Si l’on a beaucoup évoqué les 80 ans du CNRS, et ses glorieux anciens, j’apporte ma pierre, certes un peu triviale, en revenant sur ces 15 dernières années. Car elles éclairent les polémiques et tensions permanentes entres universités et CNRS, quoiqu’en disent publiquement les acteurs ! Ainsi, le plan élaboré en 2004, en plein mouvement des chercheurs avec Sauvons la Recherche, par Gérard Mégie et Bernard Larrouturou mérite d’être relu à la lumière des objectifs probablement très limités de la loi Recherche en termes de pilotage et d’organisation du système.
Ce projet est intéressant car il impliquait des protagonistes bien connus : l’actuel DGRI, B. Larrouturou et l’actuel PDG du CNRS, Antoine Petit, à l’époque dans l’équipe de direction comme directeur interrégional. Relire le projet du directeur général, Bernard Larrouturou et du président de l’époque Gérard Mégie 1Décédé en cours de mandat., c’est plonger dans les maux jamais résolus de la clarification des rôles respectifs des organismes et des universités.
Ce projet était en tout cas audacieux, sans doute trop pour l’époque et sans doute toujours encore trop en 2020… Un projet futuriste, utopique ou régressif selon la vision de chacun ! Il heurtait de plein fouet une grande partie du mouvement des chercheurs de 2004, dont on s’accordera pour dire, et c’est une litote 2Pour l’anecdote, discutant à l’époque avec le dirigeant emblématique du SNCS, Jacques Fossey, il m’indiquait avec force qu’il n’était pas question que, je cite, « les crédits de la recherche servent à nettoyer les chiottes (sic) des universités. » Sur le même registre, l’Académie des sciences réussissait le tour de force de faire un communiqué sur l’avenir de la recherche sans mentionner une seule fois les étudiants… Et pour fermer le ban, Alain Trautmann expliquait dans Libération sa phobie de l’enseignement ! , que l’avenir de l’université était le cadet de ses soucis.
Or, quelle était l’idée centrale ? Inscrire l’activité du CNRS « dans le continuum formation-recherche-innovation » car il ne doit plus « assumer aujourd’hui une mission globale de pilotage de l’ensemble de la recherche nationale », ne serait-ce que pour « engager les universités sur la voie d’une plus grande autonomie ». Et B. Larrouturou et G. Mégie alertaient : ne pas prendre le « pari » de cette autonomie accrue des universités « reviendrait à marginaliser très gravement et durablement l’enseignement supérieur et la recherche française sur la scène européenne ».
Mes lecteurs pourront en tout cas se faire une idée de ce qui a changé et de ce qui n’a pas changé !
Les universités, « avenir du pays »
Mais pour cela, il faut cesser « de considérer que les universités françaises sont toutes au même niveau. Il faut réformer leur mode de gouvernance, renforcer l’évaluation de leur recherche et de leur politique d’établissement, et il est prioritaire de leur donner plus de moyens pour leur faire quitter l’état de misère dans lequel elles sont trop souvent du point de vue du fonctionnement, des équipements, et de l’encadrement administratif et technique ». Et pour enfoncer le clou, ils assénaient cette prédiction : « C’est ici, plus encore que dans les EPST, que se prépare l’avenir du pays. »
Clarifier le paysage des organismes. Continuant sur leur lancée, et s’agissant des relations avec les autres organismes de recherche, ils proposaient que l’IN2P3 pourrait devenir commun avec le CEA, et même que pouvait être imaginée « une évolution comparable dans certains domaines des sciences du vivant » (CEA, CNRS, INRA) « ainsi que dans le domaine des sciences et technologies de l’information et de la communication » (CEA, CNRS, INRIA).
Redéfinir le rôle du Comité national du CNRS. Les 2 dirigeants proposaient de confier « au Comité national la mission d’évaluer l’ensemble des laboratoires de recherche des universités, des écoles et du CNRS » en le transformant en ‘Comité national d’évaluation des laboratoires et équipes de recherche' ». Il pourrait ainsi jouer « vraiment un rôle ‘d’agence de labels’, » et pourrait « assortir » ses avis « d’un classement des laboratoires et des équipes en trois ou quatre catégories ».
Le projet soulignait que « la proportion actuelle de membres élus (deux tiers) est en soi un facteur de fragilité de tout l’édifice, car une instance d’évaluation dont une grande majorité des membres est choisie par les évalués donne inévitablement naissance à un doute sur la qualité de l’évaluation » et proposait 50% d’élus et 50% de nommés avec un président nommé.
