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Le rapport du Comité éthique et scientifique de Parcoursup (CESP) publié le 16 janvier 2019 est intéressant à plus d’un titre mais avant tout parce qu’il inaugure un processus inédit d’évaluation d’une politique publique dans l’ESR. Il le fait d’un point de vue global (contrairement au Défenseur des droits qui selon Le Monde n’a pas traité les prépas). C’est donc l’occasion de prendre du recul, à l’inverse des débats pollués par l’immédiateté des réseaux sociaux ou l’engagement partisan des médias. Et très bientôt, on saura quelles sont les filières les plus et les moins attractives ou encore les taux de réussite dans les filières dans lesquelles les bacs pros n’ont pas ou peu été admis.

Si un sujet a donné lieu à une inflation de commentaires c’est bien celui de Parcoursup, avec presque 66 millions de sélectionneurs ! J’avais souligné dès mai 2018 que Parcoursup remplaçait le bac, un changement majeur de totem national. De fait, Parcoursup est devenu une réunion géante de parents d’élèves, avec les qualités et les travers que l’on connaît dans ces réunions…

Loin des polémiques stériles et des prévisions catastrophistes (des universitaires véhiculaient sur twitter le chiffre de 200 000 laissés pour compte !) le CESP se livre à une analyse conforme à sa mission : formuler toute proposition “de nature à améliorer la transparence de ces procédures et leur bonne compréhension par les candidats”. Car c’est un fait établi, Parcoursup est installé dans le paysage et intégré par tous les acteurs. L’enjeu est donc d’améliorer une procédure mise en place un peu “à la hussarde”.

L’aspect le plus novateur de ce rapport, c’est l’appel à la recherche. Car le CESP estime que l’ensemble des données de Parcoursup va permettre à terme “de questionner et d’évaluer” les objectifs de la loi ORE. Et pour cela, il faut faire appel non pas à des tribunes enflammées (ça c’est mon commentaire !), mais à des laboratoires de recherche “compétents en analyse de données en lien avec les services statistiques ministériels”. Rappelons qu’un des membres du comité est Julien Grenet de l’école d’économie de Paris, qui a travaillé sur la mixité sociale et la carte scolaire de Paris autour du système d’affectation Affelnet.

Au passage, la composition de ce comité avec Gérard Berry, Max Dauchet, Julien Grenet, Laure Lucchesi et Catherine Moisan offre quand même plus de garanties de sérieux que Jacques Toubon ? !

Les propositions du CESP

Le rapport récuse toute vision réductrice : il ne s’agit pas seulement d’un algorithme national mais également des “procédures mises en œuvre par les établissements universitaires, les classes préparatoires et les écoles sur le plan local, soit des procédures bien plus diversifiées.” Une vision qui tranche avec celle d’un ESR réduit à la seule Université.

Le comité souligne d’ailleurs qu’il ne faut pas faire “peser sur Parcoursup les anomalies de notre système social et éducatif”, notamment “un phénomène propre à notre pays, à savoir que les diplômes de départ, notamment ceux obtenus dans les grandes écoles, déterminent presque totalement la carrière et le statut professionnel.”

Le CESP relève également que le bac pro mis en place en 1985 “n’a pas répondu aux attentes relatives à l’entrée dans l’enseignement supérieur de certains titulaires de ce baccalauréat.” Car, pas préparés, “ils trouvent difficilement sur Parcoursup des propositions à la mesure de leurs aspirations. La cause est liée, non pas à un défaut de conception de ce baccalauréat et encore moins à un défaut de l’algorithme Parcoursup ou des procédures locales, mais à une insuffisance de l’offre de formations professionnelles au niveau de l’enseignement supérieur.”

Enfin, le CESP estime que la mesure de l’efficacité de la nouvelle plateforme sera possible “lorsque seront connus les résultats de fin de première année d’enseignement supérieur, notamment dans les filières non sélectives.”

Mais il n’en formule pas moins une série de propositions notamment sur les quotas de boursiers, y compris dans les filières sélectives, y compris dans les établissements privés, des recommandations sur la mobilité (le MESRI a annoncé la “désectorisation” en Île-de-France), et sur le développement des filières professionnelles.

