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C’est la symphonie des dénis : tout le monde a gagné et chacun semble oublier que le RN a fait plus de 10 millions de voix. Il faudrait faire des compromis mais je crains que chaque camp soit engagé dans une dynamique mortifère, avec un mépris social qui frise la cécité. Quant à l’enseignement supérieur et la recherche, cadet des soucis des uns et des autres, il existe pourtant des pistes qui pourraient faire consensus. Mais encore faut-il laisser au vestiaire dogmes et postures.

Comme le dit D. Rousseau, professeur de Droit à Paris-I, d’un point de vue constitutionnel, “il n’y a ni majorité absolue ni majorité relative. Il y a trois minorités. Une minorité ne peut imposer son programme que dans un régime autoritaire. Dans un régime parlementaire, le programme ne peut être que le résultat d’un compromis.” Bref, au vu des déclarations des uns et des autres qui tous se croient vainqueurs, on n’est pas sorti de l’auberge.

Curieusement, tous oublient le seul véritable gagnant de ces élections : le RN qui fait un bon en nombre de députés, obtient plus de 10 millions de voix et surtout qui va continuer de tirer les marrons du feu pour 2027 devant le spectacle actuel. Désormais, même les catégories diplômées, les cadres, sont perméables au vote RN qui n’est plus réduit aux classes populaires. Or, le ‘bazar’ annoncé d’une assemblée incapable de consensus devrait renforcer Marine Le Pen et lui laisser le champ libre en 2027.

Mais pourquoi cette surdité et cet aveuglement ?

Il faut donc vraiment être sourd et aveugle pour voir le résultat des élections comme une défaite du RN comme le font l’immense majorité des médias et commentateurs. La menace n’a été que retardée par l’existence d’un ‘Front républicain’ bien fragile, avec des Partis d’accord sur rien.

Ce qui au fond est sidérant depuis des années, c’est l’aveuglement des dites élites, notamment celles engagées à gauche, à percevoir cette réalité. Vivent-elles dans la France réelle, au-delà des cercles de leur entre-soi ? Vont-elles prendre un café dans un bar le matin dans un lieu normal (en dehors du 11ème arrondissement), assister à une fête locale sans bac+5 etc. ? Il suffit d’écouter France Inter et de lire Libération ou Le Monde pour comprendre le fossé existant. Il est pourtant clair que les préoccupations des Français et des Françaises ne sont pas les débats sans fin sur la féminisation de l’écriture !

Beaucoup a été dit sur les raisons du vote RN et tout converge sur une forme de ségrégation spatiale (grandes villes vs petites communes) qui montre des fractures, notamment éducatives. En résumé, les catégories les plus diplômées ou au ‘capital culturel’ élevé (artistes, enseignants, journalistes etc.) vivent dans les villes et votent NFP, les couches les moins diplômées dans les campagnes ou les périphéries et votent RN.

Il n’est pas inintéressant de constater que les grandes villes dans lesquelles le prix au M2 est le plus élevé votent très peu RN, beaucoup NFP… Un constat que fait lucidement F. Ruffin sur cette déconnexion de la gauche avec les couches populaires.

Un mépris social bien installé …

Est-ce dédouaner la composante raciste du vote RN ? Non évidemment. Mais chercher à comprendre n’est pas interdit. Dans un article de The Conversation, Félicien Faury 1Postdoctorant, CESDIP, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay notait que “les groupes et individus les plus pourvus en capital culturel, les ‘sachants’, et notamment les professions spécialisées dans l’usage du savoir, de la parole et des symboles (enseignants, journalistes, artistes…), vont souvent susciter scepticisme et hostilité.” Car ils sont souvent associés “à une position de privilégié moralisateur, des ‘beaux parleurs’ et des ‘donneurs de leçons’. Cette défiance se rejoue dans le rejet de la gauche, camp politique souvent associé – non sans un certain réalisme sociologique – à ces ‘élites du diplôme’.” 

La metteuse en scène Ariane Mnouchkine a ébauché dans Libération un début d’examen de conscience : “nous, gens de gauche, gens de culture avons lâché le peuple, pas voulu écouter les peurs, les angoisses.” Elle poursuit : “quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. Puis comme ils insistaient, on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis, comme ils insistaient de plus belle, on les a traités de salauds. Une partie de nos concitoyens en ont marre de nous : marre de notre impuissance, de nos peurs, de notre narcissisme, de notre sectarisme, de nos dénis.”

