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L’actualité de cette rentrée a l’avantage de mettre en lumière certaines tendances de fond qui méritent que l’on s’y arrête. Ecoles de commerce, immobilier, évaluation par les pairs, nouveau rôle des gestionnaires publics, gestion des labos et interrogations sur les IHU, je passe ces sujets à ma moulinette !

Commençons d’abord par un des effets délétères des réseaux sociaux sur le monde académique : commenter et juger sans savoir. Désormais, un arrêté du 26 août 2022 fixe le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat et introduit notamment le “serment doctoral”. Ce dernier a fait l’objet d’un sévère ‘bashing’ sur les réseaux sociaux jusqu’au moment où, horreur, certains se sont aperçus que ce serment est une “création” du sénateur communiste Pierre Ouzoulias, pas du gouvernement. Ce qui ne rassure pas sur ces universitaires qui passent leur temps à réagir sans réfléchir. Parce qu’il faut être contre.

Rififi dans les écoles de commerce : la pression des “résultats”

On commence par Grenoble école de management (GEM) avec la chambre de commerce (CCI) qui ‘vire’ son DG 1Loïc Roche tandis que dans la bataille le DG adjoint de GEM, J-F Fiorina, rejoint l’IPAG business school, jusque-là dirigée par Guillaume Bigot. Ce dernier, chroniqueur de Sud Radio, C News et Front Populaire a été accusé en 2018 par Alice Guilhon, la DG de SKEMA de développer autour des migrants “une idéologie nauséabonde.” et nomme dans la foulée Fouziya Bouzerda, avocate et présidente du Modem du Rhône. La raison réelle ? 4 années de déficit, à hauteur en 2021 de 11 % de son CA, soit 6,3M€ sur 57 M€ en 2021…

Prenons une université française “moyenne” avec 100 M€ de budget : imagine-t-on un déficit, durant 4 ans, de plus de 11% de son ‘budget’ soit 11 millions d’€ ? A ma connaissance, même dans les plus mal gérées (et il y en a de moins en moins), cela n’est jamais arrivé ! La devise de certaines écoles de commerce ? Faites ce que je suis censé enseigner, pas ce que je fais…

Mais on a aussi l’EM Lyon, qui, après quelques années désastreuses et des plaintes d’étudiants sur les contenus, doit procéder à une augmentation de capital de 50 M€, une paille ! Détenue à 51 % par la CCI de Lyon, le groupe d’enseignement supérieur privé Galileo Global Education rachète les parts de l’investisseur Qualium, entré au capital de l’école lyonnaise en 2019, avec l’aide de qui ? De la BPI… Heureusement que l’État porte le discours de l’ouverture et de la diversification.

Cerise sur le gâteau des écoles, l’enquête de Médiacités Nantes sur Audencia : ses conclusions mettent en cause un management qualifié de “toxique” dont les femmes seraient “les premières victimes”. Selon l’enquête, “en toile de fond de cette souffrance sociale, la vingtaine de salariés interrogés par Mediacités pointe la course à la taille et aux classements dans laquelle est engagé l’établissement.”Il est vrai qu’Audencia ambitionne de “passer de 6 700 à 10 000 étudiants d’ici à 2025 (dont 3 000 étrangers, contre 700 aujourd’hui) et de faire grimper son budget de 65 à 100 millions d’euros”. Ce qui serait “irréalisable” selon Médiacités citant “une source haut placée”. Tout le monde doit chercher la taupe !

Le feuilleton ne fait que commencer à mon avis pour toutes ces écoles engagées dans une course à l’armement, y compris immobilier, au moment où la source ‘asiatique’ se tarit et où il faut prospecter en Afrique, par exemple. Car la concurrence est de plus en plus rude ! Chronique de l’instabilité…chronique de la gouvernance non pas des universités mais des écoles. Un épisode de plus avec  la ‘petite’ école de Pau, l’ESC Pau, qui ‘perd’ (à nouveau) son directeur et son directeur adjoint.

Intéressante aussi une affirmation du directeur démissionnaire de l’EM Strasbourg, composante de l’université, qui estime qu’il faut aller encore plus loin dans la collaboration école-université. Là encore, la France se singularise avec des Business schools non adossées à des universités, à quelques excceptions près. Les universités françaises qui ambitionnent de figurer dans les hauts de tableaux internationaux finiront-elles par s’y intéresser comme un axe stratégique ?

