5 Comments

C’est le feuilleton traditionnel de l’ESR : la publication en plein mois d’août du classement de Shanghai avec ses multiples réactions et commentaires. Au-delà du classement lui-même, on peut en tirer trois leçons générales sur le système : méconnaissance, déni, hypocrisie. Mais aussi une quatrième : vu leurs financements et leur organisation, les universités françaises s’en sortent bien. Mais le font-elles savoir pour exiger une remise à niveau ? Ne serait-ce pas l’occasion de mettre, en toute transparence, toutes les cartes sur la table ?

Précisons tout de suite que cet article n’a pas pour objet la défense et illustration de la méthodologie de ce classement et de ses concurrents. Avant que des universités françaises ne figurent dans le top 100 de Shanghai, c’était la soupe à la grimace (“on est nuls, il faut des moyens”), désormais ce serait une arme de l’“offensive de destruction du service public qui a d’abord besoin de moyens”. Diantre !

Il y en tout cas une sensible différence de ton entre F. Vidal et S. Retailleau pour le commenter. Cette dernière, dans le Monde juge à propos des classements qu’ “il ne faut pas leur faire dire plus que ce qu’ils peuvent dire”, d’autant que “la non-prise en compte des publications en langue française (…) conduit souvent à ignorer l’excellente recherche conduite en lettres et sciences humaines et sociales dans nos universités ! Mais nous devons nous réjouir que nos universités françaises y figurent car c’est une reconnaissance de nos établissements, et cela montre que la culture de la recherche y est très forte.”

Les procureurs du classement pointent le sous-financement des universités, qui serait masqué par des constructions institutionnels hors sol. Doit-on pour autant demander à une ministre de s’auto-flageller en ne se félicitant pas des résultats ? Ce n’est pas sur ce blog que l’on va contester la nécessité de refinancer l’ESR, en particulier les universités, ou encore promouvoir la théorie du ‘big is beautiful’. Mais, il y des mais… Comme d’habitude, la communauté universitaire se tire une balle dans le pied.

Une méconnaissance bien “franchouillarde”

Soulignons pour les ignorants 😊 que les classements d’universités ne sont pas une invention française et qu’il y en a beaucoup (Leiden, THE, QS, U-Multirank, sans parler de ceux propres aux USA, comme celui de US News). Donc ce n’est pas un complot ni de S. Retailleau ni des précédent(e)s ministres 🤭.

Une fois de plus, je suis frappé (atterré ?) par la méconnaissance persistante des systèmes étrangers, une ‘franchouillardise’ rance. Et tant qu’on y est il faut honnir le système anglo-saxon : il est un peu pour certains académiques ce que les Noirs et les Arabes sont au RN, un exutoire et un bouc-émissaire. On se reportera à l’excellente remise en perspective de Christine Musselin dans Le Figaro. La lire pourrait éviter à beaucoup de ses collègues de raconter des âneries… qui sont tellement révélatrices du mépris des Biatss et des étudiants.

Je pense notamment à David Cayla et sa tribune dans Marianne, sans doute pour chercher quelque part son quart d’heure de gloire 🤣, une tribune saluée par quelques présidents d’université dont on espère qu’ils l’ont vraiment lue. Il explique qu’une des conséquences du classement de Shanghai, la LRU,  a contraint “les universités à créer des services de gestion des ressources humaines et à recruter pour acquérir les compétences leur permettant de mieux répondre aux appels à projet. Le nombre de personnels administratifs (BIATSS) augmenta, excédant parfois le nombre de personnels enseignant et enseignant-chercheur”.

Recruter des manants qui prennent la place de ces nobles que sont les universitaires : le mandarinat, même de gauche, a des restes ! Cet universitaire, habitué de quelques plateaux TV n’a pas dû beaucoup fréquenter des universités étrangères : partout, le personnel d’administration et de soutien (le “staff”) est plus nombreux que le nombre d’académiques. Pourquoi ? Pour la recherche ? Oui, mais aussi (surtout ?) pour venir en appui des enseignants auprès des étudiants et aider ces derniers dans leur vie quotidienne.

