No Comments

Si Alain Fuchs a grandement fait évoluer et apaisé les relations CNRS-universités, 2 questions majeures demeurent : comment, à l’heure où émergent de véritables universités (pas seulement les « grandes »), faire coexister ces dernières, les organismes, l’ANR et les instruments du PIA ? Comment concilier la volonté d’avoir des universités dans les classements internationaux avec les identités fortes des organismes ? Après la tutelle et maintenant le partenariat, le CNRS ne doit-il pas passer en mode soutien des universités ?

Rappelons une évidence : pour l’opinion publique, la recherche en France ce sont les organismes de recherche, et en premier lieu le CNRS. Mais cette distorsion de perception existe aussi dans une partie de la communauté scientifique. 250 recrutements au CNRS au lieu de 300 et le « monde » de la recherche, personnalités, twittos aguerris, blogueurs, frémit ! Dans le même temps, le gel de postes dans 3 universités, qui représente bien plus, émeut beaucoup moins…

Persiste ainsi une vision d’un véritable mur de Berlin, avec d’un côté l’enseignement supérieur (et la piétaille ?), de l’autre la noblesse qui fait de la recherche dans les organismes de recherche. Ainsi va la vie scientifique française, toujours ordonnée autour de ces derniers, les universités étant considérées comme des supplétifs.

Il est vrai, mais cela commence quand même à dater, que la recherche universitaire dans les années 1970 était plus que faible, voire souvent mauvaise. La situation a considérablement changé et des « poids lourds » ont émergé ou sont désormais plus visibles, avec les idex notamment.

Cette survivance de préjugés se conjugue évidemment avec une condescendance bien sentie et une distance, pour ne pas dire un mépris, de l’enseignement. Cette différence « culturelle » reste forte dans le seul pays au monde qui a, à cette échelle, institutionnalisé le fait que des chercheurs n’enseignent pas. Et on ne parle pas de la L1 !

Un changement sur le terrain

Les relations interpersonnelles entre dirigeants sont évidemment importantes (on l’a vu avec l’Inserm !) et sont globalement meilleures, mais l’approche systémique est décisive.

Ces clivages ont ainsi tendance à s’estomper, en particulier sur le terrain : dans les UMR, la situation a considérablement évolué, dans la mesure aussi où les effectifs d’enseignants-chercheurs ont connu une croissance sans rapport avec ceux des chercheurs, pour devenir majoritaires. Même si un enseignant-chercheur compte pour 50% en recherche (nous sommes je crois le seul pays au monde à procéder ainsi ?!) .

Et la recherche s’effectuant essentiellement dans les établissements, ces 2 statuts, avec des déroulements de carrière désormais alignés, sont quasi totalement mélangés. Pourtant, les identités d’organismes, historiquement très fortes et que les acteurs des sièges incarnent au plus haut point, peinent à coexister avec ce nouveau venu qui bouscule les cartes : l’Université. Le symbole le plus fort, ce sont les concours et modalités de recrutement qui n’ont jamais pu être homogénéisés. Et au CNRS, comme le lauréat emporte son poste, la mise en place d’une stratégie coordonnée relève de la gageure.

Car il ne suffit pas que les relations soient apaisées, que le partenariat université-CNRS fonctionne bien mieux pour régler le problème de fond : comment faire coexister des opérateurs territoriaux avec des opérateurs nationaux, qui plus est eux-mêmes en recouvrement (sciences de la vie, numérique etc.) sans même parler de l’agence de moyens qu’est l’ANR ? Curieusement, cette question systémique reste pas ou peu étudiée par les chercheurs, à l’inverse des PRES, Comue, fusions etc.

Organismes : la clarification n’a pas eu lieu

Il y a quelques années avait été envisagé de rationaliser les thématiques de recherche des organismes, en particulier en sciences de la vie. Doit-on rappeler qu’en 2011, pour les Sciences de la vie, un groupe de travail Égly (pour l’Inserm)-Méchali (pour le CNRS) proposait un nouveau découpage disciplinaire commun au CNRS et à l’Inserm ? Ou encore des processus communs pour les recrutements ?