Immobilier universitaire en surchauffe

AEF vient de révéler le rapport très attendu de la Cour des comptes sur l’immobilier universitaire. Retenons 3 choses :

  1. 18 millions de m² de locaux –, dont “60 % des surfaces sont estimées dans un état très satisfaisant ou satisfaisant”. Mais plus du tiers, soit 34 %, dans un état jugé peu ou pas satisfaisant. Surtout, les budgets affectés à l’entretien (ratio par m2) sont loin des standards. Dans ce conteste, évidemment, l’adaptation à la sobriété énergétique reste un défi pour toutes les universités.
  2. Le taux d’occupation moyen des bâtiments universitaires est passé de 65,8 % en 2019 à 60 % en 2020. Je résume : la majorité des établissements n’a pas une optimisation des emplois du temps (ah le vendredi…) ou tout simplement est la victime collatérale de la démagogie de collectivités locales qui veulent du m2. Il n’en reste pas moins que certaines  sont en réelle difficulté.  La Cour des comptes fait ainsi part de situations de sur-occupation des amphithéâtres à l’université de Montpellier-III, où leur taux d’occupation est de 143 %, ainsi qu’à Lyon-III (123 %) et Lyon-II (110 %) … mais 58% à Poitiers.
  3. La différenciation est aussi là, tandis que Paris reste pour partie une boite noire. A Paris 3 Sorbonne Nouvelle la rentrée est reportée après visiblement une mauvaise estimation de l’utilisation potentielle des surfaces. L’université chercherait donc à recruter un logisticien pour travailler sur les procédures d’emploi du temps… Même si les effectifs se sont renforcés et professionnalisés selon la Cour des comptes, les postes les plus techniques “peinent à être pourvus, en raison notamment de la concurrence d’autres acteurs, privés ou publics”.

Evaluation par les pairs, réputation et biais

On connaît désormais mieux les biais de genre dans les carrières scientifiques. Mais un “papier” de chercheurs ajoute une pierre à l’édifice des biais (pas exclusif du précédent d’ailleurs) et dit tout haut, en argumentant, ce que beaucoup murmurent : comment les réputations affectent l’évaluation par les pairs.

Je cite leur conclusion dans l’abstract : « Nous invitons plus de 3 300 chercheurs à évaluer un article rédigé conjointement par un auteur éminent – un lauréat du prix Nobel – et par un auteur relativement inconnu – un associé de recherche en début de carrière -, en variant selon que les évaluateurs voient le nom de l’auteur éminent, une version anonyme de l’article ou le nom de l’auteur moins connu. Nous trouvons des preuves solides de l’existence d’un biais lié au statut : alors que seulement 23 % des évaluateurs recommandent le “rejet” lorsque le chercheur éminent est le seul auteur indiqué, 48 % le font lorsque l’article est rendu anonyme, et 65 % le font lorsque l’auteur peu connu est le seul auteur indiqué. » 

Ajoutons une tribune de chercheurs dans le Monde sur la pluridisciplinarité. Ils constatent que “depuis quelques années, les grandes institutions de recherche encouragent le développement et la promotion de projets de recherche pluridisciplinaires. De nombreuses campagnes de communication en promeuvent les bénéfices, vantant une approche de la formation des futures élites plus globale, et des environnements de recherche plus riches et plus innovants.” Mais leur conclusion, c’est que les universitaires pluridisciplinaires ont tendance à être désavantagés lorsqu’ils sont évalués par leurs confrères.”

J’avais signalé en mars 2019, un article de la Harvard Business Review, et aussi dans Nature, dans lequel 2 professeurs des universités Northwestern et Chicago et leur postdoc développent une hypothèse : en matière d’innovation les petites équipes de recherche sont meilleures que les grosses. Pour cela, ils ont examiné plus de 65 millions d’articles, de brevets et de produits logiciels qui ont été publiés entre 1954 et 2014. Cette conclusion, intuitivement validée par de nombreux acteurs, est surtout intéressante par ce qu’elle dit de la nature des recherches des petites et des grandes équipes.

Recherche et gestion des labos : changement de ton ?