Un rôle d’agence de label et de moyens. Ce rôle du CNRS « doit donc se recentrer sur la mise à disposition de personnels auprès des universités et écoles », ayant obtenu un label de qualité après évaluation par le Comité national mais « dans une petite proportion du nombre total de ses emplois ». Dans ce cadre, le soutien à la recherche universitaire doit être complémentaire de « l’accueil d’enseignants-chercheurs (…) en détachement de leur université ou en délégation » ce qui est « une des missions principales du CNRS au sein du dispositif national ».
Carrières et recrutement. Si Bernard Larrouturou et Gérard Mégie estimaient que les personnels permanents doivent rester fonctionnaires, « ceci impose de combattre résolument les inconvénients et les rigidités liés à ce statut » avec des « primes aux chercheurs les plus performants ou à ceux qui exercent des responsabilités collectives importantes » et en fournissant un « effort très important » sur la mobilité des chercheurs et des ingénieurs.
Ils insistaient surtout sur le décloisonnement et la mobilité en priorité vers les enseignants-chercheurs et les post-doctorants notamment et souhaitaient assurer un « recrutement régulier de chercheurs permanents (…) à un niveau proche de 350 recrutements par an ». Quant au recrutement des directeurs de recherche, il « a vocation, progressivement, à être de plus en plus souvent précédé ou accompagné d’une mobilité ».
Politique scientifique. Si le projet estimait que le CNRS « doit rester un organisme présent dans tous les grands domaines scientifiques », il ne doit pas couvrir « tout le spectre des recherches scientifiques ». Et donc, le CNRS « se doit de mieux expliciter comment et à quel point il est tenu compte des priorités dans les décisions d’attribution de moyens sachant que tous les secteurs prioritaires n’ont pas nécessairement à être soutenus prioritairement de toutes les manières possibles ».
Nouvelle organisation. Le projet proposait également « une organisation matricielle reposant d’une part sur une base géographique », avec 8 directeurs inter-régionaux, et d’autre part sur « une direction scientifique dans laquelle on retrouvera les départements ». Objectif ? Le CNRS « doit être prêt à remettre en question son organisation en départements ‘disciplinaires’ « car « son organisation actuelle, qui est d’abord ‘disciplinaire’ et centralisée, ne l’aide pas à (…) participer au meilleur niveau au dialogue à mener avec les partenaires locaux – universités, écoles et collectivités locales, notamment les conseils régionaux ».
Le Front du refus
Dès septembre 2004, 140 élus SNCS ou SNESUP au Comité national lancent un appel pour refuser le « fractionnement » en directions inter-régionales. Sur le fond, ils affirmaient leur opposition « à une organisation sur une base géographique » et estimaient qu’il fallait « s’appuyer sur une logique disciplinaire ».
Cette ligne de fracture, c’est la défense du périmètre de l’organisme (au-delà de la mise en cause du management de B. Larrouturou et du décès de Gérard Mégie auquel succède B. Meunier…en désaccord avec son DG !). Elle va trouver des zélateurs au CNRS évidemment mais aussi au sein de l’Etat, en plein mouvement des chercheurs, autour de 3 mots d’ordre : pas de démantèlement du CNRS, pas de transformation en agence de moyens et pas de servitudes vis-à-vis des universités. En janvier 2006, B. Larrouturou est limogé sans ménagement.
Par la suite, l’ombre de l’accusation de projeter le démantèlement du CNRS poursuivra tous ses dirigeants (pourtant peu suspects de le vouloir comme C. Bréchignac et A. Migus), en passant par Alain Fuchs jusqu’à A. Petit et l’appel de 178 lauréats ERC s’inquiétant de savoir si le CNRS fêterait ses 100 ans un jour… Mais qui dit démantèlement demande au profit de qui. Et les accusées sont toujours les universités, la réelle menace !
L’ère Bréchignac-Migus
Et d’ailleurs C. Bréchignac et A. Migus donnaient des gages en créant dans la foulée de leur nomination une nouvelle direction du partenariat, « composée de trois volets d’actions de terrain », respectivement avec les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, les collectivités territoriales et les autres organismes de recherche. On ne saurait mieux exprimer le rôle contingent attribué aux universités qui hébergent l’immense majorité des chercheurs des organismes !
Mais derrière un discours officiel pour « une implication forte avec les universités volontaires pour l’autonomie » 3Rappelons que V. Pécresse est la ministre de la LRU… le naturel revenait vite au galop avec, en septembre 2007, le conflit avec la CPU au sujet des LRC (laboratoires communs de recherche) : une note interne du CNRS, prise en juillet, proposait de créer comme une nouvelle typologie d’unités de recherche, gérés exclusivement par le CNRS ?.