On le voit à la lecture de ce rapport, les facteurs à prendre en compte dans une analyse rigoureuse sont nombreux et méritent mieux que des slogans.

Une première année sous pression

La mise en place, de façon rapide, d’une procédure comme Parcoursup a été un défi organisationnel et technique qui explique en partie les dysfonctionnements, non seulement du côté MESRI mais évidemment aussi du côté établissements (lycées, établissements d’ESR).

Tout ceci a généré un stress énorme du côté des familles et des élèves, en raison de la lenteur anxiogène de la procédure (corrigée pour 2019). Mais balayons d’abord une idée reçue autour de ce stress : non, Parcoursup n’a pas créé la difficulté de l’orientation, qui tient à plusieurs facteurs bien connus.

D’abord, les interrogations permanentes et légitimes des jeunes, quels que soit leur origine, sur ce qu’ils veulent faire : ne pas savoir n’est-il pas à cet âge une qualité ? Ensuite, le foisonnement de l’offre de formation couplé à un même foisonnement de l’offre d’information, pour le meilleur et pour le pire. Enfin, les incertitudes, voire les inconnues classiques sur les secteurs économiques, les métiers, mais aggravées par la mutation numérique et la persistance d’un chômage de masse.

Notre pays qui adore le “c’était mieux avant” et ce qui va souvent avec, le catastrophisme, adore tout autant les process effroyablement compliqués par le millefeuille : chacun défend son village, son particularisme. Cela a existé du temps de Ravel et d’APB : simplement le système n’était pas globalisé. Aujourd’hui, tout le monde entre dans la procédure, ce qui la rend encore plus visible et source de polémiques.

Un impact collaboratif dans le système

La procédure a en quelque sorte contraint des acteurs qui ne travaillaient jamais ensemble, ou très peu, à le faire. Alors que le bac-3/bac+3 relevait d’un slogan, la pression des élèves et des parents, plus que celle des pouvoirs publics, a conduit lycées et établissements d’enseignement supérieur à converger.

Lycées et universités ont par exemple dû travailler ensemble sur du concret. Idem pour les réunions académiques qui étaient par le passé de gentilles discussions sans conséquences réelles. Et globalement, ce que relèvent les inspecteurs généraux qui ont enquêté sur des panels de lycées et d”établissements d’ESR, les acteurs du système ont joué le jeu.

Comme le soulignait Guillaume Gellé, président de l’université de Reims-Champagne-Ardenne et de la commission formation de la CPU lors du salon Postbac organisé par AEF, “l’ensemble de la communauté scolaire et universitaire s’est retrouvé pour dialoguer autour de cette réforme et il a eu un fort engagement des équipes. Il s’agit d’un dispositif dans lequel l’humain est beaucoup plus présent que dans APB.”

Ce que confirmait Pascal Aimé, adjoint au chef de service de l’IGAENR et chargé de l’ESR, qui notait qu’il y a eu “un travail sérieux sur la définition des attendus, les compétences à maîtriser par les élèves et, dès lors, une bien meilleure connaissance des enseignants du supérieur du public qu’ils vont accueillir”.

En juin, j’écrivais que le choc Parcoursup n’épargnerait personne. Cette réalité s’impose effectivement aux prépas, aux écoles de commerce et leurs banques d’épreuves, et évidemment aux lycées, car pour ou contre Parcoursup, les enseignants se sont emparés du sujet.

L’autre impact, dont on ne peut encore mesurer toutes les conséquences, c’est que les lycéens, leurs parents, voire leurs professeurs ont bâti des stratégies. Un “changement de paradigme”, selon Pascal Aimé, car désormais, “un élève choisit après avoir reçu effectivement une réponse positive et devra dire, ‘au pied du mur’, s’il préfère telle formation à une autre. On a un ensemble de data d’une richesse extraordinaire pour les acteurs du supérieur.”

Un nouveau paradigme pour les universités

J’avais comparé Parcoursup à un Apple Store. Sur ce genre de plateforme, les commentaires jouent un rôle déterminant. La transparence sur les choix locaux va selon moi s’imposer, non seulement par la demande du CESP, du défenseur des Droits, mais par des attendus plus cohérents et mieux préparés par les équipes pédagogiques. Et ceci procurera un avantage réputationnel aux établissements (je parle des universités !).

