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Dans cette 2ème partie de mon analyse du rapport Gillet, je reviens sur le constat sévère et illustré du pilotage déficient de l’État, de l’absence de stratégie nationale de recherche, du rôle du SGPI à redéfinir, et la proposition d’une nouvelle approche budgétaire, sur fond d’un sous-financement chronique, qui plus est fragmenté. Le rapport propose ainsi une évolution du CIR pour financer la recherche “exploratoire”, de dégager des moyens de France 2030 pour la recherche à risque, garante d’un système performant, et enfin de doter les 2 000 jeunes chercheurs recrutés chaque année d’un véritable “package” de départ et d’une décharge d’enseignement. Des propositions fortes au moment des arbitrages budgétaires 2024 … épicées d’un service d’enseignement pour tous les chercheurs/euses.

Je poursuis ma lecture, sélective, du rapport Gillet en abordant ce qui est curieusement peu évoqué dans les réactions 1La question de l’évaluation et du HCERES, les COMP, la mise en place de programmes nationaux de recherche, le rôle de l’ANR etc. sont naturellement fondamentaux.. En effet, dans ce rapport, les propositions de simplification ou la clarification des relations universités-ONR sont la conséquence d’un diagnostic sévère sur le pilotage par l’État.

Une recherche publique en quête de stratégie

Le rapport commence par le constat incontestable du déclin scientifique de la France, certes non homogène, mais réel. Il en pointe les raisons sans occulter, bien au contraire, la question des moyens.

 Il souligne 2 failles majeures

  1. un décalage entre les ambitions de la France et le financement de sa recherche, « sous-financée à l’échelle d’une puissance économique comme la France » même si la LPR a commencé à changer la donne. Cerise sur le gâteau, il est très difficile de connaître véritablement le budget national consacré à la recherche publique 2« Quelles que soient les sources budgétaires, comme on peut le constater à la lecture des rapports produits dans le cadre des lois de finances ou des analyses de la Cour des comptes. Au sein même du MESR, la contribution du P150 au budget de la recherche positionné dans les subventions aux universités, vient abonder le budget de la recherche, porté essentiellement par le P172. »
  2. l’absence d’une véritable stratégie nationale de recherche avec à la place « une somme de stratégies mal-concertées », un système difficilement lisible 3Le rapport cite notamment « la récente émergence de l’Agence de l’innovation en santé (AIS) » qui a montré « la nécessité de définir clairement le positionnement des acteurs dans un même champ, au risque sinon d’avoir des recoupements de périmètres préjudiciables à la lisibilité de l’écosystème. » auxquels il faut ajouter « un principe de défiance et de contrôle omniprésent à tous les niveaux de gouvernance. » Le rapport propose de « repenser l’interministérialité » 4Il cite un exemple édifiant, sur un sujet majeur : « certaines initiatives en matière de recherche menées par les ministères techniques sont définies et déployées sans consultation ou intervention du MESR, ce qui obère nettement la capacité de ce dernier à être le chef d’orchestre d’une politique de recherche globale et concertée : la stratégie 2022-2027 pour la recherche et l’innovation sur l’eau et la biodiversité du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (MTECT) en est un exemple récent. ».

Causes ou conséquences, 3 constats suivent :

  1. une politique de court terme : le rapport ne mâche pas ses mots… « Il y a certes des initiatives majeures comme France 2030 associées à des financements significatifs sur un temps court, mais il faut aussi préparer le long terme : France 2040, France 2050, … »
  2. une incompréhension sur les temps de la recherche, la prise de risque et l’échec qui “pose donc la question légitime de l’équilibre entre des impulsions itératives à venir (France 2040, 2050), reconnues comme essentielles, et une augmentation du financement de base qui garantit la construction d’un socle robuste de capacité et connaissance à long terme, indispensable pour rendre encore plus efficace les impulsions budgétaires des PIA à venir.”
  3. une déresponsabilisation générale : « tous les acteurs, l’État en premier, et les opérateurs de recherche, doivent faire face à leurs responsabilités pour simplifier et rendre cohérent un système complexe où tout le monde se perd ; »

Le SGPI sur la sellette en matière de recherche

De ce point de vue, le SGPI apparaît au carrefour de cette absence d’une politique publique cohérente. La mission Gillet estime que si le rôle du SGPI dans le cadre de France 2030 « peut apparaître clair, en tant que coordinateur et cofinanceur de grandes politiques nationales », pour la recherche « la vacuité (sic) de la fonction stratégique ne peut être seule remplie par les actions du SGPI. »

Le rapport est direct : il faut « assurer un rôle clair au SGPI » … Et il tape fort, dénonçant au cours des échanges de la mission, l’apparition d’une ‘certaine ambiguïté institutionnelle », de nombreux interlocuteurs estimant que c’est le SGPI « qui est en charge du pilotage scientifique national. » Fermez le ban !

