettes. Pour les personnels évidemment, mais peut-être surtout pour l’impact des étudiants, leur nombre, leur niveau de diplôme, leur répartition disciplinaire.

En effet, la démographie explique (en partie) la place qu’occupent désormais les universités en recherche, avec la création concomitante (ou non !) de postes d’enseignants-chercheurs … même ‘à 50%’ recherche. Car il faut rappeler que ces chiffres partent d’une convention éloignée de la réalité, mais liée au particularisme français 1Comme le souligne le rapport, « le ratio de l’enseignement supérieur est très dépendant de la méthode de calcul utilisée par les établissements dans leurs réponses aux enquêtes sur les moyens consacrés à la R&D : en effet, ces derniers comptabilisent souvent leurs enseignants-chercheurs en ETP Recherche pour 50 % des personnes physiques, selon une convention forfaitaire qui leur est propre. Il en est de même pour les personnels de soutien, quelle que soit leur branche d’activité professionnelle (BAP). ».

L’impact de la hausse des départs à la retraite

Évoquer le nombre de chercheurs, c’est donc prendre en compte les créations de postes mais évidemment aussi le volume et la répartition des départs à la retraite. D’autant que ceux-ci ont un impact positif sur le GVT des opérateurs 😉… Cela reste un domaine dans lequel la prévision est un exercice délicat.

Selon les chiffres du SIES-MESR, si la nouvelle loi concerne les Biatts en termes de date de départ, elle concerne peu les chercheurs et enseignants-chercheurs : à titre d’exemple, l’âge moyen au départ en retraite des PR est déjà de 66 ans et 6 mois, contre 65 ans pour les MCF. Et en 2027, les enseignants-chercheurs des EPSCP partiront quasiment au même âge que les chercheurs des EPST, vers 66,5 ans.

Les projections/simulations (dans le tableau excel de la note du SIES-MESR) indiquent qu’il y aura de 2023 à 2027

  • 9 426 départs de chercheurs et d’enseignants-chercheurs
  • 3 534 postes d’ITA
  • 15 700 postes de Biatss

soit au total 28 660 départs. Et si on prend le cas des chercheurs et enseignants-chercheurs, il faudra donc ajouter à ces 9 426 départs, les 3 150 postes créés par la LPR de 2023 à 2027 2En supposant que les engagements sont tenus, même en cas d’alternance., sans parler des autres créations (sur fonds propres, contrats LRU, CDI, hors plafond divers).

Quel vivier de doctorants ?

La véritable question est donc quel vivier de doctorants pour quelle répartition disciplinaire ? Le nombre de docteurs diplômés en 2021 (13 600) reste en-deça de celui observé avant 2020, tandis que depuis 2012, il ne cesse de diminuer (0,9 % par an). Ainsi « les effectifs en doctorat baisseraient à nouveau entre 2020 et 2025, avant de se stabiliser entre 2025 et 2030 ».  La perte de doctorants est évaluée à 2 000 sur 10 ans (– 3,7 %) !

Imaginons que l’on arrive à un flux annuel de 11 600 PhD, dont 56% vont en entreprises : il ne resterait plus qu’environ 6 500 d’entre eux pour alimenter le secteur académique. Or il y aurait environ 13 000 postes chercheurs et enseignants-chercheurs sur 5 ans à créer. Soit un vivier de 3 docteurs pour un poste (hors docteurs étrangers)…

Il faudra évidemment mesurer l’impact des mesures de revalorisation des contrats doctoraux sur cette pente négative. Faisons preuve d’un peu d’optimisme quand même : si à la rentrée 2021, 16 400 doctorants se sont inscrits en première année de thèse, (+ 2 % par rapport 2020) et si la diminution est prononcée en Sciences humaines et sociales (– 32 %), et en Sciences et TIC (- 13 %), on note une croissance significative en Physique (+ 26 %), en Mathématiques et leurs interactions (+ 23 %), ainsi qu’en Biologie, médecine et santé (+ 21 %).

Mais on ne peut évoquer ce vivier de doctorants sans parler de l’amont, le vivier de masters : c’est sans doute l’autre signal le plus inquiétant. La proportion d’étudiants diplômés d’un master à l’université qui poursuivent en doctorat universitaire a fortement baissé, de 10,9 % en 2006 à seulement 4,5 % en 2015, puis 3,6 % à la rentrée 2020 !

Ce sont les formations d’ingénieurs (hors universitaires) qui « sauvent » un peu la situation avec + 10,4 % (+ 16 000) sur 10 ans. Quant aux écoles de commerce et de gestion, c’est carrément la bérézina, passant de 6% à 2,5%.

