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L’été, il se passe toujours des choses, et pas qu’au niveau des nominations. Je vous livre quelques remarques sur cette actualité. Image brisée de F. Vidal, premières annonces de S. Retailleau, croissance inexorable du privé, avenir contrasté des CPGE, feuilleton du misérabilisme et gestion erratique des ressources humaines : essayons de nous y retrouver en évoquant aussi un événement passé inaperçu à Nanterre.

Tiens tiens… Le gouvernement a décidé d’écourter la Loi de Programmation Militaire 2019-2025 selon ce blog spécialisé et de fixer un nouveau cadre pour la période 2024-2030. Tiens tiens… Dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2022, les députés et les sénateurs sont parvenus à un accord pour aider financièrement les communes les plus « fragiles » et leurs groupements confrontés à la fois à l’impact du dégel de la valeur du point d’indice de la fonction publique et aux conséquences de l’inflation, notamment sur les prix de l’énergie. Des idées pour l’ESR ?

D’une ministre à l’autre…

Le chemin de croix de F Vidal. Le 19 avril dernier, la Haute Autorité avait prononcé un avis d’incompatibilité pour son précédent projet, qui consistait à rejoindre Skema Business school en qualité de directrice de la stratégie du développement. Dans une délibération du 26 juillet 2022 relative à son projet de reconversion professionnelle de l’ancienne ministre de l’ESRI Frédérique Vidal, consistant à « rejoindre l’association Fondation européenne pour le développement du management (EFMD) en qualité de conseillère spéciale de son président », la HATVP rend un avis de compatibilité avec réserves, qu’elle détaille.

Au delà de l’hommage indirect aux talents de lobbyiste de la DG de Skema, Alice Guilhon, notoirement proche de F. Vidal depuis l’Idex de Nice-Côte d’Azur, cela va accroître un peu plus la « popularité » de l’ex-ministre dans le milieu. A noter que la HATVP juge que Skema est une entreprise, malgré son statut d’Eespig 😄.

S. Retailleau dans le « dur ». Lors de son audition au Sénat en juillet, elle s’est dite favorable à une accélération de la trajectoire budgétaire de la LPR, précisant que des simplifications RH seront proposées « à l’automne ». Par ailleurs, pour répondre à la hausse des prix de l’énergie, elle annonçait que son ministère va travailler sur « des enveloppes de fin de gestion », ainsi qu’un travail de simplification sur la gestion des UMR, permettant d’avoir « une vision consolidée » au niveau du financement et des RH.

Elle a apporté des précisions lors de son discours à l’occasion de l’université d’été de France Universités. Enterrement du ‘dialogue stratégique de gestion’ avec de « nouveaux contrats d’objectifs et de moyens pluriannuels » qui seront mis en place « dès la fin 2022 », et un « premier budget » dédié dans le PLF 2023. Elle souhaite articuler le rôle des universités et des organismes « de façon complémentaire et cohérente » et « simplifier la gestion des laboratoires ».

Mais à court terme, et c’est sans doute à mon sens le plus important, elle entend avancer sur la simplification de la LPR : les premières modifications de textes sur le repyramidage, le Ripec et les CPJ « sont en cours de publication ou le seront d’ici la fin de l’année », assure-t-elle. Le « diable est dans les détails », et il ne suffira pas d’édicter de grands principes : les communautés attendent une rupture claire avec la période F. Vidal sur ce sujet. Or, faire évoluer le pilotage et l’organisation du système, personne jusqu’à présent n’y est arrivé : chaque tentative s’est soldée par une complexification-recentralisation. Un défi pour S. Retailleau.

Le feuilleton du misérabilisme

La ministre, comme tous ses prédécesseurs, va aussi devoir faire face au feuilleton traditionnel du misérabilisme, aiguisé cette année par les effets de la reprise de l’inflation. Mais je rassure mes lectrices/eurs : sans inflation, il y avait déjà ces débats irréels. Irréels pourquoi ? Parce qu’à lire ou surtout écouter les médias, qui s’appuient sur des déclarations plus catastrophistes les unes que les autres, les étudiants mourraient de faim ou se prostitueraient pour survivre.

C’est curieux : d’un côté on dénonce l’enseignement supérieur comme socialement discriminant, avec trop peu de jeunes venant de milieux défavorisés, de l’autre on décrit un monde étudiant homogène, vivant de rapines, voire de prostitution, tellement il est pauvre. Ce qui est navrant c’est que peu osent mettre en cause ces discours, comme si faire preuve de mesure était honteux. Le job d’été est désormais comparé au travail à la mine et il ne faudrait rien dire ?