Doit-on également rappeler que juillet 2012, la toute nouvelle ministre  Geneviève Fioraso souhaitait « clarifier le rôle des alliances », dont un dirigeant d’organisme confiera en 2014 qu’elles avaient été créées…pour contrer l’ANR qui avait tendance à marcher sur leurs plates bandes en s’arrogeant la programmation scientifique ! Miracle des politiques publiques ?…

Bref, si les alliances de recherche, dont les universités sont par nature des pièces rapportées, permettent aux organismes de se rencontrer, de se mettre d’accord sur la programmation ANR, aucun changement de fond n’a eu lieu.

Pourtant, l’élément majeur qui devait tout bousculer, a été la volonté des pouvoirs publics de recentrer le système sur les universités et de faire émerger une dizaine de grands pôles, grâce notamment au PIA.

Malgré cela, la défense des périmètres et des identités des organismes est restée une ligne rouge infranchissable. Depuis 10 ans au moins, on me l’a chuchoté régulièrement : « oui il faudrait mettre de la cohérence mais vous comprenez c’est trop compliqué ». Le rapprochement avec les universités (il suffit de lire les communiqués syndicaux) a suscité en effet et continue de susciter des réflexes de défense, souvent largement partagés par la hiérarchie intermédiaire des organismes.

Car les syndicats des organismes jouent en permanence cette partition de la menace sur l’existence de ces derniers, tandis que l’essentiel de l’élite de la recherche française, même universitaire, préfère défendre le maintien du statu quo que de s’engager pour des universités scientifiquement fortes. En ce sens, le discours de la benjamine de l’académie des Sciences, la mathématicienne Laure Saint-Raymond, détone.

Et quand des tentatives de rationalisation existent, comme entre l’INRA et l’Irstea, la prudence dans l’expression (ah le mot fusion !) est essentielle. Le cœur du réacteur n’a pas été touché : CNRS, INSERM, INRIA et CEA continuent joyeusement de se marcher sur les pieds, mais, mot magique, ils se coordonnent.

C’est d’ailleurs fou le temps passé à se coordonner, avec à la clé des coûts de transaction énormes.

La stratégie bicéphale du ministère

Évoquons le CNRS puisqu’il est le navire amiral de la recherche française, tant par ses effectifs que par son spectre disciplinaire large. La ministre préconisait lors d’une visite à l’ENS Paris Saclay de renforcer :

  • d’un côté « les écosystèmes territoriaux organisés autour des Universités développant leur signature en matière de recherche et d’innovation, en articulation avec l’implication des organismes par le biais des unités mixtes de recherche« 
  • de l’autre « les missions nationales des organismes de recherche, grâce notamment à la coordination de programmes pour l’ensemble de la communauté scientifique, à l’instar du programme pour l’intelligence artificielle piloté par Inria et de « Make our planet great again, piloté par le CNRS. » Au passage on notera que les Alliances ne sont mêmes plus mentionnées.

Antoine Petit avait déjà mis les pieds dans le plat à propos des tutelles d’UMR. Intervenant lors d’un colloque du Sgen-CFDT jeudi 8 novembre, il a rejeté tout simplisme, dans la continuité d’Alain Fuchs, tant celui qui consiste à nier la recherche dans les universités que la volonté de supprimer le CNRS.

Critiquant ce qu’il appelle le « y a qu’à faut qu’on » de l’ancien président de Caltech Jean-Lou Chameau (qui juge handicapante la dualité universités-organismes de recherche), il souligne qu’il faut prendre en compte l’histoire française « car nous ne partons pas d’une copie blanche. »

Il assume complètement une logique de différenciation (« on ne va pas tous être premiers, il faut accepter d’avoir quelques champions »), ce qui n’est pas nouveau, mais cite volontiers Le Mans et l’acoustique. Rappelons au passage que Daniel Le Berre de la (petite) université d’Artois a reçu la médaille de l’innovation 2018 du CNRS.

