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Un lecteur attentif de ce blog, Marc Drillech du groupe Ionis, soulève dans un commentaire la question du manque d’intérêt global des médias pour l’éducation en général et pour l’ESR. C’est une vraie question car les établissements ne maîtrisent pas ce paramètre. Il mérite qu’on s’y arrête : j’essaie moi-même depuis plusieurs années d’en comprendre les raisons essentielles. Je propose à mes lecteurs quelques pistes, qui ne prétendent pas épuiser la réflexion ! Mais surtout, je perçois ce qui pourrait amorcer un changement de fond : Parcoursup va -t-il déplacer le traitement médiatique vers le supérieur de manière durable ?

Depuis longtemps, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le manque d’intérêt des médias pour l’enseignement supérieur dans notre pays. Comme directeur de la rédaction enseignement-recherche d’AEF, j’ai toujours été frappé par la différence de traitement entre les conférences de presse côté éducation vs enseignement supérieur : le retentissement médiatique n’est jamais le même, sauf en période de crise côté sup.

L’éducation bénéficie d’une couverture permanente, même si elle est inégale, critiquable etc. Toute l’année les sujets fleurissent, et ceci quelle que soit la nature des médias ou du support (en ligne, radio, TV, papier).

Dans le même temps, les publications qui visent les étudiants (et leurs parents?) pullulent désormais, phénomène accentué par le web. Ce marché de l’information est très disputé entre L’Etudiant, Le Monde Campus, Le Figaro Etudiant, Studyrama, etc. Son enjeu est également (surtout ?) publicitaire du point de vue des directions de ces médias. On le voit encore mieux avec le projet de vente du groupe l’Etudiant/Educpros pour le concentrer essentiellement sur les salons.

On a donc

  • d’un côté une information pléthorique pour les parents et la société en général sur le scolaire, au-delà des rubriques spécialisées de quelques médias
  • de l’autre la même chose pour les étudiants ou futurs étudiants dans une optique “consumériste”.

Mais l’ESR reste le parent pauvre des débats de société. L’argument entendu selon lequel les médias ne s’intéresseraient qu’au scolaire parce que les journalistes sont des parents n’est pas complètement pertinent : c’est aussi le cas pour l’enseignement supérieur ! Et tous les journalistes sont d’anciens étudiants ?. Essayons de “creuser” d’autres raisons.

Des questions scolaires plus faciles à approcher

La plupart des médias ont des journalistes dédiés au scolaire prioritairement et ensuite au sup. On le voit en ce moment sur les polémiques autour du mercredi pour le primaire, sur les programmes, ou bien sur l’appel de plus en plus fréquent aux orthophonistes. Pour l’anecdote, à chaque rentrée scolaire, les rédactions reçoivent des dizaines de livres sur l’éducation, quasiment aucun sur l’ESR.

L’existence de programmes nationaux, la très grande centralisation du système facilitent les clés de lecture. S’y ajoute l’existence de syndicats qui restent puissants, interlocuteurs privilégiés des journalistes face à la grande muette qu’a été l’éducation nationale.

En gros, les émetteurs d’information sont relativement peu nombreux mais puissants, remettant en permanence le couvert sur des débats parfois incompréhensibles mais qui passionnent en tout cas les médias !

Des universités et un système illisible

Comparativement au scolaire, il faut rappeler que même les initiés ont du mal à comprendre ses acteurs et son organisation. L’autonomie des établissements, la diversité des acteurs, les programmes très variés et pointus qui sont enseignés accentuent cette difficulté, d’autant que dans la mythologie française, l’université, c’est d’abord Mai 68, une question politique et historique.

Le seul rapport systématique des médias avec l’enseignement supérieur réside dans les débats intellectuels foisonnants, l’expertise, mais qui mettent en scène avant tout des individus.

Rares sont au passage les intellectuels qui prennent position dans le débat public sur ce que devrait être l’ESR. Les économistes J. Tirole, Ph. Aghion et Th Piketty sont les exceptions, et encore très modestes.

La place des collectivités locales dans le scolaire

Le maillage territorial des écoles et collèges (avec souvent des effectifs très faibles dans les zones rurales…) a créé une symbiose avec le tissu social : chaque fermeture de classe, d’école ou de collège alimente ainsi une chronique qui dépasse la simple problématique éducative, et dont la PQR, les radios locales et FTV3 se font les échotiers.

Les élus financent partiellement l’éducation nationale et donc communiquent en permanence sur leurs réalisations : avec des milliers d’écoles et des centaines de collèges, cela fait un poids considérable, sans comparaison avec les quelques centaines d’établissement du supérieur.

Une logique médiatique à comprendre

La principale critique faite aux médias est surtout de ne s’intéresser à l’ESR qu’en cas de crise : Parcoursup, loi Devaquet, CPE etc. Cette critique doit à mon sens être nuancée, dans la mesure où les médias sont quand même très divers. Elle doit être également nuancée autour de tout ce qui se rapporte à l’emploi, question qui touche les sujets généraux des rédactions.