Repenser ‘interministérialité’ et pilotage de l’État

C’est la raison pour la laquelle la mission suggère des évolutions concrètes. Outre la nécessité de “repenser l’interministérialité” et de faire du MESR un véritable chef de file, elle propose de faire évoluer « structurellement le modèle permettant de conseiller le Gouvernement sur la définition des grandes orientations scientifiques nationales, aussi bien dans la phase d’analyse prospective, de concertation que dans celle du choix des priorités. »

Comment ? Avec la création d’une fonction de Haut-conseiller à la science (HCS), “positionné auprès du Président de la République ou du Premier Ministre”. Faisant référence à de nombreux exemples étrangers, cela aurait “plusieurs avantages” : “un interlocuteur unique identifié” aurait la charge de mener “les consultations de réflexion scientifique, de proposer les grandes orientations et d’appuyer le Gouvernement dans la définition des priorités nationales.”

Un tabou brisé sur ce qu’est la “performance”

Si la mission souligne « une augmentation significative des crédits de recherche accordés par l’intermédiaire d’appels à projets (ANR et France 2030 notamment) », elle note que “cela n’a pas été le cas pour les crédits visant à assurer le financement de base des laboratoires (…).”

Or, alors que depuis des années un signe égal est mis entre appels à projet et “performance”, la mission brise un tabou : les crédits de base “sont pourtant un des leviers qui permettent d’encourager la ‘prise de risque’ dans certains champs de recherche, et de financer des initiatives originales qui peuvent ne pas correspondre aux grilles de lecture des appels à projets. Cette prise de risque, globalement sous financée, est un élément déterminant de la performance d’un système de recherche.”

Notons que ceci fait écho aux propos de la Dgesip A-S Barthez lors d’un séminaire de l’Association des DGS d’université consacré aux appels à projet : “Les appels à projets règlent-ils tout et doivent-ils tout régler ? Je ne le pense pas” car ils ne sont “plus forcément le bon outil” pour financer les missions de service public.

Une “nouvelle approche budgétaire”

Se pose donc selon la mission Gillet “la question légitime de l’équilibre entre des impulsions itératives à venir (France 2040, 2050), reconnues comme essentielles, et une augmentation du financement de base qui garantit la construction d’un socle robuste de capacité et connaissance à long terme, indispensable pour rendre encore plus efficace les impulsions budgétaires des PIA à venir.”

Comment ? Tout simplement en redéployant des crédits de France 2030… “Nous remarquons ainsi que le programme France 2030 consacre plus de 50 Mds€ à l’innovation et seulement 1 Md€ aux initiatives de recherche dites à risque 5C’est une référence à une lettre commune aux ONR de la DGRI C. Giry et du SGPI B. Bonnell.. C’est une initiative importante et bienvenue. Elle n’est cependant planifiée que sur quelques années : il faut trouver les moyens de la pérenniser au-delà de cette période.”

La mission préconise de “marier” 2 manières de financer la recherche afin de “répondre aux enjeux de court et de long termes. Il s’agirait d’investir (1 à 2 Mds €) chaque année dans le fonctionnement de la recherche, sur des objectifs ciblés et évalués, permettant d’encourager les initiatives innovantes ou risquées. Elle desserrerait aussi la pression sur les financements par appels à projets.”

L’équivalent d’un préciput de 20%. “Imaginons qu’une impulsion budgétaire soit de 50 Mds €. 40 de ces 50 Mds€ seraient effectivement consommés sur une période de 10 ans sur des initiatives pilotées. Les 10 Mds€ restants serviraient à augmenter le budget de base de la recherche de 500 M€ par an pendant 20 ans. C’est une sorte de préciput de 20 % pris sur le montant de l’impulsion et lissé sur une période de 20 ans offrant davantage de visibilité au financement de la recherche.”