Il est encore trop tôt dans l’année pour mesurer l’effet “génération Parcoursup”.

Mais la réponse à 3 questions va permettre d’estimer rapidement les premiers effets, ou non, de Parcoursup :

  1. quelles ont les filières les plus et les moins attractives ?
  2. quels seront les taux d’abandon, en particulier dans les filières qui ont vraiment ‘profilé’ leurs admis ?
  3. quels seront les taux de réussite dans les filières dans lesquelles les bacs pros n’ont pas ou peu été admis ?

Pour conclure, la réforme du bac qui se met en place à la rentrée 2019 pour le bac 2021 aura aussi un impact. Comment cette réforme, axée sur le contrôle continu et le choix de spécialités, va-t-elle s’articuler avec celle du cycle L ? Les fameux “attendus” sont attendus au tournant…

2 Responses to “Parcoursup : la possibilité d’un débat rationnel”

  1. Les questions posées par APB puis Parcoursup aujourd’hui sont en définitive les mêmes : comment contribuer effectivement et efficacement à l’orientation des jeunes bacheliers ? Que leur proposer pour que chacun ait le maximum de chances de trouver la voie qui lui convient, d’y réussir tout en répondant aux besoins de la société et des entreprises en particulier.
    Ce sont le rapport offre /demande et une orientation particulièrement faible au lycée qui ont trop souvent conduit les jeunes bacheliers à s’inscrire dans des formations supérieures ne correspondant pas à leur profil et/ou ne débouchant pas sur une insertion professionnelle réussie.
    Ceci explique aussi partiellement le taux d’échec ahurissant constaté dans les premières années universitaires. Le pourcentage des étudiants qui obtiennent une licence sans redoubler est largement inférieur à 30% et l’on constate que ce sont encore les classes les moins favorisées qui souffrent le plus.
    Que constate-t-on vraiment un an après la mise en place de Parcoursup ?
    Le développement de nouvelles formations adaptées n’a pas été entrepris L’offre ne croit que marginalement et les moyens financiers nécessaires ne sont pas réunis pour permettre l’atteinte des objectifs ?
    Le Président de la république avait fait part pendant la campagne électorale 2017 de sa volonté de « créer 100 000 places dans de nouvelles filières courtes professionnalisantes proposées par les lycées, les universités, les établissements consulaires en lien avec les branches professionnelles ».
    La mise en œuvre de cette promesse devait s’inscrire dans une vision rénovée et audacieuse de l’enseignement supérieur.
    Rien ou presque n’a été fait pour les premières années d’études supérieures. Quelques places supplémentaires ont été créées dans certaines filières sous tension sans analyse globale et sans se poser systématiquement la question fondamentale des débouchés professionnels et l’intégration effective dans la vie professionnelle.
    A mon sens et comme le souligne très bien le rapport du comité éthique et scientifique, le succès repose en particulier sur les deux éléments que sont les formations courtes et leur financement, le tout s’intégrant dans une vraie stratégie de l’enseignement supérieur.
    Les effectifs dans l’enseignement supérieur devraient passer de 2 500 000 à 3 200 000 étudiants d’ici 2027. Il faut proposer des formations adaptées à chacun. L’avenir est de plus en plus incertain et l’environnement évolue à haute vitesse ; il est donc difficile de savoir à quels métiers et comment former dans le détail les futurs diplômés. Ce sont les filières courtes, modèle le plus répandu internationalement, qui répondront à la demande des jeunes et des entreprises en fournissant aux jeunes un socle solide. Elles peuvent, selon les secteurs d’activité concernés, durer deux, trois ou quatre ans et comporter des parcours adaptés aux compétences et au potentiel de chaque jeune. Elles doivent aussi offrir des passerelles vers des formations longues et ouvrir sur une formation tout au long de la vie rénovée.
    Mais, comme n’ont pas manqué de le rappeler de nombreux universitaires, faire bouger les choses suppose des financements importants.
    L’État ne peut pas, ne peut plus tout supporter. Il faut que les établissements d’enseignement supérieur développent leurs ressources propres pour se donner les moyens de leur stratégie.
    Les grandes écoles d’ingénieur publiques se sont généralement fixé pour objectif de passer de 40% de ressources propres en moyenne aujourd’hui à au moins 60%. Les universités avoisinent pour l’instant les 15% ; elles doivent aussi se définir un objectif ambitieux.
    Cela ne se fera pas tout seul et nécessite pour elles une implication très importante de leur gouvernance, une professionnalisation de la fonction recherche de fonds, une ouverture beaucoup plus forte vers la « société civile » et le monde de l’entreprise. Cela suppose de revoir substantiellement leur gouvernance en l’ouvrant massivement au monde extérieur à l’enseignement supérieur ou, à tout le moins, à celles et ceux qui ont eu des expériences managériales diverses.
    La définition d’une stratégie sur le long terme et sa mise en œuvre nécessitent à la fois constance et adaptation dans la durée. Autonomie, Agilité, Adaptabilité pourraient être un ‘triple A’ socle.
    Il y a urgence à faire évoluer un système trop figé. Mais pour cela, il faut une vision à long terme, de l’audace et de la détermination.

