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Le cas des étudiants qui n’ont pas trouvé de places en master repose la question de la sélection à l’université. Alors que notre pays garantit un « droit à la poursuite d’études » en master, essayons d’aborder sans dogmatisme ce débat de fond. En réalité, l’opinion publique a tranché et les familles ont voté avec leurs pieds. Plus de 55% des effectifs universitaires sont déjà inscrits dans des filières officiellement et légalement sélectives… Et sur 2 785 000 étudiants, plus de 2 millions sont inscrits dans des filières sélectives de toute nature ! Et pour sourire, consultez à la fin de ce billet les chiffres de la sélection en Droit de 1949 à 1956. Quel que soit le ou la ministre.

Commençons par une évidence : il est étonnant de devoir se poser la question de la sélection dans l’enseignement supérieur, surtout en master. Elle est consubstantielle à sa nature, et ce quel que soit le pays. C’est la différence majeure avec l’enseignement scolaire, et encore : la notation et l’évaluation ne sont-elles pas la première forme de sélection ?

Mais voilà, dès que l’on parle de sélection, l’exigence de l’Université serait une faute. Pendant ce temps, on trouve normal, et même fortement recommandable, qu’elle s’applique non seulement dans ce que l’on appelle encore les Grandes écoles, mais aussi dans tous les autres segments d’enseignement supérieur public (CPGE, STS, archi, paramédicaux, culture etc.), soit des centaines de milliers d’étudiant(e)s.

La « sélection » à l’université, c’est le hochet de l’indignation des « belles âmes ». Elles expliquent que la sélection à l’entrée est socialement discriminante ou que l’entré en master doit être garantie, sinon c’est la fin du service public. Outre que ces affirmations pourraient s’appliquer à toutes les autres filières sélectives (y compris universitaires 1Les IUT, les écoles internes d’ingénieurs, les licences pros et bien sûr le secteur santé) que ces mêmes « belles âmes » (ou bien j’ai raté un épisode) ne remettent jamais en cause, on ne voit pas bien pourquoi, dans ce cas, il faudrait restreindre l’accès au doctorat…

Si la sélection à l’université reste un tabou, il est relatif car Parcoursup et la loi du 23 décembre 2016 qui l’autorise à l’entrée du M1 (au lieu du M2) ont  assoupli les choses. Cela demeure cependant une énième ambiguïté dont les universités gèrent les soubresauts, avec la garantie du droit à la poursuite d’études en master 2En fait, N. Vallaud-Belkacem était adepte du « en même temps » 🙂.. Globalement, ces deux mesures ouvrent la voie à la sélection, sans l’assumer jusqu’au bout.

La sélection est déjà plébiscitée

En réalité, l’opinion publique a désormais basculé à grande échelle, comme on l’a vu pour Parcoursup : l’université, ce n’est plus automatique 3Rappelons quand même que certaines filières « cherchent le client » et ne sont pas du tout saturées.. Mieux, les filières sélectives sont plébiscitées par les familles … en particulier à l’université.

Selon mes calculs à partir du RERS 2021 du MESRI, près de 55% des étudiants sont inscrits dans des filières universitaires sélectives. Plus ou moins évidemment, mais officiellement sélectives ! Si vous incluez la sélection de fait à la fin de la première année, ce pourcentage est donc considérable. Et pourtant, les effectifs augmentent.

Ajoutons à ce tableau l’autre secteur public sélectif et la croissance des effectifs de l’ESR privé 4Même si la sélection y est très souvent une illusion… Combien de parents disent « ma fille ou mon fils a été admis dans telle école » sans percevoir que ces dernières ‘chassent’ le client ? : ce que les familles choisissent, c’est l’idée même et le symbole de la sélection.

Sur 2 785 000 étudiants, plus de 2 millions sont inscrits dans des filières sélectives de toute nature !

En résumé, les politiques de tous bords sont en retard sur cette réalité. Car dans notre pays, avec les médias et, il faut le dire, une partie des universitaires, ils/elles adorent des débats infinis et enflammés sur des questions théoriques que la pratique a déjà tranchées.

C’est l’occasion pour les Miss France de l’ESR d’ânonner des tribunes pour dire que la sélection c’est mal, pendant que les médias publient pendant ce temps de grassouillets suppléments nourris par les publicités des écoles privées. Sans parler des marronniers habituels sur Sciences Po.

Et autour du master se rejouent les mêmes scènes avec au moins un chose qui fait consensus : dès qu’il y a un problème, on le « colle » aux universités ! Elles ne sélectionnent pas ? Elles sont de mauvaise qualité. Elles sélectionnent ? Elles font du tri social. Il me semble pourtant qu’une défense réaliste de l’université, malmenée par tous les pouvoirs publics depuis des décennies, c’est justement d’y promouvoir l’exigence…

La sélection en trompe-l-œil en Master

La ministre F. Vidal a beau jeu de souligner dans une interview au Figaro du 21 septembre 2021 que « les universités proposent 170 000 places en master, pour environ 150 000 diplômés de licence » et que le problème « n’est donc pas quantitatif, mais qualitatif, pour les filières en tension 5Certes l’annonce de la création de « 4 400 places supplémentaires » pour cette rentrée est un classique des annonces ministérielles : elle demande aux universités « d’augmenter la taille des groupes tout en préservant la qualité de formation »…. » Essentiellement droit et psycho.

En effet, dans la réalité, la sélectivité des masters, et les capacités d’encadrement, sont très variables, selon les établissements et/ou les filières. Et puis, notre système s’est historiquement structuré autour de la dimension symbolique, pour un enseignant-chercheur, d’avoir ‘son master’. Mais globalement, les bons résultats de l’insertion professionnelle des étudiants de master montrent que les employeurs valident la qualité de ces diplômes.

