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Une conférence de presse de 3 ministres pour au plus quelques centaines d’étudiants ? Oui c’est possible dans notre pays à partir du moment où cela concerne quelques grandes écoles, dont il faudrait “diversifier” les origines sociales. Cela a l’apparence de la diversité, le goût de l’ouverture sociale mais c’est en fait le Canada dry de la démocratisation. Le message gouvernemental est en effet clair : l’élite et l’excellence sont d’abord en dehors de l’université. Une drôle de conception de la fameuse “diversité”. Avec un absent de taille pour ce qui définit une élite : le PhD.

Imagine-t-on 3 ministres convoquer une conférence de presse pour demander à quelques entreprises employant pas plus de quelques milliers de salariés de “s’améliorer” sur la place des femmes tout en s’abstenant de traiter les millions de salariées des autres entreprises ? C’est pourtant ce qui vient d’être fait à propos de l’ouverture sociale dans l’enseignement supérieur !

Terra Nova souligne dans son dernier rapport sur la démocratisation de l’enseignement supérieur que “les promotions d’étudiants français à Polytechnique, HEC et ENS Paris représentent en tout 1 000 étudiants, soit 0,12% d’une classe d’âge “.

Comme chaque année depuis la nuit des temps, des responsables publics font leur sortie charitable. Florence Parly, Ministre des Armées, la secrétaire d’Etat Geneviève Darrieussecq et Frédérique Vidal ont donc communiqué sur le serpent de mer de l’ouverture sociale de quelques grandes écoles (X, ENS 1Précisons que ces dernières sont investies dans les nouvelles universités à PSL, Saclay et Lyon., HEC-ESCP-Essec). Car le paradis c’est la Grande école, et l’enfer l’Université. Cependant, la ficelle était tellement grosse que l’on s’est senti obligé d’annoncer au final un nouveau comité Théodule pour y intégrer, comme caution, les filières universitaires .

Une approche rétrograde de la notion d’élite

Il s’agit pourtant d’une question beaucoup plus large que celle de l’ouverture sociale : c’est celle de la diversité des élites françaises. On continue comme avant, et sans doute après, à promouvoir une approche totalement restrictive de ce qu’est une élite 2Selon le Littré, les élites sont des “personnes au premier rang de par leur capacité ou leur formation”, tandis que pour le Robert c’est l’“ensemble des personnes considérées comme les meilleures, les plus remarquables d’un groupe, d’une communauté”..

On aurait pu imaginer, par exemple, que ces 3 ministres tiennent une conférence de presse sur le nombre de PhD au sein des entreprises qui bénéficient le plus du CIR. Mais il n’y eut pas un mot…sur cette filière d’élite reconnue dans le monde entier et préparée essentiellement dans les universités. Peu importe la sortie pourvu qu’on ait l’ivresse du concours d’entrée, symbole des élites françaises ! Le prix Nobel de Chimie Jean-Marie Lehn, qui a fait ses études à l’université de Strasbourg, y a enseigné et cherché n’en fait visiblement pas partie…

On aurait pu imaginer également que les 3 ministres remettent en cause ce système quasi unique au monde qui rémunère des étudiants (X et ENS) alors même qu’ils sont issus des milieux les plus favorisés (imagine-t-on cela à Cambridge ou Harvard ? ?), et proposent justement d’étendre ce dispositif aux étudiants modestes et à fort potentiel des universités. Ou d’augmenter sensiblement les bourses des échelons 5,6 et 7.

Non, car quel est le point de départ des ministres ? “Faire en sorte que les jeunes qui occuperont demain des responsabilités de premier plan dans le monde scientifique et intellectuel, dans les entreprises, ou encore ceux qui pourraient s’orienter, ultérieurement, vers des carrières publiques, proviennent effectivement de tous les horizons, de tous les milieux, de tous les territoires de notre pays ».

Oui mais de quels établissements viendront ces jeunes qui occuperont ces responsabilités ? Des classes préparatoires car elles “jouent un rôle primordial dans la diversification sociale des élèves intégrant les formations sélectives”. L’argument ? Le maillage territorial des prépas !

Il est bien connu que les universités ne sont présentes nulle part dans les territoires, que les étudiants d’IUT ne réussissent pas à intégrer des filières dites d’élites (business schools, écoles d’ingénieurs), et l’on sait bien que l’université ne dispose pas de filières sélectives à l’entrée, et que les masters y sont littéralement donnés. Et puis le PhD à quoi ça sert ? Quant aux élèves de BTS, personne ne leur imagine un destin quelconque dans les élites : c’est aussi cela l’exception française.