Enfin, il semble cependant que personne n’a vraiment prêté attention à l’autre classement de Shanghai-ARWU, celui des classements disciplinaires. Publiés avec un faible écho en juillet, ils sont sans doute moins contestables en termes de méthodologie 1Ce classement “a passé au crible les universités qui ont publié un certain nombre de publications au cours de la période 2016-2020. Le seuil de publication est fixé différemment selon les matières. Les données bibliométriques sont collectées à partir de Web of Science et InCites.” . La “force de frappe” française en mathématiques se confirme, avec 36 établissements représentés, dont l’université Paris-Saclay qui reste 1ère mondiale de la discipline, suivie de Sorbonne U, 3ème. Mais, malheureusement, il existe beaucoup de trous dans la raquette, sans parler du Droit, absent sans doute en raison de la langue. Il reflète sans doute mieux l’état de la science française et on observera avec intérêt les résultats des Pays-Bas…

Remarquons enfin que les classements des écoles d’ingénieurs et des écoles de commerce, réalisés par des médias, voire de facto par les entreprises (avec leur hiérarchie des écoles), ne semblent émouvoir personne. On aimerait ainsi que le classement quasi féodal à l’embauche en France des ingénieurs selon leur école, niant le PhD, suscite la même indignation des contempteurs de Shanghai 2Notons aussi que ceux des organismes de recherche n’existent quasiment pas, même si le CNRS s’enorgueillit d’être “aux premiers rangs des classements internationaux”..

Bref, on aimerait que les commentateurs universitaires français fassent preuve d’un peu de rigueur … scientifique.

Le déni du réel

Mais tous comptes faits, qu’est-ce qui est le plus frappant dans certaines réactions au sein de la communauté académique ? C’est une fois de plus le déni du réel. Ces classements existent et il faut faire avec. Je lis même que certains préconisent, comme Xi Jinping, de se retirer des classements. Comme si on pouvait s’abstraire du monde … dans une démocratie. Quoiqu’on en pense, ces ‘rankings’ sont un reflet d’une réalité, certes imparfaite et contestable, mais qui est vue hors de France.

Cette déconnexion du réel, on la perçoit sur des sujets aussi divers que les raisons de l’essor du privé (j’y reviendrai prochainement), de l’appétence pour les filières sélectives et bien sûr sur du contenu des formations et la préoccupation d’insertion professionnelle des familles. Si les attentes des familles et des jeunes, des entreprises et plus globalement de la société, sont peut-être parfois temporellement contradictoires avec les conditions et les rythmes du monde académique (encore que…), elles existent.

C’est aussi cette déconnexion des attentes des familles qui explique ce temps passé à s’autodénigrer au lieu de convaincre.

L’hypocrisie ultime

Les académiques, comme tous les citoyens, lisent tous les classements qui inondent les médias (immobilier, bien-être, assurance-vie, fiscalité etc.). Et ils en scrutent surtout un attentivement pour leurs enfants : celui des indicateurs des “meilleurs lycées”Mais évidemment, il ne faudrait pas le faire pour les universités ! L’hypocrisie est en effet une vertu bien partagée dans ce milieu. La pire me semble être celle qui dénonce la non-prise en compte de la question de l’enseignement dans Shanghai 😒. Scandale en effet, car c’est une critique assez juste. C’est cependant un comble !

L’avez-vous remarqué ? Alors qu’une partie des communautés académiques ne souhaite surtout pas enseigner (encore moins en 1ère année), que personne ne réclame l’application systématique de l’évaluation des enseignements (pourtant officiellement gravée dans le marbre depuis des années), est-ce crédible de voir la paille dans l’œil du classement de Shanghai mais pas la poutre de notre système ? Et on peut d’ailleurs craindre justement que si ce critère était pris en compte, l’écart soit abyssal avec non seulement Harvard ou Stanford, mais aussi avec l’université de Copenhague, de Leiden, de Genève ou encore d’Édimbourg 😉…

Posture défensive ou offensive ?

On le sait, l’université française est sans cesse dénigrée, ignorée, rabaissée, et elle y prend malheureusement sa part. Pourtant, lorsqu’elle apparaît, à tort ou à raison, en bonne place dans le monde, les principales critiques viennent de son sein 😠! En août 2020, j’avais évoqué cette question, qui reste d’une actualité brûlante.

Oui, les classements en général comparent toujours “l’incomparable”, en particulier les moyens des universités françaises vs notamment les américaines. Enfin en même temps, c’est le principe des classements 🤣, à chacun d’analyser les raisons de la place occupée ! Oui, il est indéniable que que ce sont toujours les mêmes devant et qu’une corrélation moyens-classements existe à l’évidence !

Justement, c’est un argument majeur ! Imagine-t-on une ville figurant dans un palmarès quelconque, même totalement “bidon”, se dénigrer ? Non, elle en fait un argument positif, offensif même pour son attractivité. Alors même que les meilleur(e)s étudiant(e)s ne se dirigent pas spontanément vers l’université dans notre pays, que notre attractivité en doctorat est soumise à une concurrence féroce, mettre en valeur le fait qu’université rime avec excellence, que la recherche y est de haut niveau, toutes et tous devraient tirer dans le même sens : valoriser ses réalisations.