UNEF(+ 6,47 %) et Fage (+ 7,38 %) rivalisent ainsi dans les chiffres choc à propos de la hausse du coût de la vie étudiante. Relevons que la Fage (il faut faire plus par rapport à l’UNEF !) estime l’augmentation moyenne des tarifs des mutuelles étudiantes à 32 %, chiffre repris sans précaution par de nombreux médias. Une hausse énorme. Sauf que la Fage a rétropédalé. Dans une interview à AEF, une de ses responsables précise qu’  « en réalité, nous avons plutôt constaté qu’une mutuelle en particulier au sein de notre panel avait acté une augmentation, qu’on pourrait qualifier d’explosive. Chez la plupart des autres opérateurs, nous n’avons par contre relevé qu’une très faible hausse, voire aucune augmentation. Donc oui effectivement, ce chiffre d’augmentation moyenne de 32 % des tarifs masque surtout un cas particulier. » CQFD…

Mais l’UNEF peut faire mieux comme on l’a vu et détient le pompon : elle affirme que « les étudiant·e·s meurent de faim et d’angoisse ». et publie des chiffres délirants, au regard de ceux qui font foi, les enquêtes de l’OVE. J’invite à relire mon billet citant le regretté Louis Gruel qui dès 2009 dénonçait ces manipulations.

Heureusement, nous avons Louis Boyard ! L’ancien dirigeant de l’UNL, désormais député LFI-NUPES s’est invité dans ce débat. « Il y a deux types d’étudiants. Ceux qui ont un parent riche et les autres. Les autres bossent. Ils font la queue aux restos du cœur, se prostituent, se privent de manger pour suivre leurs études. Le système de bourse encourage cela. Le revenu étudiant de 1063€ y mettrait fin. » twittait-il en août. Passons sur sa description du monde étudiant ☹️… Réalisant sa ‘boulette’ au regard du programme de son organisation, il ajoutait dans la foulée : « il faut aussi préciser que ce n’est pas parce que les parents ont de l’argent qu’ils aident forcément leurs enfants qui étudient. C’est un autre problème majeur et un argument de plus pour le revenu étudiant de 1063€. »

Aïe ! Séduit par l’argument selon lequel il fallait cibler les efforts sur celles et ceux qui en ont le plus besoin, j’ai donc failli adhérer à LFI 🤭, convaincu qu’ils voulaient réellement faire payer les riches. Ah bah non ! Content quand même pour les enfants de cadres sup qui toucheraient ainsi plus de 1000 € par mois : je ne sais pas ce qu’en penseraient celles et ceux qui sont au Smic ou au minimum vieillesse…

En conclusion, bonnet blanc et blanc bonnet ? D’un côté des politiques qui dénoncent les gens modestes qui iraient s’acheter des écrans plats, de l’autre des politiques qui instrumentalisent ces mêmes personnes modestes… Est-on obligé pour pointer les difficultés d’une partie des étudiants de truquer et manipuler les chiffres, y compris à coup de micro-trottoirs par nature orientés ? On connaît le résultat d’avance : le saupoudrage qui s’annonce, au détriment des plus défavorisés 🤨.

La croissance du privé

Comme chaque année depuis 2008, les effectifs étudiants dans l’enseignement supérieur ont augmenté entre 2020 et 2021, pour atteindre 2,97 millions d’étudiants cette année, soit +2,5% selon une note Flash du SIES-MESR publiée en juillet . Cette hausse d’effectifs « est particulièrement prononcée dans les écoles de commerce et en formations d’ingénieurs » tandis que l’enseignement privé accueille « 24,8 % des étudiants, soit 1,7 point de plus qu’en 2020 ». J’évoque depuis des années cette tendance de fond qu’est la croissance des effectifs du privé. Des établissements, plus nombreux qu’on ne pense, charrient des escrocs, des opportunistes, mais également des businessmen/women assis sur le matelas de l’apprentissage, qui les finance sur fonds publics… Il appartient aux pouvoirs publics de faire le « ménage » dans ces formations dont le seul vernis est la reconnaissance par l’Etat.

Mais, et il y a un gros mais, peut-on confondre cette part de l’enseignement supérieur privé avec celle qui assume une certaine qualité et des missions d’intérêt général ? Pourquoi privé signifierait-il mauvaise qualité ? A ce rythme il faudrait enlever le titre d’université à Harvard, Stanford etc. La véritable question est : la « concurrence » est-elle biaisée ?

Ce qui est plus inquiétant, c’est l’explication à courte vue qui réduirait cette croissance à l’insuffisance de moyens des universités. Les universitaires peuvent-ils s’interroger sur leur image, celle de leurs formations et de leurs établissements ? Dans les familles et chez les jeunes ? L’illusion de la sélection dans les écoles privées, alors même qu’elles cherchent à remplir, témoigne au fond de l’attractivité pour les familles de ce qui est sélectif, voire payant.

Les deux grands dénis universitaires (refus ‘officiel’ de la sélection, études gratuites pour les plus aisés) n’expliquent-ils pas aussi l’essor du privé ? Et pourquoi l’argument de « nous sommes un service public » ne jouerait qu’à charge pour les universités ? N’est-ce pas à l’Etat de trouver et promouvoir les solutions pour que ces jeunes qui ne trouveront pas leur voie à l’université afin qu’ils la trouvent en STS ou dans des écoles professionnelles ?