Les pouvoirs publics entérinent ainsi le fait que des centaines de milliers d’étudiants inscrits dans les universités, dont presque 40% de boursiers, n’ont pas vocation à faire partie de l’élite. Les généraux d’un côté, la piétaille de l’autre. Pas mal comme conception de la diversité non ?

Malaise palpable chez les dirigeants des écoles

Côté Grandes écoles, face à un défi impossible, les dirigeants concernés (X, les ENS, HEC-ESCP-Essec) font le gros dos même si certains sont mal à l’aise : l’entre-soi de leurs écoles (origines sociales, lycées) a des racines tellement profondes que changer les choses y est un sujet marginal. Même si certains essaient d’ailleurs courageusement de les faire évoluer. Mais face aux injonctions politiques, c’est … le concours Lépine ? des fausses bonnes idées, dont par ailleurs chacun sait qu’elles ne changeront rien.

Pire, l’idée de donner un bonus aux boursiers sonne comme une insulte : ces derniers ne réclament pas l’aumône mais l’équité ! Tout se passe en réalité comme si il fallait choisir quelques cautions de “bons sauvages”.

A tel point qu’un sentiment de culpabilité semble ronger un certain nombre de responsables d’écoles, à l’image de la DG de Neoma BS, Delphine Manceau, qui dans les Échos affirme en dehors de toute évidence que le nombre de boursiers dans les écoles de la CGE est de 30% ! Pourquoi ce besoin de nier la réalité chiffrée que je rappelais dans un récent billet ? Au-delà de la responsabilité des directions d’écoles, c’est avant tout un problème global de politique publique.

Évidemment, la situation n’est pas rose dans les universités en matière de diversité sociale (faible taux de boursiers des universités dans Paris intra-muros ou encore ce manque de diversité en médecine). Elles demeurent cependant le creuset de la démocratisation, d’autant qu’elles jouent un rôle majeur en formation continue (et j’inclus le CNAM).

Restons optimistes :  selon les chiffres du MESRI, depuis des années la progression de l’accès à l’enseignement supérieur est là “plus forte pour les enfants issus des milieux sociaux les moins favorisés, de sorte que les différences entre milieux sociaux se sont réduites.” Mais en moyenne de 2014 à 2016, parmi les jeunes âgés de 25 à 29 ans, 60 % des enfants de cadres, de professions intermédiaires ou d’indépendants sont diplômés du supérieur, contre 31 % des enfants d’ouvriers ou d’employés.

Le fait marquant est que les premiers possèdent un diplôme de niveau plus élevé : c’est cette question qui est posée, et donc à la fois celle de la réussite, des conditions matérielles et de l’ambition. La question de l’ouverture sociale n’est donc, au niveau quantitatif, que marginalement celle des Grandes (et petites) écoles.

Quelle politique réellement incitative ?

Je ne me lancerai  pas à mon tour dans des propositions-recettes qui contribueraient à réduire les inégalités sociales dans l’enseignement supérieur. Il existe déjà des tas d’initiatives, par exemple les cordées de la réussite. De fait, tous les pays sont confrontés à ce défi, et avant tout leur système éducatif pré-universitaire. La particularité française, c’est le mépris dans lequel sont tenues les universités, sous financées et peu autonomes.

Ce que l’on sait pourtant, c’est l’importance du suivi individualisé mais aussi la nécessité d’accompagner une maturation plus lente : l’élitisme à la française confond excellence et précocité, excellence et spécialisation. Et Marc Bloch, dans un texte visionnaire, mettait le doigt il y a plus de 80 ans, sur les tares du système français.

Bien sûr il faut dégager une élite. Mais qui peut affirmer qu’un(e) étudiant(e) du 93 qui “fait” l’université est par définition incapable d’accéder à l’élite administrative, scientifique, économique ? Ou que sa seule voie de “salut” est une prépa ? En résumé est-ce que la dignité académique des élites actuelles (réelle bien que Normale Sup ou l’X n’ont pas produit que des réussites…) suppose l’indignité des autres ? Le sport, la musique nous le démontrent chaque jour : il ne peut exister d’élites performantes sans viviers diversifiés.