Mais il est vrai que TV et radios lui consacrent une place marginale. C’est la PQR qui traite le plus l’actualité des établissements (bien ou mal est autre chose) mais sans aborder réellement les débats de fond.

Le fond du problème à mon sens c’est que la demande reste encore faible, à l’image du regard de la société française sur l’ESR. Dans la presse, être publié est une lutte permanente. Car il faut comprendre que l’intérêt d’un journaliste pour un sujet ESR ne sera pas forcément celui de sa hiérarchie !

Le numérique a certes profondément modifié ceci, mais cela reste vrai pour les radios et surtout les TV, sur des formats courts. Il faut convaincre les rédactions en chef pour lesquels très souvent l’ESR ne tient pas la corde face au sport, au déficit ou pas de la sécu, aux faits divers, à la politique etc.

La logique médiatique c’est l’audience, les ventes : il y a des sujets plus vendeurs que d’autres, des moments particuliers (la Coupe du monde en Russie) et des lecteurs/auditeurs qui tranchent. Il est évident que les unes des hebdos sur l’immobilier font plus de ventes que celles sur les universités !

On peut rétorquer que l’offre révèlerait une demande. Peut-être, mais je constate que si Arte (ou la 5) par exemple consacrent du temps à de la vulgarisation scientifique, avec un certain succès, ils ne s’aventurent pas sur des débats comme par exemple comparer l’ESR français et l’ESR allemand.

Enfin, pour les établissements, tout ceci requiert une véritable approche marketing des relations presse, approche qui n’existe pas. C’est ce qu’ont fait pendant des années et avec succès … les puissants syndicats du scolaire !

Un traitement médiatique monolithique sur le supérieur

Les Grandes écoles qui, à l’exception notable de Sciences Po, sont malthusiennes fascinent les Français, un peu comme la royauté ! Les médias, reflet déformé, mais reflet quand même, vont décortiquer tout ce qui tourne autour de ce qui est perçu comme une distinction sociale.

Regardons le traitement de la filière professionnelle des lycées dans les médias : quasiment rien. La sociologie journalistique est je crois une explication à prendre en compte.

On peut aussi s’interroger sur la faible distanciation des jeunes journalistes par rapport à leurs études récentes, sur les incroyables lacunes dans la connaissance du fonctionnement de l’ESR (confusion entre déficit et faillite etc.) et bien sûr sur ce militantisme qui privilégie les commentaires aux faits.

Résultat : Sciences Po, HEC et l’X (et je ne critique pas ces établissements !) ont une couverture médiatique démesurée, comparée par exemple à l’université de Strasbourg et ses prix Nobel. Tout se passe comme si les journalistes, comme d’ailleurs les universitaires, étaient victimes de ce syndrome de Stockholm que j’ai déjà pointé.

Pourquoi ? Les rédactions passent leur temps à suivre les décisions prises dans la technostructure par des diplômés de l’ENA, Sciences Po, HEC, X etc. Je crois qu’ils ont ainsi développé une vision de ces cursus, même s’ils s’en défendent, qui est de l’ordre de la fascination (quand ils n’en sortent pas eux-mêmes). Le problème n’est donc plus le contenu, mais l’influence que ces cursus apportent.

Pour résumer, la couverture médiatique de l’ESR est à l’image des élites françaises et de celles et ceux qui chroniquent leurs activités : le moindre battement de cil à HEC, oui, les prix Nobel et la science, bof.

Des motifs d’espoir … grâce à Parcoursup

Depuis Claude Allègre et Valérie Pécresse, 2 personnalités qui ont marqué l’ESR, celui-ci a été mieux traité dans les médias. La présence de Cédric Villani fait également entrer un peu la recherche et l’innovation dans les foyers.

Les classements jouent également un rôle non négligeable même si leur multiplication commencent à annihiler leur perception. Enfin, Parcoursup a permis une médiatisation, parfois pour le pire, mais parfois pour le meilleur, de débats indispensables.

Je crois simplement que les médias sont le reflet de l’intérêt ou non de la société pour ces sujets. Et Parcoursup pourrait changer la donne.

Dans notre pays, on considère (considérait ?) que dès le bac tout est joué, puisqu’on est admis dans une prépa, et selon son rang on obtient telle ou telle école. Après tout était fini, son destin professionnel est acté.

Le scolaire concentrait donc toute l’attention : maternelle et primaire car les couches aisées, dont font partie les journalistes, en connaissent l’importance, collège car il soulève les questions de niveau et de mixité, et enfin les lycées si importants pour la suite.

Avec Parcoursup, la donne change. Tous les acteurs vont devoir, quels que soient les aléas et difficultés de la procédure 2018, se préparer à celle de 2019. L’incertitude va faire le miel des médias tandis que les établissements vont devoir développer des stratégies d’information et de communication nouvelles.

Le rôle des médias va être essentiel : Parcoursup va déplacer le centre de gravité du scolaire vers le supérieur. Le bac et ses psychodrames ne sont désormais pas grand chose à côté de Parcoursup.