Au passage, s’il va encore plus loin sur la nécessité de recruter des « stars », il faut quand même signaler, que ces « stars » étant dans les labos, ce sont avant tout les universités qui auront à en gérer les conséquences en termes de ressources humaines : climat social, demandes diverses…

La question demeure donc ouverte : comment faire évoluer cette copie qui n’est pas blanche mais raturée au fil du temps et qui parfois ne ressemble plus à grand chose ?

Les écueils du CNRS

La contradiction majeure est dans le constat fait par Antoine Petit : prenant l’exemple de l’IA, il souligne qu’il n’y a pas d’IA sans interactions entre disciplines. Mais s’il réfute la pluridisciplinarité comme cache-misère d’une mauvaise recherche, il ne peut que constater que la structuration en instituts au CNRS « est parfois un frein à l’interdisciplinarité », un doux euphémisme.

Et il ajoute, fort justement, que la pluridisciplinarité ne se décrète pas mais « se fait sur le terrain ». Or, le terrain, c’est à 90% les universités, d’où cette tension que relève pour la CPU le président de l’université de Lorraine Pierre Mutzenhardt lors de ce même colloque du Sgen-CFDT. Elle est logique selon lui, dans un système où le CNRS doit passer de tutelle à partenaire.

Pierre Mutzenhardt souligne que cette tension s’exerce dans un contexte où les universités doivent faire des choix, pas faciles, de spécialisation. Lucide, il évoque les tiraillements qu’une double commande génère chez les personnels.

CNRS : tutelle, partenaire ou soutien de l’université ?

Dès 2009, la CPU signait des accords-cadre avec les organismes : IRD en mars 2009, Inra en juin 2009, Inria en décembre 2009, Cemagref (devenu Irstea) en février 2010, Cirad en avril 2010, CNRS et Inserm en novembre 2010, CEA en mars 2011. Les relations se sont nettement améliorées mais la convergence des systèmes d’information reste un point noir.

Face aux écueils évoqués précédemment, il faut ajouter la volonté de remettre à niveau des crédits de l’ANR avec des projets « blancs » ou encore les appels à projet PIA qui lient formation et recherche, comme pour les EUR : on a ainsi une idée de la difficulté pour un organisme organisé en silos nationaux de s’adapter. Idem pour la valorisation. La voie est étroite pour le CNRS, sauf à jouer un rôle de blocage.

Désormais, universités et CNRS, et plus généralement les organismes, ne peuvent éviter la question qui fâche : peut-il y avoir 2 pilotes dans l’avion sur le terrain ?

Il ne s’agit pas en l’occurrence de la double tutelle sur les UMR avec un chef de file. En 1975, à l’aube de l’émergence de véritables politiques de recherche universitaires, René Rémond expliquait : « La politique d’une université ne peut être l’intersection de 50 politiques nationales, fussent-elles cohérentes » (voir mon article sur René Rémond et l’autonomie des universités).

Prenons 2 exemples symboliques des tensions, pas de même importance, quoique.

Le premier, ce sont les signatures scientifiques : les chercheurs connaissent l’impact humoristique involontaire dans les conférences internationales lorsqu’ils présentent leur établissement : labo (acronyme souvent incompréhensible) et la litanie des « partenaires ». Et d’ailleurs sont-ils, comme l’immense majorité de leurs collègues, professeur ou associé, affilié etc, ou CR/DR ?

Dans la catégorie spécifique, recensée par Clarivate analytics, des « highly cited », soit 89 chercheurs français en 2017, ce qui ressort c’est d’abord le CNRS. Lorsque l’on jette un œil aux chercheurs « highly cited », on voit bien que les organismes laissent peu leur part aux universités. D’ailleurs, le CNRS a sa page « palmarès » et se félicite d’être 1er au classement Nature Index.