Alors que côté éducation nationale se met en place une politique volontariste au niveau du primaire (dédoublement des classes dans les zones prioritaires), l’enseignement supérieur reste engoncé dans les fonctionnements anciens.

On évoque sans cesse le financement à la performance : qui a réfléchi par exemple à une forme de bonus incitatif pour les universités ayant les plus forts taux de boursiers ?  Et peut-on continuer avec des milliers de chercheurs des organismes qui n’enseignent pas ? En réalité, qui s’intéresse réellement aux étudiants du 93 inscrits à Paris XIII ou encore ceux de Valenciennes, et des talents qui y étudient ?

En fait, qui se soucie des universités ? C’est bien là le drame français.

Malthusianisme ou sélectivité ?

C’est l’immuable clivage franco-français qui confond malthusiannisme et sélectivité.
  • D’un côté, des établissements malthusiens (et leurs anciens élèves) qui, avec le modèle actuel des admissions sur concours, transforment leur réelle excellence en une rente sociale dont le réseau est la note ultime 3Voir « Les concours sont-ils neutres ? Concurrence et parrainage dans l’accès à l’École polytechnique » (Sociologie vol 9, 2018), les auteurs P. François et N. Berkouk montrent par exemple que moins de 5% des élèves en CPGE scientifique de Sainte Geneviève (« Ginette », meilleur taux de réussite à Polytechnique), sont issus des classes moyennes et populaires. Le pourcentage est comparable au collège Stanislas, et aux lycées Pasteur et Hoche, un peu plus important (entre 10 et 20%) dans les grands lycées de référence : Louis le Grand, Henri IV, Saint-Louis, Le Parc et Fermat.. L’objectif est de fonctionner avec des promotions réduites.
  • De l’autre, un choix de l’excellence qui se fixe comme idéal le potentiel des candidats, dans la durée. Il est incarné en partie, mais en partie seulement par le modèle universitaire. Les parcours atypiques, à maturation lente, la diversité thématique, en sont l’incarnation.

A titre de comparaison, selon Terra nova, “les universités états-uniennes privées les plus prestigieuses (Ivy League, Stanford, Chicago, Duke, Johns Hopkins, MIT, Caltech) ont des promotions combinées de 15 000 étudiants (0,4% d’une classe d’âge) alors que le nombre total d’étudiants de 1ère année des trois universités publiques les plus cotées (UC Berkeley, UCLA, U Michigan) est de 19 000. Au Royaume-Uni, Oxford et Cambridge ont chacune 2500 étudiants britanniques par promotion.”

Références

Références
1 Précisons que ces dernières sont investies dans les nouvelles universités à PSL, Saclay et Lyon.
2 Selon le Littré, les élites sont des “personnes au premier rang de par leur capacité ou leur formation”, tandis que pour le Robert c’est l’“ensemble des personnes considérées comme les meilleures, les plus remarquables d’un groupe, d’une communauté”.
3 Voir « Les concours sont-ils neutres ? Concurrence et parrainage dans l’accès à l’École polytechnique » (Sociologie vol 9, 2018), les auteurs P. François et N. Berkouk montrent par exemple que moins de 5% des élèves en CPGE scientifique de Sainte Geneviève (« Ginette », meilleur taux de réussite à Polytechnique), sont issus des classes moyennes et populaires. Le pourcentage est comparable au collège Stanislas, et aux lycées Pasteur et Hoche, un peu plus important (entre 10 et 20%) dans les grands lycées de référence : Louis le Grand, Henri IV, Saint-Louis, Le Parc et Fermat.

3 Responses to “‘Ouverture sociale’ des Grandes écoles : business as usual”

  1. Travaillons au succès du vrai levier d’ouverture sociale que seront les écoles universitaires de 1er cycle … c’est une des ambitions de l’Université Paris-Saclay

  2. Comme dans le foot ou le tennis, il doit y avoir un concours et c’est tout.
    Absolument aucune idéologie, ni celle de l’entre-soi, ni celle de l’égalitarisme. Un concours républicain.
    Toute solution de passe-droit ou de point-bonus est anti-démocratique. La meilleure solution est celle de l’ENS, à savoir offrir des études stimulantes aux meilleurs collégiens sur une base méritocratique.

    Et le concours des écoles devrait être un bachelor (comme à Cambridge) car plus on recule, plus le milieu peut avoir un impact. Et les écoles devraient valoriser le PhD.

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