L’avenir des CPGE s’écrit-il…au passé ?

Le palmarès Sigem 2022, qui indique les choix préférentiels des élèves de prépa pour les écoles de management installe une hiérarchie, qui évolue, mais peu : l’Edhec et Skema confirment leurs performances de 2021, Neoma passe devant Grenoble EM. Peut-être un rapport avec le départ annoncé par le président de la CCI de Grenoble et PDG de l’EESC Grenoble école de management de son DG Loïck Roche. On peut en tout cas s’interroger (voir supra) sur la filière gratuite CPGE, largement dotée de fonds publics…et débouchant principalement dans des écoles de management aux frais d’inscription particulièrement élevés. Est-ce à la collectivité de pré-financer ces écoles ?

Cependant, ce monument de l’histoire française va-t-il s’éteindre doucement ? On lira avec intérêt le post sur Linkedin de Bernard Belletante sur ce sujet, chiffres à l’appui. Concurrence des séjours à l’étranger, des CPES dans les universités mais surtout des attentes évolutives de recruteurs et d’un modèle économique des écoles de management, privilégiant la quantité et sans pitié pour les prépas, leur avenir n’est pas rose. On le sait de nombreuses prépas ne font pas le plein, c’est un euphémisme. Les propositions de la Cour des comptes mériteraient dans ce cadre un débat serein.

La gestion des ressources humaines est-elle possible dans ce secteur ?

Méditons l’instauration du Numerus clausus en 1971. Elle incarne jusqu’à la caricature une prospective erronée rencontrant les corporatismes français classiques, en l’occurrence se protéger contre les nouveaux entrants…On en a pris pour des décennies de pénurie médicale !

Même risque : alors qu’une note (que j’avais signalée en juillet), souligne l’impact probable des départs à la retraite plus nombreux que prévu, la question de la gestion propective des ressources humaines dans ce secteur reste aigüe. On va probablement moins parler du GVT que du plafond d’emplois !

On assiste à la même chose aujourd’hui à propos du recrutement des enseignants des premier et second degré : la crise, pas seulement française, vient de loin. Les réformes incessantes, et souvent contradictoires, se paient cash. Je conseille vivement de lire cette analyse d’Ismail Ferhat sur twitter, professeur à Nanterre.

Nanterre dans l’indifférence

Justrement, Nanterre parlons-en ! Nous devons être peu nombreux à avoir suivi les aléas de la stratégie jusqu’au boutiste sur les « sans-facs » de l’UNEF Nanterre, tendance NPA : mais voilà, je reçois leurs communiqués insensés et truffés de fautes d’orthographe, plutôt Mao de la grande époque que Trostki d’ailleurs. Mais je reçois aussi un communiqué de l’université indiquant que « l’occupation de la tour Grappin, bâtiment administratif de l’Université Paris Nanterre, menée depuis le 27 octobre 2021 par des membres de l’UNEF Nanterre et leurs soutiens, a pris fin sans qu’aucune action physique n’ait été nécessaire ni qu’aucune négociation n’ait eu lieu. »

Soulignons le courage des personnels (et de l’équipe de direction) premières victimes de ces opérations strictement politiques : vilipendés par tout ce que la gauche compte de lider maximo (même si le sénateur Ouzoulias a mezzo voce pris ses distances) ils ont malheureusement pu toucher du doigt leur duplicité. J’aurais aimé que ces révolutionnaires d’opérette aillent, pas très loin, réclamer la même chose au Pôle Léonard de Vinci, établissement privé (je précise que je n’ai rien contre cette institution !).

2 Responses to “Quelques brèves de rentrée pour aller à l’essentiel”

  1. Sur le « misérabilisme » oui il faut raison garder mais ne pas tomber dans un optimisme déformé par notre vision de gens favorisés (qui ne fait pas partie des 20% du haut dans les lecteurs de ce blog?). Les queues devant les CROUS n’ont pas été simulées?
    Lire cet article de hier ds Le Monde: https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/29/la-reforme-des-bourses-un-chantier-d-ampleur-pour-la-ministre-de-l-enseignement-superieur_6139410_3224.html

    Oui pour une vraie gestion RH permettant de réorienter les gens en cours de carrière mais embauchons très jeunes sans passer par des sas comme les posts-docs, CPJ ou autres. Ou sinon appliquons la même chose aux hauts fonctionnaires de Bercy! Un vrai chantier à instruire.

    Sur les CPGE j’ai donné ma position depuis longtemps et oui « elles devraient s’écrire au passé » : https://drive.google.com/file/d/167YO3N1AILBhQJl4FqEkc2nYEXQKbC7P/view?usp=sharing

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