Le report des débats sur le plan stratégique du CNRS, à la demande de V. Pécresse, est vu à ce moment là par Patrick Monfort, élu SNCS-FSU au CA, comme le souhait de « transformer le CNRS en agence de moyens »…car ces dernières n’ont selon lui pas besoin de plan stratégique.
Quant au Conseil scientifique, il adoptait à l’unanimité une recommandation demandant à V. Pécresse « d’éviter toute décision hâtive aux conséquences graves » car une modification des missions et des statuts du CNRS « au service d’une réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche nécessite une mise en œuvre par étapes sur une longue durée ».
Finalement, en juillet 2008, le CA du CNRS adoptait son nouveau plan stratégique, intitulé « Horizon 2020 », les représentants des personnels indiquant que malgré « l’arrêt, dans l’immédiat, du démantèlement du CNRS », des « menaces persistent ».
Le réchauffement avec A. Fuchs
La nomination d’Alain Fuchs en janvier 2010 marque un tournant avec un discours plus clair et surtout plus sincère sur la relation avec les universités. L’apaisement des relations est en vue, sa lettre de mission lui demandant explicitement de se rapprocher des universités, que le gouvernement place au centre de sa politique de recherche.
Sa présidence a donc été marquée par une coopération plus étroite avec les universités, se traduisant par une participation de l’organisme aux politiques de site. D’autres mesures symboliseront cette vision comme la suppression de la direction des partenariats et la nomination d’adjoints auprès des directeurs référents pour préparer entre 20 et 30 conventions de site.
Cette politique de rapprochement sera renforcée par la signature d’un accord-cadre avec la CPU en novembre 2010, et surtout avec le PIA et son volet idex, le CNRS étant systématiquement partenaire de ces regroupements d’excellence. Alain Fuchs va même plus loin en février 2012 en indiquant qu’il n’entend pas limiter sa coopération avec les universités aux seules idex.
Il s’attirera vite les foudres de P. Montfort qui jugeait que la mission du CNRS n’est « pas d’accompagner l’autonomie des universités. Il va de soi que nous sommes partenaires à travers les UMR, mais nous ne sommes pas ‘au service’ des universités. Le partenariat doit être d’égal à égal. » Quant à Daniel Steinmetz, du SNTRS-CGT, il estimait « que le CNRS a autre chose à faire que de jouer le ‘rôle d’observatoire’ et de ‘vigie’ pour les universités ». Et si la CFDT par la voie de son secrétaire général Recherche EPST se déclarait favorable « à un partenariat renouvelé et rénové avec les universités, mais à condition qu’il soit équilibré », elle craignait « que le curseur n’aille trop loin en faveur des universités. »
Tout est dit du débat non tranché qui pollue le système français et en réalité pénalise les chercheurs, quels que soient leurs statuts. Si ce chantier d’un rapprochement ou d’une convergence entre le CNRS et les universités n’est pas simple techniquement (on le voit pour les systèmes d’information), il est surtout politiquement inflammable, beaucoup plus que la ‘tenure track’ ou les postes.
Il reste au milieu du gué, comme le montrent les conclusions des 3 groupes de travail sur la loi recherche. Ces derniers ont pris soin de ne pas toucher aux nouvelles « vaches sacrées », les chercheurs qui pourraient enseigner, ou aux évolutions naturelles d’un rapprochement entre délégations régionales du CNRS et directions générales des services des universités. Jusqu’à quand ?
Références
↑1 | Décédé en cours de mandat. |
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↑2 | Pour l’anecdote, discutant à l’époque avec le dirigeant emblématique du SNCS, Jacques Fossey, il m’indiquait avec force qu’il n’était pas question que, je cite, « les crédits de la recherche servent à nettoyer les chiottes (sic) des universités. » Sur le même registre, l’Académie des sciences réussissait le tour de force de faire un communiqué sur l’avenir de la recherche sans mentionner une seule fois les étudiants… Et pour fermer le ban, Alain Trautmann expliquait dans Libération sa phobie de l’enseignement ! |
↑3 | Rappelons que V. Pécresse est la ministre de la LRU… |
Les chercheurs des organismes ont leurs responsabilités mais les universitaires également : combien se réclament plus du CNRS que de leur propre université?
Quant aux universités, des progrès restent incontestablement à faire : des politiques scientifiques explicitées et pérennisées, des systèmes d’information recherche en capacité de suivre la production scienfitique de l’établissement, une articulation recherche/formation explicitée et déployée, un pilotage de la recherche cohérent et suivi …..
Autant de sujets que l’on retrouve dans les évaluations institutionnelles qui montrent de grandes marges de progrès pour l’ensemble de nos universités….
C’est aussi tout le système de l’évaluation qu’il va bien falloir discuter sur le fond, au-delà des visions simplistes à court terme….
Robert Fouquet : blog ESRAQ