Cacophonie et vide sidéral sur l’ESR

On a donc évité temporairement le RN et ses menaces sur l’ESR. Mais qu’en est-il des possibles majorités relatives ? Tout ceci se passe dans un contexte où il va falloir remplacer Claire Giry à la DGRI, Anne-Sophie Barthez à la Dgesip et nommer un président du Hceres ou encore renouveler, ou pas, Philippe Mauguin à la tête de l’Inrae. Rappelons également qu’au-delà de la loi de Finances, beaucoup de choses peuvent se décider par décret ou arrêtés.

Seuls LFI, le PCF (avec le sénateur P. Ouzoulias) et Ensemble (avec S. Retailleau comme ministre) ont réfléchi sur l’ESR de façon approfondie. Côté PS et EELV c’est le vide, tandis que LR n’en est pas loin … Encore faut-il préciser que le programme LFI a été conçu en grande partie par un dissident ‘purgé’ et que chez EELV il existe un courant obscurantiste bien réel 2à l’image de C. Villani qui avec d’autres entonne désormais les pires chants obscurantistes et complotistes, à propos des cancers pédiatriques..

Reste côté NFP, 2 propositions que l’on sait intenables, abroger Parcoursup et supprimer la sélection à l’université. On imagine qu’un recul en bon ordre du NFP sera de dire qu’il faut améliorer Parcoursup, ce sur quoi tout le monde sera d’accord ! Et que l’on s’est mal exprimé sur la suppression de la sélection… Une faute morale et politique dans le contexte actuel de défiance qui rappelerait la suppression de l’Aeres … pour la remplacer par le Hceres.

Un gouvernement minoritaire NFP osera-t-il gérer l’afflux d’étudiants dans certains secteurs en ouvrant les vannes (et les financements), par exemple en Droit à Paris-I et Paris-II, ou encore en psychologie ? Et s’opposer aux présidents d’université au passage, qui sont, quoiqu’on en pense, élus par les communautés ? Un gouvernement minoritaire Ensemble-LR osera-t-il laisser le CIR continuer de croître tout en plaidant pour la diminution des dépenses publiques ? Et sécurisera-t-il la trajectoire financière de la LPR ? Bref, des contradictions et défis en cascade.

Rappelons donc un florilège de propositions/positions, hors RN.

Le NFP veut abroger Parcoursup et supprimer toute sélection à l’université.

Ensemble veut évidemment maintenir Parcoursup, LR probablement aussi, et les 2 partis assument la sélection.

LFI veut supprimer le CIR, LR veut l’aménager, tandis que B. Le Maire a réaffirmé sa volonté de ne pas y toucher. LFI veut supprimer toutes les agences (ANR, Hceres etc.). Le NFP n’a rien dit sur ce sujet, le PS non plus.

Le PS veut une loi de programmation de la recherche plus ambitieuse et a visiblement fait passer ça dans le programme du NFP, ce qui pourrait être la base d’un consensus.

Le NFP veut le repas à 1€ pour tous les étudiants, à l’inverse d’Ensemble qui cible les boursiers.

Bref, c’est assez confus (euphémisme) et faire des compromis entre NFP, Ensemble et divers et LR (je mets de côté le RN) va supposer d’abord qu’ils comprennent de quoi ils parlent.

Compromis, quel compromis dans l’ESR ?

Car si les forces politiques étaient raisonnables, connaissaient et s’intéressaient vraiment à l’ESR, ça se saurait. Elles pourraient dégager quelques axes, qui ne peuvent pas être que budgétaires vu la situation des finances publiques. Cependant on voit mal une force politique prendre la responsabilité d’une fois de plus pour tout bouleverser !

Quelles sont alors les pistes possibles de compromis, si l’on accepte l’idée de compromis ?

En voici quelques unes, pas exhaustives bien sûr.

  • renforcer le ciblage des actions sur les étudiants les plus fragiles, tels que l’OVE les a définis (étudiants étrangers, étudiants plus âgés) et poursuivre la trajectoire de revalorisation des bourses. Une politique progressiste pourrait être de délivrer des bourses de master, spécifiques et augmentées, pour favoriser la poursuite d’études des étudiants de milieu modeste, un problème majeur. Et de rompre avec un faux égalitarisme en modulant les aides au logement étudiant en fonction de la région, notamment sur Paris et les grandes villes.
  • accélérer et sécuriser la trajectoire financière de la LPR en repositionnant la partie ESR de France 2030 autour du MESR et mettre de l’ordre, comme le recommandait le rapport Gillet, dans les multiples tutelles. Ce serait un pas en avant dans la transformation des baronnies en véritables services publics, au service d’une stratégie cohérente.
  • redéfinir en conséquence la politique d’appel à projet avec moins mais mieux, en renforçant les dotations de base des universités, plus spécifiquement celles qui sont de façon criantes sous-dotées. Un message d’égalité qui serait bienvenu, d’autant que ces établissements accueillent bien souvent une forte proportion de boursiers.
  • réorienter résolument le CIR en faveur des PME et ETI, mais aussi en y prenant“1 à 2 Mds€ supplémentaires pour la recherche ouverte.” (toujours le rapport Gillet).