  2. .
    J hésite à prendre part à un échange qui correspond à une période ( au moins de 1996 à 2012) où j étais un modeste acteur sur le champ de la transition scolaire -supérieur et de son ouverture sociale ( boursiers CPGE, formations technologiques, Cordées de la Réussite etc..) et je m oblige encore à un devoir de réserve.

    En fait il faut quand on parle d’APB…faire la nuance entre les périodes 1996-2003, 2004-2008, 2009-2012, 2013-2017 et les évolutions de l usage des deux volets du dispositif. On est passé d une aide informatique à l appariement demande-offre en CPGE ( 832 formations) à un système qui par ailleurs devait prendre en compte les formations universitaires a priori non sélectives ( à partir de 2008 pour concerner en tout 13000 formations en 2017).
    La période 2013-2017 est celle qui a correspondu à des évolutions visant le traitement de l’incapacité de l algorithme d appariement pour les formations non sélectives dites en tension.
    On peut lire à ce sujet les articles d Olivier Beaud et François Vatin des numéros récents 163 et 164 de la revue Commentaire et le rapport parlementaire sur ´APB , Villani Longuet ,ou encore le rapport de la Cour des comptes de février 2017.
    Il n’est pas raisonnable d’utiliser l acronyme ´APB sans au préalable préciser la période concernée car les distorsions et les dérives « organisées « sont précisément datées.
    L essentiel c est l avenir et le retour à l intérêt général qui doit être le seul moteur dans l exercice des missions publiques dans des institutions publiques fussent elles par ailleurs autonomes .
    En octobre 2017il y avait finalement 3200 nouveaux bacheliers candidats en attente de proposition positive dont plus de 2000 bacheliers professionnels ( pour un nombre indéterminé d entre eux en attente par ailleurs de l une des 40000 places offertes en apprentissage ou alternance mais attribuées plus tardivement après obtention d un contrat .), dont 43 bacheliers généraux…Mais surtout il y avait plus de 130 000 places offertes restées vacantes et comble du comble les abandons ou désertions lors du premier trimestre représentaient selon les affirmations des instances officielles près de 25 % des effectifs de L1.
    Enfin sur les 26000 places offertes dans les formations universitaires « sélectives » plus de 6000 étaient restées vacantes.
    Toutes les données qui pourraient éclairer l avenir existent bien dans la base de données ´APB quasi globalisée depuis 2008 même si le périmètre des formations a crû continûment ce qui doit imposer la prudence dans les conclusions statistiques qui ne sont jamais neutres.
    Oui à la rationalité scientifique, oui à des constats factuels irréfutables car il y va ensuite de la Confiance des citoyens -usagers dans les institutions qui est le premier ciment d une Nation où les valeurs d Équité et de Solidarité sont cardinales.

    « Je ne crois qu aux statistiques que j ai moi même biaisées. W Churchill «

    C Boichot
    IGEN /h

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