On pourrait dire, selon la formule d’un président d’université il y a quelques années, que ces dernières ont ainsi quelques coucous dans leur nid, pardon les UMR… Et ne parlons pas des ERC qui ne font apparaître quasiment que les organismes.

Les chercheurs, et leurs institutions, continuent de préférer un référencement organisme. C’est donc, une fois de plus, le statut des personnels qui prime, pas la politique globale de l’ESR français.

Des universités complexées face aux organismes

Le second, conséquence du premier constat, c’est la communication scientifique : face à des universités pas très douées il faut le dire, et surtout peu réactives et n’osant pas s’imposer face à leurs chercheurs et aux organismes, ces derniers et en premier lieu le CNRS évidemment, capitalisent sur leur image. Avec des atouts considérables, des moyens mais aussi un véritable savoir-faire.

De la ‘com’ anecdotique simplement ? Non, car les universités continuent, à l’inverse de la stratégie affichée des pouvoirs publics d’apparaître comme des supplétifs : tous les communiqués CNRS commencent d’ailleurs par CNRS et après l’université, et les communiqués communs sont rarissimes. Quand l’appartenance universitaire n’est pas simplement gommée.

Si le MESRI et le CNRS étaient cohérents avec leurs discours officiels, c’est l’université qui devrait apparaître en premier dans le cadre d’un communiqué commun. On passerait ainsi du partenariat au soutien ! 

Comme je l’ai déjà abordé, les universités et leurs équipes peinent toujours à assumer leur légitimité par une politique offensive : on se plaint (en privé) des organismes mais, à de rares exception près, on ne tape pas du poing sur la table. Pourquoi ?

Dans les universités petites ou moyennes, la labellisation est souvent ressentie comme un honneur plus qu’une reconnaissance scientifique objective : le fait que toutes les récompenses et labels (médaille, talents d’or etc.) sont décernés par les organismes conforte ce complexe d’infériorité historique.

Et dans les « grosses » universités, le poids des personnels ‘organismes’ est un frein au développement d’un sentiment d’appartenance, même si, autour des Idex, on assiste à un renversement progressif, notamment à Bordeaux, Strasbourg, Grenoble.

L’impact dans les différentes strates de l’opinion publique est simple : les universités restent vues comme des usines à enseignement, compliquées, la recherche étant attribuée aux organismes (le fameux bénéfice d’image). Élus, journalistes, décideurs économiques et hauts-fonctionnaires restent globalement convaincus de ceci. Or les universités ne sortiront pas de leur image détériorée si elles ne s’affirment pas comme les leaders de la recherche.

Les pouvoirs publics tireront-ils les conséquences de leurs choix ?

Quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur la politique du MESRI, la logique voudrait qu’il apporte des réponses à ces 3 questions :

  1. si le gouvernement fait le choix, et je cite Frédérique Vidal, d’avoir des « Universités développant leur signature en matière de recherche et d’innovation, en articulation avec l’implication des organismes par le biais des unités mixtes de recherche« , si les classements sont l’alpha et l’omega, n’y a-t-il pas matière à trancher sur l’ensemble des signatures scientifiques ?
  2. si les universités sont le cœur du projet au moins pour une dizaine d’universités de recherche, le personnel CNRS, et notamment les délégations régionales, peuvent-ils rester « à côté » ? Doit-on laisser perdurer les doublons ? De véritables universités de recherche autonomes peuvent-elles continuer à ne pas piloter directement une partie importante de leur potentiel scientifique ?
  3. si le gouvernement assigne aux organismes, dans le cadre de leurs missions nationales, « la coordination de programmes pour l’ensemble de la communauté scientifique, à l’instar du programme pour l’intelligence artificielle piloté par Inria et de « Make our planet great again, piloté par le CNRS », ne s’agit-il pas d’un pas vers des agences de moyens, type NSF ? Et dans ce cadre quel rôle pour les Alliances de recherche ? Et pour l’ANR ?

Laisser un commentaire