On le sait : la ministre veut mettre de l’ordre dans la relation établissements-organismes. Il est donc touchant de voir leurs dirigeants venir en masse à la réunion annuelle fin août des VP recherche des universités pour porter un message apaisant… Critiquant désormais les conditions de mise en œuvre des PEPR (il était temps !), ils plaident aussi pour plus de programmation conjointe avec les universités. Le PDG du CNRS Antoine Petit, faisant l’éloge des UMR, propose lui une contractualisation en deux temps : le CNRS avec l’université en premier lieu puis l’université avec les écoles alentour dans un second temps.

Evidemment, la CGE et la Cdefi jugent les propos d’Antoine Petit “méprisants” et appellent à un dialogue efficace et apaisé. Elles rappellent malicieusement qu’elles ne “surenchériront pas en demandant l’application systématique et sans discernement de réformes non concertées”, rappelant que “le président de la République lui-même proposait récemment de transformer le CNRS en agence de moyens”. Mais elles sont de facto dans une posture défensive face aux souhaits de la ministre, des organismes et des universités. Car le départ de F. Vidal a ouvert une nouvelle période dans les relations universités-organismes. A suivre cependant car entre les discours et la réalité…

IHU : un système structurellement clientéliste ?

Sylvie Retailleau et François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention après avoir fait état de “graves dysfonctionnements”, mis en lumière par le rapport Igas-IGÉSR qu’ils ont diligenté à l’IHU de Marseille, saisissent le Procureur de la République. L’IHU de Strasbourg est aussi objet de l’intérêt de la justice, le parquet national financier ouvrant une enquête pour “prise illégale d’intérêts”. Le PNF avait reçu il y a deux mois un courrier de Benoît Gallix, directeur général à l’époque de l’institut, qui dénonçait de possibles faits litigieux commis sous son prédécesseur Jacques Marescaux.

Sans me prononcer évidemment sur les faits (laissons la justice faire son travail), on peut néanmoins poser et se poser une question : comment une politique publique a-t-elle pu être bâtie en réalité autour des projets de “fortes personnalités” qui se sont abstraites du fonctionnement collectif ? Parce que l’assouplissement souhaité des règles de fonctionnement, l’autonomie en somme, se fait en contournant les universités et leurs multiples contre-pouvoirs.

Directeurs/rices d’UFR et labos : suivez le guide !

Justement, ça va faire parler : un nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics doit entrer en vigueur au 1er janvier 2023. La direction du budget et la Dgfip publient un kit d’information  pour se “familiariser” avec ce nouveau régime. Je crains que peu d’universitaires le lisent ! Comme d’habitude, le niveau d’information reste faible, pas seulement en raison des failles des dispositifs des établissements. Car, et on le voit sur les réseaux sociaux, la compréhension “technique” reste limitée, teintée une fois encore de complotisme, d’autant que pour l’ESR tout n’est pas clair. Les présidents, DGS, agents-comptables vont bien s’amuser !

Car cette réforme va notamment toucher les directeurs des UFR et de laboratoires : une décision budgétaire et financière qui relèverait du nouveau régime de responsabilité (faute grave ayant entraîné un préjudice financier significatif), engagera leur responsabilité personnelle avec une sanction pouvant aller jusqu’à six mois de rémunération… Pourtant, si on y réfléchit bien, c’est une occasion exceptionnelle de revoir (positivement) la relation présidence-composante.

Références

Références
1 Loïc Roche tandis que dans la bataille le DG adjoint de GEM, J-F Fiorina, rejoint l’IPAG business school, jusque-là dirigée par Guillaume Bigot. Ce dernier, chroniqueur de Sud Radio, C News et Front Populaire a été accusé en 2018 par Alice Guilhon, la DG de SKEMA de développer autour des migrants “une idéologie nauséabonde.”

One Response to “Petit voyage dans l’actualité de la rentrée de l’ESR”

  1. Le taux d’occupation moyen des bâtiments universitaires est de notoriété publique beaucoup trop faible et les collectivités locales (qui ont souvent du en co-financer une grosse partie) sont les premières à le déplorer. Avec un objectif de Zéro Artificialisation Nette, et de concurrence de priorités pour l’utilisation des fonciers disponibles (pour le logement des familles, étudiants, seniors, pour les équipements publics, les activités économiques, le sport, les espaces verts, etc…) l’heure est plus que jamais à l’optimisation et à la mutualisation. La Loi 3DS vient d’autoriser les université à créer des filiales avec les collectivités dans cet objectif. Chiche!

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