Des travaux du conseil d’orientation stratégique de l’Université Paris-Saclay (9 décembre 2021) montrent, sur la base de la méthodologie établie par Usher/Ramos pour le Centre for Global Higher Education, qu’au sein du Top 30 ARWU-Shanghai, son ratio “revenu/étudiant” est parmi les plus faibles, même en comparaison des institutions non US ou UK. Son rang dans le classement n’en est que plus remarquable : forte avec peu de moyens !

On pourrait répliquer ce modèle comparatif à tous les établissements français, y compris ceux dans lesquels la recherche est moins dense mais où les besoins des étudiants sont les mêmes. Mais ceci suppose que les universités elles-mêmes, pas seulement le MESR, jouent la carte de la transparence. A passer plus de temps à se plaindre de la concurrence du privé, des classements etc. plutôt qu’à se valoriser, on oublie que ceci ne changera rien dans l’opinion publique et à Bercy.

Qui soulignera le remarquable rapport qualité-prix des universités françaises au moment où se discute la loi de finances 2023 ? 

Références

Références
1 Ce classement “a passé au crible les universités qui ont publié un certain nombre de publications au cours de la période 2016-2020. Le seuil de publication est fixé différemment selon les matières. Les données bibliométriques sont collectées à partir de Web of Science et InCites.”
2 Notons aussi que ceux des organismes de recherche n’existent quasiment pas, même si le CNRS s’enorgueillit d’être “aux premiers rangs des classements internationaux”.

5 Responses to “Classement de Shanghai : 4 leçons à méditer”

  1. Merci pour ce billet que j’ai trouvé savoureux !

    Je suis, comme vous, régulièrement “étonnée” face à certaines interventions sur ce sujet et d’accord avec votre diagnostic sur les causes. J’y ajouterai une divergence de vues sur les facteurs qui feront que les politiques (et ceux qui les élisent) seront plus ou moins enclins à mettre des moyens dans l’université.

    Mais, je ne crois pas qu’ils soient représentatifs. Il me semble, au contraire, que ces réactions sont suscitées par le “buzz” annuel sur ce sujet non seulement dans la presse mais surtout dans leur communauté et les relais multiples par les structures et communautés auxquelles ils sont rattachés. Au fond, ces expressions d’agacement sont une mesure indirecte de l’enthousiasme (parfois excessif) de leurs collègues, qui, eux, ne s’exprimeront pas sur les réseaux sociaux et dans la presse.

    Et de toutes façons, il y en a qui sont agacés qu’on se réjouisse, quel que soit le sujet. Je me suis même fait rembarrer hier sur twitter pour avoir été un peu trop enthousiaste vis à vis de la pratique du vélo sur le plateau de Saclay ^^ !

  2. Merci Jean-Michel pour cette analyse que je partage. Le sujet est (au moins) double, et concerne certes les qualités ou les défauts de la méthodologie de tel ou tel classement, mais surtout la manière dont ces classements, légitimes ou pas, sont appréhendés, voire instrumentalisés. Le vrai problème réside dans la mauvaise perception et l’utilisation abusive des classements d’université, par la communauté ESR elle-même et le grand public. On notera que l’université de Harvard, première au classement de Shanghai, n’en fait absolument pas état sur son fil Twitter 😉.

    J’avais abordé ce sujet dans un papier très général dans « The Conversation » il y a deux ans ( https://theconversation.com/debat-classement-de-shanghai-un-palmares-pas-tres-classe-142444 ).

    Enfin je m’étonne que, dans cette discussion estivale récurrente, on ne cite que les éditos ou communiqués du jour, et qu’on ne se réfère presque jamais aux études de fond qui ont été faites sur le sujet (et il y en a de très pertinentes, j’en cite quelques-unes dans le papier susmentionné).

  3. A côté du sujet marronnier du classement de Shanghai cette réflexion de fond que tu fais: “On aimerait ainsi que le classement quasi féodal à l’embauche en France des ingénieurs selon leur école, niant le PhD, suscite la même indignation des contempteurs de Shanghai”. Tu as déjà traité cela, me semble-t-il, ac nos collègues universitaires qui se précipitent pr mettre leur ouailles en CPGE, etc..
    Sinon sur Shanghai lire cet article (datant de 2020 mais tjrs actuel) de l’ami Alain Beretz : https://theconversation.com/debat-classement-de-shanghai-un-palmares-pas-tres-classe-142444

Laisser un commentaire