Une émergence récente des problématiques ESR

On ne peut non plus oublier que l’émergence de l’ESR en tant qu’émetteur régulier d’informations est récente :

  1. la création d’un secrétariat d’État ou d’un ministère de plein exercice date de 1974 : en mai 68 et après, Alain Peyrefitte et Edgar Faure étaient ministres de l’Éducation. Ce n’est qu’en 1974 qu’est créé un secrétariat d’État dédié et en 1978 un ministère plein. Ensuite c’est le yo yo permanent.
  2. la création des universités en France est issue de la loi Faure de novembre 1968.
  3. le développement de l’enseignement supérieur privé date elle de la fin des années 70. Rappelons au passage que le Groupe l’Étudiant, dont les salariés vivent une période difficile, a été créé à partir de cette diversification de l’offre, alors que le Monde de l’Éducation est resté longtemps la référence, avec un titre parlant !

3 Responses to “Quelques raisons qui expliquent le manque d’intérêt des médias pour l’ESR”

  1. Alors, oui, un manque d’intérêt total des medias français, sur les contenus et les avancées scientifiques, au point de s’extasier sur une technologie formidable en provenance des USA alors même qu’elle a été d’abord développée en France. Exemple google car / véhicule autonome.
    Cela nous fait réfléchir à la puissance du marketing à laquelle les journalistes sont forcément sensibles, et donc des moyens financiers affectés à la communication et au marketing par l’ESR français en général. Franchement, ils sont dérisoires. Tu cites HEC et Sciences Po, ce n’est pas un hasard si on en parle plus. Ce sont des établissements qui ont investi dans le marketing, beaucoup plus que les universités, même si cela n’explique pas tout…
    Parcoursup. Oui, la procédure a cette vertu de faire (re) découvrir les universités par des parents paumés en mal de place en prépa pour leur chères têtes blondes. Etant maman d’une lycéenne qui l’a expérimenté, et de plus déléguée des parents d’élèves, j’avoue m’amuser beaucoup en ce moment, non sans une pointe de satisfaction toute personnelle pour les universités. MAIS, je constate aussi combien le travail de communication doit être fait auprès des enseignants, qui sont les principaux prescripteurs de nos enfants ! Ils ignorent les universités. Par esprit revanchard (ils ont passé le Capes et n’ont pas continué de carrière universitaire), par manque d’information ? Quoiqu’il en soit, les universités ne doivent pas relâcher leurs efforts de com vers les lycéens, les enseignants et leurs familles.

  2. 1° Je pense qu’un élément essentiel de cette indifférence est-ce que j’ai appelé il y a déjà longtemps le divorce des élites et de l’Université (j’avais participé à une émission Répliques avec ce titre — thème que j’avais suggéré à l’époque à Finkielkraut ; c’était au tout début de l’émission). Pourquoi le divorce ? A dire vrai, ce n’est pas un divorce, puisque le mariage n’a jamais été consommé : les élites économiques, comme les élites administratives et politiques, n’ont jamais mis les pieds dans une université. Dans les autres pays, leurs équivalents ont été étudiants dans les universités, auxquelles ils sont attachés comme on peut l’être aux lieux où l’on a passé ses plus belles années. Pour nos élites, les universités sont un emmerdement, ou un outil de gestion du chômage. Même, paradoxalement, une grande partie des élites universitaires partagent cette distance : ils n’ont pas fait le début de leurs études à l’Université.
    2° Comme l’indique Jean-Michel Catin, pour les autres, notamment les journalistes (mais aussi beaucoup de profs de lycée c’est ce qu’observe Sophie Dotaro), il y a la révérence d’ancien régime pour la noblesse des grandes écoles.
    3° Alors est-ce une question de communication ? Oui, mais pas seulement. Il faut que l’on reconnaisse, enfin, que l’enseignement supérieur est un système ou règne une compétition féroce, au sein même du service public, pour attirer les étudiants. Il faut que les universités s’interrogent sur les raisons pour lesquelles elles perdent, au moins au niveau du premier cycle. Et il faut que la tutelle de l’Etat sur les universités, et elles-seules, qui les oblige à se battre pieds et poings liés, se relâche.
    4° En effet, ParcourSup rend visible ce qui ne l’était pas avant. C’est un premier pas dans la prise de conscience.

  3. Lorsque j’ai écrit un livre, l’an passé, qui avait pour but d’expliquer l’état actuel des défis dans l’ESR, ainsi que les problèmes causés par la dualité Universités Grandes Écoles, j’ai essuyé les refus de 10 éditeurs (dont certains proches du monde universitaire ) au motif que ce sujet ” n’intéresse personne et donc ne vendrait pas”. Mais c’est un cercle vicieux : les Éditeurs supposent qu’il y a désintérêt , mais comment eveiller celui-ci si l’on ne publie pas d’ouvrages explicatifs ? Je remercie Fauves Éditions (Michalon ) qui a finalement publié ce livre ( ” Université: innover ou sombrer”). Et j’adhère totalement à la remarque selon laquelle , dans la rédaction d’un grand journal, le rédac chef se fiche complètement des sujets ESR que peuvent lui proposer ses journalistes. C’est un triste constat quand on connaît le dynamisme de la presse ESR chez les Anglo Saxons.

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