L’autre arbitre : la démographie étudiante

La question étudiante est donc une question centrale pour alimenter les masters, pour former les étudiants à la recherche. Mais elle l’est aussi pour les encadrer évidemment !

Or, selon le SIES-MESR, sur la période 2021-2029, l’ensemble des départs des enseignants-chercheurs, en incluant les autres formes de départs définitifs, « représentera en moyenne chaque année 2,9 % des effectifs des titulaires en poste. » En parallèle, entre les rentrées 2021 et 2029, la population des étudiants des universités (y compris IUT) devrait augmenter de 0,2 %. Le rapport note que « le cumul ‘accroissement d’effectifs étudiants + départs d’EC’ s’établirait alors à 3,0 %. En supposant un objectif de maintenir constant le taux d’encadrement des étudiants par des EC titulaires (ratio effectifs étudiants/effectifs d’EC), ce chiffre représente alors le besoin en recrutements annuels d’EC. »

Au-delà de cette approche globale, il faut répondre à la question : où la situation va-t-elle être la plus tendue ? « Le détail par type d’enseignement montre que la filière santé présenterait alors le cumul ‘accroissement d’effectifs étudiants + départs d’EC’ le plus élevé sur la période 2022-2029 (4,0 %), suivie par les lettres et sciences humaines (LSH) et les sciences fondamentales de la vie et de la terre (respectivement 3,1 % et 3,0 %). »

Les sciences devraient connaître le plus grand nombre de départs et la plus forte accélération de ces départs. Ainsi, pour 2022, le SIES-MESR prévoit que 457 enseignants-chercheurs en sciences quitteront l’enseignement supérieur. En 2029, ils devraient être 864, soit une augmentation de 89 % sur cette période !

À l’inverse, c’est en Droit que le moins grand nombre de départs est prévu : 56 en 2022 contre 100 en 2029 (mais + 78 %). C’est le domaine de la santé qui devrait voir la plus faible variation de son nombre de départs définitifs : de 231 en 2022 à 322 en 2029, soit une augmentation de 39 %. Le problème est que ces départs en Santé devraient représenter la plus grande part de l’effectif total des enseignants-chercheurs !

En conclusion, on voit bien que des secteurs clés comme les sciences et la santé vont devoir affronter une crise de recrutement sans précédent. Faudra-t-il passer de la revendication « il faut créer des postes » à cette revendication prioritaire : ces postes ne pourront être pourvus, comment reconstituer les viviers ?

Cela me conforte dans l’idée que la LPR, quels que soient ces effets bénéfiques en termes d’engagements financiers, a été une erreur majeure en termes de politique publique, à courte vue. Celles et ceux, dont la ministre actuelle S. Retailleau, qui plaidaient pour une loi de programmation de l’enseignement supérieur avaient-ils tort ?


Une évolution différenciée des effectifs entre organismes et universités

Tous statuts confondus, il y a 124 210 ETP recherche dans le secteur public (Y compris Epic type CEA ou Cirad). Les personnels de recherche se répartissent à 40,68% dans les 6 EPST contre 59,32% dans les EPSCP. La hausse des effectifs dans le secteur public, relevée par le rapport, est cependant en trompe-l’œil en 2020 3Selon le SIES-MESR, « quasiment tous les types d’établissements bénéficient de cette hausse, notamment les EPIC, les EPST et les EPSCP : leurs effectifs de chercheurs augmentent, respectivement, de 3,8 %, 2,5 % et 2,4 %. ». Cela tient en grande partie, pour le secteur public, aux mesures prises « pour pallier les effets de la pandémie », avec la prolongation de la durée de contrats de doctorant ou de divers CDD dans les organismes.

Ce qu’il faut retenir, c’est que de 2014 à 2020, le nombre de chargés de recherche-directeurs de recherche a augmenté de + 0,5% dans les EPST tandis que le nombre d’ITA baissait de 4,6 %. Processus inverse dans les EPSCP, alors que le nombre d’enseignants-chercheurs diminuait de 0,6%, le nombre d’ITRF augmentait de + 14,8%. Ce + 0,6% « recherche » doit s’analyser évidemment au vu de la croissance des effectifs étudiants. Quant au nombre d’ITRF, il illustre le mouvement de fond dans les universités pour rattraper leur retard dans le soutien à la recherche, plus globalement sur la gestion et le pilotage. Soulignons qu’il y a une pyramide inversée entre universités et organismes, avec une surreprésentation des personnels de catégorie C dans les EPSCP à l’inverse des EPST.