Une évolution du crédit impôt-recherche (CIR). La mission évite soigneusement le débat sur le bien-fondé du CIR tel qu’il est aujourd’hui… Mais elle propose d’en extraire “1 à 2 Mds€ supplémentaires pour la recherche ouverte.”  Comment ? “De nombreuses entreprises françaises payent pour de la recherche collaborative dans des pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou Israël. Pour éviter cela et renforcer notre souveraineté, ne faudrait-il pas orienter une partie du CIR vers des outils de recherche conjoints avec les industriels (LabCom, plateaux techniques, …). Cela permettrait, par rebond, de renforcer le financement de la recherche exploratoire. C’est le prix à payer pour que la recherche apporte continûment des réponses et des solutions aux grands enjeux économiques et sociaux de demain (santé, économie verte, alimentation, énergie…).”

Les conséquences de cette “nouvelle approche budgétaire”. “Un tel renforcement du budget de la recherche permettrait notamment de réaliser trois types d’actions : il offrirait aux ONR la capacité de financer des recherches exploratoires ; il pourrait également intégrer la balance budgétaire dans le cadre des négociations des COMP, et augmenter les marges de manœuvre budgétaires des établissements présentant des indicateurs et un bilan favorables ; enfin, ce budget permettrait d’engager des mesures fortes en faveur des jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs.”

Ce rapport pourrait-il, 25 ans après le rapport Attali qui, qu’on le veuille ou non, a été un tournant pour l’ESR français, jouer le même rôle ? Sa limite, oserais-je dire comme toujours, c’est la dimension enseignement supérieur, abordée sur le seul angle du service d’enseignement. Mais c’était la commande. Réponse dans les mois qui viennent.


Le chiffon rouge de l’enseignement pour les chercheurs

Ce rapport pourrait être “consensuel” et j’oserai même dire progressiste pour qui veut l’entendre. Il ne passe sous silence, ni le sous-financement de la recherche, ni le dévoiement des appels à projet, ni la nécessité de revoir les financements de base. Il l’est moins 🤭 lorsqu’il propose un engagement des chercheurs dans l’enseignement !

“En France, quelques paradoxes résistent au temps et à des évolutions souhaitables. Le couple recherche-enseignement en est un. Tous les chercheurs s’accordent à dire que la transmission du savoir est essentielle. C’est dans le discours des plus grands chercheurs en France et à l’étranger. Malheureusement le mythe du chercheur qui ne fait que de la recherche, spécifique à notre pays reste encore bien vivace. Dans la plupart des autres pays le standard international s’applique et il est difficilement concevable que les chercheurs n’enseignent pas, même très peu.”

Le rapport pose une question : “Est-il vraiment insurmontable pour un chercheur d’ONR de faire entre 32 et 64h ETD d’enseignement par an” ? Et préconise “une évolution de notre écosystème vers des standards internationaux reconnus de tous, et un acte de solidarité pour un allègement des tâches d’enseignement pour les jeunes recrutés.”

Évidemment, cela fera des remous! J’attends avec impatience les réaction de toutes celles et ceux qui n’ont pas de mots assez forts pour louer la mission de l’Université pour les jeunes, mais sans aller jusqu’à enseigner 😒… Mais que diront-ils alors que le rapport souhaite que soit attribuée “une enveloppe de recherche, pour une période de 3 ans, à tous les jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs permanents recrutés annuellement ?” Ce budget attribué devrait être compris entre 10 et 100 k€ par an, soit “environ 300 M€ par an en régime permanent pour un flux de 2000 jeunes nouveaux recrutés”.

Références

Références
1 La question de l’évaluation et du HCERES, les COMP, la mise en place de programmes nationaux de recherche, le rôle de l’ANR etc. sont naturellement fondamentaux.
2 « Quelles que soient les sources budgétaires, comme on peut le constater à la lecture des rapports produits dans le cadre des lois de finances ou des analyses de la Cour des comptes. Au sein même du MESR, la contribution du P150 au budget de la recherche positionné dans les subventions aux universités, vient abonder le budget de la recherche, porté essentiellement par le P172. »
3 Le rapport cite notamment « la récente émergence de l’Agence de l’innovation en santé (AIS) » qui a montré « la nécessité de définir clairement le positionnement des acteurs dans un même champ, au risque sinon d’avoir des recoupements de périmètres préjudiciables à la lisibilité de l’écosystème. »
4 Il cite un exemple édifiant, sur un sujet majeur : « certaines initiatives en matière de recherche menées par les ministères techniques sont définies et déployées sans consultation ou intervention du MESR, ce qui obère nettement la capacité de ce dernier à être le chef d’orchestre d’une politique de recherche globale et concertée : la stratégie 2022-2027 pour la recherche et l’innovation sur l’eau et la biodiversité du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (MTECT) en est un exemple récent. »
5 C’est une référence à une lettre commune aux ONR de la DGRI C. Giry et du SGPI B. Bonnell.

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