Face à ces problèmes sectoriels, il est bon de rappeler certaines évidences. Si l’on analyse par exemple la culture professionnelle des juristes, que ce soit pour les taux de réussite aux examens … ou à la qualification pour les enseignants-chercheurs, elle est historiquement hyper sélective (voir le tableau infra).

Et une ministre, ou un(e) président(e) pourront créer toutes les places, ce sont les enseignants-chercheurs 6Je dispose de longues séries statistiques du début du XXème siècle qui montre une étonnante continuité sélective de comportement, comme ce tableau sur les années 40/50 ! qui décident… Quel que soit le nombre de places annoncées.

Sélection et malthusiannisme

On confond souvent, « pollués » par notre histoire autour des grandes écoles, sélection et malthusianisme. Ce dernier porte historiquement, dans l’enseignement supérieur, une vision restrictive, hostile au développement du nombre d’étudiants, au motif que nous n’avons pas besoin d’autant de bac+3 ou 5, par rapport à l’économie du pays, ou bien tout simplement pour protéger une profession (ah les notaires !).

On en a eu un aperçu avec les reçus-collés de médecine dès 1971 avec un cocktail d’intérêts corporatistes d’un syndicat de médecin, d’approche politique en réaction à mai 68, et de volonté (déjà !) de maîtriser les dépenses de santé (A lire https://www.cairn.info/revue-d-histoire-de-la-protection-sociale-2009-1-page-79.htm). Avec pour conséquence, au fil des ans, une catastrophe en matière de santé publique, avec des déserts médicaux etc. Et surtout une question sans réponse 😀: le numerus clausus a-t-il amélioré le niveau des médecins formés ?

On peut donc s’interroger sur les visions prospectives dans des tas de secteurs : je ne suis pas un spécialiste, mais j’ai toujours entendu dire qu’il y avait trop d’architectes, trop de journalistes, trop de, et bien sûr trop de … psychologues au moment où l’on en cherche beaucoup 😉. Ces hypothèses sont d’autant plus friables que les prévisionnistes sont la plupart du temps bien incapables de cerner les métiers nouveaux, par exemple ceux que web fit naître. Et qu’elles reposent également pour une partie des formations sur un « adéquationnisme » hors de propos : oui on peut diriger une entreprise avec un diplôme de lettres ou d’histoire !

L’enjeu des niveaux de sortie

Passons sur cette vision basée sur cette idée que plus les salariés sont qualifiés, plus il faut les payer, et que c’est mal ! Elle est en grande partie issue d’un capitalisme français assis sur des rentes et peu porté sur l’innovation. La mondialisation a fait exploser tous ces repères, bousculant à la fois les entreprises et les universités dans le monde entier. Augmenter le niveau de qualification de la population est un atout incontesté désormais.

Peut-on nier cependant la pertinence d’interventions régulatrices dans certains professions « réglementées » ? Peut-on former X milliers de psychologues, de professeurs de STAPS, de personnels de santé simplement en fonction des souhaits d’individus ? Mais dans le même ordre d’idée, peut-on former des dizaines de milliers de techniciens ou d’ingénieurs spécialisés dans tel ou tel domaine sans avoir une vision prospective ?

Faut-il que tout le monde aille à bac+5 ? Mais dans ce cas, quid des besoins de techniciens ou tout simplement de métiers qui requièrent une compétence professionnelle de haut niveau, mais pas forcément un master ?

Tout ceci mérite mieux que des réponses binaires. Une étude du Céreq publiée récemment souligne le fait que le niveau de diplôme des actifs s’élève plus rapidement que le niveau de qualification des emplois. Dans le même temps, les employeurs prêtent désormais davantage attention aux compétences qu’aux diplômes. La référence aux « normes de qualification » fondées sur le diplôme perdrait selon les auteurs de sa validité : et ils notent l’émergence des « normes de professionnalité » fondées sur la compétence.

C’est une autre tension qui apparaît, et que la mise en place du BUT (bachelor universitaire de technologie) va remettre sur le devant de la table :  peut-on rémunérer des bacs+3 au niveau des bac+2, des bac+5 au niveau des bac+3, au risque d’alimenter des poursuites d’études « défensives » ? La balle est aussi dans le camp des employeurs, publics ou privés.


Quand les statistiques des études de Droit marquent une continuité remarquable !

Voici les chiffres, issus de documents de l’ancien BUS (Bureau universitaire de statistiques) et que j’ai eu la chance de pouvoir enregistrer avant qu’ils ne disparaissent des serveurs du Ministère de l’éducation nationale il y a quelques années. On notera que les examens sont … subis ! Et que les taux de réussite (ou d’échec) doivent faire réfléchir alors qu’il s’agissait à l’époque d’étudiants dont l’origine sociale n’a rien à voir avec celles et ceux d’aujourd’hui…

Références

Références
1 Les IUT, les écoles internes d’ingénieurs, les licences pros et bien sûr le secteur santé
2 En fait, N. Vallaud-Belkacem était adepte du « en même temps » 🙂.
3 Rappelons quand même que certaines filières « cherchent le client » et ne sont pas du tout saturées.
4 Même si la sélection y est très souvent une illusion… Combien de parents disent « ma fille ou mon fils a été admis dans telle école » sans percevoir que ces dernières ‘chassent’ le client ?
5 Certes l’annonce de la création de « 4 400 places supplémentaires » pour cette rentrée est un classique des annonces ministérielles : elle demande aux universités « d’augmenter la taille des groupes tout en préservant la qualité de formation »…
6 Je dispose de longues séries statistiques du début du XXème siècle qui montre une étonnante continuité sélective de comportement, comme ce tableau sur les années 40/50 !

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