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Face aux mouvements étudiants (et lycéens), médias et commentateurs ont toujours peur de rater le coche, en gros de n’avoir pas vu venir une explosion sociale. La toile de fond est l’anniversaire de mai 68 ou encore le souvenir du CPE (nombre de journalistes étaient étudiants en 2006). La lecture des médias ou l’écoute de la radio et de la télévision laissent, à de rares exceptions près, un sentiment toujours aussi navrant. Quel que soit leur engagement, en soutien (Mediapart), ou plus prudemment (Libération), fermement contre (Le Figaro), les faits, plus qu’ils ne sont tordus, sont méconnus, tandis que l’analyse relève plutôt de la prophétie… Essayons plutôt de définir un outil d’évaluation pour comprendre l’état du mouvement.

Des faits mal connus

Tous les journalistes sont fascinés par ce monde qu’ils comprennent peu ou mal. Pour preuve, l’extrême confusion qui règne sur la restitution des faits (lieux, nombre d’étudiants concernés dans les AG etc.). Au moment où les médias, dans une démarche collective, mettent de l’ordre dans le comptage des manifestations de salariés, le défi est autrement plus grand pour les AG. D’autant que les leaders de ces dernières s’y entendent en matière d’agit-prop, ce qui n’est pas vraiment le cas de l’administration universitaire, peu audible même quand elle brandit les chiffres de consultations en ligne !

Si le cas de la faculté de Droit de l’université de Montpellier a défrayé la chronique, il faut surtout avoir lu le communiqué de l’université Paul Valéry expliquant qu’elle n’est pas l’université de Montpellier ! Cela illustre l’organisation kafaïenne de l’ESR dans notre pays. Et cela demande aux journalistes français, plus habitués à commenter qu’à partir des faits, un changement de paradigme. Cette confusion générale amène à tout mélanger : le blocage de l’université de Bordeaux avec le site de la Victoire ou encore ces titres confondant Toulouse Jean-Jaurès et université de Toulouse.

Car le mouvement est pour l’instant localisé, comme d’habitude dans certaines universités SHS, voire dans certaines facultés. La cartographie semble inchangée, hors CPE, depuis maintenant 20 ans au minimum, si je m’en réfère à ma mémoire (fragile) mais surtout à mes archives personnelles. Il serait cependant de mauvaise foi de ramener simplement la force d’un mouvement à son rapport participation aux AG/nombre d’inscrits : pour mémoire, le mouvement de 2006 contre le CPE n’a jamais, à part quelques universités (Poitiers par exemple, avec à leur tête des étudiants aujourd’hui conseillers d’Emmanuel Macron…) réunit des AG massives. Mais par contre, il y a eu de réelles manifestations de masse.

Comment donc évaluer le mouvement actuel ?

Pour comprendre ce mouvement, il faut prendre en compte plusieurs indicateurs. Sur le site de SLU, une docteure en sciences politiques estime que “quelques indicateurs démontrent que le mouvement est en train de prendre” car “les chiffres de participation aux assemblées générales ces derniers jours sont importants. Ils étaient plus de 2 000 à Toulouse et Montpellier. Si on les compare avec ceux des mouvements étudiants de la fin des années 2000, on se rapproche des chiffres de la mobilisation contre le Contrat première embauche (le CPE) en 2006 avec des étudiants et professeurs qui débordaient des amphithéâtres.”

Curieuse analyse de la part d’une chercheuse qui concède que “la seule chose fragile en revanche, c’est que le mouvement est circonscrit à certaines villes.” Engagée (ce qui est son droit), elle fait l’impasse sur plusieurs constats. Le CPE concernait le futur de tous les étudiants, la loi ORE … les concerne pour leur passé de lycéens, ce qui n’est pas la même chose. Et ces derniers sont étonnamment calmes. Lors du CPE, les étudiants quelles que soient leur filières, étaient tous concernés. Aujourd’hui, les étudiants inscrits dans des filières sélectives sont de plus en plus nombreux à l’université. Quelles sont donc les grilles d’évaluation possibles, au-delà des faits exogènes (situation politique, drame etc.), sans tomber dans la prophétie, dans un sens ou dans un autre ?

  • Y a-t-il des manifestations, avec quelle participation ? Le fait qu’une “coordination nationale” appelle à une manifestation nationale à Montpellier le 14 avril, alors que la tradition veut que les démonstrations de forces aient lieu à Paris, semble indiquer une difficulté à élargir le mouvement.
  • Le mouvement est-il réparti de façon homogène sur le territoire ? Au-delà de quelques universités à dominante SHS, voire quelques facultés, pour l’instant non.
  • Y a-t-il une adhésion des étudiants aux revendications (en l’occurrence le refus de la loi ORE) ? En tout cas, le milieu étudiant est plus que partagé, contrairement à 2006, à l’image de la 1ère organisation étudiante, la Fage.
  • Les enseignants-chercheurs soutiennent-ils ou non ce mouvement ? Là encore, on ne peut pas parler d’un soutien réel, le refus d’instruire les dossiers restant pour le moment marginal.
  • Quel positionnement pour la direction des établissements ? Cette question est liée à la précédente mais on peut observer que là où le mouvement prospère le plus, c’est toujours dans les universités dont la gouvernance est en crise, faible, ou traversée par des débats : l’ampleur des AG de Toulouse Jean-Jaurès s’explique aussi par la crise interne entre enseignants-chercheurs.

Enfin, dernier paramètre à prendre en compte, les vacances étudiantes… Elles commencent vendredi 6 avril au soir et se prolongent selon les zones jusqu’au 6 mai ! Un tunnel d’un mois, qui par ailleurs mène les lycéens aux abords du bac. Pas besoin d’une thèse de doctorat pour le comprendre !

 

 

One Response to “Mouvement dans les universités : un outil d’évaluation”

  1. A propos du mouvement contre le CPE, un premier ministre m’a un jour demandé “il se passe quelque chose sur les campus ?” J’ai répondu, de bonne foi je crois, “non”. Il est vrai que c’était tôt par rapport au vrai démarrage de la contestation. Alors “non” pour l’instant, il ne se passe pas grand chose sur les campus. Mais, sait-on jamais ? Cela dit, votre analyse est pertinente.

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