Et puis bien sûr, il faut oser réguler le secteur privé lucratif avec une obligation de transparence et de qualité réellement contrôlée, afin de protéger les familles et les jeunes.

Mais au fond, l’un des enjeux majeurs de la période, c’est peut-être de laisser tranquilles les opérateurs : moins de circulaires, moins de bureaucratie, moins de top down, en résumé la fameuse autonomie qui serait au passage une véritable protection contre l’arrivée au pouvoir du RN. Ainsi, un décret du 6 juillet allège les “conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l’Etat” : une mesure qui va dans le sens de la simplification et qui donne la main aux agents et aux établissements. Quant à la sélection dans les universités, elle est un fait et n’a pas débouché sur le malthusianisme des Grandes écoles. Faisons-leur confiance et laissons-les décider !

Car les chantiers de la simplification, de la formation, de la recherche et des politiques de site reposent sur eux. Cela soulève une question : les opérateurs, en particuliers les universités, sont-ils prêts à saisir cette opportunité de développer leur autonomie sans se tourner sans cesse vers leur ‘tutelle’ ? Pas certain…


Le complotisme “chic” franco-français des élites

Croire que les médias font l’opinion dans une démocratie c’est vraiment se voiler les yeux en attribuant à Cnews, Europe 1, JDD etc. mais aussi à d’autres médias une influence sur les causes alors qu’ils ne sont que le symptôme : comme si le vote RN commençait avec Bolloré…comme si les interviews baroques (et utiles) de candidats RN sur FR3 avaient fait basculer le scrutin. Toujours l’entre-soi médiatique et ses prophéties autoréalisatrices.

Je remarque d’ailleurs qu’à propos du terreau des peurs alimenté quotidiennement, les médias Bolloré n’ont pas été seuls : il suffit de lire, pour celles et ceux qui sont abonnés au Monde, les alertes qui vous donnent envie de vous jeter dans la Seine ! Ou encore les discours catastrophistes sur tout et n’importe quoi sur les antennes de Radio France ou France Télévision.

Il y a quelques mois, les mêmes se pâmaient devant les manifestations (massives) en Allemagne contre l’AFD qui auraient montré que ce pays refusait l’extrême-droite : résultat, l’AFD fait un score considérable, sans le groupe Bolloré, montrant une fois de plus la déconnexion d’élites qui ne voient le monde qu’à leur image.

Ainsi faire d’E. Macron ou J-L Mélenchon les responsables du vote RN, c’est facile mais loin d’une réalité bien plus complexe et internationale. A chaque époque, les présidents de F. Mitterrand à E. Macron ont été accusés de jouer avec le FN. Mais faut-il succomber à une vision policière et franco-française de l’histoire ? Son enracinement dans notre pays vient de loin !

En réalité, on assiste à un mouvement de fond dans les sociétés démocratiques occidentales, pas seulement en France. Trump en est l’étendard, les questions ‘matérielles’ autour du niveau de vie, du statut social etc., ne constituant qu’une (petite) partie du problème, la dimension identitaire et culturelle au sens large étant décisive. De ce point de vue, on notera que la victoire du Parti Travailliste en Grande-Bretagne (dont le programme en France serait qualifié de pré-fasciste…) se fait avec moins de voix que lors des précédentes élections et bénéficie de l’implosion du camp conservateur.

Il existe donc des racines bien plus profondes à l’émergence du RN, dont les tensions autour de l’immigration ou les questions de sécurité sont un des aspects. Les stratégies d’influence russes les ont exacerbées, ce que l’on voit à des degrés divers dans toutes l’Europe et aux USA.

Références

Références
1 Postdoctorant, CESDIP, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
2 à l’image de C. Villani qui avec d’autres entonne désormais les pires chants obscurantistes et complotistes, à propos des cancers pédiatriques.

One Response to “Des compromis sont-ils possibles dans l’ESR ?”

  1. le post-bac ne se limite pas aux GE et universités, il y a aussi les campus métiers😉
    Pour expliquer le vote RN majoritaire ds des départements comme ma Dordogne, n’oublions pas la désespérance ds les campagnes, analysons par ex ce que dit @BenoitCoquard
    https://www.frustrationmagazine.fr/entretien-benoit-coquard/
    Oui on peut réussir sa vie autrement que via GE et universités prestigieuses. Revoyons notre système de formation en valorisant les parcours professionnels. On peut s’émanciper aussi à travers ces voies si la formation ne s’y résume pas à apprendre un métier.

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