Postes ouverts et postes pourvus

Rappelons d’abord cette notion de base : il y a les emplois ouverts en loi de finances (LFI) et les emplois pourvus (‘exécutés’), ce qui est globalement du ressort des opérateurs (EPST, EPIC, EPSCP). On a beaucoup parlé du gel des postes par les opérateurs. En effet, la création budgétaire de postes ne signifie pas des postes pourvus, les opérateurs pouvant utiliser la fameuse fongibilité asymétrique qui autorise d’autres choix budgétaires, pour le fonctionnement. De plus, création de postes ne signifie pas non plus obligatoirement création de postes d’enseignants-chercheurs ou de chercheurs, mais aussi d’ITA ou d’ITRF, de Biatts en général.

Qu’en est-il réellement ?

Le tableau des plafonds d’emplois et l’exécution par les opérateurs de 2015 à 2021

2015Taux d'exécution2021Taux d'exécution
EPSCP
Plafond d'emplois161 228166 129 (+ 2,9%)
Exécution151 99094,2%156 965 (+ 2,4%)94,5%
EPST/EPIC
Plafond d'emplois72 64372 734 (+ 0,1%)
Exécution66 36391,3%65 049 (- 2,1%)89,4%

Cela m’a surpris : ce tableau va à l’encontre de nombreuses idées reçues. Il semble que le gel de postes dans les universités n’a pas modifié fondamentalement la trajectoire : le taux d’exécution est même légèrement en hausse à 94,5% en 2021 contre 94,2% en 2015, ce qui semble correct, en tenant compte de la gestion courante (difficultés à prévoir les départs en retraite, processus de recrutement infructueux, décalages etc.).

En revanche, l’exécution dans les EPST/EPIC (est-ce dû à un cas particulier ?) s’est beaucoup dégradée avec une baisse de 91,3% à 89,4%, un taux nettement inférieur à celui universités.

Quant à l’évolution du plafond, elle est respectivement pour les EPSCP de +2,9% et de + 2,4%. Pour les EPST/EPIC, elle est de + 0,1% et de -2,1 %. D’un côté, des universités dans lesquelles on a subi la hausse des effectifs étudiants, de l’autre des organismes dans lesquels la stagnation est réelle.  On a là une des clés des difficultés du système : un plafond d’emplois qui a faiblement crû et une exécution parfois peu ou mal maîtrisée, et surtout très contrainte.

Quelles sont les prévisions de recrutement ? La LPR indique précisément la croissance des postes sous plafond des établissements publics sous tutelle du MESR (EPSCP, EPST et EPIC). Il y aura 5 200 postes en plus de 2021 à 2030, sous réserve du respect de cette programmation et un accroissement prévisionnel des effectifs contractuels hors plafond de 15 000 environ (sur cette question des contractuels divers, j’y reviendrai dans un prochain article.).

Références

Références
1 Comme le souligne le rapport, « le ratio de l’enseignement supérieur est très dépendant de la méthode de calcul utilisée par les établissements dans leurs réponses aux enquêtes sur les moyens consacrés à la R&D : en effet, ces derniers comptabilisent souvent leurs enseignants-chercheurs en ETP Recherche pour 50 % des personnes physiques, selon une convention forfaitaire qui leur est propre. Il en est de même pour les personnels de soutien, quelle que soit leur branche d’activité professionnelle (BAP). »
2 En supposant que les engagements sont tenus, même en cas d’alternance.
3 Selon le SIES-MESR, « quasiment tous les types d’établissements bénéficient de cette hausse, notamment les EPIC, les EPST et les EPSCP : leurs effectifs de chercheurs augmentent, respectivement, de 3,8 %, 2,5 % et 2,4 %. »

3 Responses to “L’effet ciseaux des départs à la retraite des chercheurs et enseignants-chercheurs”

  1. Merci Jean-Michel pour cette analyse très intéressante. En parallèle, la question de l’attractivité des postes s’agissant du renouvellement des BIATTS pourrait se poser : elle est déjà bien là pour bon nombre d’entre eux!

  2. Merci pour cet excellent billet, qui soulève des points importants.
    Un autre point de vue intéressant serait de comparer les effectifs C/EC/ITA aux équivalents chez nos voisins (eg DE, UK, etc).
    En tous cas ces chiffres conduisent à plusieurs questions :
    (1) Faudrait-il remplacer tous les départs dans les prochaines années, ou bien — en supposant que le budget reste constant — ouvrir un nombre de poste plus restreint mais avec plus de moyens (de recherche, salaire) pour qu’ils soient plus attractifs ?
    (2) Parallèlement, peut-on mieux équilibrer les charges d’enseignement (entre EC/C) pour offrir de bonnes formations aux étudiants ? Doit-on aussi aller vers plus de postes d’enseignants (eg PRAG) ?
    (3) Dans quelles disciplines a-t-on encore des viviers de jeunes chercheurs qu’on peut recruter en restant aux « standards internationaux » ?

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