Pour cette rentrée, je reviens sur le bilan du quinquennat d’E. Macron que j’ai réalisé à la demande de l’Institut Montaigne : mes lectrices et lecteurs ne seront pas surpris de sa tonalité. J’y aborde à la fois le sous-financement structurel des universités françaises et la recentralisation de l’ESR autour des organismes et du Ministère. Car le nœud gordien que refuse de trancher le gouvernement, c’est cette confusion des rôles entre universités, organismes de recherche et ANR, et HCERES.
Cet été, les JO de Tokyo, un discours de Jean-Pierre Bourguignon, le classement de Shanghai, ou encore un rapport de la Cour des comptes sur la recherche et la Covid-19 me donnent l’occasion d’illustrer et approfondir mon analyse. Eh oui ! Les JO de Tokyo ont montré le poids de l’Europe : il est considérable en sport, où elle mène très largement en termes de médailles, loin devant les USA et la Chine, comme le montre la recension de l’Equipe. Et en sport comme en recherche, on notera que les Pays-Bas devancent la France tandis que les Britanniques font la course en tête dans les deux.
Certes les analogies avec le sport ont leurs limites. Mais dans les 2 cas, il y a un lien fort entre performance, stratégie de long terme et financement, construction d’un vivier et capacité à gérer une élite. Il est vrai qu’en France on accepte que sport de masse et élite ne soient non seulement pas contradictoires mais complémentaires 🙂. Malheureusement c’est plus difficile dans le cas de l’ESR !
Mais revenons à la recherche. Il faut lire l’analyse de Jean-Pierre Bourguignon, président emblématique de l’ERC, le 19 juillet dernier à propos du Pacte pour la recherche et l’innovation de la commission européenne : « (…) au cours des deux décennies qui ont suivi le lancement de l’EER et l’adoption par l’UE de sa stratégie de Lisbonne, ce n’est pas l’UE qui est allée de l’avant. Au contraire, c’est la Chine qui a réussi à concrétiser ses objectifs visant à renforcer son rôle de leader mondial dans le domaine scientifique, les domaines technologiques stratégiques et les industries. »
Et cette dernière prévoit dans son prochain plan, un investissement dans la recherche fondamentale qui « augmentera de 7 % par an ». Quant aux États-Unis, ils « viennent d’approuver des investissements massifs dans la recherche et l’innovation. » Or, au cours de la même période, « les performances de l’UE ont stagné, car l’investissement de l’UE dans la R&I reste loin de l’objectif proclamé de 3 % et, en tout état de cause, bien en deçà de ce que réalisent ses principaux concurrents, dont un certain nombre en Asie. »
Classement de Shanghai : un plafond de verre
C’est sous cet angle qu’il faut lire les résultats des classements, ce qui nous ramène au quinquennat Macron. Que nous dit l’édition 2021 du Classement de Shanghai ? Au-delà des aléas (quelques places en plus, quelques places en moins), et quelques soient les critiques, il s’agit du même constat : la France est désormais à sa place, grâce à la convergence universités-organismes-écoles. C’est positif et, évidemment, la France reste un pays qui compte.
Mais l’illusion serait de croire que la relégation est impossible. Or si l’on compare les budgets des universités, le constat de Jean-Pierre Bourguignon vaut encore plus pour la France qui décroche à tous points de vue : % du PIB consacré à la recherche et dépense par étudiant. D’autant que s’il y a 4 universités françaises et allemandes dans le Top 100, les Pays-Bas en placent 3, les Danois 2…
Les maux profonds d’une organisation délirante
Mais si tous les indicateurs convergent sur ce déclassement en cours, quel bilan tirer du quinquennat Macron ? Venons-en donc au celui que j’ai réalisé pour l’Institut Montaigne. Il comporte sans doute son lot d’omissions ou de sujets insuffisamment abordés. J’y pointe ce que j’estime être des réussites (Parcoursup, la mise en place d’établissements expérimentaux, les financements supplémentaires prévus par la LPR) mais je souligne 3 défauts majeurs, qui « plombent » ces avancées 1Je reviendrai prochainement sur les questions de gouvernance. :
- Un financement de la recherche qui ne comble pas l’écart avec les pays comparables, avec un pilotage inadapté.
- La persistance d’un sous-financement chronique des universités et une erreur stratégique, celle d’avoir dissocié enseignement supérieur et recherche dans la LPR, (même si la réalité s’est imposée dans le débat).
- Le refus de miser sur les universités, dans leur diversité, comme cœur du système, à l’instar des autres pays, et une recentralisation de fait.
Les conséquences en sont multiples et il suffit de lire divers rapports ou encore analyser les chiffres pour s’en convaincre.
