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Pourquoi ce mouvement étudiant est-il circonscrit géographiquement (quelques sites réellement touchés) et limité à certaines disciplines ? Pourquoi, par exemple, ça bouge à Rennes 2 et pas vraiment à Bordeaux Montaigne ou l’ex Lille 3 ? Pourquoi Paris 13 Villetaneuse qui par le passé a souvent été en pointe dans les mouvements est calme ? Pourquoi Nanterre aujourd’hui (Tolbiac étant hors catégorie pour des raisons historiques et symboliques) ?

Je ne ferai pas une réponse à la Christophe Barbier expliquant tout par tout avec son contraire ? ! Mais même si je vais être accusé de délit de sale gueule, je m’amuse de la sociologie des prénoms des leaders recensés dans Le Monde : Célian, Lilâ, Emma, Arthur, Lucas, Marika, Charlotte, Victor… rarement Abdoulaye (une fois). Ce que le compte twitter parodique @guevara_tolbiac a bien cerné en parlant des aventures de Jean-Eudes, Virgile ou Adrien ?.

Ce qui est certain, en dehors de cet activisme militant, c’est que les AG de Nanterre, Rennes 2 ou Toulouse Jean-Jaurès ont été massives. Mais les consultations électroniques encore plus (Strasbourg, Nancy). On ne peut donc pas parler d’un mouvement homogène. Par contre, le signal faible qu’il faut entendre concerne ces étudiants en SHS, (pas en économie ou en droit), mais plutôt en sociologie, psychologie, lettres et langues, histoire de l’art. J’y reviendrai dans un prochain article.

2 facteurs, 4 constantes

Les mouvements étudiants sont toujours le résultat de 2 facteurs :

  • exogènes avec une situation politique donnée, d’éventuels convergences (salariés en grève, ZAD etc.)
  • endogènes avec des mesures annoncées par les pouvoirs publics, un climat universitaire (effet des réformes précédentes), une implantation plus ou moins forte de militants politiques/syndicalistes.

Pour comprendre celui de 2018, il faut d’abord bien l’identifier : localisé à quelques universités, facultés et sites, touchant certaines disciplines, essentiellement en SHS. Il convient d’ailleurs de souligner que ces mouvements localisés (hormis celui du CPE, voir mon analyse) reviennent à échéance régulière : contre la mise en place du LMD, contre la LRU ou encore, pour le dernier en 2009 sur la base des tensions autour du décret sur les enseignants-chercheurs. On a oublié que l’université Toulouse Jean-Jaurès (alors Le Mirail) avait été bloquée pendant des semaines…

On retrouve en tout cas 4 constantes dans tous ces mouvements :

  1. le fait (hors CPE) que seuls quelques établissements, facultés, sites sont impliqués, toujours à dominante SHS.
  2. une mobilisation de l’Unef (distancée désormais par la Fage), de militants politiques (en l’occurrence France Insoumise, NPA) et de radicaux (ici les « ZADistes ») : la plus ou moins grande force de cet activisme militant peut expliquer les différences entre sites.
  3. une mobilisation d’une fraction, faible ou forte selon les cas, d’enseignants-chercheurs. Plus que le Snesup, il est frappant de voir la montée en puissance de collectifs très disciplinaires, en SHS.
  4. une difficulté à centraliser l’objet revendicatif sur le gouvernement : aucune véritable « coordination étudiante », pas de manifestation centrale.

4 raisons qui expliquent pourquoi ces mouvements restent sectoriels

A mon avis, la première raison est avant tout sociologique : la différenciation des filières et des parcours, la montée en puissance des filières sélectives à l’université (lire mon analyse) ont ancré dans l’opinion publique et chez la majorité des étudiants l’idée que la sélection, ou tout du moins « un accompagnement » était légitime. D’autant que la croissance des effectifs se fait désormais majoritairement dans le privé.

Une erreur de « timing » des opposants à la Loi ORE. Le calme qui règne dans les lycées les a totalement surpris. Les lycéens, et leurs parents, ont préféré « tenir plutôt que courir » et  se sont polarisés sur le bac et leurs choix sur Parcoursup. La seule véritable allumette qui mettrait le feu aux poudres, pourrait être le résultat des affectations et/ou les bugs du système. Mais ceci arrivera au moment du bac et en juillet. De ce point de vue personne n’est rassuré, même si l’expérience APB prouve que les filières en tension ne sont pas si nombreuses que cela et surtout localisées dans quelques villes. Les opposants à la loi soulignent d’ailleurs à juste titre que le tirage au sort ne concernait que peu d’étudiants…

On peut imaginer que les pouvoirs publics (ministère et universités) vont faire attention à ne pas rallumer une guerre et aplanir les choses : mais tout dépendra des flux concernés. Et d’expérience, je sais que les problèmes rencontrés à Paris ont toujours plus d’échos : plus de militants, plus d’enfants de journalistes, plus d’enfants de décideurs.

Le rôle des présidents d’université. On ne souligne pas assez le changement de paradigme que représente désormais l’existence d’universités plus autonomes. Car leurs responsables ont une énorme responsabilité, non seulement juridique, ce qui n’est pas nouveau,  mais sur la réputation de leur établissement. Et même les présidents hostiles à telle ou telle mesure gouvernementale sont contraints par ce principe de réalité. Ce « middle management » de proximité, souvent proactif (équipes présidentielles notamment) est en général globalement favorable aux réformes : ayant intérêt à ce que les choses ne débordent pas, il ses défausse de moins en moins sur les pouvoirs publics.

Si l’on prend l’exemple de Toulouse Jean-Jaurès, le problème est clairement un problème de gouvernance (voir les mots de son ex-président). A Tolbiac (Paris-1), le président a été élu sur la base d’un « deal » avec les composantes, entérinant la faiblesse de la présidence. S’y ajoute la gestion historique complexe du site Tolbiac, qui appartient à un autre temps. Et à Montpellier 3, Rennes 2 ou Nanterre, les majorités du CA sont traversés par des débats permanents entre gérer l’université ou s’opposer aux mesures gouvernementales.

Enfin, la crise des SHS françaises. J’ai déjà évoqué la question de ce malaise. Il y a à mon avis d’abord une crise scientifique des SHS françaises dans le monde, qui est aussi une profonde crise de l’enseignement, sans laquelle on ne peut saisir le débat sur les moyens. Il y a enfin le regard que porte la société française sur ces études, avec un vocable SHS qui recoupe des réalités très diverses. Ce sera l’objet d’un prochain post !

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