La double peine : financement insuffisant et pilotage inexistant
La Cour des comptes a ainsi analysé cet été, à l’occasion d’un audit-flash, les financements publics alloués à la recherche sur la Covid-19. La comparaison avec les autres pays est accablante d’autant que le pilotage est, une fois de plus, totalement à côté de la plaque. Le constat est violent : « il a manqué une stratégie de recherche » et « un chef de file pour la mettre en œuvre » selon la Cour. Ses pistes d’amélioration ? Organiser une gouvernance de gestion de crise et désigner un chef de file, donner une priorité à la recherche fondamentale en biologie-santé et assurer un continuum entre recherche académique et industrie à l’instar de l’organisation de la recherche étrangère.
Quant à l’Académie de médecine, à propos du Plan « innovation santé 2030 », si elle salue la « prise de conscience par le gouvernement des besoins budgétaires criants de la recherche en biologie-santé », avec les 7 Md€ annoncés, elle souligne « l’urgence de simplifier l’organisation et la gouvernance de la recherche » dans le domaine, au risque de voir la recherche en biologie-santé « se complexifier par la création d’agences aux périmètres souvent redondants ».
On peut y ajouter, c’est mon commentaire, le clientélisme, dont le fonctionnement de l’IHU de Marseille est un avatar. Ce gouvernement, comme les précédents, a empilé les plans et les annonces dans un saupoudrage inefficace. Pendant ce temps, confondant recherche et innovation, les grands Corps de Bercy sont à la manœuvre pour prévoir le Minitel de 2040…
Les effets du sous-financement chronique sur Parcoursup
Le rapport 2020 du Comité d’éthique de Parcoursup le démontrait sans ambiguïté par des chiffres : outre un manque de places dans certaines filières, il y a un problème majeur d’allocation des ressources dont l’Île-de-France est le symbole. C’est ainsi que la réussite de l’outil Parcoursup est freinée par la course permanente après la hausse des effectifs étudiants, sans vision claire, notamment sur les filières dites « courtes ». Il est vrai, à l’image des CPGE, qu’il est plus facile d’exiger des universités que des lycées…
On peut aussi analyser en parallèle la dégradation de la dépense par étudiant dans les universités avec un résultat visible, celui de la hausse continue des effectifs de l’enseignement supérieur privé, qui s’est accélérée depuis 10 ans 2L’essor du privé, avec des familles qui acceptent de payer chaque année des milliers d’euros est évidemment aussi lié à une perception négative de l’offre de formation, de la pédagogie et de l’insertion professionnelle dans le secteur public.. En 2020-2021, sa progression est de 5,1 %, à nouveau supérieure à celle dans l’enseignement public (+ 1,3 %), avec 592 600 étudiants, soit 21 % des effectifs du supérieur.
Enfin, concernant les aides sociales, tous les gouvernements ont préféré saupoudrer plutôt que cibler. La hausse du nombre de boursiers est réelle mais au détriment de celles et ceux qui en ont le plus besoin : la revalorisation d’1 % des bourses annoncées cet été en est le symbole. Et là encore la comparaison avec d’autres pays réalisée par le Sénat est cruelle.
Tout ceci soulève à mon sens la nécessité de s’interroger sans tabou et avec réalisme sur un triple mouvement : un réinvestissement de l’Etat, une hausse modérée des frais d’inscription et une refonte de l’aide sociale.
Le refus de miser sur les universités
Si sur tous les sujets, le quinquennat marque en quelque sorte une continuité, le nœud gordien que refuse de trancher le gouvernement, c’est cette confusion des rôles entre universités et écoles, organismes de recherche et ANR, auquel j’ajoute le HCERES (voir infra). Ce refus, c’est celui de s’engager clairement sur une évolution de la France vers le modèle dominant, qui avait franchi une étape avec la LRU.
Certes, l’Histoire de France est marquée par la tripartition universités-grandes écoles-organismes de recherche. Mais la vision centralisatrice a repris le dessus : n’est-ce pas plus simple pour les politiques de croire que disposer d’organismes nationaux est plus facile pour mettre en œuvre une politique ? Et que l’on « commandera » des résultats ? Ce que F. Vidal, pourtant universitaire, résume (selon mes multiples sources) par « au moins, les dirigeants des organismes, je les nomme ».
Car le quinquennat Macron marque à mon avis une régression sur l’autonomie des universités, avec un message brouillé dans lequel le Président de la République et sa ministre ne jurent en réalité que par les organismes. Le résultat, par rapport au mouvement de fond engagé par la LRU est une cacophonie totale, qu’illustrent les tensions récurrentes entre organismes de recherche et universités, avec son lot de messages illisibles 3J’attends de voir comment l’OVNI de la répartition du préciput va se passer en 2022….
Pendant que l’INRIA signe des conventions avec les universités comme « centre INRIA de l’université X ou Y », le CNRS 4Notons au passage que la tonalité du communiqué du CNRS sur le classement de Shanghai a changé : il est fier « d’être partenaire de chacune de ces Universités et d’avoir pu, grâce au système français original que sont les unités mixtes de recherche, contribuer à cette reconnaissance internationale. » 😉 continue son chemin autonome (lui !) en multipliant au grand dam des universités les conventions sur les territoires. Et si vous voulez sourire, vous pouvez lire celle qui vient d’être signée en Polynésie française… Rien qu’à Tahiti le CNRS souligne « une grande diversité d’acteurs de la recherche (sic) : l’Université de la Polynésie française, le Centre Ifremer en Polynésie française, l’IRD, le CEA, l’IRSN et l’Institut Louis Malardé, un EPIC qui dépend du gouvernement polynésien et qui traite principalement des questions de santé et la MSHP, base supplémentaire du CNRS en Polynésie française. »
Car aux acteurs des territoires que sont les universités, il faut désormais ajouter les organismes et principalement le CNRS… sans parler des recteurs délégués, qui doivent justifier leur existence auprès des élus… Comprenne qui pourra, avec un MESRI sans boussole !
Cerise sur le gâteau, la dernière note de la DGESIP parue le 25 août sur le dialogue stratégique de gestion traduit elle aussi ce malaise. Tout en voulant prendre en compte les critiques émises sur un processus en échec, elle continue, sans doute à son corps défendant, de mettre des clous sur le cercueil de l’autonomie des universités, avec des procédures que bien sûr le monde entier nous envie. On y remarquera que le mot même de HCERES a disparu…
Vous avez dit recentralisation ?
En conclusion, comptez sur moi pour analyser le programme des candidates et candidats : mais vous m’accorderez que face à l’expansion visiblement infinie, je vais attendre que cela se décante 😂!
Références
↑1 | Je reviendrai prochainement sur les questions de gouvernance. |
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↑2 | L’essor du privé, avec des familles qui acceptent de payer chaque année des milliers d’euros est évidemment aussi lié à une perception négative de l’offre de formation, de la pédagogie et de l’insertion professionnelle dans le secteur public. |
↑3 | J’attends de voir comment l’OVNI de la répartition du préciput va se passer en 2022… |
↑4 | Notons au passage que la tonalité du communiqué du CNRS sur le classement de Shanghai a changé : il est fier « d’être partenaire de chacune de ces Universités et d’avoir pu, grâce au système français original que sont les unités mixtes de recherche, contribuer à cette reconnaissance internationale. » 😉 |
Très intéressant, votre vue d’en haut et votre analyse sur la gestion des études supérieures par le gvt. Je vous propose une petite carte postale vu d’en bas, de mes trois enfants étudiants en étude sup. Le premier – très moyen au lycée – intègre un M1 Grande Ecole en école de commerce après un Bachelor à 7K€. Normalement, c’est 12 K€ mais la somme est intégralement prise en charge par une entreprise et il sera rémunéré 10 K€ comme alternant. Quand vous dites « ’essor du privé, avec des familles qui acceptent de payer chaque année des milliers d’euros… », ce n’est donc pas toujours vrai (et je suis d’accord avec la suite de votre phrase). Ma seconde fille, après une licence dans une bonne fac, intègre un IAE. Même schéma, M1 pris en charge par une entreprise qui la rémunère 10 K€ l’année. Enfin, la troisième, en droit dans une fac qui a montré une incompétence sans nom, incapacité à s’adapter aux cours à distance, motivation zéro, isolement et aucun travail de groupe. Et pour éviter l’afflux en L3, bashing au rattrapage. Elle retape son année. C’est donc la fac qui va nous coûter le plus… On y arrivera peut-être avec de la patience. Sinon, on repassera par la case école de commerce section droit…
Merci Jean Michel pr ton analyse mais qqs remarques:
– tt confier aux universités: n’y aura-t-il pas alors en retour une concurrence débridée sur certains sujets de recherche que nous ne pouvons pas nous permettre vu nos faibles moyens? Qui coordonnera tt cela? Oui à une autonomie de gestion mais avec des objectifs concertés nationalement voir au niveau européen.
-rapprochement GE /univ, fin à terme des CPGE: oui (à ce propos intéressant itw où ce sujet est abordé https://lvsl.fr/le-merite-nest-pas-quun-ideal-cest-dabord-un-enjeu-de-luttes-entretien-avec-paul-pasquali/)
– et comme il est écrit ds un dossier « éducation » de l’Obs : « Rêvons un peu. Et si ce sujet surprise allait s’imposer aux candidats en cette année présidentielle ? »
https://twitter.com/michelbessiere/status/1432682790106107908